Elle le lui dirait. Elle se le jura. Un jour, tôt ou tard, il saurait ce qu'elle lui avait caché. Elle devait lui laisser le choix. Être avec elle, et en accepter les possibles conséquences, ou bien passer son chemin, refusant une souffrance qui pourrait être inévitable. Elle ne pourrait l'en blâmer. Elle ne pourrait même que comprendre qu'il refuse la charge d'une jeune femme malade. Elle devrait accepter. Ce serait difficile, elle le savait déjà. Ce serait à lui de faire un choix, et c'était à vrai dire, cela qui l'angoissait le plus, car dans les deux cas, tous deux finiraient par en souffrir. Elle savait ce qu'il lui était arrivé, ce qui était arrivé à son ancienne petite amie. Elle n'avait aucun droit de taire un si terrible secret, en particulier à lui, à qui elle tenait temps. Elle ne désirait pas souffrir, et pourtant la chose risquerait d'être inévitable. Et puis, au fond, c'était sans doute la meilleure des solutions, pour lui comme pour elle. Après tout, elle devait également songer à se protéger. Que ressentirait-elle s'il l'abandonnait alors qu'elle était au plus mal, ou bien après des mois de relation? Elle devait tout lui avouer avant de tomber amoureuse de lui, s'il n'était pas déjà trop tard. Et pourtant, pour l'heure, elle en était absolument incapable. Il y avait autour d'eux comme une bulle de bonheur qui semblait les envelopper, les séparant du reste du monde. Elle se sentait bien, elle n'était plus seule désormais. Du moins, elle aimait le croire. Croire que tout ceci était le commencement de quelque chose de beau qu'ils pourraient vivre à deux. Comme si, pour la première fois depuis tant d'années, elle pouvait songer à l'avenir sans le craindre. C'était idiot, sans doute. Après tout, ce n'était qu'une soirée. Un moment, certes magique, mais qui aurait aussi bien pu être éphémère. Elle ne le désirait pas, et c'était sans doute pour cela qu'elle préférait à ce moment précis faire semblant.

Lui parler de son frère était sans doute une manière de se rapprocher de lui, encore. Elle voulait se confier, qu'il connaisse au moins cet aspect majeur de son existence. Elle se rappelait où était sa chambre. Ce fut en montant les escaliers qu'elle réalisa qu'elle s'apprêtait à se rendre dans la chambre de Nelligan, la nuit. Cette idée l'angoissait quelque peu, et pourtant lui plaisait. Mais elle décida de ne pas se préoccuper de ce qu'il pourrait se passer ou non pour le moment. Elle devait lui parler, tout lui raconter. Elle inspira profondément avant d'ouvrir la porte. Immédiatement, les interrogations du jeune homme se portèrent vers les lettres qu'elle tenait. Elle entra dans la chambre, refermant la porte derrière elle et s'assit sur le lit à ses côtés, avant de poser la boîte.

« En fait, j'ai toujours senti depuis que suis petite qu'il y avait quelque chose qui clochait dans ma famille. Et l'an dernier, j'ai trouvé ces lettres dans le bureau de mon père. Une vingtaine d'année de correspondance, et toutes venaient de la même femme, quelqu'un dont mon père était tombé amoureux étant plus jeune. Seulement, il n'avait jamais vraiment osé le lui dire, et elle a épousé son frère. » Elle s'arrêta quelques instant, afin de lui laisser le temps de digérer ce qu'elle venait de révéler. « Je les ai toutes lues, et j'ai découvert qu'il l'avait revue lorsque ma mère était enceinte de moi. Ils ont eu une brève liaison, puis mon père est rentré. Cette femme est tombée enceinte par la suite. » Il avait sans doute déjà compris où elle venait en venir. Et pourtant, elle ressentit le besoin de confirmer son pressentiment. « David Flint est mon demi-frère. Et le pire est qu'il n'en a pas la moindre idée. C'est pour ça que je suis venue étudier à Berkeley. Mais... je dois t'avouer que je ne sais plus quoi faire... Je croyais que ce serait simple de venir le voir et tout lui dire. Mais c'est loin d'être le cas. »

Elle se sentait totalement perdu, ce qui était visible. Elle avait besoin d'aide. Il lui avait été déjà suffisamment perturbant de découvrir un tel secret de famille, il lui était encore plus difficile de tenter de gérer cela toute seule. Sans compter tout ce qu'elle avait pu découvrir concernant l'existence de David, et qu'elle ne pourrait dévoiler à personne, pas même à Nelligan. Elle se sentait prête à garder de telles choses pour elle jusqu'à ce que son frère connaisse la vérité. Et c'était le type de lettres qu'elle avait eu le bon sens de ne pas photocopier. Elle ignorait comment Nelligan allait accueillir la nouvelle. Elle ne savait pas après tout s'il connaissait le Gamma.

Que ce soit dans les romans qu’il lisait, les films qu’il visionnait ou les histoires qu’il entendait, Nelligan avait toujours trouvé lâche l’homme qui laissait la femme de sa vie seule. Grossesse, maladie, peu importe. Comment pouvait-on tout simplement rayer un nom de son propre cœur juste à cause de la peur d’affronter une épreuve, quelle que soit sa taille ? Il ne voulait pas y croire, tout simplement pas. Toutefois, il était vrai de dire que l’australien n’avait jamais eu à se poser la question. Jamais un dilemme de cette envergure ne s’était présenté à lui. Alors en même temps, qui était-il pour juger des actes posés par les autres ? Nelligan ne pouvait pas comprendre, il ne pouvait tout simplement pas comprendre ce que c’était que de savoir à l’avance que sa bien-aimée allait s’éteindre dans un nombre donné de jours, de mois, d’années. D’ailleurs, il était hors de question que ce genre d’événement lui arrive au cours de son existence. Son cœur avait déjà assez souffert de la mort de Soledad, une mort qu’il n’avait par contre pas pu voir venir à l’avance. C’est pourquoi, bien que Nelligan se fût toujours promis de ne jamais tourner le dos à son amour si un film devenait sa réalité, il ne pouvait être assuré d’être en mesure de tenir sa parole. Bref, pour le moment, aucun des deux ne songeaient à la mort, car leurs deux esprits étaient plutôt concentrés sur le futur qui s’offrirait à eux, si ce bonheur en venait à s’étirer pour des années encore à vivre ensemble. Broinowski n’était certes pas contre une relation à long terme avec Chuck. Il avait cherché pendant si longtemps cette femme qui lui permettrait de vivre de nouveau. Cette nuit, elle se trouvait sous ses yeux, innocente et parfaite. Alors qu’ils marchaient côte à côte jusqu’à la maison des Alpha, sa main semblait constamment chercher à frôler celle de son amie, bien que lui-même fut inconscient des efforts de son corps. C’est ainsi qu’après que leur peau se soit frôlée une bonne vingtaine de fois, ils entrèrent dans l’obscurité totale, de laquelle on pouvait entendre quelques ronflements par-ci et par-là, provenant des chambres de leurs confrères et consœurs. Nelligan adorait cette tranquillité ; il aimait davantage partager ce silence avec Chuck. Cela leur donnait la vague impression d’être seuls au monde, une idée qu’il n’aurait pas refusé pour quelques heures. Lorsque la demoiselle le rejoint finalement dans sa chambre, une tension à la fois agréable et gênante s’installa entre eux. Deux enfants découvrant pour la première fois le sexe opposé. Cependant, ils n’eurent pas plus de temps à se regarder sans rien dire, puisque Chuck se lança dans ses histoires familiales qu’elle semblait avoir gardé pour elle durant tant d’années. Toute sa vie, peut-être, qui sait. Pourtant, cette histoire était connue par beaucoup de couples. C’était une situation devenue quasiment normale, dans notre époque moderne. Oui, l’amour et le mariage aujourd’hui ne sont plus ce qu’ils étaient avant. Par contre, cette fois, il ne s’agissait pas de n’importe quelle famille : c’était la famille de Chuck, et celle de David. C’est ce qui lui donnait toute son importance. Nelligan comprit rapidement le lien familial qui unissait ces deux personnes qui faisaient parties intégrantes de sa vie. Il en fut profondément troublé.
Nell ▬ « Wow … je veux dire, depuis que j’ai fait le lien entre vos noms, j’ai émis mon hypothèse mais, de l’entendre de ta propre bouche me le confirmer, c’est assez gros. Enfin c’est que je connais David depuis si longtemps … »
C’était étrange pour Nelligan de se dire qu’il connaissait probablement mieux David que ce que Chuck connaissait de son propre demi-frère. C’était injuste pour elle.
Nell ▬ « N’attends plus. David a toujours voulu avoir une petite sœur. C’est comme si … comme s’il t’attendait depuis tout ce temps, sans même savoir que tu existais. Chuck, n’aie pas peur. »
Nelligan serait avec elle durant tout le processus, si elle le désirait. Cependant, à quelque part, il trouvait étrange d’être en train de bâtir une relation amoureuse avec la demi-sœur encore inconnue de David, son ami d’enfance. Elle devait lui en parler au plus vite, car pour le moment, il se sentait au beau milieu d’une trahison et du mensonge.

Elle se sentait différente, avec lui. Habituellement, elle semblait ne jamais avoir peur de rien. Toujours certaine de ce qu'elle faisait et disait, et se moquant de ce que les autres pourraient en penser. Mais avec, lui elle ne se reconnaissait plus. Elle se trouvait peu assurée, plus intimidée, rougissant pour n'importe quelle raison. Cela pouvait facilement s'expliquer par ces sentiments qui semblaient se développer en elle, encore neufs et presque inconnus. Oui, elle découvrait le désir, l'attirance, les sentiment qu'il était possible d'éprouver envers une personne du sexe opposé. Elle avait été amoureuse, déjà, une fois, mais il lui semblait parfois qu'il s'agissait d'une autre vie. Une vie où elle n'était pas malade, mais en bonne santé, où elle avait la vie devant elle. Et elle était encore bien jeune à l'époque. Tout n'était que découverte. Cela faisait si longtemps qu'elle avait l'impression de tout redécouvrir. Et puis, entre temps, elle avait changé. Elle avait mûri, et avait compris ce qui pouvait être réellement important. Nelligan en faisait partie, et quoiqu'il se passe entre eux dans l'avenir, il comptait énormément à ses yeux, au point qu'elle se sentait prête à lui confier cet aspect majeur de sa vie, son petit frère, qu'elle ne connaissait pas, et que pourtant, elle aimait déjà. Rien que sa présence la troublait. Le fait de se trouver seule avec lui, dans sa chambre, était agréable, et pourtant quelque part, la mettait mal à l'aise, devant cet inconnu, cette ignorance de ce qu'il pourrait s'y produire. Lui parler de David l'aidait à remettre ses idées en place, à se focaliser sur ses histoires de famille qui lui pesaient. Elle devait bien avouer que toute cette histoire la perturbait réellement, et qu'elle avait peur de ce qui pourrait advenir. En venant étudier à Berkeley, elle avait établi comme une sorte de plan. Le rencontrer, observer sa vie, ses habitudes, puis enfin lui parler, lui racontant toute la vérité. Comme si c'était si simple. Elle avait été stupide. C'était tout sauf simple. Il avait une vie, une famille, et était bien loin de se douter de ce qui s'était produit. Comment pourrait-il réagir en apprenant que toute sa vie on lui avait menti? Pourrait-elle vraiment tenir ce rôle, et supporter sa réaction qui pourrait être mauvaise, supporter, peut-être qu'il la rejette? Car après tout, elle n'était absolument pas sûre qu'il voudrait bien d'elle dans sa vie. Et être rejetée par celui qu'elle considérait déjà comme son petit frère serait absolument insupportable.
En parler avec Nelligan rendait soudainement les choses plus claires, plus légères à porter. Il savait l'écouter, elle l'avait depuis longtemps remarqué. Il avait raison, c'était gros. Elle-même avait eu du mal à le croire le jour où elle l'avait découvert. Elle fut néanmoins surprise qu'il connaisse David, mais tout de même heureuse. Peut-être pourrait-il lui parler de lui, de ce qu'il était. Néanmoins, elle trouvait la coïncidence étonnante, et réalisa qu'elle venait de passer la soirée avec celui qui était un ami de longue date de son petite frère.

« J'ignorais que tu le connaissais si bien. Tu crois qu'il voudra de moi dans sa vie? »

Il avait compris qu'elle avait peur. Sans doute devait-elle le croire puisqu'il le connaissait. Et puis, ses paroles la rassuraient. Elle avait soudainement l'impression de ne plus être seule. Elle sourit à son erreur et s'empressa de le corriger. « En fait, je suis la grande soeur. » Elle se sentait mieux, à présent qu'elle lui avait parlé. Il savait la réconforter, et c'était ce qu'elle aimait chez elle. Avec lui, elle avait ce sentiment si rare mais si précieux d'être un être complet. Instinctivement, elle prit la main de Nelligan et la serra dans la sienne avec un sourire. « Merci. Tu sais toujours ce qu'il faut dire pour me rassurer. » Elle avait agi sans réellement réfléchir, et soudainement, venait de replacer les choses dans leur contexte. Elle réalisa qu'elle tenait sa main dans la sienne, qu'ils étaient seuls dans sa chambre et se remémora les baisers qu'ils avaient échangés. Elle baissa les yeux, sentant ses joues de colorer et n'osant plus prononcer le moindre mot, espérant qu'il viendrait à son aide et romprait ce silence.

En même temps, s’accrocher à quelqu’un comme Chuck n’était probablement pas la meilleure idée qu’avait pu avoir Nelligan. Pourquoi ? Parce qu’étant donné qu’elle représentation une sorte de perfection féminine à ses yeux, il ne supporterait pas de la perdre. Il ne parlait pas là de mort, tout simplement de la voir lui glisser entre les doigts pour n’importe laquelle des raisons. Si jamais quoi que ce soit tournait mal entre eux et qu’ils étaient forcés de se quitter, le jeune homme s’en verrait changé à tout jamais. Nelligan n’avait jamais touché à la drogue, à l’alcool ou au tabac, ni quoi que ce soit de mauvais, mais il savait que s’il perdait Chuck, il aurait à se trouver une nouvelle dépendance. Et ça ne pouvait qu’être très mauvais. Malheureusement, déjà il sentait que son cœur était vendu à la demoiselle et qu’il ne pourrait reculer. Évidemment, tout ceci ne s’était pas produit en une seule soirée : l’australien ne croyait aucunement que les coups de foudre pouvaient exister. Aimer sans connaître, c’était se vouer à un échec amoureux. Il avait toujours eu un faible pour l’Alpha, seulement ce sentiment s’était concrétisé au cours de cette nuit assez spéciale à leurs yeux à tous les deux. Il espérait seulement que Chuck, de son côté, partageait les mêmes pensées que lui et ce depuis longtemps. Car s’ils se jetaient tous les deux à pieds joins dans cette relation, ils devaient être assurés que leurs sentiments étaient véridiques et réciproques. Nelligan avait encore certains doutes, c’est pour cette raison qu’il n’avait rien entreprit de trop gros suite à ce baiser. Il verrait comment leur relation évoluerait dans les prochains jours, s’il dormirait sur ses deux oreilles durant les prochaines nuits, etc. S’il flottait sur un nuage, alors il saurait qu’il était sur la bonne voie avec Chuck, et qu’il ne commettait pas une erreur regrettable. Pour le moment, Cupidon semblait avoir bien visé. Juste le fait d’être seul à seul avec la demoiselle, dans sa chambre, ravivait en lui des sensations qu’il croyait perdues à tout jamais suite à la mort de Soledad. Il avait du mal à respirer, son ventre lui faisait mal, son cœur était serré, ses jambes tremblaient. Le tout pouvait sembler bien négatif, et pourtant ça ne l’était aucunement. Pour une rare fois dans sa vie, être aussi inconfortable le rendait bien paisible. Parce qu’il savait exactement ce que cela signifiait. Toutefois, Nelligan n’eut pas bien le temps de trop réfléchir à la situation, parce que la révélation de Chuck lui prit toute son attention. Évidemment, beaucoup de questions se présentèrent dans son esprit, et une grosse discussion s’annonçait entre les deux tourtereaux. Il serait là pour elle, pour la rassurer, pour lui révéler tout ce qu’il savait de David – dans la limite du respect de l’intimité de son ami, évidemment.
Nell ▬ S’il voudra de toi ? J’en suis persuadé. David serait tout simplement incapable de tourner le dos à qui que ce soit. Et puis tu es sa sœur. Il t’aime déjà sans même savoir que t’existes … »
Simplement en voyant le regard de son amie, l’australien pouvait comprendre qu’elle avait énormément peur. En même temps, c’était tout à fait compréhensible. Elle s’apprêtait à franchir un grand pas dans sa vie – si elle arrivait à trouver le courage de le faire, et Nelligan l’aiderait à le faire. Bon, déjà le jeune homme avait fait une boulette en disant qu’il avait toujours voulu une petite sœurette alors que Chuck serait en fait la grande dans l’histoire.
Nell ▬« Bah, tu sais, une grande sœur aussi ça peut faire l’affaire … »
Il roula les yeux avant de rigoler en cœur avec la demoiselle. Cette dernière s’empressa de lui prendre la main et de la serrer dans la sienne. Nelligan sourit, doucement, amoureusement, puis caressa la main de la brunette avec son pouce tout en l’écoutant.
Nell ▬« Et j’serai toujours là pour toi … »
Enfin, il l’espérait. Instinctivement, il baissa à son tour les yeux, sentant la gêne s’emparer de lui-même. Tous les deux furent plongés dans un silence tendu, parce que leurs corps, leurs lèvres, leurs mains s’appelaient. Mais que tous les deux ne voulaient rien précipiter.