Les timides rayons du soleil printanier chatouillèrent le visage endormi d’Alaina Selwyn, qui fronça le nez sans daigner ouvrir les yeux. La chaleur qui filtrait par les fenêtres n’était rien comparée à celle qu’elle avait collée à elle, et qui émanait du corps de son petit ami – elle était lovée contre Lenny, qui la tenait serrée contre lui. Lorsqu’elle finit par entrouvrir un oeil endormi, elle constata qu’une fois de plus, elle s’était endormie la tête sur son torse. À plusieurs reprises, elle s’était demandée si elle ne l’empêchait pas de dormir en envahissant de la sorte son espace vitale, elle qui d’ordinaire était si peu tactile, mais jamais il ne s’était plaint. Au contraire, la main qui reposait sur ses hanches frêles témoignait du geste qu’il avait fait pour la rapprocher contre lui en s’endormant, la veille. Précautionneusement, elle s’écarta de quelques centimètres et scruta le visage encore endormi de Lennon. Elle pouvait passer des heures à le contempler sans s’en lasser – il avait l’air plus paisible que jamais, quand il dormait, enfin loin de tous les démons qui le hantaient en permanence lorsqu’il était éveillé. Quand Lenny était endormi, on pouvait apercevoir toute l’innocence et la bonté que tant de monde avait du mal à percevoir chez ce jeune homme souvent considéré comme sombre et violent. Mais Alaina le connaissait suffisamment, et surtout, l’aimait suffisamment, pour repérer ces esquisses de douceur même lorsqu’il était éveillé – et elle luttait toujours pour ne pas les perdre de vue lorsque Lenny lui-même les perdait dans un élan de colère qu’il ne maîtrisait pas. Heureusement, ces élans se faisaient désormais rares, pratiquement inexistants, et leur ampleur n’était en rien comparable à ce que la rouquine avait déjà eu l’occasion de voir de par le passé.

Elle posa un doux baiser sur la joue de son Roméo, sourit en le voyant froncer les sourcils et frémir légèrement au contact, sans pour autant se réveiller. Son regard turquoise parcourut les fractions dévoilées par le drap du corps nu et musclé de Lenny, et elle se sentit plus heureuse que jamais de l’avoir, rien que pour elle. Certes, des rumeurs de plus en plus nombreuses couraient le campus, attribuant à Lenny bon nombre d’infidélités. Alaina faisait du mieux qu’elle pouvait pour ignorer celles-ci, consciente que la plupart des rumeurs que répandaient les étudiants étaient totalement fausses. Mais le doute s’était immiscé en elle. Elle n’avait jamais eu le coeur d’en parler à Lennon – elle aurait aimé croire qu’il s’agissait là d’une marque de confiance, mais en réalité, elle avait peur de la réponse. Et s’il avait en effet été infidèle ? Cela signifierait qu’elle ne lui suffisait pas, qu’elle ne lui suffisait plus. Depuis combien de temps ? Cette question la hantait. Que deviendrait-elle sans lui ? Elle n’osait même pas envisager cette option. En quelques mois, elle avait appris à l’aimer avec une force qui frôlait la folie. Désormais, il était tout pour elle. L’époque où il lui courait après et qu’elle refusait chacune de ses tentatives de séduction de peur de mettre en péril leur amitié était désormais bien loin. Elle l’aimait follement, presque à en mourir. Alors, elle ne pouvait tout simplement plus concevoir sa vie sans lui, et avait décidé de faire l’autruche, en espérant de toutes ses forces qu’elle avait raison de lui faire confiance.

Elle s’extirpa de son lit, fronçant le nez en sentant les vagues effluves qui emplissaient l’air de sa chambre – une vieille odeur de tabac et de cannabis flottait, presque imperceptible mais impossible à ignorer. Difficile d’assimiler la studieuse Alaina à toutes les drogues qu’elle consommait lorsque l’envie lui en prenait – pourtant, les psychotropes faisaient partie intégrale de son quotidien avec Lenny. Ils planaient à deux, variant les substances, faisaient l’amour défoncés, passaient des heures enlacés, un sourire béat aux lèvres, l’un d’eux partant parfois d’un fou rire à l’origine indéterminée. Pas sain, diraient bon nombre de gens. Pourtant, elle n’avait jamais été aussi heureuse. Elle ouvrit une fenêtre, laissant pénétrer une légère brise dans la pièce, avant de se rendre dans la salle de bains. Il était 11h03, on était dimanche matin, tout était parfait – comme toujours, quand il était là. Elle ne resta pas longtemps dans la salle d’eau, le temps de prendre une courte douche pour se réveiller. Après s’être lavée et séchée, elle rangea sa serviette et retourna dans la chambre, en tenue d’Eve. Il était 11h17, et Lenny venait d’émerger, à en juger par sa tête endormie. Alaina lui lança un sourire tendre et le rejoignit sur le lit, déposant un doux baiser sur ses lèvres. « Bien dormi, mon ange ? » Elle affectionnait ce surnom plus que tous les autres qu’elle lui avait trouvés. Lui ne cessait de rétorquer qu’il ne méritait pas une telle appellation, pourtant, en ce moment précis, avec ses cheveux ébouriffés, son air un peu perdu, son corps d’Apollon illuminé par les rayons du soleil, c’était ce dont il avait l’air – un ange.

Dévasté, détruit, blessé, de toute part. Voila l'état dans lequel se trouvait Lennon. Tout ce qu'il avait vécu ces derniers mois, n'étaient rien comparés à comment il se sentait actuellement. Comment avait-elle pu lui cacher ? Comment pouvait-il ne pas l'avoir remarqué ? Elle avait probablement voulu le protéger, ne pas l'accabler avec sa maladie, alors qu'il avait déjà les siennes pour le préoccuper. Mais maintenant, elle n'était plus là, il ne pourrait jamais lui reparler, de quoi que ce soit. Elle était morte. Elle s'en était allé, et jamais il ne pourrait lui dire au revoir. Jamais, jamais, ô grand jamais, il n'aurait ce droit. Dévasté. Il avait l'impression qu'à nouveau, une partie de son âme était morte, partie en morceaux, retournée à poussière. Tout s'était enchaîné si vite, et en plus d'être empli d'une tristesse sans pareille, aujourd'hui, il était aussi un salaud, et il savait qu'il allait briser le pauvre petit coeur d'Alaina, en mille morceaux. Mais il ne pouvait pas lui mentir, c'était pire encore, autour pour elle que pour lui. Le remord le détruisait, à petit feux, il ne pourrait pas passer plus d'une journée de plus à lui mentir, ce n'était pas possible et pas acceptable. Il se sentait si mal de l'avoir fait, et n'osait même pas se cacher derrière l'excuse de l'annonce fracassante de la mort de sa mère, c'était inacceptable, il avait été chercher du réconfort chez la mauvaise personne, mais personne ne le comprenait aussi bien que Valentina, et elle était la seule à pouvoir comprendre dans quel état psychologique il pouvait bien se trouver. Déjà extrêmement fragile mentalement, c'était la goutte -le torrent même- qui faisait déborder le vase. Ses yeux restaient clos, dans un silence de mort, alors qu'il se trouvait dans la chambre de sa petite-amie, dont le monde ne tenait déjà plus que sur un fil. Elle savait qu'il fauterait, elle en était sûre, malgré qu'elle n'ose le dire, elle crevait d'envie de le gifler, tant ses suspicions étaient énormes, mais elle n'osait pas, tant elle l'aimait et voulait, aveuglément, le croire. Elle avait tort, mais elle le faisait, coûte que coûte. Il ne voulait pas lui montrer qu'il ne trouverait pas le sommeil, comme depuis des semaines, et faisait remarquablement bien la comédie, pour une fois, en simulant un profond sommeil. La veille, il était arrivé dans sa chambre, mais il n'avait pas réussi à tout lui dire, comme si une nuit de plus dans un bonheur irréel et éphémère changerait quoi que ce soit, à la haine, bien cachée, qu'elle porterait dans son coeur pour l'américain. Il l'aimait, il l'avait trahi, et cela faisait encore plus mal. Il ne savait pas comment lui dire, comment lui dire que tout son monde s'effondrerait à cause de lui. Il s'en voulait à mort, mais il était trop tard. Il l'aimait trop pour la faire souffrir plus longtemps. Elle sortit de la salle de bain, nue, mais il n'avait pas l'âme à y prêter réellement attention, tant ses songes étaient noirs. Elle l'embrassa, mais même cela n'eut aucune saveur particulière. Il ne s'était pas lavé depuis quelques jours, il devait surement sentir un mélange entre weed, tabac et alcool, probablement. Et pourtant, elle ne disait pas un seul mot, sur son pitoyable état, comme pour se convaincre que tout va bien. Bien dormi ? Avoir dormi aurait déjà été un grandissime exploit. Il ébouriffa ses cheveux, avant de la regarder, de la toiser du regard, cette ange, dont le monde était sur le point de s'écrouler, sous les pieds de cette princesse à la crinière de feu. «Oui.» lâcha-t-il, sans conviction aucune, pour la rassurer. Elle se doutait que ca n'allait pas, mais elle n'osait demander. Elle avait l'habitude de sa morosité, elle n'était pas nouvelle, mais cette fois-ci, c'était pire que jamais. «Et toi ?» dit-il, sur un ton neutre, sans pour autant jamais oser la regarder droit dans les yeux. Il avait peur de la réalité, et c'était bien normal. Il était à deux doigts de la perdre. « Tu veux que je te prépare quelque chose ?» siffla-t-il, cherchant à sauver des apparences, qui ne dureraient plus.

Il suffit d’un regard pour qu’elle comprenne qu’une fois de plus, elle était en train de se leurrer, et que lui aussi tentait de la leurrer. C’était devenu une routine, une routine qu’elle redoutait mais qu’elle pouvait difficilement ignorer. Pourtant, elle faisait tout pour se convaincre que tout cela n’était qu’une mauvaise passe, ou encore mieux, le simple fruit de son imagination. Comme lorsqu’elle était petite, elle se contentait de fermer les yeux, s’imaginant que si elle les fermait assez fort, ce qu’elle tentait d’ignorer finirait par s’en aller de bonne grâce. Une superstition à l’efficacité des plus douteuses, comme l’on peut aisément le deviner. Pourtant, Alaina, aussi courageuse fût-elle, ne parvenait pas à regarder cette vérité en face : son couple battait de l’aile, et ne tarderait pas à sombrer définitivement si elle continuait à jouer les autruches. Elle savait que le moment était venu depuis bien longtemps de faire le point sur sa relation avec Lenny, et de chercher à savoir ce qu’il cherchait réellement au lieu de se contenter des réponses vagues et insatisfaisantes qu’il lui fournissait à chaque fois qu’elle le questionnait sur ses états d’âme. Cela ne pouvait plus durer comme ça, et elle ne pouvait le nier. Mais la simple idée de prononcer le moindre mot susceptible de lui coûter sa relation avec Lenny la terrifiait. Ce n’était pas tant lui qui l’inquiétait, mais bien la perspective de voir leurs chemins se séparer. Elle s’était tant accommodée à cet amour surprenant mais pas moins fort qu’elle ne se voyait désormais plus vivre sans. Elle avait besoin de lui, tout comme il avait toujours eu besoin d’elle. Mais elle avait l’impression que cette réciproque n’était plus si vraie – car de jour en jour, il ne faisait que s’éloigner, au lieu de consolider le lien qui les unissait.

Il n’avait même pas laissé traîner son regard sur son corps dénudé, comme il le faisait d’habitude, une lueur espiègle éclairant alors ses yeux turquoise. Cette observation eut l’effet d’une douche froide et humiliante pour Alaina, qui assimilait cette indifférence à un rejet cuisant. Troublée, elle recula légèrement alors qu’il lui répondit sur un ton morne et plat qu’il avait bien dormi – elle n’en crut bien évidemment pas un mot. Elle n’avait pas manqué de remarquer la manière dont il fuyait son regard, lui infligeant ainsi une seconde claque psychologique. Elle se dirigea vers sa garde-robe afin d’enfiler une culotte et un t-shirt choisi au hasard – ce ne fut qu’après l’avoir enfilé qu’elle constata qu’il appartenait à Lenny, qui l’avait laissé ici comme il en avait l’habitude. Elle se redirigea vers le lit et hocha la tête lorsqu’il lui retourna sa question. Et lorsqu’il fit mine de vouloir sauver les apparences, elle décida que cela ne pouvait plus durer. Elle ne savait pas ce qui le tracassait de la sorte, ne comprenait pas ce qu’elle avait bien pu faire pour mériter cette impression qu’elle ressentait en permanence, ce malaise impossible à ignorer – comme s’il n’était plus qu’un étranger, et non pas l’homme à qui elle avait ouvert son cœur et confié ses secrets les plus sombres au cours des derniers mois. Elle s’installa à ses côtés et posa une main avec douceur sur l’avant-bras de Lenny, attendant qu’il lève son regard pour croiser le sien. Constatant qu’il n’en fit rien, elle finit par prendre la parole, sans parvenir à chasser l’inquiétude de ses intonations précautionneuses. « S’il te plaît, Lenny, dis-moi ce qui ne va pas. Ça fait trop longtemps que j’ai l’impression que tu t’éloignes de moi. Arrête de faire semblant, et parle-moi comme tu le faisais avant. » Rencontrant un petit silence, elle se mordilla la lèvre, consciente qu’elle était en train de lui demander ce qu’elle redoutait depuis bien longtemps déjà. Elle était sur le point de faire basculer leur relation à tout jamais, et elle en avait conscience. Mais elle ne pouvait plus se contenter d’attendre, les bras croisés, que la situation s’arrange, tout en sachant pertinemment que ce moment ne viendrait jamais. « Je t’aime, tu le sais ça ? Je t’aime et je suis là pour toi. Alors parle-moi. Je n’en peux plus d’avoir l’impression d’être une étrangère dans ta vie. » Elle se pencha en avant et déposa un doux baiser sur les lèvres de son amour, son tout premier amour. L’homme qu’elle aimait et qu’elle aimerait sans doute toujours.

Comment avait-il pu être aussi salaud, comment avait-il pu lui faire cela ? Il n'en savait rien, mais désormais, c'était fait, il ne pouvait plus rien y faire, plus rien changer à l'histoire qu'il écrivait, du bout de ses doigts écorchés, par quelques coups de poings dans le mur de sa chambre gamma, ce qui lui avait valu une flopée d'insultes de ces toxicomanes de voisins. Il avait couché avec Valentina, sans penser à Alaina, en l'oubliant complètement, tant il était dans un état second, entre le cauchemar et la vie réelle. Car c'était bel et bien un cauchemar qu'il avait vécu, lorsque son téléphone sonna, et que son beau-père lui répondit, la voix tremblante, et qu'il avait senti une infinie tristesse dans sa voix, il avait su. Qu'il était arrivé malheur à sa père, mais comment aurait-il pu deviner qu'elle avait été emporté par une maladie, et qu'elle ne lui en avait pas même parlé. Il était dévasté, et la culpabilité d'avoir trompé Alaina, ne faisait que le dévaster plus encore. Il aimait sincèrement la gamma, il ne lui aurait jamais à ce sujet, mais le fait est que, dans un tel moment de solitude, où elle n'était pas là pour lui, il avait eu besoin d'aller chercher du réconfort, et c'était Valentina qui s'était trouvée être la mieux placée pour lui en offrir, au désarroi prochain de la Selwyn. Il s'éloignait d'elle, à chaque instant, un tout petit plus, jusqu'à ce qu'ils atteignent le point de non-retour. C'était entièrement de sa faute, et il le savait éperdument, que ses frasques finiraient, tôt ou tard, par détruire leur couple, par détruire toutes les relations qu'ils avaient, tant il était destructeur pour n'importe qui croisant sa route, il le savait et se détestait de faire subir malheur et tristesse à tous les gens qu'ils appréciaient du plus profond de son coeur. Et c'est parce qu'il aimait Alaina, que tout cela ne pouvait plus continuer, il n'avait pas le droit de lui mentir, même par omission. Il était une terrible personne, mais désormais, il ne pouvait plus se cacher. Elle s'en rendait bien compte, et il le savait, que son attitude n'était pas saine, ni vivable, à son égard, qu'il s'éloignait, comme pour rendre la chute de la rousse un peu plus facile, un peu plus douce, même si il n'existe jamais rien de facile dans une rupture, surtout lorsqu'il existait entre deux êtres, un réel amour, tourmenté par un de des deux, qui n'était pas stable, mentalement. Il aurait aimé que cela ne soit pas arrivé, qu'il ait réussi à se contrôler dans ce moment de détresse, car s'il aimait beaucoup Valentina, de tout son coeur, ce n'était pas juste de faire ça, vis à vis d'Alaina, et c'était en cela qu'il s'en voulait ardemment. Il avait brisé sa confiance, son amour, ainsi que ses espoirs en lui. Comme toujours, comme trop souvent. La question fatidique finit par arriver, de la bouche de la gamma, inquiète de le voir dans un tel état second, sans aucune réaction, du moins, aucune qui semblait naturelle. Il allait devoir prendre son courage à deux mains, et tout lui dire. Cela ferait moins mal aujourd'hui, que le jour où elle ne verrait plus que par lui, c'était ce qu'il pensait. Il voulait qu'elle lui crie dessus, qu'elle s'énerve, qu'elle le frappe même. Si elle le détestait, il ne pourrait, au moins, plus la blesser comme il le faisait. « Ma mère est morte.» lâcha-t-il, froid, sans aucune émotion dans sa voix. Il ne ressentait plus rien, depuis de nombreux jours, ni par rapport au décès de sa mère, ni par rapport à Alaina. Rien. Aucun sentiment, aucune sensation. Tout était fade et sinistre. « Je t'aime aussi, Alaina, énormément. Et c'est pour cela que je peux pas te mentir...» Dit-il, la regardant, toujours sans aucune expression, son visage était pétrifié, et il s'en voulait déjà d'avoir à lui annoncer cela. Il n'arrivait même pas à avoir l'air triste, il ne l'était pas. Il n'était rien. « Ma mère est morte, et Valentina était là, et je me sentais tellement vide..»

Les secondes défilaient avec une lenteur insoutenable, alors que Lanie attendait avec une certaine angoisse la réponse de Lenny. Elle sentait que cela n’allait pas lui plaire, et qu’elle allait tomber de haut quoi qu’il dise. Elle pouvait le sentir, tout comme elle avait pu pressentir chacun des conflits, rares mais non négligeables, qui avaient déjà zébré leur relation. Lenny avait beau rester, dans certains moments, un mystère insolvable aux yeux de la rouquine, il n’empêchait qu’elle le connaissait mieux que bien. Mais de toute façon, elle demeurait bien trop ignorante quant à certaines des facettes de la personnalité du jeune homme, et sans doute était-ce en partie volontaire, même inconsciemment. Car depuis toujours, Alaina fermait les yeux sur tous les mauvais aspects de la personnalité du jeune homme, s’acharnant à ne voir que le bien en lui. Mais il vient toujours un moment où cela ne suffit plus, et où la vérité finit par éclater qu’on le veuille ou non. Et c’était ce qui était en train d’arriver – elle l’avait demandé, après tout, mais elle n’en redoutait pas moins ce qu’elle allait entendre. Elle était littéralement terrifiée, consciente que leur relation entière était en jeu, et qu’elle jouait avec le feu en venant réveiller des démons qui feraient mieux de rester endormis. En attendant que la vérité tombe, elle s’efforça de rester optimiste, même si c’était extrêmement difficile tant elle était tendue. Elle repensa à tous les bons moments qu’ils avaient passés ensemble, à ce soir en Italie qui avait marqué le début de leur relation, et où elle avait perdu sa virginité – comme si elle la lui avait offerte pour lui prouver qu’elle lui faisait confiance. Le fait était que même si elle avait toujours eu foi en lui, elle avait toujours également su que lui n’en pensait pas autant de lui-même. Résultat, elle avait passé les derniers mois à tenter de convaincre Lenny qu’il était quelqu’un de bien et qu’elle lui faisait confiance à raison. Mais comment espérer que quelqu’un vous rende heureuse alors que cette personne elle-même est convaincue de ne pas pouvoir y arriver ? Cette relation n’avait jamais comporté la moindre logique, et Alaina n’allait pas tarder à se rendre compte qu’elle avait commis une énorme erreur.

La vérité tomba comme une bombe. Lenny parla, d’une voix froide et dénuée de la moindre intonation, lui apprenant qu’il avait perdu sa mère. Lanie écarquilla les yeux, stupéfaite et sous le choc. Elle n’arrivait pas à y croire. Elle n’arrivait pas à croire qu’il pût traverser une douleur pareille, affronter une nouvelle aussi terrible, sans même en parler à Lanie, que ce soit pour lui demander du soutien ou simplement pour qu’elle soit au courant. C’était là une réaction sans doute quelque peu égoïste, mais elle ne put s’en empêcher, tout comme elle ne pût s’empêcher de se demander aussitôt combien de temps s’était écoulé depuis qu’il avait appris la nouvelle sans juger utile de la partager avec elle, sa petite amie. Mais l’heure n’était pas aux reproches, car même si Lenny feignait une profonde indifférence, Lanie était bien placée pour connaître la douleur profonde et dévastatrice que provoquait la perte d’un être aussi cher et important que sa propre mère. Elle murmura d’une voix douce : « Lenny… » mais ne put poursuivre car déjà, il avait repris la parole, lui réciproquant les sentiments qu’elle venait de lui exprimer à voix haute. Alaina ne sut pourquoi, mais elle n’en fut pas rassurée pour autant – pire, son mauvais pressentiment continuait de grandir et de lui tordre l’estomac, et elle ne parvint même pas à sourire comme elle le faisait habituellement lorsqu’il la complimentait ou lui confiait qu’il l’aimait – d’ailleurs, depuis combien de temps n’avait-elle plus entendu ces trois petits mots ? Elle ne s’en souvenait pour ainsi dire même plus. Comment avaient-ils pu en arriver là, comment leur relation avait-elle pu se gâter à ce point ? Elle s’était pourtant donnée corps et âme à Lenny, soucieuse de son bonheur plus que du sien à elle.

Lanie sentit une brique lui tomber dans l’estomac alors qu’il conclut son discours en mentionnant Valentina. Il n’avait encore rien dit, pourtant, elle n’avait eu aucun mal à sauter aux conclusions, même si elle tentait en vain d’ignorer tous les scénarios douloureux que lui inspiraient les paroles de Lenny. Pourquoi avait-il fallu qu’il parle de Valentina en particulier ? Depuis toujours, la sublime bêta avait intimidé Lanie et elle la mettait extrêmement mal à l’aise. Depuis qu’elle était en couple avec Lenny, elle n’avait cessé de se comparer à Valentina et avait systématiquement été obligée de se rendre à l’évidence qu’elle n’était pas à la hauteur. Et maintenant, il en parlait sur un ton qui ne présageait rien de bon. Mais elle se refusait à se laisser aller au moindre débordement tant qu’elle n’en aurait pas le cœur net – et tant qu’il n’aurait pas prononcé à voix haute ce qu’elle redoutait, elle refusait d’y croire. « Et… ? » Elle qui n’avait pas sa langue dans la poche, elle était soudain incapable d’aligner plus de deux mots. Elle se sentait terriblement mal de se focaliser sur Valentina alors qu’elle savait qu’elle devrait plutôt tenter de le réconforter par rapport à sa mère. Mais lui-même avait coupé court au sujet, avec une froideur peu rassurante. Et elle avait besoin de savoir – mais plus que jamais, elle appréhendait abominablement la réponse qu’il lui fournirait. Dans quelques instants, son couple allait basculer, et elle n’était pas sûre de parvenir à le rattraper.