Emma venait d’arriver à Berkeley et déjà la tête lui tournait.


Elle était rapidement passée du hall aux toilettes sans passer par la case casier. Son sac pesait lourd sur ses épaules et ses mains étaient encore tremblantes de cette immersion totale en milieu inconnu.

Il faut que je me calme si je ne veux pas passer pour une toxico en manque…

Elle se dirigea vers les lavabos d’un pas qui se voulait assuré et tranquille, mais elle sentait le regard brulant des quelques jeunes filles qui se tenaient devant les miroirs en gloussant. Elle jeta un bref coup d’œil à son visage. Elle était pâle, très pâle, et ses yeux verts ressortaient d’avantage tels des émeraudes reflétant la lumière de la lampe torche d’un quelconque chasseur de trésor.

Un crapaud… Tu ressembles à un crapaud prêt à gober sans
broncher la merde qui t’entoure…

Elle considéra ensuite sa tenue, sa jupe bleue qui lui arrivait au dessus du genou, volant de temps à autre lorsqu’elle accélérait le pas, ses bottes blanches, avec des talons discrets qui lui permettaient de ne pas se faire remarquer, sa chemise blanche qui était entrouverte, laissant à découvert le collier de perles bleues qu’elle arborait autour du cou.
Le lavabo déversa son eau sur les mains de la jeune femme qui en but un peu puis s’en passa sur le visage. Elle s’essuya lentement les mains et sortit son crayon noir de la poche de son petit sac en bandoulière.

Histoire de ressembler à quelque chose…

Elle s’en appliqua rapidement sur le contour des yeux, puis se recoiffa, ses cheveux se mirent en place sans réel effort de sa part, ce qui l’étonna vu le temps qu’elle devait leur sacrifier chaque matin pour leur donner une forme correcte…
Elle se retourna vers les jeunes filles qui murmuraient entre elles, lui jetant de temps en temps des coups d’œil amusés.

- Vous savez, je ne mords pas, je ne sais même pas si je serais capable de faire du mal à qui que ce soit si on m’y contraignait… Alors dites-moi pourquoi vous êtes si antipathiques à mon égard ?

Les jeunes filles se regardèrent d’un air de dégoût.

- Tu viens d’arriver toi… On voit bien que tu débarques de ta… Cambrousse !

Elles piaillèrent toutes en même temps, reprirent leurs sacs à main posés sur les bords des lavabos et sortirent d’un même déhanchement, le même sourire dédaigneux scotché sur leurs visages peinturlurés.

- J’viens de New York…

Grogna Emma alors que la dernière laissa claquer la porte derrière elle.

Je sens que je vais me plaire ici…

Elle sortit des toilettes en trainant derrière elle son sac de voyage.

- Et rendez moi vos dissertations, jeunes gens !

Alexiane ramassa ses papiers, soupira. La classe se vida rapidement. Elle resta, à parler avec quelques unes de ses élèves, répondre à leurs angoisses philosophiques. Puis, elle plia définitivement bagage, cédant la place à son confrère de lettres. Dans sa sacoche, de nouvelles copies à rendre. De nouvelles copies à empiler sur le bureau déjà plein à craquer de la jeune femme.

Elle soupira et se rendit dans la salle des profs. Elle se servit un café et écouta pendant un moment d'une oreille distraite les collègues qui parlaient de leurs malheurs. Son cerveau était en train de déconnecter. Trop d'américain tuait l'américain, il lui fallait impérativement un repère français, sinon elle ne serait pas très crédible dans son rôle de prof.

Elle parcourut d'un oeil désabusé son manuel de philosophie pour les deuxièmes années. Elle le reposa. Finalement, il y avait même un frein à sa passion. Elle avala son café rapidement et sortit pour fumer une cigarette.

Elle devait s'occuper des TD des jeunes premières dans peu de temps. Elle jeta son mégot et rentra de nouveau dans l'université. Elle se fraya un chemin dans la foule et croqua dans son en-cas, à savoir une simple pomme.

C'est alors qu'elle reconnut les piaillements caractéristiques d'un groupe de pouffes qui ne lui était pas inconnu. Elles étaient elles-mêmes inscrites en option philo mais ne se génaient pas pour sécher sous son nez. Alexiane se contentait de leur sourire gentiment et de les noter absente. Trois TD injustifiés, et c'était le controle final qui déterminerait si ces jeunes femmes pourraient prétendre à une licence.

Alors qu'elle allait rentrer dans la classe, une jeune femme sortit des toilettes, où elle se trouvait. Elle se la prit en pleine tronche, ce qui eut pour effet de faire tomber le paquet de cigarettes et le briquet de la jeune prof.

- Humpf.

Alexiane se baissa et ramassa ses effets. Elle se releva et ses yeux glissèrent sur la jeune femme qu'elle avait heurtée.

- Désolée, ça m'arrive souvent.

Elle lui sourit.

- Oh, vous devez être la nouvelle élève New Yorkaise. Votre visage me dit quelque chose et il me semble que je dois vous avoir en cours.
Professeur Van Heidegger, enchantée.

Emma sortit rapidement des toilettes, elle ne fit pas attention à la circulation du couloir et se prit quelqu’un en pleine figure. Des objets tombèrent, dans la confusion elle grommela un bref « pardon » et attendit que la personne qui ramassait ses affaires se relève pour s’excuser à nouveau.

- Pardon, je… Je suis confuse.
- Désolée, ça m'arrive souvent.

La jeune femme aux cheveux ébouriffés lui sourit, elle semblait sincère, gentille, contrairement à tous ces gens qu’elle avait rencontrés depuis son arrivée sur le campus. Emma lui rendit brièvement son sourire.

- C’est fou comme je peux être maladroite, je n’ai même pas regardé si quelqu’un arrivait en ouvrant cette porte.

Elle jaugea son interlocutrice, elle semblait jeune mais pourtant respirait une maturité peu présente chez la plupart des élèves. Probablement une prof. Elle en fut certaine lorsque la jeune femme lui répondit.

- Oh, vous devez être la nouvelle élève New Yorkaise.
Votre visage me dit quelque chose et il me semble que je dois vous avoir en cours.
Professeur Van Heidegger, enchantée.

Emma sourit à nouveau tout en remontant son sac sur son épaule.

- En effet, les nouvelles vont vite… Emma Hewitt, enchantée…
A vrai dire je suis arrivée ce matin, et je suis venue suivre plusieurs cours en auditeur libre, demain je serais une élève à part entière et vous me verrez sur les listes.

Elle sourit gentiment et fut impressionnée par le naturel que dégageait cette femme. Aussi loin qu’elle s’en souvienne, la plupart des professeurs étaient hautains et sévères, mais sur le campus tout était différent, à commencer par l’attitude des enseignants.

- Je viens de New York, mais je ne suis pas une New Yorkaise pur jus… A vrai dire je ne suis américaine qu’à moitié.

Emma remit une mèche de ses cheveux en place.

- Il me semble que vous enseignez la philosophie… Non ?

- Non, sérieusement, ne vous excusez pas pour ça, c'est tellement fréquent dans les couloirs.

Alexiane sourit à l'inconnue. Elle se présenta sous le nom d'Emma Hewitt. La jeune prof hocha la tête. Elle était bel et bien sur les listes.

- Effectivement, je suis votre nouvelle et tyrannique prof de philo. Vous allez en baver avec moi.

Elle rit un instant. Non, rien de tout cela n'était vrai, bien sûr. Alexiane était étonnamment détendue, après ces 2h de TD intensives. M'enfin, après un café clope, rien de moins étonnant. Elle regarda la nouvelle venue. Elle n'avait pas le désespérant look des pétasses du coin. Ce qui était un bon point pour elle. Non pas qu'elle jugeait sur le physique, mais elle avait appris à Berkeley que le physique avait une grave tendance à reflêter la personnalité. Du moins pour le groupe qu'elle connaissait.

- Je dois vous avouer que ça fait plaisir de voir des gens s'inscrire aux cours de philo. Ca devient rare de nos jours.

Elles marchèrent un moment ensemble, tâchant de se frayer un chemin à travers la foule d'élèves. Alexiane marcha et se fit marcher dessus maints fois. Elle grommela quelques excuses.

- Vous vous êtes procurée le manuel? Il doit me rester un exemplaire qui traîne.

Elle aimait être proche de ses élèves, en se rendant utile pour eux. Elle partait du principe de leur donner les bonnes bases pour qu'ils puissent commencer leurs études dans les meilleures conditions possibles.

- Et probablement une édition du bouquin de Freud que j'ai demandé de lire à ceux qui ont pris option allemand. Mais bon, je ne vais pas encore vous importuner avec ça, je pense qu'on aura tout le temps d'en discuter quand vous serez officiellement intégrée dans la classe.

Elle marqua une pause.

- En attendant, je peux vous tenir lieu de guide. J'ai cours dans une poignée de minutes, mais Berkeley est tellement immense... J'ai été moi-même un peu perdue au départ. Mais ça rentre rapidement.

- Effectivement, je suis votre nouvelle et tyrannique prof de philo. Vous allez en baver avec moi.

Emma sourit à nouveau, elle se réjouit intérieurement d’avoir heurté cette personne là et pas une autre, la chaleur humaine était ce qui manquait le plus à Berkeley, et rencontrer quelqu’un qui ne la toise pas d’un regard sarcastique ou moqueur était un soulagement immense pour la jeune femme.
Elles marchèrent le long du couloir, la jeune enseignante continua.

- Je dois vous avouer que ça fait plaisir de voir des gens s'inscrire aux cours de philo. Ca devient rare de nos jours.
- Eh bien c’est grâce à mon fantastique professeur de l’année dernière, il m’a donné l’envie de continuer à étudier cette matière. Je ne sais pas si vous le connaissiez… (Emma s’arrêta quelques instants, ses yeux se mirent à briller) Mr William… Il lui est arrivé malheur durant l’été, son ex femme n’a pas supporté le fait qu’il se remette avec un homme…

Les deux jeunes femmes continuèrent leur chemin à travers le flot incessant des jeunes étudiants qui les bousculaient, les oppressaient, les étouffaient.
Emma ne se sentait pas bien au milieu de tous ces gens, mais la présence d’Alexiane la rassurait un peu, elle se sentait en confiance, moins seule.
Le professeur brisa le silence.

- Vous vous êtes procuré le manuel? Il doit me rester un exemplaire qui traîne.

Emma réfléchit quelques instants, sortit une feuille de son sac, la déplia et lut.
Alexiane continua

- Et probablement une édition du bouquin de Freud que j'ai demandé de lire à ceux qui ont pris option allemand. Mais bon, je ne vais pas encore vous importuner avec ça, je pense qu'on aura tout le temps d'en discuter quand vous serez officiellement intégrée dans la classe.

Emma releva les yeux vers la jeune femme.

- Eh bien non, il me manque ce manuel-ci en plus d’une des œuvres de littérature classique anglaise… C’est fou quand même, à New York il n’y en avait plus aucun en stock, je pouvais passer commande mais vu que je ne restais pas, j’ai jugé plus utile de venir le commander ici… Mais si vous avez un exemplaire pour moi, que vous n’utilisez pas bien sûr, je pourrais vous donner l’argent à vous, au moins le délai serait moins long… Et pour le livre de Freud, je n’ai pas pris l’option allemand, mais je pourrais tout de même le lire, ça ne peut pas me faire de mal !

Alexiane s’arrêta quelques instants, songeuse, Emma tritura nerveusement les boutons de sa chemise.

- En attendant, je peux vous tenir lieu de guide. J'ai cours dans une poignée de minutes, mais Berkeley est tellement immense... J'ai été moi-même un peu perdue au départ. Mais ça rentre rapidement.

La jeune étudiante réfléchit quelques secondes, son sac pesait de plus en plus lourd sur ses épaules, mais une visite des lieux s’imposait…

- Eh bien oui ça me ferait plaisir, mais pourrions-nous d’abord passer par les casiers ? J’aurais besoin de déposer mes affaires en attendant que ma chambre soit prête…

Elle attendit la réponse de son interlocutrice. Elles se dirigèrent toutes deux vers d’autres couloirs.