Écouteurs vissés sur les oreilles, ordinateur portable posé sur les genoux, j’occupais tranquillement mon après midi à regarder de vieux épisodes du Fresh Prince. J’étais contre-productif à souhait, mais je devais me bouger. Voilà presque trois mois que j’étais arrivé à San Francisco et je squattais toujours chez Gaulthier. Ca m’avait fait plaisir de le retrouver ici, à Berkeley et j’avais vraiment apprécié son offre, mais je me rendais compte que j’étais en train d’abuser de sa gentillesse. Il était vraiment temps de me trouver un appartement, d’arrêter de dormir sur le canapé de Gaulthier. Si au début, je n’avais pas vraiment fait de recherches, je m’y étais mis depuis quelques semaines et j’avais visité plusieurs studios dans le centre de San Francisco. Malheureusement, pour le prix que j’étais prêt à payer il n’y avait pas grand-chose à se mettre sous la dent. Si c’était pour vivre dans une pièce où l’on pouvait tout juste loger un lit une place, je préférais autant prendre une chambre sur le campus. Je m’étais fixé comme objectif de trouver un appartement au plus tard à Noël, histoire de ne pas emmerder Gaulthier trop longtemps en abusant de son hospitalité. Mais ce n’était clairement pas ce soir que j’allais trouver un studio, non, ce soir, je n’avais envie que d’une chose, sortir, me défouler, profiter de la vie. Ce qui, techniquement, en faisait trois, mais dans mon esprit, c’était plutôt clair. Je décidais donc de prendre une douche et de me changer avant d’inviter Gaulthier à se joindre à moi pour cette soirée. Ces derniers temps, on ne faisait pas vraiment la fête ensemble, du moins, pas de la même manière que lors des premières semaines. Il était un peu plus casanier et passait pas mal de temps avec sa copine, Autumn. Je ne pouvais pas vraiment l’en blâmer, mais ça me faisait chier, je voulais le voir profiter de la vie autrement qu’avec sa petite amie. Concentrer son attention sur une seule personne n’a jamais été une excellente idée, peu importe à quel point la personne en question était canon. J’allais donc frapper à la porte de la chambre de Gaulthier afin de le bouger et de pouvoir profiter de la soirée à ses côtés. “Hey dude, you gonna come grab some beers with me tonight? In fact, I won’t take no for an answer. I wanna party hard and you gonna join me, no matter if you have class tomorrow. You’ve been way too distant the last few weeks, no Autumn-related things tonight, just two buddies who gonna enjoy their night.” J’avais été cash, mais c’était exactement ce dont il avait besoin, du moins, d’après moi. Gaulthier avait toujours été un mec assez discret, pas vraiment un mec qui enchainait les relations – d’ailleurs,  je ne sais pas si je l’avais déjà vu avec une fille avant d’arriver à San Francisco – et donc je pouvais comprendre qu’il souhaitait profiter de son bonheur avec Autumn, mais il n’était pas question d’oublier ses potes pour autant. Je voyais qu’il commençait à douter vis-à-vis de ma proposition. A vrai dire, je le sentais à deux doigts de refuser, il était devenu un vrai canard. “You don’t have the choice. If need be, I will drag you away.” Je le laissais dans chambre, allant chercher deux bières dans le frigo avant de revenir, pour le motiver davantage. “Tonight, all drinks will be on me.” C’était de toute façon, la moindre des choses que je pouvais faire. Je vivais gratuitement chez Gaulthier depuis plusieurs mois, c’était tout à fait normal de lui payer des tournées lorsqu’on faisait la fête ensemble, et ce, même s’il était bien plus riche que moi. Il n’était de toute façon, pas le genre fils à papa qui montre qu’il a de l’argent à tout va. Non, il était vraiment discret à ce propos. De prime abord, je pense que personne ne serait en mesure de se douter de la fortune colossale dont dispose sa famille. Il était bien loin de tous ces préjugés que l’on peut avoir sur les personnes fortunées, lui, c’était juste quelqu’un de simple, et c’était pour cela qu’il était mon pote. Gaulthier semblait finalement s’être résigné à accepté mon invitation puisqu’il était en train de se préparer à sortir. Parfait, je n’avais pas eu besoin de trop forcer finalement, ça avait été assez facile de le convaincre. “We’re goin’ to the DNA Lounge, is it ok?” C’était un des bars branchés de la ville, pas forcément le genre d’endroit dans lequel j’avais l’habitude de traîner, mais j’avais envie d’un peu de changement ce soir. Fini les bars plus undergrounds, ce soir je me mêlais à la jeunesse dorée de Californie, j’allais essayer de me fondre dans le décor au milieu de tous ces clichés ambulants, ça n’allait pas être évident, mais quelque chose me disait que nous allions bien nous marrer ce soir. Sur le point de franchir le pas de la porte, je me retournais vers Gaulthier, un léger rictus sur le visage. “Oh, don’t forget your ID, you still look like a kid.”

Parfois la vie nous joue de drôles de tours. Prenez-moi par exemple, un gosse qui est passé du statut d’inconnu, à membre d’une des plus éminentes familles d’Angleterre. Aujourd’hui, je sortais avec une des filles les plus parfaites de l’université et pourtant rien ne laissait présager qu’une chose pareille était possible. Oui la vie était faîtes de rebondissements. Parfois bons, parfois mauvais, mais toujours justifiés si l’on en croit la théorie du destin. Pour moi, ce qui faisait une vie réussie c’était d’arriver au bonheur, un bonheur qui était à son apogée depuis le début de ma relation, mais également grâce au retour dans ma vie du mec qui a certainement été l’instigateur de ce qui m’arrive aujourd’hui. Andréa était mon meilleur ami, mon seul ami en fait. Je n’étais pas quelqu’un de sociable, toujours le nez dans les bouquins il avait su me faire sortir de mon monde imaginaire pour rejoindre celui des gens normaux. Il était celui avec qui j’avais pris ma première cuite, celui qui m’avait emmené dans une boite pour la première fois, et aussi celui avec qui je pouvais jouer au foot, à l’abri du regard accusateur de mes grands-parents qui à l’époque n’avaient aucune idée de mes activités extra-scolaires. Tout cela était malgré tout bien loin de moi et depuis qu’il était revenu dans ma vie en septembre dernier je n’avais eu de cesse de le suivre dans tous les plans qu’il me proposait. Je ne voulais pas qu’il pense que je n’avais pas évolué, que j’étais redevenu le mec que j’étais avant de le connaître. Il avait toujours été une espèce de mentor, de modèle pour moi et il le savait très bien. Un statut dont parfois il profitait un peu trop à mon goût pour me faire faire un peu n’importe quoi.

Rentrant à mon appartement, je le retrouvais là, m’attendant avec une idée derrière la tête. Oui je pouvais voir à son petit sourire et à son regard brillant que ce soir nous n’allions pas nous contenter d’une simple pizza accompagnée d’une bière devant la télé. I know man, I’ve been busy. It’s quite hard for me to act like the girlfriend you don’t have, when I am already dealing with mine. But you’re right, I guess a beer can’t hurt me. I still need to show you that I can hold my liquor now, I am not going to throw up on the girl you’re trying to pick up this time, promise. Je lui fis un léger clin d’oeil, sachant très bien qu’il était sans doute bien meilleur que moi à ce jeu-là. Je n’allais pas refuser son invitation, surtout qu’il semblait se faire une joie à l’idée de passer une soirée, rien que tous les deux, à l’ancienne comme deux potes qui refont le monde toute la nuit ne pensant pas une seconde à la gueule de bois qui les attendais le lendemain. Je me dirigeais vers ma chambre afin de pouvoir me changer et tout de même avoir l’air présentable, mais je voulais surtout envoyer un texto à Autumn pour la prévenir que ce soir je sortais avec Andréa et qu’elle ne pourrait sans doute pas me joindre avant le lendemain tard dans la journée. Elle devait certainement bien rire devant son téléphone, elle qui adorait se moquer de moi à la moindre occasion pour me taquiner. Elle rejoignait un peu Andréa sur ce point, d’ailleurs il avait le don de me taper sur les nerfs autant qu’elle. En même temps je trouvais assez légitime que la femme que j’aime soit la version féminine de mon meilleur ami, avec ces deux-là je faisais littéralement d’une pierre deux coups. If you are paying, I’ll follow you anywhere! Just don’t forget this when I will order my seventh 10 dollars glass of scotch. Je savais très bien qu’il n’avait pas les moyens de dépenser des milliers de dollars en une soirée, et évidemment je n’imaginais même pas sortir mon portefeuille ce soir pour le dépanner, il le prendrait sans doute comme un affront. Cet argent que je possédais de toute façon était en quelque sorte fictif car les seules fois où je faisais de grosses dépenses c’était pour Autumn, ou alors… pour Autumn. Je voulais tellement lui sortir le grand jeu, que lorsqu’il s’agissait de restaurants ou de cadeaux je ne lésinais pas sur les moyens. Pour moi un ordinateur performant, de bons bouquins, un endroit où vivre et de quoi manger me suffisait amplement. J’attrapais ma veste afin de le rejoindre, lui qui trépignait déjà devant l’entrée, tout en traînant des pieds. Il était fatiguant à force de faire des blagues plus nulles les unes que les autres. Mais c’est comme ça que je l’aimais après tout. Don’t forget to be funny then, you’re just jealous that I am so much cuter than you are, bro. Je lui donnais une tape dans le dos avant de lui montrer le chemin de la porte pour le laisser passer devant. Après tout c’est lui qui menait la danse ce soir, j’avais hâte de voir ce qu’il me réservait. Cela dit j’étais certains que j’allais me souvenir de cette soirée pour longtemps.