A qui la faute ?

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Errer autour du complexe sportif était une mauvaise idée, Nolan le savait. Il ne faisait que raviver de mauvais souvenirs en tentant de capter la vision d'une tignasse blonde bouclée bondissant au dessus des obstacles. Elle était loin de lui, rayonnante parmi ses nouveaux amis Iotas. C'était lui le pauvre type, le gars incapable d'oublier, à traîner près des grillages du terrain d'athlétisme sans trouver le courage de les franchir pour aller parler franchement à Shelley, ni la force de se persuader de partir...
Et pourtant, il savait qu'il devait oublier cette fille. C'était évident, c'était du bon sens à l'état pur. Mais... il avait encore des sentiments pour elle. Trois ans de relation ne se mettaient pas à la poubelle aussi facilement. En tout cas, pour lui. Shelley, elle, semblait parfaitement heureuse et ne plus se soucier de l'encombrant gars de Shawnee qu'elle avait emmené à Berkeley. C'était en tout cas ce que laissait paraître son compte Facebook : elle n'avait pas encore pris la peine de supprimer Nolan de ses amis, et lui-même n'avait pas le coeur de le faire. Oubli ou mépris ? Le jeune homme ne le savait pas, et voyait les photos de soirées montrant une Shelley souriante s'accumuler sur sa page de profil, alors que lui-même passait ses week-ends à travailler, à lire un peu, en tout cas pas à s'amuser.
Il se raidit soudain. Cet étudiant musclé qui se dirigeait lentement vers l'entrée du complexe sportif, son sac de sport négligemment posé sur une épaule, il l'aurait reconnu entre tous. Il ne l'avait vu que brièvement, mais il n'oublierait jamais son visage, les lèvres avec lesquelles il avait embrassé Shelley. Est-ce qu'il venait la chercher après son entraînement ? Est-ce que sa présence ici à cette heure était fortuite ? Impossible de le savoir a priori, mais Nolan ne put s'empêcher de se faire une multitude de films, et pas seulement parce qu'il était étudiant en cinéma. En tout cas, ce qui était sûr, c'est que si quelque chose s'était poursuivi entre lui et Shelley, ce qui n'était pas certain, ce n'était pas officiel : Nolan n'en avait pas trouvé trace sur le profil de son ex, et il était bien placé pour savoir qu'elle tenait à annoncer ses nouvelles relations amoureuses dès leur commencement. Il avait même freiné des quatre fers quand, après s'être mis en couple, elle avait insisté pour qu'ils l'annoncent au bout d'une semaine alors qu'il aurait volontiers pris son temps pour approfondir leur relation avant que tout le lycée ne soit au courant.
Il fut saisi d'une vague de curiosité qui lui donna du courage. Il avait besoin de savoir, et il était exclu qu'il parle à Shelley. Il fallait donc qu'il aborde cet étudiant dont il ne connaissait même pas le nom, bien que la discussion qui allait suivre serait probablement douloureuse. Aussi, quand le sportif ne fut plus qu'à quelques mètres de l'entrée du complexe, il s'approcha rapidement de lui et l'interpella :

- Hey, toi ! Je peux te parler quelques minutes ?

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Armé de son sac de sport et d'une paire de lunettes de soleil, Damian peaufinait l'image de l'athlète sain et sympa, un travail de longue haleine cultivé depuis de nombreuses années. Le retour du héros, ainsi que ses camarades l'avaient accueilli sur le terrain, la semaine dernière. Damian San Mercury, le laissé pour mort de la fusillade, à nouveau en train de fouler l'herbe verte du terrain de football américain, sourire aux lèvres, regard entendu. Voilà. Vous partiez deux ans, tout le monde oubliait jusqu'à votre existence, et au moment où vous reveniez, vous entriez dans la légende. Un tel débordement avait naturellement amusé Constance – quoique amusé fût un grand mot, tout juste avait-elle laissé entrevoir un sourire en coin – qui, voyant son équipe de football porter aux nues le miraculé, n'avait pu empêcher un commentaire légèrement grinçant. Il s'agissait à présent de reprendre une vie normale, si semblable à celle qu'il avait quittée en même temps qu'il quittait le campus de Berkeley. Il lui avait abandonné son poste de capitaine, et les trois titres de champions inter-régionaux remportés sous son égide, avait abandonné popularité, succès, relations complexes, pour renouer avec la simplicité d'un type passé à deux doigts de se vider entièrement de son sang et goûtant à nouveau au plaisir d'être... en vie. On n'imaginait pas le nombre de choses qui devenaient complexes lorsque, privé de motricité, le simple fait de se lever relevait de l'exploit herculéen. Alors reprendre ses études à Berkeley, où tant de souvenirs malheureux tentaient de se frayer un chemin dans son esprit, ou reprendre une activité sportive intensive – quitte parfois à jouer un peu trop avec le feu – étaient de véritables petits miracles. Inspirant d'un air ravi l'odeur familière du gazon fraîchement tondu, tandis qu'il s'approchait du terrain, il fut ramené à lui par une voix qui le héla. Instinctivement, il se tourna vers l'inconnu et haussa un sourcil. Damian tenta de le replacer dans son esprit (qui était ce type sorti de nulle part, au physique de premier de la classe fraîchement sorti de l'adolescence ? ) et capitula. Non, il possédait une excellente mémoire, s'il l'avait déjà rencontré, il s'en serait rappelé. Tenté pendant quelques secondes de jouer sur une note sarcastique, genre « tu veux un autographe pour célébrer le retour de l'idole des stades ? » il abandonna bien vite face aux traits concernés et plus que sérieux de son interlocuteur. Damian rebroussa chemin, et s'approcha de lui, amusé de constater qu'il le dépassait d'une bonne tête. Il déposa son sac à ses pieds avant de lui jeter un regard perplexe. « Je peux t'aider ? » s'enquit-il poliment. A en juger par son physique, il devait probablement sans doute d'un première année complètement paumé qui avait fini par s'égarer dans un endroit auquel il n'appartenait définitivement pas. Mais celui-ci semblait tellement déterminé à s'adresser à lui, et seulement à lui, que le doute s'insinua en Damian. « Je ne crois pas qu'on se soit déjà rencontrés... » Façon correcte de lui demander une réponse, et le plus vite possible. S'il se mettait en retard pour la reprise des entraînements, il ne donnait pas cher de sa peau. Constance le tuerait – cette fois-ci pour de bon – et tout espoir d'un jour récupérer la direction de l'équipe de foot lui passerait sous le nez. Or Damian était un ambitieux, un de ceux qui se battaient pour obtenir ce qu'ils voulaient, et un poste tel que celui-ci figurait en pôle position parmi les objectifs à atteindre. Même s'il savait qu'il ne retrouverait jamais un niveau susceptible de lui permettre de passer professionnel, il faisait néanmoins un capitaine d'exception. Preuve en était, depuis son départ, l'équipe n'avait plus gagné de titre majeur. « Ecoute, je suis un peu pressé, si tu veux bien me dire ce qui se passe, je suis preneur. »

Invité

En entendant l'interpellation de Nolan, le Iota tourna la tête vers lui. Devant son regard perplexe, le jeune homme regretta presque son acte téméraire : il se sentait soudain petit et un peu enfantin... Mais s'il fuyait la discussion maintenant, il apparaîtrait comme encore plus stupide qu'il ne l'était déjà...
Le sportif ne semblait pas le reconnaître. Pas étonnant : ils ne s'étaient croisés que brièvement à la soirée des Iotas, et il n'avait aucune raison de l'avoir remarqué. Il lui demanda poliment :

- Je peux t'aider ? Je ne crois pas qu'on se soit déjà rencontrés...

Il était poli. C'était étrange. Nolan ne se l'était pas imaginé poli. Cela aurait été plus confortable d'être face à un goujat à qui il n'aurait pas hésité à dire ses quatre vérités...
Cela dit, le fait qu'il ne parvienne pas à le situer était bon signe. Cela voulait dire que Shelley ne lui avait pas parlé de lui, ne lui avait pas montré de photos de lui pour qu'ils s'en moquent ensemble. Ils n'étaient donc pas aussi proches qu'il le craignait...
Perdu dans ses réflexions, il laissa passer quelques secondes, et le Iota s'impatienta :

- Ecoute, je suis un peu pressé, si tu veux bien me dire ce qui se passe, je suis preneur.

Nolan commença par ce qui lui était le plus facile, se présenter :

- Je suis Nolan Hargreve, en première année.

Si Shelley lui avait parlé de lui, le nom lui dirait quelque chose, et il s'attendrait à ce qui allait suivre. Sinon... Il fallait bien qu'il se jette à l'eau et qu'il lui dévoile le douloureux objet de sa conversation... Il prit une grande inspiration et déclara :

- Je voudrais te parler d'une fille avec qui tu as flirté à une soirée d'intégration des Iotas en début d'année. Shelley Quine.

Le nom lui brûlait encore les lèvres quand il le prononçait. Il se maudit mais resta de marbre. Il ne voulait pas montrer de sensiblerie devant le sportif. Il n'était pas là pour faire une scène, juste pour savoir ce qui en était. Savoir où en était Shelley. Il cherchait des informations, ça ne devait pas l'affecter, non ? Non ?

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Damian continua de fixer son interlocuteur, franchement perplexe à présent, lancé dans une intense réflexion concernant son identité. Devait-il le connaître ? Faisait-il partie des nouveaux Iotas ? Non, probablement pas, pas le bon gabarit. L'avait-il croisé quelque part, peut-être en soirée ? Il s'en serait souvenu, cela faisait bien longtemps que Damian avait cessé de finir ivre mort au point de ne plus se rappeler des personnes qu'il rencontrait. Non, s'il devait être honnête, l'Irlandais était tout simplement incapable de le replacer dans un souvenir de son esprit. Pressé d'en finir – Constance serait furieuse s'il ne faisait même pas l'effort de se pointer à l'heure aux entraînements, elle qui avait si gracieusement accepté de le laisser revenir dans sa confrérie – il enjoignit le type à lui répondre le plus rapidement possible. Nolan Hargreve se présenta-t-il, pensant peut-être que cela suffirait à lui rafraichir la mémoire. La réponse était... non. « Heu... Damian San Mercury. Enchanté ? » Qu'était-il censé lui répondre exactement ? Probablement pas ça, à en juger par l'expression que ledit Nolan afficha. Il mentionna alors une certaine Shelley Quinne, d'une soirée d'intégration. Si le nom ne lui évoqua rien de concret, ce qu'il raconta souleva en revanche vaguement l'ombre d'un souvenir. Oui, une fille mignonne, une première année, qui était venue le draguer ouvertement et qu'il avait laissé faire parce que ça l'amusait plus qu'autre chose. Il n'avait aucune idée de son nom – les choses n'étaient pas allées assez loin pour ça – mais il supposa qu'il devait s'agir de la même personne. « Shelley Quinne, tu dis ? Mmh. Le nom ne me parle pas mais je me souviens d'une fille avec laquelle j'ai flirté oui. Après je confonds peut-être, j'ai flirté avec plusieurs filles, même si ça restait purement platonique » se sentit-il obligé d'ajouter, pour faire bonne mesure. Il fallait dire qu'Harlow ne se trouvait jamais très loin de lui et que, connaissant parfaitement l'affection qu'elle lui portait et réciproquement, il aurait trouvé relativement déplacé de se taper une fille sortie de nulle part juste sous ses yeux. Mais un flirt... ce n'était rien de dramatique. A priori. « Et donc, que se passe-t-il avec cette Shelley Quinne ? Parce que là je suis un peu confus... » De toute évidence, Damian ne possédait malheureusement pas le don de divination, et découvrir les intentions de types débarqués de nulle part pour venir lui parler n'était pas encore dans ses cordes – à son regret. Damian, d'habitude si perspicace lorsqu'il s'agissait de déchiffrer l'humeur des autres, manquait curieusement de perspicacité dans cette discussion.

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En entendant le nom et le prénom de Nolan, le Iota se présenta à son tour :

- Heu... Damian San Mercury. Enchanté ?

Damian San Mercury. Le jeune homme anonyme avait maintenant un nom. Nolan ne savait pas si c'était une bonne ou une mauvaise chose. Mais il n'eut pas le temps d'y réfléchir, car Damian enchaînait déjà sur le sujet que Nolan avait abordé :

- Shelley Quine, tu dis ? Mmh. Le nom ne me parle pas mais je me souviens d'une fille avec laquelle j'ai flirté oui. Après je confonds peut-être, j'ai flirté avec plusieurs filles, même si ça restait purement platonique. Et donc, que se passe-t-il avec cette Shelley Quine ? Parce que là je suis un peu confus...

Ces quelques phrases avaient révélé à Nolan ce qu'il voulait savoir : non, Shelley ne sortait pas avec Damian. Elle était toujours aussi seule que lui, à priori. Alors, peut-être...
Non, il ne devait pas se faire de faux espoirs. Il ne voulait pas se remettre en couple avec une fille comme ça. Les choses risquaient de se répéter, non ? Elle n'aurait pas changé ? Alors, il ne pouvait pas le vouloir. Il ne le devait pas...
En tout cas, maintenant, il se sentait bête devant Damian. Il s'était imaginé qu'il se serait disputé avec lui, mais il n'y avait apparemment même pas matière à dispute : Shelley lui semblait aussi indifférente qu'elle serrait le coeur de Nolan...
Il bredouilla donc :

- En fait, c'était ma copine...

Il se faisait l'effet d'un gamin pleurant après son jouet perdu. Il était stupide. Stupide et faible. Damian n'allait pas s'apitoyer sur son sort, qu'est-ce qu'il croyait ? Ni lui rendre Shelley d'un claquement de doigts. Il fallait qu'il se reprenne, qu'il se débrouille tout seul.
Sa voix se fit plus dure quand il ajouta :

- On s'est séparés après ton "flirt" avec elle.

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Stoïque, pour ne pas dire complètement placide, Damian continuait de fixer son interlocuteur avec à peine plus que de la curiosité. Il jeta un coup d'oeil bref à sa montre, pour constater qu'il était déjà à la bourre pour l'entraînement, ce qui amènerait à des commentaires dédaigneux de sa majesté Constance, estimant qu'il n'avait probablement pas sa place chez les Iotas s'il n'était pas capable d'être à l'heure. Et pourtant, ce n'était pas faute de s'y être pris en avance. Tout ça pour un type sorti de nulle part qui lui parlait d'une fille qu'il ne connaissait pas plus, et voilà qu'il devait à présent faire appel à ses souvenirs les plus enfouis et brumeux. Damian buvait peu, c'était un fait. Sa condition de sportif de haut niveau, avant la fusillade, et le futur qui se dessinait sous ses yeux, l'avaient privé de grandes fêtes alcoolisées pour rester performant en toutes circonstances. C'était son rôle, plus que celui d'un Iota, celui du capitaine d'une équipe particulièrement bien classée qui devait son succès au travail permanent du leader de l'équipe. Mais depuis la fusillade, et depuis que ses espoirs de passer pro en football s'étaient envolés, l'Irlandais avait nettement accru sa consommation d'alcool et celle-ci ne lui réussissait de toute évidence pas. Plusieurs fois, Harlow avait du venir le récupérer à des endroits improbables de San Francisco, à des heures indues de la nuit, ne lui épargnant pas l'inévitable savon sur le trajet du retour, et de combien ça l'agaçait, plus encore d'être réveillée au beau milieu de la nuit pour ses virées nocturnes pathétiques. Retour à ce Nolan et cette fameuse soirée qu'il venait de mentionner. Et là, il comprit. Evidemment, de toutes les nanas dans ce bar – dont il ne se rappelait pas, tristement – il avait choisi l'une des seules à ne pas être disponibles. Nolan lui fit soudain un peu de peine. Damian n'était pas un mauvais garçon, et certainement pas le genre à s'attaquer aux copines des autres. Certes, il y avait eu une exception avec Plum, à l'époque glorieuse de ses années Berkeley, mais la situation était différente : ils étaient restés ensemble un long moment, et cet enfoiré de Daniels la lui avait piquée. Il n'avait fait que récupérer celle qui lui appartenait. Bref, une situation nettement différente de celle-ci. « Mec, je suis désolé, je savais pas qu'elle était prise, autrement je m'en serais pas approché » s'excusa-t-il platement, sincèrement désolé pour lui. Mais dans l'histoire, a priori, la coupable était ladite Shelley qui n'avait eu aucun scrupule à le draguer alors qu'il était en couple. De toute évidence, elle ne devait pas tenir tant que ça à son petit copain, et c'était d'autant plus triste pour Nolan. Pour une fois, Damian aurait préféré avoir le mauvais rôle, même s'il ne connaissait pas ce type et qu'après tout, ce n'était pas véritablement son problème. « Et du coup tu es là pour quoi exactement ? Me casser la gueule histoire d'avoir ta revanche ? Parce que si c'est le cas, je t'en prie, j'ai surtout peur que tu te casses la main, mais si ça peut te défouler, n'hésite pas. » Il tenta le trait d'humour, sans doute malvenu compte tenu des circonstances, mais si Damian avait appris à parler au bon moment, il aurait très souvent évité des situations embarrassantes.

Invité

La réaction de Damian fut celle d'un jeune homme civilisé :

- Mec, je suis désolé, je savais pas qu'elle était prise, autrement je m'en serais pas approché.

Nolan se sentait un peu bête, à présent. Voilà, Damian s'était excusé. Ce n'était pas sa faute si son couple avait explosé : lui, il ne savait rien de la situation de Shelley, il avait juste été attiré par une fille sympa et jolie dans un bar, et s'était réjoui qu'elle semble lui accorder de l'intérêt. Un comportement normal d'étudiant célibataire, que Nolan pouvait comprendre. Mais qui lui était insupportable dans la situation actuelle.
Il n'avait rien à reprocher à Damian. Il devait avoir l'air un peu stupide, avec sa bouche légèrement ouverte comme s'il voulait dire quelque chose, sans savoir quoi. Damian nota avec ironie à quel point cette conversation était sans issue :

- Et du coup tu es là pour quoi exactement ? Me casser la gueule histoire d'avoir ta revanche ? Parce que si c'est le cas, je t'en prie, j'ai surtout peur que tu te casses la main, mais si ça peut te défouler, n'hésite pas.

Là, c'était le moment où un mec viril aurait répondu "Ouais, tout à fait", et aurait mis un énorme coup de poing dans le visage de Damian. Mais Nolan était une crevette, alors que le Iota était un sportif aguerri. Il avait raison : il n'avait aucune chance lors d'un affrontement physique. En plus, il n'était même pas sûr de vouloir casser la gueule à Damian, même s'il en avait eu les moyens : ça n'arrangerait rien à la situation. Il se ferait un ennemi de plus, c'est tout.
Il lâcha malgré tout :

- Ouais, c'était l'idée...

Il se hâta s'ajouter, craignant que Damian ne le prenne au sérieux et ne l'étende au tapis par mesure de prévention :

- Mais ça ne servirait à rien.

Frustré, il donna un grand coup de pied dans le vide. Il devait se faire à la situation. Damian n'était pas un maléfique manipulateur qui lui avait ravi Shelley par des moyens obscurs. Non, la jeune fille en avait juste eu marre de lui, c'était tout. Il n'y avait rien à y faire. Il baissa la tête et, comme pour s'excuser, murmura :

- Je crois que je suis un peu paumé...

Invité

Damian ne put s'empêcher de rire, juste un peu, lorsque Nolan lui confia que l'idée lui avait traversé l'esprit. Il jaugea son gabarit et songea à ce qu'une tentative de combat aurait pu donner entre eux. Pas besoin d'y réfléchir bien longtemps, il aurait sans doute fini à terre avant même d'avoir pu tenter le moindre geste. Une chance que Damian n'ait pas eu de velléité à chercher la provocation. En vérité, il lui faisait surtout beaucoup de peine – et il regrettait sincèrement d'en être plus ou moins la cause, indirectement. Il ne le connaissait pas, ne connaissait pas cette fameuse Shelley, du moins pas autrement que dans des souvenirs embrumés par l'alcool, mais il ne lui avait donné aucune raison de croire qu'il était un mauvais type. Peut-être plutôt le genre qui malheureusement, n'était pas encore celui qui pouvait retenir une femme. Non qu'il était machiste, mais plutôt observateur : à cette étape de leur vie, les femmes étaient attirées par des types qui leur donnaient l'impression de ne pas avoir besoin d'elles. Un jour viendrait où tous les Nolan de la planète prendraient leur revanche en séduisant, pour de vrai, les femmes. Beaucoup finiraient par se damner pour tomber sur un type comme lui – pour ce qu'il en voyait. Mais pas encore. « Non ça ne servirait pas à grand-chose, en effet. Mais c'est sans doute ce que j'aurais fait à ta place. » Ou au moins songé à faire, si, comme lui, il s'était retrouvé face à quelqu'un d'un peu plus baraqué. Fort heureusement, Damian n'avait jamais été dans ce cas de figure – pour le moment, du moins – et s'il pouvait tenter de se mettre à la place de Nolan, il ne pourrait jamais vraiment le comprendre à moins de le vivre à son tour. Il compatissait, le plus sincèrement du monde, mais il ne voyait pas quel rôle il pouvait jouer dans tout ça. Apparemment, le coup était particulièrement dur à encaisser pour lui, à en juger par la réaction qu'il avait : celle d'un type un peu déboussolé et ayant du mal à aller de l'avant. Damian jeta un coup d'oeil à sa montre. Il était déjà en retard, de toute façon, il pouvait bien l'être un peu plus et tenter d'aider ce pauvre Nolan. Un peu plus, un peu moins... Constance allait le tuer de toute façon (et il n'était pas certain que ce ne soit que métaphorique). « Je vois ça... » Il hésita à lui tapoter l'épaule, mais eut le sentiment que le geste aurait été déplacé, compte tenu des circonstances. « Tu... veux qu'on en parle ? »

Invité

Damian sembla amusé par l'aveu de Nolan selon lequel le photographe aurait eu envie de se battre avec lui. Il ne fit cependant aucune remarque narquoise, mais prononça plutôt des paroles compatissantes :

- Non ça ne servirait pas à grand-chose, en effet. Mais c'est sans doute ce que j'aurais fait à ta place.

Cette empathie ne quitta pas le Iota lorsque Nolan confessa être perdu. Il jeta un coup d'oeil à sa montre, mais ne partit pas. Il le regarda avec un air apparemment désolé avant de lui proposer :

- Je vois ça... Tu... veux qu'on en parle ?

Nolan laissa échapper un rictus amer. Parler de cela, avec Damian ? Ne serait-ce pas un peu... étrange ? Probablement. Le photographe n'était même pas sûr de pouvoir s'ouvrir au Iota, malgré sa colère retombée, et il le lui dit franchement :

- Je suis désolé, je ne pense pas que je serai vraiment capable de parler de ça avec toi...

Il soupira avant d'ajouter :

- Mais effectivement, il faudrait que j'en parle à quelqu'un. Je n'ai pas vraiment d'amis à Berkeley. Il n'y a pas un... bureau psychologique ou un truc du genre ?

Nolan avait un peu honte de demander cela. Il y avait la permanence d'une infirmière "pour discuter" dans son ancien lycée, et il avait toujours imaginé que s'y rendre était réservé aux loosers. Il n'avait jamais pensé pouvoir en avoir besoin, lui, un type tout à fait normal et satisfait de sa vie. Et même plutôt optimiste, d'ailleurs.
Peut-être qu'il avait franchi la ligne rouge, qu'il était rentré dans le groupe des loosers. Ou alors, peut-être qu'il se faisait des illusions pendant tout ce temps, et qu'il en avait toujours fait partie. Ou peut-être qu'il faisait une dépression, tout simplement.

» Ca n'est pas toujours la faute des autres
» C'est toujours la faute des femmes

A qui la faute ?

A qui la faute ?

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