C'était une bonne journée - Ezra Rosewood en fut persuadé à la minute où il avait entrouvert un œil turquoise et endormi sous les caresses insistantes du soleil matinal. Il jeta un coup d'œil rapide au réveil qui jouxtait son lit king-size et réprima un juron en constatant que celui-ci n'avait pas sonné et qu'il avait probablement dû oublier de l'activer la veille au soir, en se couchant. Peu prompt à l'énervement ou au stress, Ezra s'était contenté de calculer le retard que lui avait coûté cet oubli et se hâta de se lever, s'adonnant aussitôt à la seule et unique routine que comptait sa vie - c'est-à-dire effectuer ses séries d'exercices physiques avant de filer sous la douche, s'habiller, récolter les affaires dont il aurait besoin, jeter un coup d'œil satisfait au miroir qui trônait dans un coin de sa chambre et quitter celle-ci en vue d'une heure tout rond de jogging. Et comme même les êtres les plus parfaits ne pouvaient s'adonner à de l'exercice physique sans en subir les conséquences, il prit une deuxième douche, comme toujours, dès qu'il fut rentré, une heure plus tard, auprès de ses pénates. La journée n'était pas des plus chargées et c'est tant mieux, car il n'était guère d'humeur à supporter un programme intensif alors que le soleil rayonnant à l'extérieur l'appelait avec insistance et l'incitait presque à aller se prélasser sur les pelouses verdoyantes du campus. Il s'empara des quelques livres qui lui serviraient lors des cours auxquels il s'apprêta à assister, et se rendit de bon cœur au bâtiment qui l'abriterait pendant le reste de la matinée.

Que ceux qui prenaient Ezra pour un crétin illettré se ravisent au plus vite - car le jeune homme était doté de facultés intellectuelles surprenantes, et bon nombre de ses professeurs voyaient en lui un étudiant des plus brillants et prometteurs, quoiqu'un peu insolent et un peu trop conscient de chacune de ses capacités. Ezra ne se prenait certainement pas pour le dernier des imbéciles, loin de là, il avait parfaitement conscience d'être doté d'une intelligence hors du commun et il avait tendance à le montrer dès que l'occasion se présentait. Cela le rendait insupportable auprès de bon nombre d'étudiants qui le côtoyaient cours après cours, mais après tout, c'était assez logique - ce n'était qu'une raison parmi tant d'autres pour justifier l'exaspération qu'il avait tendance à susciter auprès des autres. Ceux qui le côtoyaient en-dehors des cours avaient bien d'autres raisons de lever les yeux au ciel en sa présence, et pour cause : dans tous les domaines et dans toutes les situations, Ezra était un pro lorsqu'il s'agissait d'exaspérer les autres. Son arrogance légendaire, à ne pas confondre avec de la vantardise ou de la prétention mais plutôt avec un sarcasme et une ironie qu'il ne prenait même pas la peine de dissimuler, avait le don d'énerver la plupart de ses interlocuteurs, sauf lorsqu'il prenait la peine de se montrer sous un jour plus avenant, charmant avec talent la personne en face de lui, presque capable de lui faire oublier à quel point celle-ci avait l'habitude de l'exécrer. Ezra était passé maître depuis bien longtemps dans l'art de la manipulation et n'avait aucun scrupule à s'en servir. Il était comme ça après tout - il agissait quand bon lui semblait et n'éprouvait jamais la moindre gêne peu importe la nature de ses actes. Que cela plaise ou non aux autres était le cadet de ses soucis - car après tout, il savait pertinemment qu'il pourrait rattraper la sauce plus tard en cas de besoin.

La journée passa plutôt lentement mais sans accrocs, et Ezra s'était tenu étonnamment calme par rapport à ses habitudes, n'exaspérant que très peu de monde. Au fur et à mesure qu'avançaient les heures, son impatience grandissante se fit toutefois ressentir, et il n'hésita pas lorsque son dernier professeur de la journée congédia l'auditoire. L'appel du soleil, de l'extérieur verdoyant et des ravissantes créatures qui le sillonnaient se faisait de plus en plus pressant et Ezra bondit littéralement de son siège après une heure passée dans une quasi léthargie, faute de volonté de suivre le cours avec intérêt comme il le faisait à son habitude. Il quitta la salle avant les autres et se dirigea promptement vers l'ascenseur, s'accordant cet acte de paresse pour descendre les cinq étages qui le séparaient de la pelouse extérieure du campus. Il s'engouffra de justesse dans la cabine dont la porte coulissante était déjà en train de se refermer, et constata avec satisfaction qu'il n'y avait qu'une seule autre personne à bord - une jolie blonde visiblement absorbée par ce qu'affichait l'écran de son portable. Il actionna le bouton du rez-de-chaussée et attendit impatiemment que la cabine se mette en marche. Et quelle ne fut pas sa surprise en constatant que trois secondes plus tard à peine, ils furent à nouveau à l'arrêt… Quelque chose clochait, cependant. Pourquoi les portes ne s'ouvraient-elles pas pour laisser entrer la personne qui avait dû appeler l'ascenseur à l'un des étages intermédiaire ? Ezra l'ignorait, mais il ne tarda pas à comprendre lorsqu'il constata qu'ils étaient déjà à l'arrêt depuis bien trop longtemps. La blonde à ses côtés finit par lever les yeux de son portable, visiblement aussi surprise que lui. Il n'y avait pas à réfléchir bien longtemps pour comprendre la nature de cet arrêt - ils devaient avoir affaire à une panne. Soupirant, légèrement exaspéré, Ezra se maudit de ne pas avoir attendu l'un des trois autres ascenseurs au lieu de s'engouffrer dans celui-ci. Il enclencha le bouton censé le mettre en contact avec le service de dépannage, mais ne reçut aucune réponse. Réessayant à deux reprises, il finit toutefois par se retourner vers la jolie inconnue et déclara d'un ton amusé mais légèrement contrit : « Bon ben, on dirait qu'on va devoir rester là à deux pendant un petit moment ! » En espérant qu'elle soit de bonne compagnie…