Assise droite comme un i dans un lit qui ne m’appartenait pas, mais que je connaissais pourtant par cœur, j’ai fait tapoter mes doigts sur la couette blanche qui recouvrait mes jambes, et le corps encore endormi de mon meilleur ami. J’attendais, patiemment, que celui-ci daigne sortir de sa léthargie, mais si j’en croyais sa respiration lente et tranquille, il n’était pas prêt d’émerger. Pendant une fraction de seconde, j’ai été plus que tentée de le secouer, mais je me suis vite ravisée. Connaissant l’énergumène, il allait chèrement me faire payer cet odieux affront. J’ai profité de ce temps libre pour contempler l’état – chaotique, c’était le moins que l’on puisse dire – de la chambre de l’Oméga. Fringues éparpillées, draps froissés, cheveux en pagaille : la nuit avait été mouvementée. Comment avions-nous pu en arriver là, à un tel point ? Ce n’était le résultat que d’un malheureux concours de circonstances. Rien ne laissait imaginer que nous aurions pu nous rencontrer un jour, et pourtant : un soir, tout avait basculé. Moi y compris, d’ailleurs. Ce chieur de première classe m’avait emmerdé jusqu’au bout des ongles. J’en avais perdu ma patience, mon flegme, mon latin : il m’avait complètement retourné, mise dans un état proche de l’hystérie. Quand j’y repensais – non sans une certaine nostalgie, je devais bien le reconnaître – un sourire sincère venait se dessiner sur mes lèvres. Puis, notre relation s’était construite, principalement sur des bases physiques. Je l’appelais, il m’appelait, et on s’arrangeait pour se libérer pour un petit cinq à sept. Ça pouvait paraître cruellement sordide – d’ailleurs, d’une certaine façon, ça l’était – mais nous avions fini par dépasser ce stade de la relation purement physique. Parce qu’à force de fréquenter les gens régulièrement, on finit par deviner ce qu’ils cherchent à tout prix à nous cacher. On suppose les peines, les qualités, les plaisirs, les douleurs et les défauts de l’autre. On entrevoit un bout de personnalité, on commence à rire ensemble, et là, tout commence à changer. La relation évolue, passe à un stade plus personnel. Et ne s’arrête plus, à tel point que l’on se demande comment on faisait pour vivre avant, sans son alter-égo masculin. Mon Cameron, mon préféré… Même si en ce début de matinée, il m’agaçait prodigieusement à roupiller comme une marmotte. Dans d’autres circonstances, je l’aurais volontiers laissé faire, mais pas ce matin. J’avais un rendez-vous avec le président de confrérie, Kenzo, pour parler d’éventuels projets d’avenir pour notre confrérie – ce qui signifiait donc qu’il me restait relativement peu de temps. Il ne me restait plus qu’à espérer que Cameron daigne ouvrir les paupières... En vain. Puisque le destin avait décidé de ne pas œuvrer en ma faveur, je n’allais pas attendre éternellement. Avec une délicatesse qui témoignait de la douce relation à laquelle nous avions fini par arriver, j’ai passé mes doigts manucurés dans les cheveux de mon Oméga préféré. La réaction escomptée ne tarda pas à se manifester : il commença à bouger, grommelant qu’il était encore trop tôt. On le reconnaissait bien là, l’Oméga en puissance : pas foutu de se coucher à 4h du mat’ et d’assurer une journée complète après. « Cameroooooon… » Murmurais-je à son oreille d’une voix enfantine. Je voulais qu’il se réveille, complètement, afin d’avoir toute son attention. Comment ça, j’étais chiante ? Certainement pas. Seulement, pendant que monsieur roupillait comme jamais, j’avais eu le temps d’anticiper sur la douche que j’allais prendre. Avec lui, évidemment. « Fais pas ton rabat-joie. T’as assez dormi. » Lâchais-je en soupirant, mes doigts jouant toujours avec ses cheveux bruns. « En tout cas, suffisamment pour prendre une douche. » Déclarais-je en haussant les épaules, faussement indifférente. T’as compris le sous-entendu honey ? Toi, moi, la douche. Si tout va bien, ça devrait faire tilt dans sa tête d’ici quelques courtes secondes. En attendant que l’information arrive à son cerveau encore endormi, je me suis dégagée de la couette, prenant le chemin de la salle de bain. « Et t’es prié de te magner, je suis vraiment pressée ! » M’exclamais-je en retirant ma nuisette à l’entrée de la salle de bain. La journée à venir se présentait sous les meilleurs auspices. Sourire aux lèvres, regard malicieux, nuit bienfaitrice puis réparatrice : j’allais être de bonne humeur, à n’en pas douter.