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tant qu'on respire encore. (noran)

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MessageSujet: tant qu'on respire encore. (noran) tant qu'on respire encore. (noran) EmptyMer 13 Nov - 23:11



Il y a le prof qui parle des étoiles, et on voit tout de suite que ça le passionne. Il en parle comme s'il ne vivait que pour elles. Et je me demande comment, après tant d'années à enseigner, il peut mettre autant de passion dans son cours. Moi, ce que j'espère, c'est que sa passion pour l'astronomie soit contagieuse. Alors je l'écoute attentivement, sans en perdre une miette. Et j'attends le moment où je finirai par l'attraper moi aussi, sa passion de l'astronomie. Mais rien ne vient. Rien n'est jamais venu. Je ne demande que ça pourtant. Je voudrais pouvoir me lever chaque matin avec autant d'entrain que quand je vais bosser à la pâtisserie. Alors, en attendant que ça arrive, j'essaie de trouver ça intéressant. Je regarde même souvent les étoiles le soir, en me remémorant mes cours de la journée. Mais moi, à chaque fois que je les regarde, je me dis qu'il y a Samson là-haut, et c'est tout ce que ça me fait. Ce n'est pourtant pas inintéressant. J'apprends pas mal de choses que j'ignorais. Je réussis même à être troisième de la promo. Mais ce n'est clairement pas ce que je voudrais faire plus tard. Je ne suis ici que pour maman. Elle qui rêve de me voir bosser à la NASA. Alors je griffonne les notions importantes sur ma feuille de cours, tout en écoutant attentivement. Puis je finis par décrocher. La journée me semble interminable. J'ai mal au crâne, au poignet, j'ai envie de sortir. De respirer, de m'évader. Il me reste encore deux heures. Deux longues heures. Je sors finalement mon téléphone, et ouvre l'emploi du temps de Nora. Je me dis que si elle est libre, je quitte l'amphi. Et que si ce n'est pas le cas, j'en sortirais le dernier. Heureusement que le hasard est de mon côté. Dans dix minutes, Nora aura terminé sa journée de cours. Alors je range mes affaires, et m'apprête à quitter la salle. Évidemment, je suis en plein milieu du banc, ce qui signifie que je vais devoir déranger tout le monde. "Excusez-moi.", que je chuchote à chacune des personnes que j'oblige à se lever. Et même si je sais que c'est déjà raté, j'essaie de sortir en toute discrétion, par respect pour le prof. Et une fois hors de l'amphi, je prends le chemin de la salle du cours de Nora. On était pas censé se voir aujourd'hui. On avait rien prévu. Mais je meurs d'envie de la voir. Sa salle enfin trouvée, je me pose devant la porte, et attends qu'elle en sorte. Je dois avouer que j'ai hâte de voir sa tête quand elle me verra. D'autant que si elle a bonne mémoire, elle doit me penser en cours, et sûrement pas ici. Sûrement pas ici à sécher deux heures de cours pour être avec elle. Je crois que c'est la première fois de ma scolarité que je sèche un cours. Mais c'est de sa faute, pas de la mienne. La porte s'ouvre enfin, et les étudiants quittent la salle l'un après l'autre. Mais je n'ai pas vu Nora. Les sourcils froncés, je m'approche de la salle, et jette un oeil à l'intérieur. Elle est en train de fermer son sac, et quand elle me voit enfin, je lui lance un sourire. Je la laisse sortir, et lui dépose un baiser sur la joue. "Salut la matheuse." La première fois que j'ai remarqué à quel point elle était belle Nora, c'était à l'enterrement de son frère. Le coeur de Lenny s'est arrêté, et le mien s'est mis à battre plus fort. À battre plus vite. Je n'aime pas les clichés. Les stéréotypes. Les filles parfaites. Bien coiffées. Bien élevées. Non, je n'aime pas tout ça. Je préfère les surprises. Nora, elle est un peu comme un chocolat de Noël. À chaque fois qu'on la croque, on sait jamais sur quoi on va tomber. "Ça te dit d'aller terroriser les passants ?" Je montre du pouce mon sac à dos, auquel est attaché mon skateboard. Et je l'interroge du regard. Allez viens Nora, grimpe sur ma planche à roulettes. Je vais te montrer l'effet que ça fait que d'avoir le monde à ses pieds. Si tu veux, on peut même essayer de conquérir le monde, toi et moi. Hein, ça te dit Nora ? Qu'on soit les rois de monde ? Mais on serait pas comme ceux des livres d'histoire. On serait mieux, bien sûr. On serait de ceux qu'ont toujours l'air heureux. De ceux dont on sait qu'ils sont amoureux.
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MessageSujet: Re: tant qu'on respire encore. (noran) tant qu'on respire encore. (noran) EmptySam 16 Nov - 0:59



Nora jette un coup d’œil à l’horloge juste au-dessus du professeur de mathématiques : plus que dix minutes. Il y a les autres autour d’elle qui ont l’air impatient de quitter la salle, elle pourrait presque les entendre penser « plus que dix minutes et ce sera fini ». Elle les envie, eux qui ont l’insouciance scotchée dans les pupilles. Elle les envie de ne pas faire gaffe aux imprévus qui traînent à chaque carrefour, de ne pas penser au destin qui peut abattre ses cartes n’importe où, n’importe comment et surtout sur n’importe qui. Il ne différencie pas les bons des mauvais, les riches des pauvres, les femmes des hommes. Il pioche. Comme on pioche une carte pendant un tour de magie. Peut-être que c’est ça, d’ailleurs. Un tour de magie noire. Avec des gens à la place des cartes. Un jour c’est cet homme qui voit sa femme partir avec un autre. Le lendemain, cette vieille dame qui crache son dernier soupir sur un lit d’hôpital. Plus tard, il y aura sûrement ce couple criblé de dettes et de factures à payer s’entassant dans le tiroir de l’entrée. Puis le coup de fil de l’hôpital, celui qui vous annonce que votre frère s’est fait faucher par une voiture et qu’il est dans le coma. Nora, elle l’a reçu ce coup de fil. Et après, il y a eu le deuxième coup de fil. Le dernier, aussi. Votre frère est mort, mademoiselle. Toutes nos condoléances. C’est pour ça qu’elle, elle ne peut pas s’empêcher de se dire « plus que dix minutes et ça recommencera ». Les r’gards sur ses épaules dans les couloirs, les imprévus à chaque carrefour, et ce combat contre l’absence qui n’en finira sûrement jamais.  Elle s’rappelle qu’au début, avant l’accident de voiture de son frère, elle n’aimait pas spécialement les maths. Elle préférait regarder les nuages par la fenêtre, flâner dix mètres au dessus du sol. Depuis qu’il n’y a plus Lenny, elle trouve ça rassurant, les maths. Elle trouve ça rassurant parce que c’est la seule chose qu’elle connaisse qui ne laisse aucune place au destin et à sa connerie de magie noire. Alors elle a fini par les apprécier, ces cours de maths. Et aujourd’hui, elle ne flâne plus du tout dix mètres au dessus du sol en cours. De toute façon, même de là, elle n’entendrait pas les réponses de Lenny qui viennent du ciel, de bien plus haut, de tellement loin.
La sonnerie finit par retentir et elle observe tous ceux qui suivent le même cours qu’elle se hâter vers la sortie. Elle, au contraire, choisit de traîner. Elle met quinze plombes pour ranger ses affaires, enfiler son manteau, puis son écharpe. Et quand elle se rend compte qu’il n’y a plus qu’elle dans la salle, elle pose ses yeux sur l’encadrement de la porte et découvre le visage d’Evan qui lui sourit. Alors elle réalise qu’il y a sûrement encore un peu de bon dans les imprévus, et que s’il y en a qui donnent envie de se jeter d’un pont, il y en a aussi qui donnent envie de gravir des montagnes. « Salut la matheuse. » Elle plisse le nez, comme allergique à ce surnom. Il la surnomme souvent comme ça. Surtout depuis qu’il sait qu’elle le déteste, ce surnom. La matheuse. C’est l’étiquette qui lui colle à la peau depuis que tout le monde connait la gamine Osborne, celle qui passait inaperçue et dont on a remarqué la présence seulement à la mort de son frère. Depuis, elle est devenue la matheuse malheureuse et tant pis si malheureuse, elle ne l’est même pas. Tant pis si elle renfilerait volontiers son costume de fantôme pour marcher dans les couloirs sans entendre les gens murmurer sur son passage. « Ça te dit d'aller terroriser les passants ? » Elle arque un sourcil. Elle pensait qu’il passait juste lui dire bonjour pendant sa pause d’astrologie. Mais on dirait bien que non. Alors elle lui met un léger coup d’épaule pour le provoquer.   « Je rêve ou Evan Daniels s’apprête bien à sécher les cours pour passer un moment avec moi ?  » Elle lui sourit et l’entraîne avec elle. «Laisse-moi juste déposer ça à mon casier. » Elle désigne du menton les deux gros livres qu’elle tient contre sa poitrine. Elle est contente de le voir. C’est même plus que ça : elle est heureuse. Evan est ce type sur lequel on aimerait tomber au moins une fois dans sa vie. Celui qui tombe au bon moment, quand on s’y attend le moins et qu’on en a le plus besoin. Lui, il est entré dans la vie de Nora le jour de l’enterrement de son frère et depuis, il agit sur elle comme un pansement. Il la répare, tout doucement, il la répare chaque fois qu’il se met à rire, à lui apporter ses bonbons préférés, à l'embrasser, à essayer de danser sans savoir comment faire ou juste quand il l'appelle la matheuse. « Bon, on les traumatise ces passants ? » Elle referme la porte de son casier et se tourne vers Evan, un sourire de défi accroché aux lèvres. Glissant ses mains dans son dos, elle décroche le skateboard du sac de l'étudiant et le pose sur le sol, au centre du couloir. « Cap ? » demande-t-elle finalement en posant un premier pied sur la planche. Cap. Pas cap. Elle se fout de la réponse, en réalité. L'important, c'est ce qui se cache derrière la question, tout au fond, quand on creuse assez. Cap ou pas cap de rester avec moi ? Dis, Cap ?
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MessageSujet: Re: tant qu'on respire encore. (noran) tant qu'on respire encore. (noran) EmptySam 16 Nov - 23:45



On a jamais rien eu à envier aux amoureux. Jamais rien eu à envier aux aventureux, aux gens heureux, aux bien chanceux. Avec Nora, on est un peu tout ça en même temps. Tout ça, et bien plus encore. J'ai lu des tonnes de livres. Mais je n'ai jamais rien lu qui nous ressemblait. C'est pour ça que depuis que je connais Nora, je laisse mes livres trainer sur ma table de chevet. Parce que la seule histoire qui me transporte, c'est la nôtre. Ces rires, cette complicité, cette simplicité, ces baisers. Quand j'étais gosse, je détestais les épinards. Alors maman y ajoutait toujours une touche de crème. Et finalement, je les adorais. Nora, c'est ma crème à moi. Nora c'est la fille qui se pointe à l'enterrement de son frère en robe couleur corail et qui raconte des histoires drôles à propos de lui. Nora c'est celle qui fait rire les gens à un enterrement. Celle qui décrit un match de football américain avec tellement de passion qu'on en verrait presque les joueurs courir sous nos yeux. Et même quand je dois bosser mon astronomie, Nora c'est celle qui me motive et qui reste avec moi jusqu'à temps que je termine. Elle sait bien que j'aime pas ça, l'astronomie. Que mon truc à moi, c'est plutôt la pâtisserie. Et même si elle me pousse à faire ce que j'aime, faut croire qu'elle sait aussi me pousser à faire ce que j'aime pas. Elle est comme ça Nora. Et c'est comme ça que j'aime qu'elle soit. Imprévisible, surprenante, inéchangeable. Emmitouflée dans son manteau, elle a l'allure d'une petite chose fragile. Une petite chose fragile que l'on pourrait briser rien qu'en l'effleurant. Alors je ne peux m'empêcher de rire légèrement à son coup d'épaule. "Je rêve ou Evan Daniels s’apprête bien à sécher les cours pour passer un moment avec moi ?" Je plisse des yeux en souriant. "Tu ne rêves pas. Mais fais gaffe avec tes coups d'épaule, tu vas finir par te fissurer." Je lui lance alors un clin d'oeil taquin, et la laisse m'entrainer avec elle. "Laisse-moi juste déposer ça à mon casier." Je regarde les deux gros pavés qu'elle tient contre elle, et je me demande ce qu'ils peuvent bien renfermer. J'adore les livres. Les livres composés de mots. Ceux composés de chiffres, ça m'a toujours repoussé. Alors je grimace en me demandant comment quelqu'un a pu les écrire. Est-ce que leurs auteurs laissent une dédicace à l'intérieur eux aussi ? "À ma mère que je n'ai jamais vraiment connue à cause de l'écriture de cet infâme bouquin." Je regarde finalement Nora ouvrir son casier. Je les connais par coeur ces photos qui l'habitent. Quelques photos d'équipes de foot dont j'ai encore oublié le nom, une photo d'elle avec ses frères, une avec son grand-père et son père. Puis celle de nous le jour de sa première belle gamelle en skate. Je m'appuie sur le casier d'à côté, la regardant ranger ces immondes pavés. "Bon, on les traumatise ces passants ?" Nora referme son casier, alors je me décolle de celui qui me servait d'appui. "Tu les traumatises Nora, pas moi. Je sais encore aller où je veux avec ma planche à roulettes. Alors que toi, c'est plutôt elle qui t'emmène où elle veut." Un nouveau petit clin d'oeil taquin, et il y a finalement ce sourire naissant sur son visage de poupée. Ce sourire de défi. J'en avais presque oublié à quel point elle était imprévisible. Je la regarde s'emparer de mon skateboard, et le poser sur le sol. "Cap ?" Alors y'a dans les yeux de Nora la même étincelle qu'il y avait déjà sur la photo que m'a montré son grand-père il y a quelques jours. La photo de Nora le matin de Noël, dans son pyjama Iron Man alors qu'elle avait six ans. Et quand elle pose son premier pied sur la planche, par réflexe, j'attrape son bras. Je veux m'assurer qu'elle ne tombera pas. Qu'elle ne s'abîmera pas, la poupée. Je plonge finalement mon regard dans le sien, et lui lance un sourire malicieux. "Cap." Et comment que je suis cap Nora. Cap de traumatiser ces imbéciles d'étudiants qui te prennent encore pour la malheureuse qu'a perdu son frère. Viens, on va leur montrer que t'as rien d'une malheureuse. Que t'as rien non plus d'une skateuse, certes, mais là n'est pas la question. La question est de leur faire entendre ton rire, si fort qu'ils ne pourront l'oublier. Si fort qu'ils en arrêteront de te regarder avec toujours cette même pitié. Mais laisse moi seulement m'assurer que tu ne te tueras pas, tu veux ? Je lâche finalement Nora, sans la quitter des yeux, puis change mon sac à dos de place pour l'avoir sur le torse. Et alors, j'attrape Nora, et la soulève doucement. La jolie plume. Je la dépose sur mon dos, et la laisse enrouler ses bras autour de mon cou et ses jambes autour de ma taille. "Accroche toi, petite." Je la laisse resserrer son emprise, et grimpe sur la planche. Je prends un peu de vitesse, avant de poser mon second pied sur le skate. Et alors, je me mets à faire des cris d'indien. Des cris de comme quand on était gamins, avec Samson. À la conquête de l'ouest Nora. À la conquête des ignorants. Qu'ils se fassent à l'idée qu'y a encore de la vie accrochée à tes tripes. Et que même dans ce monde qui ne tourne pas rond, toi t'y mets un peu de gaieté. Comme on met de la crème dans les épinards.
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MessageSujet: Re: tant qu'on respire encore. (noran) tant qu'on respire encore. (noran) EmptyDim 1 Déc - 20:29



« Tu ne rêves pas. Mais fais gaffe avec tes coups d'épaule, tu vas finir par te fissurer. » Nora sourit et hausse les épaules. Fissurée, à en croire les regards des gens autour d’elle, c’est ce qu’elle est déjà. La plupart du temps, elle fait en sorte de ne pas y faire attention. Elle déambule dans les couloirs en évitant soigneusement les autres, les étudiants remplis de pitié à son égard, ceux qui l’ont balancée dans le bocal des gens désespérés. La plupart du temps, elle arrive à être cette fille qui s’est remise de la mort de son frère. Et puis parfois, elle s’accroche au regard de quelqu’un au détour d’un couloir et elle y voit tellement de conviction qu’elle finit par ne plus se souvenir du tout de la fille qui se remet de tout. Alors elle devient l’autre, celle que les ignorants adorent, la fille qu’on a amputée d’un frère.  Amputée. Elle le trouve dégueulasse, ce mot. A gerber. Elle trouve que c’est un mot qui n’aurait jamais dû exister. Mais faut bien inventer des sales mots qui collent à la peau pour parler d’toutes ces situations affreuses qui restent dans le crane jusqu’au dernier soupir.  Nora est amputée. D’un frère. D’un morceau d’elle. P’tet même du meilleur morceau d’elle. Un soir, elle était entière et le lendemain, c’en était fini de ce cœur qui bat correctement et de cette poitrine qui se soulève régulièrement. Elle s’est levée un matin avec un frère en moins. Et après ça, il a fallu tout réapprendre, comme un gosse qui n’connait encore rien de la vie. Il a fallu apprendre à mettre la table pour quatre au lieu de cinq, apprendre à ne plus faire le trajet à trois pour aller en cours, à ne plus se disputer pour la salle de bain, à ne plus s’endormir dans le mauvais lit les soirs de grandes déprimes. Il a surtout fallu se fabriquer de nouveaux souvenirs,  des moins douloureux, des qui finiront quand même par s’effacer, eux aussi, comme le visage de son frère, comme le son de sa voix ou la façon si particulièrement qu'il avait de remuer son corps chaque fois qu’il se mettait à rire. « C’est pas grave, d’être fissurée. L’important, c’est d’avoir des gens pour nous rafistoler. Des gens un peu comme toi. » Parce que si Nora s’est relevée, si elle a enlevé un par un les cailloux qui lui niquaient les genoux, c’est sûrement grâce à Evan. Evan qu’a atterri sur sa route le pire jour de sa vie et qu’a empêché tous les jours d’après d’être aussi laids que le jour de leur rencontre. Elle a réappris à se lever avec l’amputation de son frère. Elle a réappris la vie, celle qui prend aux tripes et même sa boîte à rire s’est remise à faire de la musique.   « Cap (…) Accroche-toi, petite. » Evan la soulève et l’installe sur son dos. Puis il grimpe sur son skate et prend de la vitesse en imitant les bruits des indiens. Il est comme ça, Evan. On croirait qu’il est tout droit sorti d’un film avec ses tatouages et sa gueule mi-gosse mi-homme. Il est comme ça. A se rendre ridicule juste pour la ranimer. Heureusement que lui, il ne l’oublie jamais, la fille qui se remet de tout. Heureusement qu’il est là pour lui rappeler à longueur d’journée qu’elle existe bien, cette nana qu’on croyait morte et qu’a ressuscité. « Plus vite, Nuage Rouge. Ils vont nous rattraper ! » Il accélère, elle a l’impression de voler et ça lui arrache un sourire, puis un fou rire. C’est vrai qu’il est fou, son rire qu’emmerde tous ceux qui les observent et les dévisagent. Elle se sent bien, là, dans l’instant, dans l’insouciance de leur histoire qui n’en est peut-être même pas une. Elle imite les indiens, elle aussi. Elle hurle dans les couloirs à s’en arracher les cordes vocales. Et, en secret, elle espère qu’ils comprendront. Qu’elle s’est réveillée, la gamine Osborne. Et que même s’il lui arrive d’avoir la tête dans les nuages pour être près de son frère, ses pieds, eux,  sont bien encrés dans le bitume de San Francisco. Une fois dehors, Evan ralentit puis s’arrête devant l’imposant escalier. Après avoir attrapé sa planche d’une main, il dévale les escaliers avec Nora sur son dos. Elle l’embrasse dans le cou, discrètement. Puis lorsqu’il la pose sur le sol, c’est comme un électrochoc en plein cœur et la culpabilité qui lui claque à la gueule. Alors elle fait la moue, Nora. Elle fait la moue parce qu’elle se sent bête, bête de se laisser aller comme ça à ce qui est interdit.   « On a été bête, pas vrai ? » Elle demande simplement, les bras ballants, comme un enfant qui se rend compte qu’il a fait une bêtise et qu’il risque de se faire gronder. Au fond, elle n’a pas besoin de sa réponse. Parce que la réponse, elle la connait. Elle la connait sur le bout des doigts, le bout de la langue. C’est un truc atroce qui court dans ses veines et dans sa tête. « On devrait éviter ce genre de choses, tu sais.  » Ce genre de choses. On devrait arrêter de se tenir la main, de montrer aux autres comme on est heureux. Et tant qu’on y est, Evan, on devrait arrêter de tomber amoureux à longueur de journée, tu crois pas ? Elle dit ce genre de choses pour ne pas dire à voix haute tout ce qui lui tort le cœur, pour ne pas avoir à faire à voix haute la liste de toutes ces choses qu’ils ne vivront jamais ensemble. « Emrys pourrait nous voir. Ou quelqu’un pourrait aller le trouver pour lui raconter.  » Elle fronce légèrement les sourcils, inquiète qu’il sache déjà tout. Et finit par se radoucir. S’il savait, nul doute qu’il serait déjà venu casser la gueule d’Evan. « Qu’est-ce qu’on fait, maintenant ?  » Elle est incapable de savoir quel est le sens de sa question, incapable de savoir c’qu’elle attend réellement à travers elle. P’tet qu’elle parle juste de cette journée. Ou p’tet qu’elle parle du reste de leur vie. Tout c’qu’elle sait, elle, c’est qu’on tombe jamais amoureux de la bonne personne.
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MessageSujet: Re: tant qu'on respire encore. (noran) tant qu'on respire encore. (noran) EmptyMar 3 Déc - 23:07



"C’est pas grave, d’être fissurée. L’important, c’est d’avoir des gens pour nous rafistoler. Des gens un peu comme toi." C'est facile de réparer un vase brisé. On ramasse les pièces une à une et on les met bout à bout. Bien sûr, y'a toujours les cicatrices, les fissures. Elles ne s'effacent pas. Elles restent. On pourrait les faire disparaître. Prendre un pinceau, un peu de peinture, et les dissimuler. Les masquer. On ne les verrait plus, mais elles seraient toujours là. Alors si Nora dit que je la rafistole, moi je sais qu'elle est toujours un peu brisée au fond. Qu'elle cache sa douleur sous des sourires. Qu'elle trompe le manque de Lenny avec nos je t'aime. Bien sûr qu'elle est sincère. Mais elle ne l'est que la moitié du temps. L'autre moitié, y'a tout qui lui revient. Tout qui lui ressaute au visage. Un peu comme un funambule qui ne se rendrait compte de son vertige qu'au milieu du parcours. Nora n'est heureuse que lorsqu'elle a le cerveau occupée par quelque chose. Lorsqu'elle oublie qu'elle a perdu un frère et qu'elle pourrait perdre le second en trainant avec moi. Alors à défaut de la rafistoler complètement, je l'occupe. Et je me fous du ridicule, je me fous de ce que les gens peuvent bien penser de nous. La seule chose qui m'importe c'est elle. Je veux qu'elle sache que le bonheur est à portée de main. Et qu'elle n'a qu'à la tendre pour le saisir, qu'elle n'a qu'à la tendre pour se remettre de tout ça. Sur ma planche à roulettes à faire l'indien avec Nora sur le dos, moi je me sens invincible. J'oublie tout. Mon cours d'astronomie, Emrys qui me voudrait mort d'avoir approché sa soeur, l'abandon de mon père, et même la mort de Samson. C'est comme si ma vie entière se jouait sur cet instant avec elle. Sur ces éclats de rire, et ces cris d'indiens. "Plus vite, Nuage Rouge. Ils vont nous rattraper !" Alors j'accélère. Ses désirs font désordre. J'esquive les étudiants assourdis par leurs écouteurs - les seuls à esquiver d'ailleurs car tous les autres nous entendent arriver de loin - et pousse la grande porte du bâtiment pour finalement arriver dehors. La main devant les yeux pour me protéger du soleil, je continue ma course folle. J'ai l'étrange sensation que l'horizon est sur notre chemin. Qu'il a cessé de fuir, et qu'il nous attend. Mais je veux pas le rattraper. Je sais que trop bien ce qui nous attend ensuite. La chute. Alors je ralentis. Et finalement, j'attrape mon skate sous le bras, et dévale les escaliers en gardant Nora sur mon dos. C'est alors que je sens ses lèvres dans mon cou. Je souris, trop heureux pour pouvoir le cacher. Et je la dépose enfin sur le sol. "On les a semé Fleur Sauvage, je crois qu'on est hors de danger." Mon index caresse le bout de son nez, mais il y a cette moue qui prend place sur son visage. Cette moue synonyme de mauvais présage. Peut-être n'aurais-je jamais dû arrêter de chasser l'horizon. Alors elle n'aurait pas cessé de rire, elle n'aurait pas cessé de jouer à l'indienne. Les jeux sont bien moins tragiques que la réalité. Les sourcils froncés mais le sourire toujours accroché aux lèvres, je plonge mon regard dans le sien. Et j'attends. J'attends qu'elle me dise ce qui cloche, même si je sais qu'au fond, c'est nous. "On a été bête, pas vrai ?" J'arque un sourcil. Je fais le surpris. Même si je ne le suis que très peu. Je sais où elle veut en venir. Je le savais avant même qu'elle ouvre la bouche. Mais je combats l'évidence et tente de continuer de sourire. Parce que si je n'y crois plus, comment pourrait-elle y croire elle aussi ? Je ne réponds rien pour l'instant, j'attends qu'elle continue. Nora aux bras ballants. "On devrait éviter ce genre de choses, tu sais." Éviter quoi ? D'être nous-même ? Les lèvres pincées, je retiens difficilement mon soupir. "Emrys pourrait nous voir. Ou quelqu’un pourrait aller le trouver pour lui raconter." Pour beaucoup, c'est une histoire de religion. Pour nous, c'est une histoire de billes. Une histoire de gosses. Nora fronce les sourcils. Ça saute aux yeux qu'elle s'inquiète de perdre son frère. Plus qu'elle ne s'inquiétera jamais de me perdre. De nous perdre. "Qu’est-ce qu’on fait, maintenant ?" Je ne sais pas quoi lui répondre. Mon skate toujours sous le bras, je le laisse finalement retomber au sol. "Y'a des gens qui crèvent de faim Nora, des gens qu'ont pas de toit pour dormir. Y'en a même qu'on dû enterrer leur gosse, leur frère, leur meilleur ami. Des gens comme ton père. Des gens comme toi. Des gens comme moi." Je m'arrête un instant, et je finis par baisser la tête. Les bras ballants moi aussi. Parce que je sais que je m'engage dans une bataille perdue d'avance. "Mais y'a pas la moitié de ces gens qui retrouvera ne serait-ce qu'une once de bonheur. Alors qui sommes-nous pour refuser ce que d'autres ne connaitront jamais plus ?" Je relève les yeux vers Nora, et l'interroge du regard. L'horizon est à nos pieds. Un pas, et nous tombons. Mais chacun d'un côté différent. Parce que c'est ainsi. Parce que si on saute toutes les péripéties et qu'on s'attaque à la dernière page de notre histoire, c'est ce qu'il y aura d'écrit. J'ai lu un tas de bouquins. Mais c'est la vie qui écrit les plus belles tragédies. J'hausse finalement les épaules. "Je sais pas ce qu'on fait Nora." Je sais pas non, mais le pire c'est que tout le monde sait. Tout le monde, même nous Nora. Qu'on est pas fait pour s'aimer. Imagine qu'une hirondelle tombe amoureuse d'un poisson clown. Emrys est l'élément qui nous sépare. L'élément qui nous tuera. Qui nous tue déjà. Je m'assieds sur mon skate, et lève la tête vers Nora. Je tapote alors sur mes genoux, l'invitant à y prendre place. "Est-ce qu'on est obligé d'y réfléchir tout de suite ? Je sèche ma première heure de cours pour toi je te rappelle. Tu pourrais peut-être tout simplement t'en contenter, au lieu d'essayer de nous ruiner le moral." Lâcher prise. Se laisser aller. S'évader.

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MessageSujet: Re: tant qu'on respire encore. (noran) tant qu'on respire encore. (noran) EmptyDim 8 Déc - 20:58



Ils ont fini de jouer. De toute façon, ils ne durent jamais bien longtemps, leurs jeux. Ce ne sont toujours que des parenthèses, des soupirs entre deux accords, un peu de calme avant la tempête. Parait qu’ils ont pas le droit de jouer ensemble, parait qu’c’est interdit, parait qu’c’est immoral vis-à-vis d’Emrys, et p’tet même vis-à-vis de Lenny qu’a plus son mot à dire depuis qu’on l’a suspendu au ciel. C’est dommage, parce que Nora et Evan, ils aiment bien ça, jouer. Ils jouent aux indiens, aux poètes, aux cartes, à la baston, au skate. Ils jouent à se chamailler, à s’marrer puis surtout, ils jouent à s’aimer. C’est le jeu qu’ils préfèrent. Le problème, c’est que c’est aussi le jeu qui leur fait le plus de mal. Parce qu’ils perdent toujours. Parce que y’a qu’des cases prison ou retour à la case départ. Et puis parce que y’a trop de règles. Pas le droit de s’embrasser devant les autres. Pas le droit de rire en même temps. Pas le droit de se tenir par la main dans les couloirs. Pas le droit de faire comme tous les autres autour d’eux, ceux qu’ont le droit d’gerber leur amour du matin jusqu’au soir, ceux qu’ont l’air bien plus heureux qu’eux. Alors p’tet qu’au fond, c’est le jeu qui leur convient pas. P’tet qu’il n’est pas fait pour eux. P’tet qu’ils devraient changer d’jeu, en essayer un autre, s’entraîner à ne plus s’aimer pui à s’ignorer. « Y'a des gens qui crèvent de faim Nora, des gens qu'ont pas de toit pour dormir. Y'en a même qu'on dû enterrer leur gosse, leur frère, leur meilleur ami. Des gens comme ton père. Des gens comme toi. Des gens comme moi. » Il s’arrête mais elle ne répond pas tout de suite. Nora attend la suite. La conclusion. Parce qu’elle sait qu’il n’a pas terminé, qu’il manque une phrase, peut-être même deux. Qu’il manque l’essentiel.   « Mais y'a pas la moitié de ces gens qui retrouvera ne serait-ce qu'une once de bonheur. Alors qui sommes-nous pour refuser ce que d'autres ne connaitront jamais plus ? » Nora ferme ses paupières un instant. Comme elle aimerait le croire. Comme elle aimerait boire ses paroles et ne pas les recracher. Les garder en elle pour toujours sans pour autant qu’elles ne lui broient l’estomac. Ils n’ont pas le droit de foutre leur bonheur à la poubelle. Le problème, c’est qu’ils n’ont pas le droit non plus de piétiner l’once de bonheur qui pourrait renaître chez les autres. Chez Emrys, surtout.  Elle imagine le cœur de son frère rater un battement chaque fois qu’il les verrait s’embrasser, se dévorer des yeux ou juste se sourire. Elle imagine son frère qui ne se débarrasserait jamais de ce chagrin qui lui colle à la peau et ça lui fait mal. C’est pire qu’une gifle dans la gueule, pire qu’un parpaing sur les pieds. Chaque fois qu’elle a ces images plein la tête, elle a l’impression que quelque chose s’éteint en elle. Quelque chose que rien ni personne ne pourra lui ramener. Même pas Evan.   « Et qui sommes-nous pour priver les autres de leur bonheur en étant égoïstes ? »  Son ton n’est pas froid, ni cynique ou méchant. Elle pose cette question comme elle pourrait demander s’il fait beau dehors. Elle est comme ça, Nora. C’est cette fille qui a de la douceur plein les veines, cette fille qui ne peut pas s’empêcher de glisser sa main sur le bras d’Evan, comme pour le rassurer. Et tant pis si c’est mal, tant pis si ça fait partie de la longue liste des choses interdites entre eux. Ils sont tous les deux perdus. Paumés. Enterrés sous des milliers de questions auxquelles il n’y a qu’une seule réponse : non. Alors heureusement qu’il y a Evan et sa philosophie de vie, Evan qui a appris à ne prendre que le meilleur et à laisser le reste partir avec le vent. Et revenir plus tard, avec les bourrasques et les tornades. « Est-ce qu'on est obligé d'y réfléchir tout de suite ? Je sèche ma première heure de cours pour toi je te rappelle. Tu pourrais peut-être tout simplement t'en contenter, au lieu d'essayer de nous ruiner le moral. » Une nouvelle fois, Nora fait la moue. Elle observe d’un œil critique ses genoux qu’il tapote des mains, comme pour l’inviter à s’y installer. « Evan… » Elle soupire et finit par s’asseoir sur le skate, avec lui, incapable de résister à sa proposition. Après tout, c’est aussi ce que deux amis pourraient faire. « Je suis désolée, d’accord ? » Silence. « Je n’ai pas envie de ruiner ton moral. » murmure-t-elle en plissant le nez. Elle, elle a plutôt envie d’être sa vitamine, son moteur, les piles de sa machine à rires. Elle caresse une nouvelle fois son bras, discrètement, en jetant des regards autour d’elle pour être certaine que personne n’ira répéter ça à son frère. « Est-ce que tu es heureux, dis ? » C’est une question qui lui trotte dans la tête régulièrement. Comme un générique de film. Elle se demande s’il arrive à trouver un peu de joie au milieu d’eux deux, s’il est bien, comme ça, dans l’engourdissement de leur histoire. C’est une question à laquelle, elle, ne trouve jamais de bonne réponse. Parfois oui, parfois non. La plupart du temps, un peu des deux.
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MessageSujet: Re: tant qu'on respire encore. (noran) tant qu'on respire encore. (noran) EmptyLun 23 Déc - 16:49



"Et qui sommes-nous pour priver les autres de leur bonheur en étant égoïstes ?" Il y a sa main qui caresse mon bras. Et moi qui ne sais pas quoi lui répondre. Je serre le poing, en espérant qu'elle ne s'en rendra pas compte. Comment garder mon optimiste quand tout semble sans espoir ? Quand rien ne semble être de nôtre côté ? Car de toute évidence, c'est bien de cela qu'il s'agit. J'ai l'impression que nous sommes atteints d'une maladie incurable, tous les deux, ensemble. Et que je dois la rassurer. Et que je dois garder espoir. Mais j'ai peur de ne plus y arriver. J'ai peur que la réalité nous rattrape. Je ne peux plus me mentir, je ne peux plus lui mentir. C'est fini. J'ai toujours su que je n'étais pas le genre de gars à tenir la main à un condamné à mort en lui disant qu'il va s'en sortir. Nous sommes condamnés Nora, ne le vois-tu pas ? Il n'y a que nos jeux qui nous sont favorables. Mais ce ne sont que des jeux. Il est temps d'ouvrir les yeux, ne crois-tu pas ? Je laisse échapper un soupir. De toute façon, ce n'est pas nous les égoïstes. C'est Emrys. C'est lui qui nous prive de notre bonheur. Je ne suis en rien responsable de la mort de son frère. Nos seuls différents sont ceux que j'ai laissé dans la cour de récréation. Mais pas lui non. Pas Emrys. Emrys les a toujours au fond de sa poche. Emrys n'a jamais grandi. Je me suis toujours demandé comment une fille comme Nora pouvait avoir un frère comme lui. La question de la petite restera finalement sans réponse. Le silence, ou la colère. Ça sera le silence. Je chasse la colère à chaque fois qu'elle croise mon chemin. Mais je sais bien qu'elle finira par me heurter un jour ou l'autre. Peut-être trop tôt. Peut-être trop tard. "Evan…" Nora finit par s'asseoir à mes côtés. Je regarde droit devant, l'air pensif. Il y a des amoureux qui se courent après, un peu plus loin. Qu'ont-ils de plus que nous Nora ? Rien, rien du tout. Tu vois, le truc c'est que je suis même convaincu que c'est nous qu'avons tout de plus qu'eux. Je suis sûr qu'ils ne s'aimeront jamais autant que nous nous aimons. "Je suis désolée, d’accord ?" Je baisse finalement la tête. Je ne sais pas de quoi elle peut être désolée. Elle n'y est pour rien. C'est peut-être de ma faute, au fond. Peut-être que j'aurais jamais dû laisser son frère m'insulter sans ne rien lui répondre. Peut-être que j'aurais dû me battre avec lui, le haïr pour de bon. Ne jamais me pointer à l'enterrement de Lenny. Et ne jamais l'avoir vue ce jour-là. Ne jamais t'avoir rencontrée Nora. "Je n’ai pas envie de ruiner ton moral." Son murmure est à peine audible. Et c'est bien ça le problème, au fond. Tout ce que nous nous disons est à peine audible. Tout ce que nous faisons est à peine visible. Nous ne sommes que l'ombre de ce que nous devrions être. Et nous ne serons jamais rien de plus que cela. À nouveau, Nora caresse mon bras. Alors je pose mon regard sur son visage. "Est-ce que tu es heureux, dis ?" Pourquoi poses-tu ce genre de questions Nora ? Je suis pourtant sûr que t'avais compris que le père Noël n'était qu'un mensonge avant même que tes frères ne te révèlent la vérité. Alors pourquoi ? Pourquoi faut-il que tu nous confrontes à la réalité quand l'illusion nous allait si bien ? Je sors finalement mon paquet de clopes de ma poche, en attrape une et la dépose au bout de mes lèvres. Je détourne mon regard vers l'horizon, et allume ma cigarette. Puis je me relève du skate et fais quelques pas en avant. Je n'ai jamais aimé mentir. Même pour la préserver. Pourtant c'est ce que je fais. Jour après jour. C'est ce que je fais à chacun de mes sourires. Ce que je fais à chaque fois que je lui dis "c'est une belle journée, tu ne trouves pas ?". Il n'y a pas de belles journées pour nous. Il n'y en aura jamais. Je tire une latte de ma cigarette, en recrache la fumée, et me retourne vers elle. "Je crois que je prétends simplement l'être, mais que je ne l'ai jamais vraiment été." Je me tais un instant, et m'agenouille devant elle. "Tu es heureuse toi Nora ? Hein ? Ça te rend heureuse de faire semblant ?" Je l'interroge du regard, presque méchamment, et attrape à nouveau ma cigarette entre mes lèvres. Puis je ferme les yeux. Je n'aurais pas dû craquer. Lui répondre ça. Je suis sensé lui faire croire au bonheur. Je suis sensé l'inciter à garder espoir. Toujours agenouillé devant elle, je baisse la tête pour recracher mon nuage de fumée. "Je suis désolé." Je me laisse tomber sur le sol, me retrouvant sur les fesses, et plonge mon regard dans celui de Nora. "Bien sûr que je suis heureux." Sourire. Mentir.
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MessageSujet: Re: tant qu'on respire encore. (noran) tant qu'on respire encore. (noran) EmptyVen 27 Déc - 17:37



On dit qu'il faut se quitter souvent pour s'aimer toujours. Si c'est vrai, alors Nora et Evan ne s'aimeront pas bien longtemps. Ils s'aimeront encore un peu, quelques jours, quelques mois peut-être, et puis l'amour passera, tout ça parce qu'on ne leur aura pas laisser la chance de se trouver rien qu'une fois, de se quitter derrière, rien qu'une fois encore.  Leur amour a la gueule d'un cancer, d'une tumeur, d'un truc incurable dont on ne se remet pas. Parait qu'ils vont devoir apprendre à vivre comme ça, dans l'ombre, dans les murmures, dans les frôlements. Paraît qu'ils vont devoir se contenter du peu qu'ils ont déjà, de ce presque rien qui prend pourtant tellement de place en eux. Comme des cellules cancéreuses. Des cellules infectées, bouffées, sur la voie de la crevaison. Certains jours, il y a ces baisers et caresses à l'allure de chimiothérapie. Ces jours-là, il leur arrive même de dénicher un peu d'espoir. Puis ils se retrouvent à nouveau dans la rue et l'espoir est happé par la réalité. Cette réalité dégueulasse dans laquelle le cancer progresse, gagne du terrain. Jusqu'au jour où ils crèveront de s'être trop aimés. Trop. Mais trop mal. « Je crois que je prétends simplement l’être, mais que je ne l'ai jamais vraiment été. » Elle le regarde tirer sur sa clope et elle a l'impression que c'est leur histoire qu'il s'imagine fumer, leur histoire qu'il veut voir en cendres. Il regarde l'horizon, debout devant elle, et elle devine ce qui lui traverse l'esprit. A quoi bon ? La réponse d'Evan lui compresse le cœur. On dirait un torchon qu'on essore jusqu'à ce qu'il soit tout vide et raplapla. Un torchon qui finit tout serré, tout mouillé, tout abîmé. Evan n'est pas heureux. Evan fait juste semblant. Sûrement pour ne pas la blesser. Sûrement pour la protéger, la gamine qu'a perdu son frère et qui pue le malheur. « Tu es heureuse toi Nora ? Hein ? Ça te rend heureuse de faire semblant ? » Il est agenouillé devant elle avec ce regard noir qu'elle ne lui connaît pas. Il n'a pas ses mains sur elle et pourtant, c'est comme s'il la secouait tout entière. Comme si, après avoir essoré son cœur torchon, il le dépliait pour le secouer au vent. Elle oublie presque qu'il lui a retourné la question, que lui aussi, veut savoir. Si ça la rend heureuse, toutes ces habitudes qui n'en sont pas vraiment, tous ces sourires teintés de gris, tout cet amour cancéreux. Elle redevient une gamine Nora, devant ces deux pupilles qui transpirent la rage. Elle redevient une gamine qu'a la lèvre tremblante parce qu'on l'a grondée. Elle a fait une bêtise. Peut-être même qu'elle en a fait des dizaines. En le laissant assister à l'enterrement de Lenny contre le gré d'Emrys. En le laissant s'intéresser à elle, lui qui n'y avait jamais fait gaffe avant de la voir en robe. En l'embrassant une première. Puis une deuxième et tant d'autres encore. En étant avec lui, là, maintenant, ici.   « Je suis désolé. » Silence.   « Bien sûr que je suis heureux. » Elle déteste le sourire qu'il lui offre, après ça. Ce sourire est une connerie. C'est con, parce que c'est aussi ce sourire qui lui fait réaliser que la réponse à sa question, elle l'a. Elle traîne ici et là, entre ses deux poumons, dans son intestin grêle, au fond de ses entrailles. « Je pensais valoir un peu plus que des mensonges Evan. Je ne suis pas que cette matheuse qui a perdu son frère. Et je n'ai pas besoin qu'on me protège. » Ses mots glissent dans l'air, comme ça. Elle adopte ce ton détaché qui lui va si mal, elle qu'a l'habitude de parler de tout et de rien avec passion. Assise sur le skate, elle s'aide de ses pieds pour le faire rouler en arrière, un peu plus loin de lui. Pour la première fois depuis leur rencontre, Evan l’oppresse.   « Quand Lenny est mort, j'ai cru que j'allais rester à trois quart crevée avec lui. Mais j'avais tort. La vie est plus forte que ça. On aimerait ne pas s'en remettre, on flippe parce que la vie devient tout à coup effrayante. Puis on s'en remet quand même. On s'en remet toujours. Ça prend du temps et il me faudra sûrement encore des années pour ne plus avoir sa mort au fond du crâne à longueur de temps. Mais du temps, paraît qu'on en a tous, paraît qu'on en a trop. » Elle s'arrête. Jette un coup d’œil au ciel. Sa dernière phrase n'est pas tout à fait vraie mais qu'importe. « Alors tu sais quoi ? Je pense être heureuse, oui. Heureuse de ne plus considérer le réveil comme un calvaire tout ça parce que je sais que je vais te voir. Heureuse chaque fois que j'ouvre mon casier pour tomber sur cette photo de nous. C'est pas constant, ça part et ça revient. Mais quelque part, je crois que ça me suffit.  » Ca lui suffit parce qu'elle est consciente qu'elle revient de loin, qu'elle revient de ces longues nuits de cauchemar et de ces journées au goût d'enfer. Qu'elle revient de là-haut, qu'elle revient de la mort, par procuration. « Je crois que je vais y aller. Je n'ai pas envie de traîner avec quelqu'un qui me ment. » Nora, dans ces moments-là, elle aimerait que son amour pour lui ait la gueule de rhume plutôt que celle du cancer. Un rhume qu'on attrape, comme ça, au coin d'une rue, au magasin, en cours. Un rhume qui s'en va de la même manière, tout simplement, sans laisser de marques au corps et de bleus au coeur.

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MessageSujet: Re: tant qu'on respire encore. (noran) tant qu'on respire encore. (noran) EmptyVen 3 Jan - 15:59



Y'en a qui sont faits pour vieillir ensemble. Et même pour pourrir ensemble. Mais nous, nous sommes faits pour finir en cendre. Et le feu nous consume déjà. Nous résistons, mais à quoi bon ? Et pour combien de temps ? C'est tellement clair. Que nous finirons chacun de notre côté. Avec quelqu'un d'autre. Et le pire, c'est qu'on sera peut-être même un peu heureux. Et même si c'est rien qu'un peu, c'est déjà trop. Parce que tout le monde l'a compris. Tout le monde le sait. Nora et Evan sont deux prénoms que l'on pourrait graver sur un tronc d'arbre. Mais cela n'arrivera jamais. "Je pensais valoir un peu plus que des mensonges Evan. Je ne suis pas que cette matheuse qui a perdu son frère. Et je n'ai pas besoin qu'on me protège." Nora emploie ce ton détaché qui ne lui va que trop mal. Elle d'ordinaire si tendre et fragile. Toujours assis par terre, la cigarette au bord des lèvres, je la regarde s'éloigner. "Quand Lenny est mort, j'ai cru que j'allais rester à trois quart crevée avec lui. Mais j'avais tort. La vie est plus forte que ça. On aimerait ne pas s'en remettre, on flippe parce que la vie devient tout à coup effrayante. Puis on s'en remet quand même. On s'en remet toujours. Ça prend du temps et il me faudra sûrement encore des années pour ne plus avoir sa mort au fond du crâne à longueur de temps. Mais du temps, paraît qu'on en a tous, paraît qu'on en a trop." Je la regarde déballer son discours en restant muet, savourant la saveur de ma clope et le goût amer des paroles de Nora. "Alors tu sais quoi ? Je pense être heureuse, oui. Heureuse de ne plus considérer le réveil comme un calvaire tout ça parce que je sais que je vais te voir. Heureuse chaque fois que j'ouvre mon casier pour tomber sur cette photo de nous. C'est pas constant, ça part et ça revient. Mais quelque part, je crois que ça me suffit." Bien sûr que Nora a perdu son frère. Bien sûr qu'elle revient de loin. Que sa moitié est au ciel. Je ne saurais jamais ce que ça fait. Combien de temps il m'aurait fallu pour m'en remettre. Peut-être même que je m'en serais jamais remis. Que je n'aurais jamais été capable d'affirmer ce qu'elle vient d'affirmer. Elle pense être heureuse. Heureuse de me voir. Je balance ma clope par terre et l'écrase avec mon talon, même si elle n'est qu'à moitié terminée. Puis je me demande si au fond, c'est pas un comme ce que nous sommes, et ce que nous serons toujours. Une clope à moitié terminée. Une histoire à moitié consumée. Un arbre sur lequel on aura jamais rien gravé. "Je crois que je vais y aller. Je n'ai pas envie de traîner avec quelqu'un qui me ment." Je la regarde. Me dire qu'elle va s'en aller. Je ne bouge pas, la laisse se lever, et commencer à partir. C'est comme ça que ça va finir. Si c'est pas maintenant, alors ça sera bientôt. Je me relève finalement, et me mets à trottiner pour arriver à sa hauteur. Alors je l'attrape par le poignet, et la force à se retourner. "Tu te mens autant que je te mens Nora. Quand tu caresses mon bras. Même quand tu me souris. C'est nous le mensonge, tu comprends pas ?" Je plonge mon regard dans le sien, et me tais un instant. La vérité, c'est que j'ai jamais su quoi faire. Je l'attends à la sortie des cours, je lui apprends à faire du skate, j'essaie de la faire sourire. Mais ça ne rime à rien. Nous sommes plongés dans une réalité parallèle, dans un coma artificiel. On se retrouve tous les deux, et on se met à faire des jeux. Puis on se sépare, et c'est le retour à la réalité. Et c'est le retour à la vie réelle. Alors y'a tout qui nous rattrape. Au début, j'étais assez naïf pour espérer finir marié avec elle. Mais j'ai vite compris que ce n'était qu'un vulgaire mirage. Qu'yaura jamais de Nora Daniels, et de bambins avec ses yeux et mon sourire. Je passe finalement une main dans mes cheveux, avant de reprendre. "Trainer avec toi Nora, c'est comme rouler sur l'autoroute en sens inverse. C'est prendre le risque de se prendre une bagnole dans la gueule, mais continuer quand même parce que ça vaut le coup. C'est bien plus fort que de l'adrénaline, c'est juste la sensation d'être vivant. Je veux dire, vraiment vivant. C'est ce que tu me fais Nora. Avec toi, je me sens vivant." Je lâche un soupir, et libère son poignet de mon emprise. "Mais t'as raison, tu ferais mieux d'y aller. Parce qu'on sait très bien tous les deux que c'est Emrys qu'on va se prendre dans la gueule." Je fais un pas en arrière, puis deux, et trois. Et je m'arrête là. Mon regard plongé dans le sien. Quelque part, je voudrais qu'elle me saute au cou. Qu'elle me dise qu'on affrontera ça ensemble, tous les deux. Et que si Emrys était moins con, il nous laisserait nous aimer. En vérité Nora, nous savons tous les deux que nous pourrons jamais nous aimer. Nous n'avons pas le choix, aucune option possible. Faut s'oublier.
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