Que faisais-je là, je n'en avais pas la moindre idée. Mon cours de musique venait de se terminer, j'avais une demi-heure de pause avant le prochain cours et au lieu de suivre mes amis Omega à l'extérieur, j'étais partie dans le sens opposé, vers les amphithéâtres et les salles de cours. C'était comme si mon instinct me guidait là-bas, sans que je ne puisse réagir. Quand je m'en rendis compte, il était déjà trop tard. Je venais de frapper à la porte d'une salle de cours, que je savais à présent vide d'élèves. Les quelques étudiants qui passaient par là ne me jetèrent pas le moindre regard, ce qui m'arrangeait. Je n'avais aucune envie que quelqu'un sache où je me trouvais, et encore moins avec qui. Une voix masculine me pria d'entrer avant que je ne puisse réagir. J'aurais très bien pu m'en aller sans qu'il ne sache de qui il s'agissait, mais ce n'était pas mon genre. Prenant mon courage à deux mains, je soupirai avant de poser mes doigts sur la poignée pour la pousser. Mon regard croisa instantanément celui de Nathanaël, mon professeur de français, mais aussi... quoi déjà ? Je ne saurais décrire notre relation puisque des faits récents venaient de complètement la chamboulée. J'étais la seule à en connaître les raisons, qui me restaient en travers de la gorge d'ailleurs. Peut-être était-ce à cause de ça que je m'étais retrouvée devant sa salle de cours ? Mon subconscient souhaitait que j'en discute avec lui ? C'était probable, mais ça ne voulais pas dire que c'était ce que j'allais faire.

Son regard était surpris de me voir à paremment. Sans doute autant que moi de me retrouver en face de lui. Ce n'était néanmoins pas le moment de flancher. La première chose que je fis, fut refermer la porte derrière moi, pour être sûre que personne ne puisse nous voir. Puis je m'approchai de son bureau, afin de ne pas avoir à parler trop fort. Je n'étais pas parano, juste prudente. Une rumeur avait déjà circulé à propos d'une supposée relation entre nous, alors qu'à ce moment là, il ne se passait rien du tout. Ce qui n'était plus vraiment le cas aujourd'hui, il était donc d'autant plus important de sauvegarder le secret. Légèrement mal à l'aise, je passai mes mains dans mes cheveux avant de poser mon sac sur l'une des chaises les plus proches de moi. Mes bras enfin libres, je les croisais, ne sachant pas quoi en faire. Je me décidai enfin à saluer le professeur mais néanmoins bel homme devant moi.

ESTRELLA « Bonjour Nathanaël ... »

En temps normal, quand nous étions que tous les deux, je ne m'amusais pas à l'appeler par son prénom complet. Mais depuis quelques jours, je ne faisais plus rien comme avant en ce qui le concernait. C'était à peine si je répondais à ses textos et coups de téléphone, j'évitais chaque confrontation grâce à divers prétextes, tout ça pour ne pas avoir à me retrouver seule avec lui. Et pourtant, j'étais venue de mon plein grès, sans quelqu'un pour m'y obliger.

ESTRELLA « Je ne te dérange pas j'espère ? »

D’un côté, j’aurais aimé qu’il coupe court à la conversation en m’annonçant qu’il était occupé en ce moment. Cela m’aurait permis de réfléchir à ce que je venais de faire, et au pourquoi de mon attitude. J’étais complètement paumée du coup, incapable de trouver une excuse valable à ma présence. Peut-être devrais-je tout simplement laisser parler mon cœur ? Mais qu’avait-il à dire au juste ? Que j’étais blessée, déçue et un peu trop attachée à lui pour me ficher de son mariage ? Je ne m’imaginais même pas sa réponse, ni même sa tête surprise face à ma révélation. J’étais certaine qu’il ne saurait pas quoi me dire, sinon il se serait déjà manifester. A parement l’amitié qui me lie à Naomi lui ait passé sous le nez, et ce n’est pas plus mal je dirais. Qui sait comment il aurait réagi face à moi s’il avait été au courant dès le départ ? Il n’aurait jamais été complètement naturel et décontracté, et j’ai absolument horreur de provoquer cela. Je venais de poser mes affaires pour pouvoir me mouvoir tranquillement dans la salle. Je m’avançais doucement vers son bureau, pour créer une atmosphère un peu plus intime. Je n’avais pas d’intentions particulières, mon cerveau cherchait toujours quelque chose à dire pour ma défense. Il me stoppa dans mes recherches lorsqu’il me demanda si j’avais besoin de quelque chose. La confusion devait se lire sur mon visage, car je ne savais absolument pas quoi dire. Et son regard si attendrissant ne m’aidait pas vraiment pour le moment, du coup je fuyais son regard, me trouvant soudain de l’intérêt pour le bracelet que je portais à la main. Je ne pouvais néanmoins pas rester comme ça en silence. Il fallait que je parle, et je décidai donc de laisser mon instinct dirigeait les opérations.

ESTRELLA « En fait non… Je savais que tu étais seul à cette heure, alors je me suis dit… que je pourrais passer te voir. »

J’haussai les épaules avant de m’appuyer à la table la plus proche de lui, juste en face. Je replaçai une mèche de cheveux derrière mes oreilles, puis ajoutai, d’une voix douce mais mal-assurée :

ESTRELLA « Pour tout te dire, je ne sais pas pourquoi je suis là. J’imagine que c’est parce que je n’aime pas la tension qu’il y a entre nous en ce moment. J’en sais rien… »

Mes sourcils se froncèrent automatiquement, alors que je tentais de remettre de l’ordre dans mon esprit. Nath allait me prendre pour une folle, une hypocrite ou autre chose encore si je ne lui expliquais pas tout très vite. Pourtant, je n’en fis rien, préférant me taire, et entendre ce qui lui avait à me dire. Cela faisait des jours que je ne l’avais pas vu, en dehors des cours qu’il donnait bien entendu. J’avais même pensé à les sécher à un moment donné, mais ça n’aurait fait qu’aggraver la situation, je suppose. Il ne me restait plus qu’à attendre, l’écouter et agir en conséquences.

Mon but n’était pas de provoquer une dispute, loin de là. Mais si nous venions à parler de ce qui nous a séparé lui et moi, je ne vois pas trop comment l’éviter. Néanmoins, je pensais être la première à me mettre en colère, j’étais beaucoup plus impulsive que Nathanaël, de nature calme et posé. D’ailleurs c’était ce qui m’avait plus le plus chez lui au début. Il m’apaisait, et du coup, j’en oubliais presque que je me trouvais avec un professeur. Nous parlions souvent en français, pour être quasi certains que notre conversation reste secrète. Peu importait le lieu où nous nous trouvions, c’était notre petit rituel. Et depuis que j’ai ce poids qui m’étouffe, je n’ai plus la moindre envie d’utiliser cette langue. A part avec mon correspondant bien entendu, et encore, c’était lui qui était censé faire l’effort de parler anglais, pas l’inverse. Enfin bref, j’étais perdue, déboussolée et sans la moindre idée de comment m’en sortir. Normal donc que la remarque cinglante de Nath me fasse de l’effet. Je ne sus que répondre, un peu surprise de son changement de ton, et surtout de son innocence si bien jouée. Si seulement il savait pourquoi j’ai installé ce fossé entre nous ! Ma mâchoire se contacta instinctivement pour que je ne réplique pas, ou du moins sans être agressive. Il avait beaucoup de chance que j’arrivais à me maîtriser, avec d’autres, j’aurais déjà éclatée depuis longtemps. D’un autre côté, je me sentais blessée par ses mots, par lui, parce qu’il n’arrivait pas à comprendre pourquoi je m’étais autant éloignée de lui. Pas une seule fois il n’avait fait le rapprochement avec Naomi, à croire qu’il faillait que je lui fasse un dessin pour qu’il comprenne ce qu’elle représentait pour moi.

NATHANAEL - Désolé, c'était pas cool. Tu veux en parler ?

Je ne m’étais même pas rendu compte tout de suite qu’il s’était excusé. C’était surtout son changement d’intonation qui m’avait ramenée à la réalité. J’avais toujours la mâchoire serrée, les sourcils froncés, et les doigts qui s’entremêlaient pour m’occuper. D’un coup, ces derniers se retrouvèrent à gigoter dans les airs pour donner plus de vie à mes paroles. Mes yeux s’étaient tournés vers lui, afin qu’il puisse voir les émotions qu’ils exprimaient, c’est-à-dire la déception, la tristesse et la colère.

ESTRELLA « Tu as raison, c’est moi qui ais instauré cette coupure. Ce qui me tue c’est que tu n’as pas la moindre idée de pourquoi !! »

Je secouai la tête avant de me relever et de m’approcher de la chaise sur laquelle il était encore installé, contournant son bureau avec des pas rapides. Une fois assez proche de lui que j’aurais pu l’embrasser, chose que j’avais déjà songé à faire mais que les récents événements avaient complètement chamboulé, j’ajoutai en croisant les bras.

ESTRELLA « Dis moi Nath. Quel est le secret pour lequel tu serais prêt à tout pour que personne ne l’apprenne ? Ce secret qui te pèse, t’empêche peut-être même de dormir. Celui qui pourrait ruiner ta carrière du jour au lendemain sans que tu ne puisses y faire quoi que ce soit. Est-ce que tu vois de quoi je parle ? Parce que c’est exactement pour CA que je ne voulais plus te voir ! »

Sur ce, je tournai les talons pour m’en aller. Mais avant que je n’ai pu rejoindre la chaise sur laquelle étaient posés mes affaires, une main accrochée à mon bras me fit me retourner, dévoilant par la même occasion une larme que j’avais pourtant juré de ne pas verser.

Enfin il avait compris. Il connaissait à présent la raison pour laquelle je m’étais éloignée de lui aussi subitement. J’aurais pu le lui dire autrement, j’en avais conscience, mais je gardais ce secret depuis si longtemps que je n’arrivais plus à le supporter. En d’autres circonstances, ce que j’avais appris aurait paru anodin, presque normal. Mais apprendre que l’une de vos meilleures amies était mariée - le divorce n’ayant pas encore été prononcé - avec celui avec qui vous auriez aimé tenter quelque chose n’était pas la nouvelle la plus facile à avaler. Pour moi en tout cas, ça ne l’était pas. Je devrais sans doute m’estimer heureuse de l’avoir appris avant d’être vraiment tomber amoureuse, je l’aurais beaucoup plus mal supporter. N’empêche que ça restait douloureux. Je me rendais compte que je ne connaissais pas Nathanaël, du moins pas aussi bien que j’aurais voulu. Il ne m’avait jamais parlée de son passé, je ne lui avais jamais demandé non plus. En ce qui me concernait, il était aisé de trouver toutes sortes d’informations sur les dix dernières années de mon existence sur le net, à quoi bon le raconter de vive voix dans ce cas ? Le fait était que je m’apprêtais à m’attacher à un homme qui m’avait cachée cette information importante, qui ne devait certainement pas être la seule d’ailleurs. La véritable déception fut donc de découvrir que j’avais failli faire une erreur et que ce n’était même pas Nath qui m’avait empêcher de la faire. D’où cette stupide larme qui avait coulé sur ma joue. Je l’avais balayé de la main aussi rapidement qu’elle était apparue, mais rien ne me dit qu’il ne l’avait pas remarquée. La pression que sa main exerçait sur mon bras me donnait des frissons, que j’oubliai vite en entendant sa question. Je déglutis doucement, reprenant chaque seconde un peu plus mon calme. Je finis par murmurer comme lui :

ESTRELLA « Par Naomi. Tu dois certainement être l’un des seuls à ne pas savoir qu’il s’agit de l’une de mes meilleures amies. Elle m’a confiée ce secret en pensant que ça ne me ferait rien. Après tout, elle ne savait pas que nous nous voyions. »

Un court silence s’installa alors entre nous. Ce qui me mit mal à l’aise. Néanmoins, j’aurais largement préféré que cela perdure plutôt que d’entendre sa seconde question. Elle me mit hors de moi, au point que je me dégageai de son étreinte pour reculer de quelques pas et le jauger.

ESTRELLA « Quoi ?! Ça va pas ! Mais… pourquoi je ferais ça ?? » Un rire nerveux s’échappa de ma gorge. « Je vois que aucun de nous connaît l’autre aussi bien qu’on aurait pu le croire… Ça clarifie les choses au moins. »

Encore une fois j’étais déçue. Déçue qu’il puisse me croire capable d’une chose pareille. N’étais-je pas celle qui lui avait évité le renvoi une première fois ? Pourquoi alors le manipulerais-je en le menaçant de ça ? Je n’étais pas si tordue, ni malhonnête. Le fait qu’il croie cela me conforte dans mon idée. J’avais vraiment failli faire une énorme erreur avec lui. Mais alors pourquoi cette révélation faisait-elle si mal ? Je soupirai, ne sachant que faire d’autre.

ESTRELLA « Tu ne comprends vraiment pas ? Rien du tout ? Très bien, ce n’est pas grave. Tu sais quoi ? Oublie, ça n’a aucune importance. »

Je me devais de conserver une certaine fierté après tout ça. Je n’allais pas non plus lui dire qu’il me plaisait, que j’aimais être avec lui et que notre amitié commençait à ne plus me suffire. Je me sentais déjà suffisamment ridicule comme ça, autant abréger la conversation au plus vite.