"Rendez-vous à 17h, sous le vieux pin." J'ai lu son texto toute la nuit. À la recherche d'un message caché entre les lignes. D'une indication quelconque. Mais je n'ai rien trouvé. Rien d'autre que ce sentiment de neutralité digne d'un message automatique. "Votre commande a bien été enregistrée. Merci de votre confiance." Peut-être que Nora a téléchargé un système qui lui permet d'envoyer des textos de manière automatique. Un truc pour les gens à qui elle sait pas trop quoi dire, ni même comment le dire. Un truc qu'aurait été fait pour les gens typiquement comme nous. Ceux qui ne se sont pas parlés depuis plusieurs semaines. Qui s'aiment et s'aimeront certainement toujours, mais ne pourront jamais être ensemble. En somme, ceux qui sont condamnés à se voir en pleine forêt pour éviter les regards. Le vieux pin. On y allait régulièrement, avant. Avant que tout ne s'arrête parce qu'enfin, on avait ouvert les yeux. Parce qu'enfin, on avait arrêté d'être naïfs, et et qu'on s'était rendu compte qu'on marchait à contre-sens depuis le début. Sauf que maintenant, on a arrêté de marcher ensemble. De rire ensemble. De s'aimer ensemble. Pourtant, elle m'a donné rendez-vous. Et je sais pas vraiment ce que ça veut dire. Je sais pas à quoi m'attendre. Je lis une dernière fois son message (toujours rien entre les lignes), vérifie que le numéro enregistré sous son nom est bien le sien dans mon répertoire. Mais tout semble correct. Nora m'a donné rendez-vous. Je me le répète une nouvelle fois. Nora m'a donné rendez-vous. Et quelque part au fond de moi, là où rien n'est sous mon contrôle, je sens naître un espoir. L'espoir que peut-être, Nora aurait envie de se battre pour nous, elle aussi. Parce que moi, j'en ai toujours eu envie. Sauf que je ne peux pas mener cette bataille tout seul, sans elle. Cette bataille contre Emrys, son frère. Je n'ai jamais voulu qu'il me déteste. Tout comme je n'ai jamais voulu ruiner sa relation avec sa soeur. Je voudrais seulement qu'il fasse un effort. Qu'il grandisse. Qu'il arrête de se mêler de ce qui ne le regarde pas. Mais j'oublie Emrys. Penser à lui me met en colère. Je pense à Nora, et à ce rendez-vous. Comment suis-je sensé m'habiller ? Je ne me suis jamais posé cette question, mais aujourd'hui me semble être un jour décisif. Comme si rien ne devait être laissé au hasard. Alors j'enfile la tenue qu'elle aimait que je porte. Et je suis prêt. Physiquement prêt en tout cas. C'était le plus facile. Me reste plus que tout le reste maintenant. Me préparer à la revoir. Et à ce qu'elle pourrait me dire, même si je reste intimement convaincu que ça sera quelque chose de positif. Quelque chose qui vaudra le coup. Je ne me prépare pas à l'inverse. Je quitte finalement l'appartement, attrape mon vélo, et me mets en route. Le chemin me semble plus rapide que d'habitude. Peut-être à cause de l'appréhension. J'arrive à la lisière de la forêt, et entame ce slalom entre les arbres que je connais par coeur. On le faisait si souvent. Nora assise derrière moi, les mains sur mes yeux et me guidant en riant. J'esquisse un sourire nostalgique. Au bout d'une ou deux minutes, je vois la silhouette de Nora se dessiner. Elle est déjà là, plantée sous le vieux pin. Je me sens alors tendu, mais je me dis que ça passera bientôt. Elle me dira bientôt qu'on va s'en sortir, et alors tout ira mieux. Tout redeviendra comme avant. Je descends de mon vélo une fois devant elle et le pose contre l'arbre voisin. Je sais pas trop quoi faire, quoi dire. Alors je souris légèrement. "Salut." Je plonge mon regard dans le sien, attendant nerveusement qu'elle prenne la parole et qu'elle nous libère enfin. Mais avant de lui laisser dire quoi que ce soit, je montre mon vélo d'un signe de tête. "Je me suis dit que tu aimerais peut-être partir à la chasse. Comme avant." Avant, Nora et moi on partait à la chasse. À la chasse aux papillons, aux champignons, et même une fois à la chasse aux elfes. C'était un de nos nombreux jeux. Des jeux pour s'évader de cette réalité un peu trop morose. Mais aujourd'hui, je crois qu'on devrait partir à la chasse de nous. Oui, il faut qu'on se retrouve. C'est pour ça qu'on est là. Hein Nora ?
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Sujet: Re: let's hunt the ghosts of us. (noran) Lun 12 Mai - 17:15
Nora, elle n'a jamais vraiment bien aimé ce qu'on raconte dans les livres. Elle a essayé, pourtant. Elle a lu des tonnes de livres, des petits, des gros, des avec des couvertures en carton et d'autres avec des couvertures en cuir, des grands, des tout fins. Y'en a qu'elle a achetés, d'autres qu'elle a lus à la bibliothèque et certains qu'Evan lui a racontés. Mais elle n'est jamais tombée amoureuse d'un héros, d'une histoire ou d'un aveu. A chaque fois, les mots ont glissé sur elle, comme de la pluie, mais elle, elle est restée imperméable à eux. Parce qu'elle aime les choses vraies, Nora, les choses qui sortent des tripes, qu'on raconte dans l'instant parce qu'on est fâché ou tellement amoureux qu'on a la sensation que notre coeur va éclater dedans nous. Dans les livres, on lit partout qu'on ne se remet pas de la mort d'un proche ou que lorsqu'on aime quelqu'un, on pense à lui à chaque seconde. Mais ce sont des conneries, tout ça. Parce que c'est pas ça, la vie. C'est pas aussi noir, aussi rose ou aussi bleu. La vie, c'est des tâches de couleur un peu partout, des jolies, des moins belles, des qu'on aimerait repeindre et d'autres qui s'effacent d'elles-mêmes, avec le temps. Dans la vraie vie, on fait le deuil de quelqu'un qu'on aurait suivi jusqu'au bout même si on en a pas envie et on oublie toujours un peu celui qu'on aime. Alors même Evan s'estompe. Ca fait plusieurs semaines, maintenant. Plusieurs semaines qu'elle se lève chaque matin avec un détail de lui en moins. Elle ne se rappelle plus très bien de la forme de sa fossette quand il sourit ni de son front qui se plisse lorsqu'il est énervé contre elle. Et il reste si peu de son parfum, de son rire et du timbre exact de sa voix. Celui qu'elle aime disparaît, peu à peu. On dirait du brouillard, du brouillard qui la suit partout et l'empêche de voir le monde correctement. Et ça la fait flipper, elle, tout ce brouillard dans lequel elle se prend les pieds, les mains, les pointes de cheveux et les poumons. Elle préfèrerait se souvenir de lui parfaitement ou ne plus s'en souvenir du tout. Parce qu'elle trouve ça trop triste, ces détails qu'elle perd chaque fois qu'elle fout le nez dehors, elle trouve ça trop triste d'aimer toujours aussi fort, mais d'oublier peu à peu les raisons de cet amour bancal. Elle aimerait l'oublier tout d'un coup. Mais comme elle sait que c'est pas possible, comme elle sait qu'elle gardera des morceaux de lui scotchés en elle encore des années, p'tet même toute sa vie, elle a préféré lui donner rendez-vous pour se rappeler à nouveau, pour raviver tous les détails et la douleur en elle, celle qui l'empêche d'être complètement heureuse quand il fait beau dehors, celle qui l'empêche de rire trop longtemps ou de danser avec un autre homme. Evan va arriver d'une minute à l'autre, et on croirait qu'elle ne vit plus que pour ça : pour qu'il la balafre de souvenirs, de griffures de lui. Pour qu'il la balafre d'adieux, jusqu'à la prochaine fois. "Salut." Elle ne se tourne pas tout de suite vers lui, ferme les yeux et griffonne le son de sa voix en elle. "Je me suis dit que tu aimerais peut-être partir à la chasse. Comme avant." Se retournant enfin, Nora jette un coup d'oeil au vélo qu'il vient de lui désigner du menton. Et plonge son regard dans le sien. Comme avant. C'est ce à quoi ils ressemblent, désormais. Ils ressemblent à comme avant, comme quand ils se pensaient suffisamment forts pour affronter tout ça, comme quand ils ne se disputaient pas encore pour rien, et surtout pour tout. Comme avant. C'était bête, de lui donner rendez-vous pour ça, Nora s'en rend compte seulement maintenant. C'était bête parce qu'ils ont l'air de deux cons qui veulent être comme avant mais qui ne le seront jamais plus. Parce que s'il y a des choses dont on se remet, y'en a aussi dont on ne se remet jamais complètement. Y'a eu trop de disputes, entre eux. Trop de mots durs. Trop de vent et trop d'absence. « Je ne t'ai pas donné rendez-vous ici pour partir à la chasse Evan… Je suis désolée si je t'ai laissé penser que… » Elle hoche la tête brièvement, de gauche à droite, incapable de poursuivre. Qu'est-ce que cela changerait, de toute façon ? Peu importe combien elle essaierait, il y aurait toujours Evan qui souffre d'eux à la fin. « Je suis venue te rapporter ça. » Elle lui tend deux livres qui lui appartiennent et retire rapidement sa main avant qu'il n'ait le temps de l'effleurer. Il lui fait peur, Evan. Il lui fait peur chaque fois qu'il l'effleure, chaque fois qu'il l'embrasse, chaque fois qu'il pose ses yeux sur sa nuque ou sur l'arrête de son nez. Il lui fait peur parce qu'à chaque fois qu'il est dans les parages, Nora retombe amoureuse. Et qu'à chaque fois qu'elle retombe amoureuse, elle sait que ça signifie aussi qu'elle retombera bientôt malheureuse, boiteuse, cancéreuse. « Je les ai lus. C'est drôle, mais j'ai toujours su que tu aimais ce genre d'histoires. Je les ai trouvés tristes, moi, tes livres. Tristes de mensonges. » Un peu comme nous, Evan. Tristes de mensonges. Et de toutes ces bêtises qu'on ne se dira plus.
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Sujet: Re: let's hunt the ghosts of us. (noran) Dim 13 Juil - 10:36
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