Elle escalada une nouvelle montagne. Enfin le sommet. La journée avait été harassante. Mais il ne fallait pas qu'elle s'arrête avant d'avoir rejoint le château pour délivrer le prince. Détenu par un terrifiant dragon, la princesse devait encore déjouer de nombreux pièges pour parvenir à sauver son bien-aimé. Heureusement, son incroyable ingéniosité l'avait amené à se déguiser en garçon pour échapper à la vigilance de ses ennemis. Affublée d'un masque noir et d'une cape longue camouflant sa robe royale, la princesse atteignait le sommeil, accompagné de son fidèle destrier. Lui aussi était à bout de force et elle décida qu'un moment de répit leur était nécessaire.
« Nous ferions mieux de rester ici pour la nuit Maestro. La journée de demain risque d'être longue. Et nous ne savons toujours pas comment échapper à la vigilance du dragon. »
Elle plaça une main au-dessus de ses yeux masqués afin de scruter l'horizon. L'entrée du château était ouverte. Apparemment le dragon avait déserté son poste de surveillance. Le visage de la princesse se mit à rayonner avant de retrouver son sérieux. Les poings sur les hanches, elle scrutait les lieux, mettant en place un plan d'exécution dans sa tête.
« Finalement les plans changent Maestro. Nous avons une ouverture, il ne faut pas manquer cette chance. »
Epée au poing à présent, la princesse masquée s'élança vers la porte ouverte. Grave erreur de la part de son surveillant. Le dragon allait se mordre les doigts en se rendant compte que son prisonnier avait disparu, pensa-t-elle en souriant de plus belle. « A L'ATTAQUE ! » La princesse entra en trombe dans le château. A l'intérieur tout était calme. Un coup d'oeil dans le couloir. Le dragon s'entretenait avec un nouvel ennemi. Que préparaient-ils tous les deux ? Sûrement un plan pour la piéger. Sur le trône, le prince était endormi. La belle princesse était horrifiée. On lui avait jeté un sort de sommeil éternel. Seul un baiser d'amour pourrait le sauver de cette malédiction. Il fallait qu'elle prenne ces ennemis de court avant de venir en aide au prince. Toujours suivie de son fidèle destrier, elle ressortit du château, décidée à attaquer dans leur dos en les menaçant, ne leur laissant pas le choix de répondre à ses exigences. Arrivant par l'arrière du nouvel ennemi inconnu, elle resta cachée derrière un fourré de la forêt entourant le château, écoutant leur conversation terrifiante.
« Bonjour, je suis Shannon Turner j'aurais souhaité voir James O'Malley s'il vous plait »
Que voulait-il au roi du royaume ? Préparait-il son renversement ? Elle ne pouvait laisser faire une pareille chose. La princesse s'en rendait compte à présent, il fallait qu'elle sauve bien plus que son bien-aimé. Tout le royaume comptait sur elle. Discrètement elle s'approcha du dragon et de son acolyte, épée bien en vue, pointée vers eux.
« Oh et bien, je repasserais alors, d'ici deux heures il devrait être rentrer je suppose ? »
La princesse bondit du fourrée pour interrompre ses deux ennemis. Camouflant toujours son identité sous son masque et sa cape, seule sa voix pouvait la trahir.
« Halte là ! Plus un pas ! Qui êtes-vous et que voulez-vous au roi ? »
Quand l'inconnu se retournera, il ne découvrira bien sûr pas une véritable princesse dans une robe dorée non. Mais une fillette haute comme trois pommes affublée d'un déguisement et pointant vers lui une branche de bois tordue. Son fidèle destrier ? Un des dogues de son père qui la suit sans poser de question, la langue haletante. La gamine pointe son épée menaçante vers le majordome à présent.
« Vous, dragon de ce château, rendez-moi mon bien-aimé plongé dans un sommeil éternel ! »
« Bien sûr Princesse. »
Alfred fait demi-tour et seulement quelques minutes plus tard, il revient avec une énorme boule de poil dans les bras. Le chat semble tout juste sorti d'un sommeil profond et ne pas comprendre ce qui lui arrive. Elle l'attrape à son tour, ne pouvant soulever que la moitié de son corps grassouillet. N'en pouvant plus, elle finit par le lâcher.
« Filez mon prince, ne les laissez pas vous prendre. »
Mais à la place de ça, le chat se contente de lui lancer un regard blasé et de s'étaler de tout son long sur la pelouse de la propriété. La fillette est visiblement déçue que la réalité ne soit pas à la hauteur de son monde imaginaire. Cependant, elle en revient à l'inconnu. Elle relève son masque sur son front pour mieux l'observer de ses grands yeux bleus.
« Vous êtes qui ? »

L'homme s'abaissa pour lui parler. Même si elle n'en dit rien, elle appréciait toujours cette petite attention, signe pour elle qu'elle avait affaire à une personne intelligente et non pas au genre de gens qui considèrent les enfants trop stupides pour pouvoir ne serait-ce que leur parler. « Je suis Shannon, un ami de ton père James si j'ai bien compris, quel est ton prénom ? » Un ami de Deidi ? Ca tombait bien, la petite les adorait en général et ils le lui rendaient plutôt bien. Il faut dire qu'elle était plutôt attachante comme gamine même si elle ne s'en rendait pas toujours compte. Elle lui sourit donc avant de retirer son masque et poser son épée imaginaire. « Bonjour Shannon. Je m'appelle Louna. » Après une petite révérence, elle se débarrassa également de sa cape et laissa le tout sur le sol. Alfred lui sourit en lui lançant un petit regard en coin. Il lui avait déjà répété des milliers de fois de ne pas laisser traîner ses affaires mais l'attention de Lou était tellement peu stable qu'il abandonnait souvent l'idée de lui faire entendre raison sur ce genre de choses. « Tu as une très jolie maison dis donc, je suis jaloux quoique ce serait un peu trop grand pour moi tout seul. » Elle le regarda, un peu étonnée. « Mais c'est pas une maison. C'est le château de Deidi et moi et Alfred ! » Ben oui, bien sûr ! Sa maison n'avait rien d'ordinaire et elle comptait bien le démontrer à tout ceux qui envisageraient de lui dire le contraire. Sans lui demander son avis, elle lui attrapa la main et l'entraîna vers l'arrière de la maison. « Viens, je vais te faire visiter. » Eh non, elle ne lui demandait pas son avis mais selon elle, il n'y avait rien de plus naturel que de vouloir voir un château de plus près. En passant devant les fenêtres des différentes pièces du rez-de-chaussée, elle lui détailla l'intérieur avant de s'attaquer à celle du jardin, bien plus grand. Elle désigna une autre bâtisse qu'on ne distinguait que de très loin. « Là-bas c'est là où Deidi et moi on fait du cheval des fois quand il est là le week-end. Moi j'ai un poney. Il est très joli. » Mais pas le temps de souffler que déjà, elle l'amenait à l'endroit d'où elle guettait une ouverture du « drago » tout à l'heure. Derrière un buisson, elle avait installé quelques coussins empruntés sur les sièges du salon de jardin et disposé en vrac les accessoires de sa dinette en plastique. Maestro y était allongé mollement, attendant le retour de sa petite maîtresse bien que le dog fasse deux fois sa taille. « Ca c'est Maestro, c'est le chien le plus gentil du monde. Viens, il va pas te faire de mal ! Ici, c'est ma cabane pour jouer. » Elle s'assoit sur un coussin, invitant l'ami de son père à en faire de même. Elle était trop contente d'avoir trouvé un nouveau partenaire de jeu pour le laisser filer de si tôt. La fillette s'arrêta néanmoins de parler un moment et observa Shannon en penchant le minois de côté. « Pourquoi t'as pas une chérie pour vivre dans un château avec toi ? » Un nouveau petit silence et ayant déjà oublié sa première question, elle reprit. « Pourquoi tu veux voir Deidi ? Tu vas aller à la fête foraine avec lui ou tu es comme les gens ennuyants de son travail qui font que parler avec des chiffres ? » Elle avait déjà sa petite idée sur la question mais attendit patiemment qu'il lui réponde, les jambes croisés et le menton posé dans ses mains.

« Quand tu seras plus grande tu verras que ce n'est pas aussi simple d'avoir une chérie, mais j'en cherche une. » La fillette le regarde avec étonnement avant de poser son menton dans la paume de sa main. Elle semble en pleine réflexion. Décidément, les grandes personnes sont bien naïves sur leur opinion des enfants et leur capacité à comprendre les choses essentielles de la vie. Finalement après une longue réflexion silencieuse, elle tapote sur son menton du bout des doigts. « Tu sais, j'ai un amoureux mais c'est un secret. Il faut pas le dire à Deidi. » Elle pose un doigt sur ses lèvres rosées. Ben oui, si Deidi le savait, elle n'était pas sûre qu'il l'accepterait si facilement. Du haut de ses six ans, la fillette a parfaitement conscience que son paternel fait tout pour la protéger des dangers du monde mais quand elle est à l'école primaire, il ne peut l'empêcher de faire ce qu'elle veut. Bon bien sûr, ce n'est pas bien sérieux. Pour eux, le moment le plus fort de leur relation a été ce jour magique où dans le rang pour rentrer en classe, il lui a donné la main et a continué à la lui tenir jusqu'à ce qu'ils doivent s'asseoir à leurs places respectives. Le bisou ? Elle n'y pense même pas. L'amour platonique des enfants a quelque chose de magique et d'innocent qui leur rend particulièrement touchant auprès des grandes personnes mais ils ne se rendent pas compte qu'ils ne pourront plus jamais avoir une connexion aussi pure avec quelqu'un. Et ça, la fillette l'a compris. D'ailleurs, elle a horreur qu'on lui dise que ce n'est qu'une amourette passagère et que ça finira par lui passer avant qu'elle ne rencontre un autre garçon. Non et non. Elle est quand même bien placée pour savoir ce qu'elle ressent non ? Un peu perdue dans ses pensées, elle en profite pour détailler l'inconnu qu'elle a un peu contraint à devenir son invité particulier. Soudain, la petite fille se relève et vient lui coiffer les cheveux en arrière pour dégager son visage. « Tu sais, je crois que les cheveux courts ça t'irait mieux. Et puis ça fait plus garçon parce que les cheveux longs, c'est quand même pour les filles ! » Décidément, elle va devoir lui faire toute son éducation ! Heureusement qu'elle était là au bon moment, avant qu'il ne rencontre LA fille. Et encore, peut-être qu'elle devrait lui donner des conseils pour la suite aussi parce qu'il n'a pas l'air très doué avec le sexe opposé. « Je veux juste discuter un peu avec ton père et non je ne travaille pas avec lui alors je ne vais pas l'embêter avec des tonnes de chiffre. Elle est très jolie ta cabane secrète. » Elle hoche de la tête avant de rigoler de bon cœur. « C'est pas une cabane. Il y a même pas de toit et de mur ! C'est mon repère secret. » Mais la réflexion reprend sa place dans la tête de la fillette. « Mais si tu viens pas voir Deidi pour les chiffres, alors tu veux lui parler de quoi ? » Sa curiosité est plus forte que tout et elle ne résiste pas à la tentation de poser les questions qui lui brûlent les lèvres. Mais soudain, Lou se rappelle à quel point son attitude est impolie. Elle fait entrer un invité dans son repère secret et ne lui offre même pas le thé ! Elle attrape la petite théière rose en plastique. « Tu veux du thé ? » Mais avant d'avoir une réponse, elle lui verse un liquide imaginaire dans une tasse d'une couleur associée avant de s'en servir une à son tour. Enfin, la fillette lui tend la tasse sur sa coupelle. « Fais attention, il est brûlant. » Elle porte elle-même le petit récipient à ses lèvres et mime de se brûler avec le liquide chaud avant de sourire à son invité inconnu.

Spoiler:

La fillette croise les bras sur sa poitrine quand il repousse ses petites mains. Alors comme ça il refuse ses conseils d'expert ? Eh bien si c'est comme ça, tant pis pour lui. Il faudra pas se plaindre qu'il ne trouve pas de fiancée ! Tout d'un coup, il lui semble beaucoup moins sympathique, très peu habituée à ce qu'on lui dise non ou qu'on l'empêche de faire ce qui lui chante de la sorte. Malgré ses six ans, la gamine a déjà un fort caractère et quand elle a un avis, elle n'entend pas d'une si bonne oreille qu'on la contredise. Mais bon, les grandes personnes sont souvent butées et ne se rendent compte que plus tard à quel point elles avaient tort, même pour lui. Alors elle décida de ne pas lui en vouloir. On ne pouvait pas faire confiance à la première personne qui passait, aussi petite soit-elle, même si elle était vexée. Un peu de thé imaginaire ferait passer la pilule plus facilement. Ce n'est pas parce qu'elle pouvait avoir ses moments de rationalité que la petite fille fantasque persuadée de diriger le royaume de son jardin de châtelaine disparaissait et pour elle, ce goûter invisible était on ne peut plus réel. Et gare à lui si il refusait en plus une tasse de thé maison qu'elle cultivait elle-même, dans un fourré du château, en atteste les quelques feuilles décoratives au fond des tasses qui n'infusaient dans rien du tout. Elle lui tendit une assiette rose, bien décidée à changer de sujet et à passer outre sa frustration.
« Tu veux un gâteau ? Tu peux en avoir aux arc-en-ciels ou des roses ou des bleus. »
En guise de gâteaux, des ronds découpés dans du papier coloré mais qui laissaient échapper un fumet délicieux de pâtisserie fraîche pour un peu qu'on se laisse entraîner dans l'esprit de l'enfant. Alors qu'elle fait semblant d'en croquer un, une voix la fait lâcher tout son attirail, oubliant vite son jeu.
« Bonjour, Shannon. Il parait que tu veux me voir. »
Elle se lève d'un bond avant de se jeter littéralement dans les bras de son père.
« Deidiiiii »
Le cri de joie qui précède l'assaut n'est que révélateur de l'amour qui existe entre ces deux-là mais elle ne peut s'en empêcher, même si ils se sont vus ce matin. Elle s'agrippe au cou paternel, peu décidé à redescendre de suite. Au moins dans les bras de son Deidi, elle est aussi grande que l'invité et a presque l'impression d'être elle aussi une grande personne. Mais rapidement, son joli sourire va disparaître. Comment ça parler en privé ? L'inconnu baisse encore dans son échelle de la sympathie. Qu'est-ce qu'il croit ? Qu'elle ne peut pas comprendre leur conversation de grande personne ? Qu'elle est trop petite pour se trouver dans la même pièce qu'eux ? Qu'elle ne sait pas garder un secret ? Eh bien tout cela est faux et le fait même que toutes ces choses aient pu traverser l'esprit du nouveau venu alors qu'elle s'était occupée gentiment de lui la mettait hors d'elle. Non mais, on ne renvoyait pas de la sorte la maîtresse de maison ! Même si elle a six ans, c'est pas une raison d'abord. Vexée comme un poux, la fillette descend des bras de son père avant de croiser les bras sur sa poitrine, à nouveau, et de lancer un regard froid à cet inconnu qui commence sérieusement à lui déplaire à la prendre pour plus petite qu'elle ne se considère elle-même.
« D'abord j'ai sept ans ! Je peux aussi écouter les conversations des grandes personnes ! T'es pas très sympathique en vrai. »
Et toc. Elle tourne les talons avant de rejoindre la maison en trottinant sur ses petites jambes. Alors comme ça, il pense ne pouvoir parler à son père qu'en privé ? Eh bien soit, mais la gamine sera plus maligne. Les deux grands feraient bien de se méfier. Les murs ont des oreilles, surtout quand les murs s’appellent Louna.