Dur le réveil après une soirée bien arrosée. Chaque matin, je regrette. Et pourtant, chaque soir, je recommence. Comment me séparer de ces soirées où l’on se réveille sans avoir la moindre idée de ce que l’on a fait la veille. Je me frotte longuement les yeux avant de quitter mon lit à regret. Pour une fois, je finis dans ma chambre. Je n’ai pas du faire grand chose d’embarrassant hier soir. Simplement vêtue d’un t-shirt trop grand pour moi et d’une culotte Victoria Secret, je traverse mon studio silencieux pour me servir un bon café. Rien de tel pour être de nouveau d’attaque. Je jette dans l’évier rempli de vaisselle sale ma tasse qui atterrit dans un coin, intacte. J’ai bien fait d’acheter cette vaisselle incassable. Après une douche bien froide, j’enfile un short gris clair particulièrement court ainsi que mon haut favoris, un débardeur bleu électrique. Mes Vans bleues aux pieds, je vérifie qu’il y a bien mon argent, mon portable, mon casque et mes clefs dans mon sac avant de claquer la porte de mon studio. Je donne rapidement un tour de clef avant de descendre lentement les quatre étages qui me séparent de la rue. Le soleil réchauffe rapidement ma peau fraiche et j’entreprends de marcher, ma musique dans les oreilles, jusqu’à l’arrêt de bus qui me permettra de me rendre au Macy’s. Une petite virée shopping n’a jamais fait de mal à personne, surtout que je dois impérativement refaire un stock de vêtements d’été. Ils sont tous passés à la machine avec les boxers extravagants de Prince l’année dernière et sont désormais, pour la plupart, décolorés et fichus.
Après plusieurs arrêts, je descends à celui qui me dépose juste en face du lieu auquel je souhaite me rendre. La première boutique que je croise n’est autre qu’un modeste marchand de glace qui m’accoste en complimentant mon haut. Touchée par ses goûts vestimentaires similaires aux miens, je lui achète un Magnum que j’entame sans me faire prier. Par cette chaleur, un peu de frais n’est pas de refus. La vibration de mon portable me tire de mes pensées et j’arrête ma musique pour lire le message que je viens de recevoir. C’est Isaac. Il ne trouve pas sa casquette que je lui empreinte sans arrêt. Je crois bien que je l’ai emmenée par mégarde la dernière fois que je leur ai rendu visite. Elle a du glisser malencontreusement dans mon sac. Pauvre Isaac. Je lui réponds rapidement que je l’ai peut-être prise avec moi, mais je n’ai pas le temps d’envoyer mon message qu’une sensation de froid désagréable vient perturber ma concentration. Lorsque je relève la tête, un espèce de gothique quelque peu plus vieux que moi se tient en face de moi, gêné. Je baisse alors les yeux sur mon haut et découvre qu’il est couvert de glace.
"- Pardonnez-moi, je suis vraiment désolé mademoiselle. Laissez-moi réparer cette erreur !" s’enquit le responsable de la tâche.
Je jette ma glace fichue dans la poubelle juste à côté de moi et lance un regard meurtrier au jeune homme.
"- Tu n’aurais pas pu faire attention ? C’est mon haut préféré ! Non mais quel incapable je vous jure !" dis-je sur le point de crier.
Hors de moi, je tente d’enlever la glace collée à mon débardeur, mais la tâche n’en devient que plus importante. Ce n’est vraiment pas mon jour. Je plante mes iris noirs dans les yeux de l’homme qui me fait face et prends ce ton condescendent qui me va si bien :
"- Je t’en prie. Répare-moi ça illico Monsieur Gothique !" commençai-je plus calmement, "Je compte bien te faire payer ta maladresse de baleine. Même pas capable de regarder droit devant lui, non mais je rêve.." continuai-je, soupirant entre chaque morceau de phrase.
Chercher le conflit est ma spécialité. Et puis, que peut bien me faire un toxico incapable de mettre un pied devant l’autre correctement, je vous le demande.
"- Tu n’as qu’à me retrouver exactement le même haut. Mais je te préviens, il n’est pas facile à trouver, et il coûte sûrement plus que tes stupides bracelets.." ris-je paisiblement.
Je suis parfaitement consciente que ce haut n’est plus en magasin depuis maintenant trois saisons, il n’a donc aucune chance de le retrouver. J’hausse un sourcil tout en observant de haut en bas le jeune homme qui ne montrait pour le moment aucune réaction. Quelle faute de goût. Porter du sombre en plein été, j’aurais tout vu. Il n’y connaît sûrement rien à la mode ce pauvre garçon. Et puis tous ces tatouages.. C’est beaucoup trop, ses bras sont surchargés, ça pique les yeux comme dirait mon petit frère. En tant que future Gamma potentielle, je ne devrais pas juger à ce point, ou faire si attention à mon apparence et au regard des autres. Certes. Mais quand il est question de mode, il est hors de question que je laisse qui que ce soit transgresser les règles. Peut-être qu’au fond, je ne suis pas faite pour êtres simplement Gamma. Peut-être suis-je un mélange de plusieurs confréries. Cette idée me met en tête un film sorti il y a peu de temps, Divergent. Il faudrait que je le revois..

Après un silence plus ou moins gênant, le gothique se décide enfin à ouvrir la bouche et me répondre. Je ne baisse pas mon regard. Je le défis, et je pense qu’il l’a compris. Après tout, une gamine de 18 ans qui s’attaque à un homme bien plus imposant et plus âgé qu’elle.. Mais de toutes les façons, il ne peut rien faire. Nous sommes en plein milieu de la rue, et il y a un bon nombre de témoins.
"- Je ne suis pas le seul à marcher dans la rue que je sache, non ? Je reconnais ma faute mais si vous aviez eu la tête en l’air, vous auriez pu m’éviter" dit-il d’un ton calme.
Bien qu’il ne laisse rien apparaître extérieurement, on pouvait sentir dans sa voix qu’il avait grande envie de s’énerver. Crie donc mon ami, crie contre moi et tu verras toutes les atrocités que je peux dire. Il a ruiné mon haut.
"- On va commencer par se calmer d’accord ? Je comprends votre colère mais il faut savoir rester poli quand on est adulte. Vos insultes ne me touchent absolument pas mais laissez au moins le bénéfice du doute avant d’assimiler quelqu’un comme moi à un gothique ou à quelqu’un qui porte des bracelets sans importance" s’enquit le jeune homme.
Me calmer ? Moi ? Mais pour qui se prend-il à me donner des ordres comme ça. Il se fiche de moi. Personne ne me dit de me calmer. Son ton froid, voire glacial, et calme me déplaisent au plus au point. Il ose me dire quoi faire. Et en plus de ça, il reste calme après toutes les provocations que je lui ai dit ? Quel est cet homme ? Je souffle longuement, tentant de me calmer. Je ne peux me permettre de me laisser aller devant autant de monde. C’est tout bonnement hors de question.
"- Ne t’inquiètes pas pour l’argent. L’habit ne fait pas le moine" finit par dire le fameux gothique.
Alors que je me sentais perdre le contrôle, le tutoiement soudain du jeune homme me réveille. Que se passe-t-il ? Pourquoi ai-je crié contre lui ? Ah oui, il a bousillé mon haut. Mais ce n’est pas de sa faute, après tout, je ne regardais pas non plus. Je quitte ses yeux pour l’observer à nouveau. Si on observe attentivement, ses vêtements vont ensemble. Ils ne sont pas faits pour la saison, mais ils sont accordés. Et ses bracelets.. L’un d’eux me dit vaguement quelque chose. Je penche légèrement la tête sur le côté et lis ce qu’il y a de gravé dessus. C’est le festival de musique auquel j’ai assisté il y a un moment. Je remonte alors mes yeux vers son visage et l’analyse de fond en comble. J’ai déjà vu cet homme quelque part. Après cinq bonnes minutes de contemplations, je me souviens finalement de qui il est.
"- Jimmy Deathbat !" m’écriai-je.
Un sourire apparaît alors sur mon visage et je perds toute raison d’être en colère contre lui. Cet homme est une légende du rock. Je connais ses chansons par cœur et j’ai plusieurs posters de lui dans ma chambre de studio.
"- Je suis une grande fan ! Je suis vraiment désolée de t’avoir bousculé, puis engueulé, je ne sais pas ce qu’il m’a pris.." bégayai-je timidement.
Ce n’est pas dans ma nature d’être timide ou quoi que ce soit, mais lorsqu’il s’agit de célébrité, je perds toute notion.
"- Je suis Augusteen Burleight, j’étudie à Berkeley, tout comme toi. Encore désolée pour tout, ce doit être ma bipolarité qui me joue des tou.." m’arrêtai-je en plein élan.
Mais qu’est-ce qu’il me prend ? Pourquoi je lui parle de tout ça ? Ce ne sont pas ses affaires. Il n’a pas à savoir que je suis bipolaire. De plus, il a ruiné mon haut préféré. Les traits de mon visage se durcissent et je lance à nouveau un regard meurtrier à mon interlocuteur. Tu n’aurais jamais du croiser ma route Jimmy..

Le fameux Jimmy semble perplexe par rapport à mes paroles. L’aurais-je choqué ? J’en doute. Quoi qu’il en soit, mon haut est toujours ruiné, et je n’ai plus de glace. Et puis ce soleil commence à sérieusement me taper sur le système. Bien qu’il me permette de dévoiler mon corps de déesse, je suis plus le genre de fille à aimer traîner sous la pluie ou quand il y a des nuages. Je trouve ça plus agréable qu’avoir un rond jaune éblouissant qui te crame le visage toute la journée.
"- Ce n’est rien, disons donc que nous sommes tous les deux désolés. Enfin je te pardonne d’avoir fait une tâche avec ta glace !" s’engagea le jeune adulte.
J’observe alors la tâche que j’ai effectivement faite sur ton t-shirt. Elle est assez imposante. C’est quand je réalise que j’ai la tête relevée que je remarque que Jimmy est bien plus grand que moi. Je me sens tout de suite stupide. Une adolescente de 18 ans qui hurle sur un musicien assez connu du haut de son mètre 57.. C’est complètement ridicule. Mais quelle abrutie je fais. Je me suis habituée à bien mieux décidément.
"- Ecoute. Ce que je te propose, c’est d’entrer dans un des magasins qui te plait, de choisir un haut que je t’offre gracieusement puis on trouve un pressing où déposer ton haut préféré. Qu’est-ce que tu en penses ?" exposa Jimmy.
Je porte ma main à mon menton et pèse le pour et le contre mentalement. Il est vrai que j’y gagne. Mais je perdrais ma fierté à accepter un marché venant de celui qui a causé tout ce merdier. Oh et puis tant pis, mets ta fierté de côté pour une fois dans ta vie August. Il veut t’offrir un haut.
"- J’accepte, mais à une condition.." commençai-je d’une voix bien plus douce que celle que j’avais l’habitude de prendre, "Tu me paies également le pressing" continuai-je sûre de moi.
Il est vrai que j’exagère peut-être un peu trop et que je profite de la situation pour la tourner en ma faveur. Je pourrais très bien me payer le pressing, ou même le haut, ou encore les deux. Enfin, j’aurais pu si je ne m’étais pas brouillée avec mes parents il y a quelques semaines. Après avoir pris conscience de mes dépenses bien trop importantes, ils ont décidé qu’ils ne me paieraient que l’université et la moitié du loyer. Je dois avouer que c’est déjà une aide financière très importante, mais je n’habite pas un studio deux pièces ni rien. C’est une sorte de petit appartement spacieux très bien placé. La moitié revient donc sûrement à plus que d’autres studios dans d’autres quartiers, et il ne faut pas oublier la nourriture. C’est pour ça que je recherche une ou un colocataire qui me soulagerait quelque peu de cette lourde somme et que je travaille à mes heures perdues dans un bar. Ce n’est pas le job le mieux payé, mais il me permet d’arrondir mes fins de mois, et de m’offrir quelques extras. Et puis j’aime bien. C’est agréable et la plupart des personnes sont sympas. Avec eux je n’ai pas besoin de jouer la Augusteen fière et plus haute que tout le monde. Je me reconcentre sur Deathbat et lui affiche un large sourire.
"- Ça marche ? Je te promets de ne pas m’emporter" dis-je finalement à la vue de son regard hésitant.