Plus rien n'avait de sens. Il avait cru naïvement qu'il avait touché le fond depuis longtemps, que jamais rien ne pourrait l'enfoncer encore plus, lui qui se trouvait déjà plus bas que terre. Les cheveux bruns en bataille, une chemise blanche débraillée ouverte sur son cou, surmontée d'une veste de costume noire qu'il portait avec une nonchalance involontaire, ainsi que le pantalon assorti. Une cravate non nouée reposant autour de son cou, et une bouteille de whisky à la main. Un pas devant l'autre, comme toujours. Il se serait presque fait pitié à lui même, s'il en avait encore eu quelque chose à foutre. Son apparence toute entière criait son désespoir, son déclin sur le fil du rasoir. D'abord, il était resté longtemps immobile, dans une sidération totale, en état de choc. Comme si le temps s'était arrêté pour lui, au même moment qu'il s'était arrêté pour elle. Comme si même la nature elle même s'était résignée au dernier souffle de Laurynn, refusant de poursuivre son cours. Assis sur son lit, dans son appartement, il ne savait pas combien de temps exactement il était resté là, sans un mouvement, sans une pensée. Puis, après quelques heures, il avait compris. Ce n'était pas possible. Elle n'était pas morte. Il y avait du avoir erreur quelque part, d'ailleurs, la preuve, une overdose ? Certes, il ne l'avait plus vue depuis quelques semaines, suivant la volonté de la jeune femme. Mais elle ne s'était jamais droguée de sa vie. Adam s'était levé, avec un certain soulagement, et avait entrepris de se préparer à manger. Le déni était alors presque total. Il avait également pris son téléphone, bien décidé à appeler la demoiselle, qu'elle veuille lui parler ou non. Il la voyait déjà rire en entendant cette bonne blague qu'on venait de lui faire, lui annoncer la mort de sa meilleure amie. Il secoua son portable avec virulance, ce dernier lui jouant des tours. Vous avez un nouveau message. Il arqua les sourcils, en voyant la date. Ce vieux tas de ferraille avec quelques jours de retard! Accédant à ses messages, son coeur se serra. C'était elle, s'excusant pour la soirée à l'Absinthe bar quelques temps plus tôt, où le jeune homme avait littéralement pété un plomb, à l'instar de la demi soeur de Laurynn qu'il rencontrait alors : Sixtine. Composant maladroitement le numéro de son amie, il porta son téléphone à son oreille, une nervosité grandissant au fond de lui. C'était sa messagerie.

- Laurynn.. C'est Adam. Rappelle moi.

Ce jour là, Adam composa une quinzaine de fois le même numéro, laissant sa voix se perdre sur le répondeur de Laurynn. Mots qui resteraient à jamais inentendus de son amie, sans qu'il ne le réalise encore. Jusqu'au lendemain matin. Commençait alors le stade de la colère. Il tournait en rond dans son appartement, le poing ensanglanté, des éclats de miroir répandus un peu tout autour de lui. Une agitation extrême le contrôlait, alors qu'il avait envie de tout retourner chez lui. État qui n'était pas destiné à le quitter d'ici la fin de journée. C'est alors qu'il reçu un message. Presque paranoïaque, il s'était jeté sur son portable dans un espoir un peu fou. Mais c'était Sixtine. Le prévenant que l'enterrement aurait lieu le lendemain après midi. Certainement avait elle eu son numéro dans les contacts de Laurynn. Jusqu'au matin même de l'enterrement, Adam ne savait toujours pas si il se déciderait à y aller. Aurait elle voulu qu'il y soit ? Trouvant son échappatoire dans le dessin, il resta toute la matinée vêtu de sa chemise ouverte et de son pantalon noir de costume, recouvrant des feuilles et des feuilles de traits de fusain, traçant, estompant de ses doigts devenus noirs. C'est au cours de ce moment que la colère céda la place à la tristesse.. Quatrième et saisissante étape d'un deuil qui se faisait malgré lui, alors qu'il n'arrivait toujours pas l'imaginer morte. Quatorze heures approchaient, le Sigma enfilait sa veste noire lorsqu'il entendit son portable sonner, venant lui annoncer que ses messages n'avaient pas été remis à la destinataire. Ses mâchoire se crispa alors qu'il éclatait le téléphone contre un mur, dans un accès de rage. Il se mit alors à fouiller dans ses portes documents avec ferveur, éventrant ses cartons à dessin qui vomissaient des tonnes de portraits et de paysage. Là, au milieu de la multitude de feuilles rependues sur le sol de son appartement, il la vit. Son coeur eut un raté, sa gorge se serra. Sur fond de paysage de la marina, une silhouette fine marchait. Cheveux foncés, air rêveur, visage angélique. Avec délicatesse, il s'en empara, sentant les larmes venir lui piquer les yeux. Il l'avait dessinée alors qu'il ne la connaissait pas encore vraiment, et pourtant déjà il avait mis du soin à l'ouvrage.

A quinze heures, Adam se tenait en retrait, adossé derrière un arbre, près de l'église dans laquelle venait de sonner le glas qu'il redoutait tant. Les gens en sortaient, parmi eux, certains qui ne l'avaient même pas connue. Sûrement habités d'une curiosité morbide, ou voulant se lamenter en choeur pour se donner un genre. Il les aurait tous démonté en moins de deux, s'il avait été présent. Car non, Adam n'avait pas pu mettre un seul pied dans le bâtiment.

Après quelques heures passées à déambuler, il était arrivé au cimetière. Il avait attendu que le soleil commence à décliner, pour être sûr de ne plus y trouver personne. Le jeune homme avançait entre les tombes, y lisant une multitude de noms qui n'étaient pas le sien. Il ne se pressait pas, redoutant le moment où il lirait son prénom sur la pierre tombale. La voix de Laurynn retentissait dans sa tête, semblait s'élever d'entre les fleurs fanées, pour résonner tout autour de lui et se répandre dans les allées grises. Laurynn Anya Keegan, beloved child.. Adam s'arrêta, sentant ses jambes se défaire sous son corps. Sans qu'il ne s'en rende compte, ses rotules heurtaient déjà le sol, alors que son regard restait ancré sur ces mots. La terre était encore meuble d'avoir été retournée pour y installer son cercueil, devant lui, sous la plaque de marbre gris. Des fleurs en plastique. La colère se lisait dans ses yeux. Quel connard avait posé ici des fleurs en plastique ?! Alors qu'il aurait fallu y déposer des gerbes de fleurs fraîchement coupées, reflétant toute la vie qui émanait d'elle encore quelques jours plus tôt. Adam s'enfila une rasée d'alcool, avant de déposer avec soin le cadre en verre dans lequel il avait glissé le dessin de Laurynn. Il recula un instant, les mots devenant flous devant ses yeux. Le regard embrumé, tout semblait danser autour de lui, et soudain, il craqua complètement. Ce n'était pas que des larmes qui coulaient de ses yeux. Pour la première fois en vingt trois ans, de véritables sanglots le secouaient, alors qu'il pleurait toute sa douleur sur la tombe de celle qui fut comme une soeur pour lui.