« Remember me, Yesterday » ~ pv

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FLASHBACK

« Nausi, est-ce que ça va ? Tu ne t'es pas fait mal au moins ? Fais voir... Non, ça va. Un bisou et ça ira beaucoup mieux. »

Il venait de fêter ses seize printemps, elle soufflait ses sept bougies à peine. Il était grand, mince, des boucles blondes, les traits rieurs et le regard reflétant l'océan. Elle était petite, fine, de longs cheveux bruns, une moue innocente d'enfant et le regard émeraude. Elle était sa muse. Il était son preux chevalier. Et ils étaient voisins. Depuis bon nombre d'années maintenant, Noah veillait sur la petite fille. A chaque larme coulée, ses bras venaient la réconforter et sa voix la rassurait. Il n'avait jamais su expliquer ce qui le liait à la fillette et pourtant, l'intensité de leur relation les faisait être les meilleurs amis du monde. Chacun avait une confiance absolue en l'autre.

« Allez viens, je te ramène chez toi. Tu montes sur mon dos ? »

Le sourire aux lèvres, Noah s'était alors baissé à sa hauteur pour qu'elle puisse escalader ses vertèbres, jusqu'à se retrouver soulevée dans les airs par la force du garçon qui marchait d'un pas lent et assuré jusqu'au village, à quelques centaines de mètres de là. Souvent, les deux enfants se rencontraient en secret, à l'autre bout de la vallée. Lui l'attendait sous un chêne, promenant ses doigts dans l'herbe, rayonnant aussitôt qu'elle apparaissait, essouflée. Il était pour elle, son conteur d'histoires.

« Tiens, qu'est-ce que c'est que ça ? De nouveaux dessins ? Ils sont très réussis. Tu as beaucoup de talent, Nausi. »

Les quelques croquis qui avaient échoué au sol, près d'une flaque d'eau, suite à la chute de l'enfant venaient d'être rattrapés, et rendus à sa propriétaire. Lui aussi était un artiste, quoiqu'il eut davantage les traits d'un écrivain que celui d'un peintre. Voilà ce qui les rapprochait : leur passion pour l'imaginaire. Un esprit rêveur, farouche et épris de liberté.

FIN DU FLASHBACK

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« Et quel est votre nom, mademoiselle ? »

Un sourire était apparu sur ses joues. Bien moins impressionnant que celui de la jeune femme qui peinait à rester immobile. Enfin, elle le rencontrait. Lui, l'auteur, le poète, l'écrivain, son âme soeur. Comme pour beaucoup d'autres femmes, Noah était perçu comme le gentleman d'une époque révolue. Un maître dans l'art de la séduction d'un ancien temps. A la fois tendre et passionné. Fidèle et libéré de toutes contraintes. Un rêve pour ces femmes. Une utopie en réalité pour un homme qui avait passé la moitié de sa vie à fuir la vie à deux, à ne plus y songer dès l'instant où il avait perdu une partie de lui-même, il y a quelques années de cela. Peu de personnes était au courant de cette tragédie. Beaucoup n'auraient pas compris son isolement. Son souhait de demeurer désormais, seul.

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Le regard émeraude de la jeune femme aux longs cheveux d'ébène, à la fois imperturbable et tranquille, contempla les quelques gouttes de pluie qui sillonnaient tour à tour la vitre fraîche sur laquelle son front venait de se poser. Un léger rond de buée se forma sur la surface vitrée à cause de sa respiration, une image qui resterait à jamais gravée dans sa mémoire lui revint, bien plus ancienne et plus innocente que d'habitude lorsqu'elle se mettait à se tourner vers le passé de cette façon. Noah. Elle aimait ce prénom hébreux depuis qu'elle était toute petite, et ne l'avait associé jusqu'ici qu'à une seule personne : cet adolescent au regard rieur, au sourire de chérubin, et à la voix de conteur. Jamais elle n'avait, même dans ses plus jeunes années, employé de surnom à son égard, manifestant ainsi une sorte de respect pour celui qui le portait, exprimant toute son admiration d'enfant à travers des regards qui en disaient longs. Elle devait le voir aujourd'hui. Elle s'était résolue à assister pour la première fois de sa vie à une séance de dédicaces il y a quelques semaines maintenant, lorsqu'elle avait su qu'il serait présent. Combien de fois auparavant avait-elle eut l'occasion de le voir sans jamais saisir l'opportunité qui s'offrait à elle ? Elle avait cessé de les compter. A chaque fois, un sentiment étrange l'envahissait, une appréhension incompréhensible qui la tirait vers l'arrière et la faisait renoncer à se remettre sur sa route ne serait-ce que pour quelques secondes, que pour le temps d'une signature sur la page d'un livre. Mais cette fois ci, elle s'était résolue à être plus forte que tout. Elle n'aurait rien à perdre, après tout. Elle était déjà sure qu'il ne la reconnaîtrait pas. Les années avaient faits leur ouvrage, probablement de façon plus équivoque sur elle que sur lui. Il était déjà un petit homme lorsqu'elle l'avait connu, elle, une petite fille non formée, avec ses joues rondes et le regard encore emplit d'une innocence enfantine. Aujourd'hui, elle était une jeune femme, toujours petite certes, mais néanmoins svelte et élancée. Le temps avaient sculpté son corps en celui d'une femme, un peu frêle peut-être, mais une femme tout de même et avait creusé ses joues jadis si adorables. Elle n'avait plus cette spontanéité qu'ont les enfants en bas âge, et surtout, elle avait perdu cette innocence qui la caractérisait alors, et qui la rendait perméable à tout ce qui blesse.

Habillée pour l'occasion de sa robe blanche et d'un gilet à maillée épaisse, sa besace flottant à côté d'elle suspendue à son épaule, son bras cramponnait soigneusement l'ouvrage qu'elle avait prévu de faire signer par son auteur. Auteur dont elle avait d'ailleurs suivit la plupart de la carrière, et qui, sans doutes sans le savoir, l'avait aidé dans les heures les plus sombres. L'excitation n'était pas vraiment le sentiment qui prédominait dans son cœur, il était de loin détrôner par la crainte. La crainte de croiser ce regard, ce sourire, cette expression qui avait asséché bien des fois ses larmes de crocodiles autrefois et qui aujourd'hui, ne devrait sûrement pas lui faire le même effet. Elle s'était avancée d'un pas feutré de la table où il était assis, silencieuse. Nausicaa ne souriait pas, seul son regard l'examinait avec une intensité troublante, presque dérangeante. Jamais elle ne regardait personne ainsi, et de surcroît les hommes, mais là, c'était différent. Ce n'était pas un homme … C'était Noah. Trop absorbée dans ses pensées, elle ne lui répondit d'ailleurs pas tout de suite, se contentant de le regarder alors qu'elle réalisait qu'effectivement, il ne la reconnaissait pas. Elle n'était pas déçue, elle le savait.

NAUSICAA. « Quoi ? … Heu, oui, pardon … Mettez que c'est pour … Yseult. » avait-elle bredouillé, sa main déposant doucement l'ouvrage sur la table. Pourquoi lui avoir fournit spontanément son second prénom plutôt que le vrai ? Elle n'en savait rien. Peut-être parce qu'une peur indicible la tenaillait ? Mais une peur de quoi ? Elle ne savait pas. Mais il était à présent trop tard pour se raviser. Yseult … Ses deux prénoms étaient peu courants de toute façon, mais le connaissait-il ? Non, sûrement pas. Même s'il restait un espoir infime qu'il se souvienne d'elle, elle venait de le réduire à néant. Et pourquoi ? Parce qu'elle avait peur. « On doit vous le dire souvent mais … Votre écriture a un goût indicible dont il est difficile de se détacher une fois qu'on y a goûté, et j'envie votre talent de conteur. » … Depuis des années, aurait-elle pu rajouter, mais elle n'en fit rien. La quadragénaire derrière elle attendait, impatiente, il fallait qu'elle cède la place.

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Sans doute que beaucoup dans son cas auraient été las des compliments qu’on leur faisait tout au long de la journée. La foule, les fans étaient comme une mousse au chocolat. Délicieuse au départ, tant et si bien qu’on ne peut en détacher les lèvres. Fade, dont le goût rassasie vers les dernières bouchées. Noah lui, voyait les choses différemment. Il n’était pas meilleur ou pire qu’un autre. Pas plus modeste ou angélique. Le british pensait simplement que toutes opinions, quelles qu’elles soient, n’avaient pas à être jugées sur les mots prononcés, mais l’intention qui s’y trouve. L’amabilité de ces personnes qui font la queue en attendant une signature sur un carnet, leurs visages, radieux, leurs sourires idolâtres… Rien n’était plus émouvant qu’un tel spectacle.

« Vous avez un beau prénom, si je puis me permettre. »

Yseult. Un prénom d’origine française qu’il avait rarement entendu mais qu’il appréciait pourtant. Les vieux prénoms ne sont usités qu’à une certaine époque avant de s’éteindre et de revenir sur le devant de la scène bien des années plus tard. Déjà le poète qu’il était se demandait la raison pour laquelle on l’avait prénommée ainsi. Car chaque prénom raconte une histoire. Bien que la plupart des gens ignorait souvent leur fondement. Son livre en main, son sourire s’élargissant en découvrant les replis ici et là, les quelques meurtrissures de pages, une goutte de café ou d’une boisson quelconque qui avait jauni quelques lignes un peu plus bas, étaient le signe évident d’une profonde et mémorable lecture. D’emblée, l’écrivain savait qu’il avait affaire là à une fan des plus assidues.

« Oh, je …je vous remercie. En effet, on me le dit souvent. Mais il est toujours plaisant de savoir que vos talents sont reconnus et appréciés. »

Elle avait un accent. Infime, presque inaudible. Etant lui-même d’origine anglaise, il n’avait pourtant pu échapper à son oreille. S’apprêtant dès lors à la confronter à ses suppositions en songeant, Noah releva les yeux vers la jeune femme, croisant aussitôt les siens. Son sourire disparut aussitôt. Au creux de sa main, sa plume s’était immobilisée. Un léger froncement de sourcils tandis qu’il l’observait avec cette sensation confuse qui emmêlait ses sens.

« Excusez-moi …est-ce que …est-ce que je vous connais ? »

Sur le moment, il n’avait pu retenir sa question qui, au final, lui paraissait aussi embarrassante qu’indiscrète. D’abord parce que la lui poser si tel était vraiment le cas revenait à prouver de la défaillance de sa mémoire. Ensuite, parce que, qu’il la connaisse ou pas ne pouvait avoir plus d’importance qu’un écrivain ayant rencontré une passante à l’angle d’une rue ou sur le parterre d’un café. Pourtant, elle avait ce regard. Intense, troublant, dont il ne pouvait se détacher malgré lui. Ce regard qui semblait aspirer son âme, révéler un secret enfoui dont il n’avait pas la clé. Il devait sûrement faire erreur.

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Bien qu'elle soit une férue de littérature comme on en voit peu, Nausicaa n'avait jusqu'ici jamais vraiment assisté à une séance de dédicaces. Peut-être parce qu'elle ne courrait pas après, qu'elle détestait les endroits surpeuplés, ou tout simplement parce que les nombreux auteurs qu'elle étudiait n'étaient aujourd'hui plus de ce monde. Cette dernière raison devait être la plus valable, si l'on y réfléchissait bien. Pour l'instant muée dans une expression troublante qui relevait plus de la curiosité que de l'idolâtrie, discrètement, elle étudia les traits de cet homme qu'elle avait jusqu'alors toujours regardé comme une enfant. Ses traits s'étaient durcis à cause de l'âge, et son regard, toujours profond, avait perdu de sa luminosité d'antan. Cette même luminosité qui l'avait frappée étant enfant, alors même qu'elle cherchait ses repères, et quelqu'un sur qui prendre exemple. En quelques mots : il avait changé. Était-ce dans le bon sens ou non, elle l'ignorait. Mais il avait cette réserve et cette tristesse dans le creux de la pupille qu'elle n'avait jusqu'alors remarqué que chez les êtres humains qui ont vu, vécu des choses qui les ont changé à jamais. Elle aussi avait cette lueur étrange.

NOAH. « Excusez-moi …est-ce que …est-ce que je vous connais ? »

Le regard de la jeune anglaise qui s'était rabaissé se raccrocha alors à ceux de l'écrivain. Elle n'avait pas sourit, seuls ses yeux s'étaient agrandis, et peut-être ses joues trahissaient-elles un trouble intérieur difficile à contenir. Dans sa poitrine, son cœur avait fait une enjambée. L'avait-il reconnue ? Non, seule une impression confuse de déjà vu le tenaillait tout entier. Pourquoi ne pas lui dire qui elle était, tout simplement ? Pourquoi faire tant de mystères d'une chose qui en réalité pourrait être si simple ? Peut-être pour éviter que la superbe des souvenirs ne se fane et se décompose. Elle avait cette peur inavouable qu'il la reconnaisse, et qu'il se dise : 'Oh, elle a bien changé la petite Nausi' ou quelque chose de ce genre. Elle-même ne se l'expliquait pas vraiment. Et quoique mentir ne fit pas partie de ses principes, elle trouvait ici cela nécessaire.

NAUSICAA. « Peut-être … Qui sait … Je ne sais pas. » répondit-elle sur un ton qui se voulait calme, presque doux, comme un murmure qui disait tout sans pour autant ne rien avouer. Déjà elle avait sentit le coude d'une dame derrière elle, qui patientait depuis trop longtemps, lui intimer de se pousser sur le côté puisqu'elle avait eut ce qu'elle désirait. Nausicaa s'exécuta, étant peu de celles qui s'imposent par les gestes ou les mots, plus de celles qui tirent rapidement leur révérence face à l'être humain pour ne pas avoir à y être confronté trop longtemps.

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Comme tout bon rêveur qui se respecte, Noah était complètement ailleurs, dans la Lune, sur les nuages, n'importe où mais pas sur la planète Terre. Ce fut sans doute pour cette raison que l'écrivain n'avait pas remarqué le regard insistant que lui portait la jeune femme. Lui qui avait l'habitude d'observer les passants, de raconter ce qu'il croyait être leur vie, leurs manies, leurs angoisses qui se rapprochaient des siennes pour la plupart, avait omis ce jour-là de s'intéresser à la seule personne qui était pour lui, plus qu'une énigme. Un souvenir. Son regard happa le sien, chercha une réponse que jamais il ne trouva. Son sourire disparu, sa quête semblait vaine face à cette mystérieuse jeune personne. Il n'était pas habitué à faire du charme pour assouvir ses désirs et pourtant, bien peu lui résistait. Ce qui se révélait être une bénédiction lorsqu'il se trouvait dans pareille situation, pensif et désireux de confirmer ses doutes, mais une terrible malédiction lorsqu'il se retrouvait dans des soirées mondaines, invité d'un aristocrate dont il avait oublié le nom avant même d'avoir franchi le seuil de l'entrée, obligé à sourire pour ne pas démystifier son personnage, mais pressé de fuir ce lieu de débauches. Hélas, cette jeune fille semblait différente de celles qu'il avait l'habitude de rencontrer. Plus renfermée en un sens. Dans son regard, cette lueur ne lui avait pas échappé. Au contraire, il se sentait irrésistiblement attiré vers la tristesse qui s'en dégageait. Ou l'avait-il déjà vu ? Il n'oubliait pourtant jamais un visage, encore moins un regard. On dit que les yeux sont la fenêtre de l'âme, il avait la curieuse impression que son âme lui avait appartenu, il y a des années de cela. La réponse énigmatique de Nausicaa eut l'effet estompé. A savoir, de le rendre encore plus suspicieux, plus intéressé encore qu'il ne l'était déjà. Plus indécis également. Qui était-elle ? Pourquoi tant de mystères ? Ce n'était ni un oui, ni un non, mais un peut-être. La pire réponse qui soit pour les curieux de son espèce. Pourquoi ce doute ? Etait-elle certaine de l'avoir déjà rencontré et ne voulait-elle pas qu'il la reconnaisse ? Mais dans ce cas, quelle en était la raison ? L'avait-il blessé par le passé, ou au contraire avait-elle l'impression d'un fantôme qui ressurgirait s'il découvrait la vérité ? A moins qu'il ne s'agisse que d'une erreur. Ce peut-être qui n'était qu'une façon comme une autre d'attirer son attention, de le séduire en l'éloignant de ses rivales potentielles. Non, il avait du mal à y croire. Cet air angélique qu'il lisait sur ses traits ...elle respirait même l'innocence des enfants, mais avec quelque chose en plus. Plus que de la déception, presque de l'effroi.

« Je...attendez ... »

Trop tard, il l'avait déjà perdu. Eloignée ou chassée par celle qui la suivait et le poursuivait. Pendant plusieurs minutes, Noah demeura silencieux, immobile, cherchant à la rattraper du regard. Hélas, elle l'avait quitté sans un bruit, telle une ombre qui vous suit pour mieux disparaître à la lumière du jour au point de se demander si tout cela n'était pas qu'un rêve. Une aberration. Heureusement, il ne restait qu'une ou deux personnes dans la file d'attente. Noah restait fidèle à lui-même. D'une douceur incomparable avec ces hommes et ces femmes. Pourtant, son esprit était préoccupé par sa précédente rencontre. Par cette jouvencelle qui eut tôt fait de sortir de la librairie en ne laissant derrière elle que son effluve. Quelques minutes suffirent à lui faire remplir ses devoirs, et quelques mots échangés à la va-vite.

« Excusez-moi. Oui. Bonne soirée à vous aussi. »

Il les avait salué, une dernière fois. Reposé les derniers romans. Dit au revoir au libraire qui, à force du temps était devenu un ami très cher, avant de s'éclipser au dehors, à la poursuite d'une certaine jeune femme. De fines gouttes de pluie s'écrasaient sans bruit sur son long manteau noir. Le ciel était envahi par des nuages venus du Nord. Gris, orageux. Soudain, il l'aperçut. Au détour du carrefour. Il courut pour la rattraper, jusqu'à en être essouflé, indifférent aux regards surpris des passants.

« Attendez, mademoiselle …s'il vous plait ! »

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Sur le bitume humidifié par cette pluie fine qui devenait de plus en plus drue au fil des secondes, Nausicaa sentit ses épaules s'affaisser sous la lourdeur étrange qui l'accablait alors. Les passants se pressaient sur le trottoir autour d'elle, un, même, avait entrechoqué son épaule contre la sienne sans un mot d'excuse. La politesse se perdait, de nos jours. Quant à la courtoisie, n'en parlons même pas. A moins qu'elle n'ait pas entendu, ce qui était fort possible compte tenu de la bulle dans laquelle elle se trouvait alors, le cœur gros, ne sachant quoi penser de cette entrevue aussi brève que furtive. Dire qu'elle avait mentit, qu'elle s'était présentée sous un faux nom. Mais pourquoi ? Quelle lâche elle faisait ! Qu'aurait-elle eut à perdre ? A priori rien du tout. Et pourtant, certainement par peur, elle avait préféré fuir. Comme elle le faisait à chaque fois. Comme elle l'avait fait lorsqu'elle lui avait écrit cette lettre anonyme qui il y a quelques mois de cela et comme elle venait de le faire une fois de plus. A l'évidence, mieux valait se résigner. Noah appartenait à un passé révolu depuis de nombreuses années, à cette enfance si lointaine dans sa mémoire de femme meurtrie plus par les événements que par l'âge en lui même.

Nausicaa avait fait quelques pas sur le trottoir, déjà trempée par le mauvais temps qui faisait rage, et par la pluie qui s'acharnait de plus en plus. S'en souciait-elle pour autant ? Non, elle appréciait cela. Lorsque l'eau fraîche alourdissait ses vêtements, ruisselait doucement le long de la courbure de son dos, elle se sentait parcourue de léger frissons qui se transformaient rapidement en tremblements. Beaucoup trouvait cela on ne peut plus désagréable, elle non. Dans ces moments là elle ne pensait pas. Alors que tout le monde se ruait à l’abri, elle restait là, le regard rêveur, le pas chancelant, à laisser l'eau lui fouetter le visage, chassant ainsi toute pensée de son esprit en mouvement constant. Elle s'était résolue à prendre le bus en distinguant l'arrière du véhicule plus loin, devant l'arrêt, alors que les passagers montaient un à un avec empressement. Elle s'apprêtait à s'élancer à son tour lorsqu'une voix la ramena en arrière. Une vois surprenante, familière, qu'elle ne pensait pas entendre de nouveau un jour. Alors elle se retourna vers ce passant qui n'était pas comme les autres, et qu'elle savait pertinemment être l'écrivain.

NAUSICAA. « … Oui ? » demanda t-elle alors qu'elle venait de se retourner. Derrière elle, impatient, le chauffeur de bus avait refermé ses portes. Il avait des horaires à tenir, évidemment. L'attendre deux minutes à peine … C'était tout simplement hors de question. « Ces américains … Tous impatients … Ils ne s'arrêtent donc jamais ... » souffla t-elle pour elle même avant que son regard ne se repose sur l'écrivain et ne l'interroge silencieusement. Dans sa poitrine, son cœur s'était serré, enserrant par la même occasion sa gorge. Que dire ? Que faire ? On venait de lui offrir une seconde chance, pourquoi ne la saisissait-elle pas ? « Tu ne te souviens pas de moi n'est-ce pas ? » dit-elle alors sans s'en rendre compte, alors qu'un sourire, furtif, d'une douceur qu'on ne lui avait pas connu depuis longtemps, n'égaye son visage bien souvent fatigué et tiraillé par l'existence. « Moi je ne t'ai jamais oublié. Personne n'a jamais pu égaler dans mon cœur l'adolescent aux milles histoires qui assèchent les pleurs. » continuait-elle d'une voix calme, le scrutant sans ciller. Ça y'est, elle l'avait fait. Maintenant, tout ce qu'elle risquait état d'essuyer une déception plus grande encore que la précédente.

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Face à elle, Noah s'était alors tû. Sans doute gêné par son attitude. Jamais jusque là il n'avait agi de la sorte. Comment avait-il pu croire que cette jeune fille … elle n'était venue que pour sa signature et voilà que lui, pauvre fou, se mettait à lui courir après. Qu'allait-elle penser ? Non pas de sa réputation puisqu'une réputation se fait et se défait au gré des humeurs et du temps, mais bien de lui. De l'homme si complexe que nul ne connaissait véritablement, à quelques exceptions près. Aucun lecteur en tous cas ne pouvait se vanter de connaître ne serait-ce qu'une infime partie de sa personnalité, de son passé, de sa vie. Toutes ces pages noircies, ses romans contribuaient sûrement à forger l'idéal dans l'esprit de beaucoup. Il avait remarqué, après toutes ces années, que ses lectrices avaient une interprétation aussi osée que véridique sous bien des aspects. Les hommes ont une vision moins utopiste, plus réaliste de son moi profond, qui n'en était pas moins vrai elle aussi. Mais elle ...cette jeune fille dont il ne connaissait que le prénom ...Yseult avait-elle dit. Il l'avait alors complimenté. Rien qu'un compliment. Juste assez pour voir ses yeux s'arrondir, ses lèvres s'entrouvrir très légèrement, son coeur cesser de battre et ses joues s'empourprer. Oui, ils s'étaient déjà rencontrés. Mais où ? Quand ? Pourquoi s'étaient-ils quittés ? Noah n'oubliait jamais un nom, ni un visage et pourtant, il dût admettre que sa mémoire lui faisait défaut. Comme si ses souvenirs avaient été effacés … Et qu'allait-il lui dire ? Qu'il l'avait oubliée ? Quel rustre il ferait. Et voilà pourquoi il l'observait toujours, sans mot dire. Voilà pourquoi il peinait à exprimer ses doutes. Voilà pourquoi il se sentait si seul tout à coup.

« J'ai ... »

Inconsciemment, elle l'avait interrompu. Dire qu'il avait mis tant de temps pour regrouper les quelques mots qui avaient failli s'échapper de ses lèvres ce soir. Par sa faute, elle avait raté son bus. Encore une erreur de sa part. D'ailleurs, ce fut à son tour de rougir, désireux de bien faire et pourtant si maladroit au fond.

« Je peux ...vous raccompagner si vous voulez ? »

Il n'avait pas fait attention. Seule une volonté de bien faire, la courtoisie typiquement anglaise l'avait conduit à lui faire cette proposition. Proposition qu'elle avait sûrement refusé se dit Noah. Après tout, elle ne savait de lui que ce qu'elle lisait au fil des pages. Il n'était rien de plus qu'un inconnu. Un inconnu qui lui avait couru après et l'avait empêché de prendre son bus. Et c'est alors qu'il s'interrogeait encore sur la meilleure façon de l'aborder que sa question lui fit arborer un visage empreint de surprise. Les yeux ronds, les sourcils légèrements froncés, en proie à une profonde réflexion, Noah hocha silencieusement la tête de gauche à droite, avant que, à l'issue de ses dernières paroles, un éclair ne traverse son esprit jusqu'alors embrumé.

« ...Nausi ? Tu ...je ...c'est vraiment toi ? »

Il n'en croyait pas ses yeux, et pourtant la vérité était bien là. C'était elle. La petite fille qu'il avait maintes fois bercé au creux de ses bras lorsqu'elle avait du chagrin. Celle qui ne se lassait jamais de ses histoires. Celle qui souriait lorsqu'il embrassait ses joues roses, qui lui courait après à travers les longs champs de blé de leur village natal. Non, il n'avait jamais oublié l'enfant qui avait tant compté à ses yeux. Mais cette jeune fille en fleur ...jamais il n'aurait pensé qu'elle eut autant grandi. Si le temps fait bien les choses, le hasard n'en est que plus admirable lorsqu'il vous rappelle votre enfance.

« Oui, c'est toi. »

Ses yeux, qui avait d'abord glissé le long de son corps, comme pour se remettre de la nouvelle, comme s'il avait toujours un doute, avaient fini par la dévisager, jusqu'à plonger son regard dans le sien et d'y lire la même douceur, la même fougue qu'autrefois. Et ce petit quelque chose sur lequel il n'avait pas encore mis de nom. Cette lueur triste et délicate qu'il n'aurait jamais pensé voir chez quelqu'un d'autre que ...lui-même. Soudain, sans prévenir, juste par envie, ou par besoin qui sait, ses bras l'entourèrent. Avec une tendresse inégalable, il la serra contre son coeur, ne la libérant de son étreinte que par respect de leurs traditions.

« Tu m'as manqué. »

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corbeille.

» I remember yesterday when I hoped I'll adopt her
» thea ;; ❝ cause i remember every sunset, i remember every word you said, we were never gonna say goodbye. ❞
» we do not remember days, we remember moments (erwan)
» I was so alone yesterday, tomorrow is another day
» oh i believe in yesterday ◄ NIKOLUBJA

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