«- C’est clair que la plupart ne serait vraiment pas ravie de l’apparition d’une telle méthode mais je pense que c’est nécessaire. Plusieurs de ces fameux confrères se servent des failles et des complexes de leurs patients, les exploitent, pour se faire plus d’argent. C’est simplement horrible à mon sens ! Un peu comme les arracheurs de dents, des siècles passés, tu vois ce que je veux dire ?»

La demoiselle soupire à la simple pensée du manque de professionnalisme de certains de ses confrères. Elle voudrait tant pouvoir faire quelque chose pour abolir ce genre de pratiques mais elle se sent, d’un autre côté, si petite face à tout cela. Et ce malgré son rang de Princesse de Russie. Quoique. Peut-être pourrait-elle essayer de faire passer une loi dans son pays, à condition encore que Monsieur Poutine accepte de l’écouter et au vu de leurs rapports parfois houleux, ce n’était pas près d’arriver. Leurs avis, sur presque tout, divergeaient tellement qu’il était inimaginable que le politicien écoute la princesse et ce malgré la justesse de ses propos et de son désir.

La demoiselle le questionne, afin de savoir s’il compte acheter son disque dur aujourd’hui ou non, ce à quoi le jeune homme répond que cela peut attendre quelques jours et, qu’en attendant, il a tout de même de quoi lui payer un coup à boire. Une information qui ne manque pas de faire tiquer la jeune femme qui ne peu alors qu’être certaine de la situation précaire de l’homme qui lui fait face. Alors elle jette un œil au disque dur et note dans un coin de sa tête le nom du magasin, avec l’idée de faire livrer l’objet à Berkeley, dès le lendemain matin et elle passerait la commande quand ils seraient rentrés.

«- Ok allons y ! Je connais un petit café sympa pas trop loin, on peut aller là-bas si tu veux ! Enfin, sauf si bien sûr, tu avais déjà une petite idée de lieu en tête !» déclare la demoiselle avec un sourire mais les joues devenues subitement rouge alors qu'elle craint d'avoir, en quelque sorte, imposé au jeune homme sa propre idée de lieu.

Les deux jeunes gens, après s'être décidée sur l'endroit où aller, commencent à marcher en direction de ce dernier et, alors qu'ils se déplacent, le silence s'installe entre eux ce qui ne manque pas de grandement ennuyer la demoiselle qui déteste férocement les blancs dans une conversation. Parce qu'elle se sent toujours terriblement idiote quand cela arrive et puis, elle déteste donner l'impression de ne pas s'intéresser à quelqu'un, surtout quand ce n'est pas du tout le cas, comme là avec le jeune homme. Oui, la scientifique est très intéressée par lui et, surtout très curieuse d'en apprendre davantage sur la profession à laquelle il se destine.

«- Et donc, concrètement, ton système de gestion va faire quoi ? En quoi facilitera-t-il la gestion ?» interroge la demoiselle qui se trouve être vraiment très curieuse vis à vis de cette nouveauté à venir.

«- C’est là tout le mal que je peux te souhaiter.» répond la jeune femme alors que l’homme lui explique le système qu’il a imaginé et révèle qu’un jour, il le vendra.

Leurs pas finissent par les conduire au petit café dont avait parlé la princesse, qui se sentait encore un peu gênée à l’idée d’avoir probablement imposée un lieu à John-Thomas alors que c’est lui qui l’avait invité à boire, et tout deux s’installent à une table en terrasse pour profiter du soleil. La jeune femme devrait quelques fois songer à tourner sept fois sa langue dans sa bouche avant de parler, cela ne pourrait vraiment pas lui faire de mal.

Une serveuse arrive et dépose deux sodas devant les jeunes gens avant de s’éclipser, les laissant en tête à tête alors que John-Thomas pose une étrange question à Lullaby, qui lui donne l’impression qu’il a des vues sur elle, ce qui n’est pas franchement pour lui plaire. Elle n’est pas prête à ça, à avoir une relation, même chaste, avec un homme. D’abord, il est difficile pour eux d’avoir sa confiance. Ensuite, la princesse ne peut oublier ce qu’elle a vécut auprès de son frère adoptif. Alors que ne donnerai-t-elle pas en cet instant pour découvrir qu’en vérité, il n’a pas dit ce qu’elle a entendu, que c’est son esprit qui lui a joué un tour ?

Baissant le regard, alors qu’une ombre passe dans ce dernier, la demoiselle laisse aller ses souvenirs. Ce n’est pas bon pour elle. C’est destructeur. Elle ne le sait que trop bien mais ne peut pas l’empêcher. La princesse a l’impression de ressentir cette main sale sur elle, souillant tout son corps, tout son être. Il lui semble sentir de nouveau les baisers humides sur sa gorge. Bee voudrait se sortir de ce mauvais pas mais aucune porte ne se présente à elle et la voilà coincée dans sa mémoire, les yeux clos et plissés, une main agrippant sa tête.

Le calme revient chez la demoiselle, lorsque celle-ci parvient, après de grands efforts, à chasser les mauvaises images qui l’assaillent. Alors elle rouvre les yeux et pose son regard sur le jeune homme qui attend probablement une réponse et des explications sur le drôle d’air qu’elle a eut.

«- Non, je n’ai personne. Et je n’ai jamais eu personne. A vrai dire, je n’aurai personne avant longtemps. Toutefois, je ne veux pas en parler. Disons que j’ai vécus… des choses pas faciles.» dit-elle simplement en détournant le regard et sans donner plus d’indication que cela, avant de finalement se tourner de nouveau dans la direction de l’inventeur, pour murmurer. «Tu sais, les histoires de monstres ne sont pas toujours celles que l’ont croit. Et ils n’ont pas besoin d’être hideux pour effrayer.»

La princesse en a déjà dit à son sujet plus qu’elle ne l‘aurait voulu. Alors ses lèvres se scellent et elle ne laisse plus aucun son s’en échapper. Ce n’est que pour boire, d’un trait, le soda qui lui pique le palais, que la demoiselle consent à desserrer les lèvres. Tout cela en espérant bien sûr que John-Thomas ne se montre pas trop curieux à son sujet car elle ne pourrait pas en dire plus. Mais il avait sûrement compris ce qu’il se passait pour elle. Plus ou moins, en tout cas.

Lullaby se raidit quelques peu lorsque son interlocuteur dit avoir peur de comprendre de quoi elle parle. Prise d’un petit frisson alors que le regard de son bourreau revient à sa mémoire, la jeune femme laisse une larme de peur couler le long de sa joue. Effectivement non, les créatures les plus effrayantes ne sont pas forcément les plus laides et les plus grands monstres ne sont pas forcément ceux auquel on  pense en premier lieu en abordant c sujet là. Pour la princesse Bee, le monstre s’était présenté sous les traits d’un quarantenaire charismatique censé veiller sur elle : son père adoptif, qui avait déjà deux enfants avant de l’accueillir. Un garçon plus vieux que la russe et une fille, plus jeune que Lullaby.

«- Oui, c’est exactement ça. Les plus dangereux ne sont pas nécessairement ceux qui portent le poids de leur mauvaise âme sur le visage, malheureusement.» répond la demoiselle, en prenant soin de ne pas questionne l’homme sur ses doutes quand à ce qu’elle évoque. La jeune femme ne peut se résoudre à entendre prononcer le mot définissant ce qu’elle a subit. C’est un souvenir encore trop vivace et trop douloureux. La seule évocation du mot lui provoque les plus frénétiques battements de cœur.

L’aveu du jeune homme fait quelque peu sourire la demoiselle malgré les sombres pensées qui, quelques instants, avaient occupés toute l’attention de son esprit. Sans rien répondre à ce que disait l’homme, la princesse était tout de même bien moins crispée que précédemment. En vérité, elle ne savait simplement pas quoi dire pour ne pas le vexer. Et son intention  n’était pas de se fâcher avec ce qui semblait être un nouvel ami. C’était, en tout cas, une rencontre bien partie pour se changer en amitié et la russe espérait de tout cœur que cela serait le cas.

Le silence s’installe entre les deux jeunes gens, ce qui ne manque pas de gêner quelque peu l’européenne qui s’empresse alors de chercher un sujet de conversation qu’elle pourrait lancer pour que tout deux recommencent à converser. Quelque chose qui ne leur fasse plus penser à la tristesse précédente et qui leur permette éventuellement de faire plus amples connaissance. Du coup, la jeune femme finit par interroger son interlocuteur sur sa vie familiale.

«- Et toi alors, tu as quelqu’un ? Tu a un enfant ? Des frères, des sœurs ?»

Même s’il est peu commun d’avoir un enfant au milieu des études ou du moins, le fait est de plus en plus rare, la demoiselle sait que cela reste possible et ne manque donc pas de mentionner cela aussi dans ses interrogations, même si la chose lui semble tout de même quelque peu bizarre. Peut-être parce qu’elle n’imagine pas John-Thomas dans le rôle de père. Du moins pas si jeune. D’autant plus que l’homme semble lancé dans ses études et dans son projet révolutionnaire. La brune serait donc vraiment surprise que la réponse à sa question soit totalement positive, pour tous les points évoqués.

La demoiselle reste pensive alors que l'homme réagit à ses dires en ce qui concerne les hommes. En effet, il n'est pas facile de continuer à vivre après ça. Et Bee en a bavé, largement. Entre ce qu'il lui a fait subir et la grossesse qu'il a provoqué, menant à un douloureux avortement... Toutefois, il n'y a pas de mots suffisamment fort au goût de la princesse pour exprimer tout ce que peut ressentir une fille comme elle, victime de quelque chose d'aussi horrible. Comment parler des cauchemars qui ne cessent de surgir certaines nuits de solitude ? Et comment évoquer cette peur viscérale d'entrer dans une ruelle trop sombre, de passer à côté d'un groupe d'homme si bien que l'on préfère changer de trottoir ? La russe ne sait pas comment on peut parler de tout cela sans s'effondrer immédiatement. Et elle n'est pas si forte que l'on veux bien le croire. Alors elle garde le silence, se contentant de fixer la table du bar et, sur celle-ci, son verre.

Et le voilà qui confesse avoir pensé que la jeune femme en pinçait pour lui, ce qui le gênait. Pourquoi ? Peut-être avait-il quelqu'un, déjà. C'est la pensée qui s'imposa à l'esprit de la brune alors que lui se rattrapait aux branches, décrétant qu'elle n'était pourtant pas repoussante. Quoiqu'il en soit, cet aveux amusa assez la demoiselle. Suffisamment pour dessiner un sourire sur les lèvres de l'européenne et la faire rire, en tout cas. Aussitôt la conversation reprit et ce fut la princesse qui procéda à une espèce d'interrogatoire pour savoir s'il avait des enfants ou était en couple.

«- On ne choisit pas toujours tu sais. J'ai bien faillis être mère à dix-huit ans pour ma part.» confesse-t-elle alors qu'une ombre passe dans son regard. Puis elle reprend, pour apporter une précision qu'il a pourtant déjà sûrement compris de par lui-même. «De façon tout à fait involontaire, bien sûr. Mais j'ai faillis. On ne sait jamais trop ce qui nous pend au nez. Et puis... sait-on jamais. Tu aurais put en avoir eut un par amour, je ne sais pas, je m'informe.»

L'homme reste muet quelques instants alors que la question de ses amours est resté en suspens et de fait, la demoiselle comprend que de ce côté là, les choses ne sont pas évidente pour le jeune homme. A quel niveau, elle l'ignore mais lui ne tarde pas à l'en informer lorsqu'il reprend la parole et confesse aimer une demoiselle, la même, depuis des années. Une information qui ne manque pas de surprendre la demoiselle qui ne peut s'empêcher alors, d'afficher une petite mine mi-surprise et mi-admirative, peut-être, ou compatissante, c'est à voir.

«- J'avoue que je ne m'attendais pas à cela. Douze ans et elle en aime un autre ? J'imagine que la chose n'est pas très facile à vivre, surtout, si tu es souvent en contact avec cette jeune fille ? J'ose espérer pour toi que ce n'est pas le cas mais... enfin, si tu ne veux pas en parler, ne te sent pas obligé de le faire.»

«- Oh je vois, la situation doit être difficile à gérer du coup, je comprends très bien !»

Une petite voix s’élève dans l’esprit de la jeune femme pour lui faire remarquer que sa propre situation n’est guère plus heureuse, ce dont la demoiselle a parfaitement connaissance. Faisant donc taire sa confiance, la demoiselle détourne son attention de sa propre personne pour s’intéresser aux dires de l’homme qui partage ce moment avec elle. Comme si souvent à vrai dire la princesse fait passer les autres avant sa propre personne. Ce n’est pas la première fois et ce n’est sûrement pas la dernière non plus.

«- Oui cela n’aurait peut-être pas marché entre vous. C’est ce qu’il faut se dire, je crois. Moi je ne sais toutefois pas si j’aurai autant de courage que toi. J’imagine qu’il en faut pour continuer de vivre auprès d’eux comme si de rien n’était, comme si leur idylle ne te dérangeais pas ? Excuse moi si je suis trop curieuse, tu n’es pas obligé de m’apporter une réponse ne t’inquiète pas.» lance la demoiselle pour le rassurer et pour qu’il sache que malgré sa curiosité elle ne l’oblige à rien qu’il n’aurait pas envie de faire.

Comme l’homme exprime son contentement que son ami les ait laissés, la jeune femme réalise un sourire et rit de bon cœur alors qu’il lui répète que pour le chèque, il n’en veut pas. Et le voilà qui propose de payer ou de se faire payer un repas. Déconcertée par la demande de l’homme, le regard de la brune se pose sur lui puis sur la devanture du café de nouveau. Encore l’homme, le bâtiment. N’a-t-il pas encore remarqué qu’ils viennent justement de prendre quelque chose – deux sodas – qu’ils ont but ici même après qu’une serveuse les ait apportés.

«- Je ne voudrai pas te troubler mais… C’est exactement la raison pour laquelle nous sommes venus dans ce café et c’est aussi exactement la raison pour laquelle il y a ces cadavres de bouteilles de sodas, que nous avons terminées de boire en discutant.» répond la demoiselle pour lui rafraichir la mémoire. Que lui arrive-t-il pour qu’il se comporte si soudainement de manière à ce point bizarre ? Lullaby n’en a aucune idée et le dévisage quelque peu inquiète pour s’assurer qu’il ne tourne pas de l’œil, ne s’évanouit pas. Sait-on jamais, peut-être est-il malade pour être si bizarre, non ? Pourtant l’étudiante en médecine se rend rapidement compte qu’il n’y a rien d’apparent, que le jeune homme est tout ce qu’il y a de plus normal et qu’il a sûrement seulement eut le temps