Accoudé au bar de la plage privée face à l’hôtel de luxe dans lequel il avait posé ses bagages pour quelques jours, Jorden avait l’air heureux. Sincèrement heureux. D’un autre côté, il aurait été difficile de ne pas l’être alors qu’il se trouvait dans un lieu digne du Paradis. Une étendue de sable chaud se perdait à l’horizon, l’océan bleu azur n’en finissait pas non plus, et la période faisait que les touristes venus des quatre coins du monde n’avaient pas encore débarqué. La plage et l’hôtel étaient calmes, et Jorden avait déjà eu le loisir de s’imprégner de l’essence du pays et de ses habitants sans avoir affaire à ses stupides compatriotes. Pour autant, il n’était pas venu seul et ce détail n’avait rien de franchement surprenant quand on connaissait la bête. Il n’était pas du genre à s’ambiancer tout seul. Le deuxième cocktail que le barman venait de déposer devant lui n’était pas pour sa propre consommation. « Vous pourriez mettre un petit parasol dans celui-ci, s’il vous plait? » demanda-t-il tout en indiquant le verre du bout du doigt. Un léger sourire se dessina sur son visage lorsque l’homme répondit à sa demande. Rien ne semblait pouvoir ruiner sa bonne humeur. Tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes et Jorden n’éprouvait pas même le moindre désir de se plaindre de quoi que ce soit. Il attrapa les deux verres, se tourna pour observer l’océan dont il ne se lassait décidément pas, et se dirigea quelques mètres plus loin vers un un transat sur lequel une jolie jeune femme était étendue. Allongée sur le ventre, elle peaufinait le bronzage de son dos déjà halé et parfait, que Jorden mourrait d’envie de recouvrir d’huile parfumée au monoï encore et encore. Elle n’aurait même pas eu à le supplier pour qu’il se prête au jeu de masseur pour elle. Il faut dire que cela faisait des mois qu’elle lui plaisait beaucoup et qu’il avait envie que quelque chose se passe avec elle. Jusque là, ses efforts avaient été vains, mais il était parvenu à la convaincre de venir avec lui au Costa Rica pour fêter le début des vacances d’été et surtout la fin de leurs études et l’obtention de leur diplôme à Berkeley. Il ne s’agissait de personne d’autre que de Nicola. La jolie brune qui avait fait tourner plus d’une tête chez les Epsilons ces dernières années. Nicola, loin d’être une « stupide compatriote », était plutôt tout l’inverse. Intelligente, amusante, charmante, et franchement pas désagréable à regarder, Jorden avait immédiatement pensé à elle lorsqu’il s’était décidé, sur un coup de tête, à s’offrir quelques jours de congé. N’ayant pas encore plongé la tête la première dans le travail, il avait estimé que savourer quelques jours au soleil d’Amérique du Sud ne pourrait pas lui faire de mal, surtout pas après les années qu’il avait passé à Berkeley. Sa vie avait bien changé depuis qu’il y était entré presque six ans en arrière. L’heure n’était pourtant pas au bilan. L’important, c’était qu’il était parvenu à obtenir son diplôme avec des résultats exemplaires, il s’apprêtait maintenant à entamer une véritable vie d’adulte avec toutes les responsabilités que cela comporte. Il était surtout sur le point d’entamer une carrière en parallèle de celle de son père dont il suivait les traces depuis longtemps. Hormis quelques détails plus ou moins importants, la vie s’était passée sans encombre et son rêve d’empire, de réussite et de fortune à Vegas, comme papa Rosenbach avant lui, n’avait fait que se rapprocher peu à peu. Il touchait tout cela du bout des doigts. Encore quelques années d’efforts à fournir, quelques années à travailler d’arrache pied, et il atteindrait les sommets. Il en était convaincu. Il avait surtout pleinement confiance en lui-même et en son avenir qu’il pensait de toute manière assuré par la fortune familiale. Jorden se ferait bientôt un nom par lui-même, il finirait en apothéose ce qu’il avait déjà commencé et deviendrait peut-être plus fort encore que son père s’il y mettait tout son coeur. En attendant de devenir roi, le prince de Vegas se la coulait douce au Costa Rica en compagnie d’une ancienne camarade de classe. Le mot d’ordre n’était donc autre que le suivant: PRO-FI-TER! Il s’approcha donc du transat et déposa le verre sur une table juste à côté. « Une piña colada pour mademoiselle! J’ai même demandé un extra-parasol parce que tu mérites au moins ça. » Il contourna Nicola qui commençait à s’agiter sur son siège, signe que le soleil n’avait pas encore cramé son cerveau ou ses organes internes et qu’elle était donc parfaitement en vie. Ouf! « Pour moi, c’est un Cuba Libre. » Il s’assit à son tour sur un transat et s’installa confortablement. Franchement, la vie était plus que belle dans ce petit coin de Paradis dans lequel ils semblaient presque être seuls au monde. « À la vitesse où tu bronzes, je me demande si tu ne seras pas complètement noire avant notre retour au pays! » Il eut un petit rire, amusé. « Cela dit, je dois dire que ça te va super bien d’être bronzée. » Il but une gorgée de son verre, toujours aussi heureux de vivre. « Bon, sinon, cap ou pas cap d’aller danser la salsa ce soir avec moi? » Les bonnes vielles habitudes étaient tenaces, même en vacances!