❦ il y a une première fois à tout...

Se changer les idées, voilà quelque chose dont Camille avait bien besoin ces derniers temps. Le jeune homme avait plus d’un problème à gérer ces derniers temps, et cela n’allait pas en s’améliorant, bien au contraire. Accumuler les responsabilités avait semblé être un jeu d’enfant aux yeux de Camille, qui n’avait par conséquent jamais failli à ses obligations de président de confrérie tout en maintenant ses notes à un niveau satisfaisant. Mais les études n’étaient pas aussi simples qu’il l’aurait souhaité, et, étant donné qu’il faisait de surcroît partie de la confrérie la plus concernée par un travail scolaire de qualité, il n’avait d’autre choix que de celui de montrer l’exemple en permanence en obtenant d’excellents résultats, semestre après semestre. Et c’était réussi : Camille était l’exemple parfait de l’Alpha réussi. Studieux, intelligent, mais aussi modeste, gentil, à l’écoute des autres et sociable. Car, détrompez-vous, le vieux mythe de l’Alpha rat de bibliothèque qui ne sort jamais de sa chambre n’a rien de réel, et même s’il paraît à première vue impossible de cumuler vie sociale satisfaisante et résultats scolaires suffisants que pour faire partie des bleu pâle, la plupart des membres de la confrérie s’en sortaient plutôt bien. Mais ces derniers temps, Camille aurait, à la limite, préféré avoir trop de boulot que pour pouvoir se soucier l’espace d’une minute de sa vie privée, qui lui prenait tellement la tête qu’il aurait voulu la voir disparaître, et pour de bon. Le problème en question ? Il répondait au doux nom de Chuck Firth-Robertson. Camille avait, en général, la réputation d’entretenir de bonnes relations avec ses ex, étant donné qu’il n’était pas du genre à rompre comme un rustre et qu’il finissait généralement par pardonner à celles qui le plaquaient. Mais avec Chuck, tout était différent. Leur histoire n’était en rien comparable à tout ce que Camille avait connu avant, car pour la première fois, et même si ce ne fut que pendant quelques mois, il avait connu l’amour, le vrai, celui qui vous donne l’impression d’avoir tout juste commencé à vivre, après de longues années passé sans savoir ce que cela signifiait exactement. Mais Camille avait commis la pire erreur de sa vie en jetant Chuck du jour au lendemain, trop consumé par son chagrin. Et voilà que les retrouvailles se montraient aussi désagréables que gênantes, et que Camille ne parvenait pas, malgré tous les efforts du monde, à se faire entendre et pardonner auprès de son ancienne petite amie. Et au plus elle le rejetait en lui faisant clairement comprendre qu’elle ne lui pardonnerait jamais son comportement, au plus il pensait à elle. Pire, il n’osait pas se l’avouer mais il savait, quelque part au fond de lui, qu’il recommençait à développer des sentiments pour elle, et pas n’importe lesquels. Bref, un cauchemar auquel il aurait pouvoir échapper, ne serait-ce que que quelques moments.

C’était la raison principale pour laquelle Camille avait l’habitude de se réfugier ici. Le jeune homme n’était pas du genre à noyer ses problèmes dans l’alcool, mais il était évident que cela ne faisait jamais de mal de boire un verre pour se changer les idées. Ordinairement, le jeune homme venait accompagné, que ce soit d’un ou plusieurs amis. Mais ce soir, il avait plutôt la tête à la solitude. Accoudé au bar, il sirotait son verre de vodka, pensant malgré lui à Chuck. Mais il fut bientôt tiré de ses pensées par une voix qui ne lui parut pas familière. Il leva les yeux vers son interlocuteur et fut surpris de l’entendre prononcer son prénom. Le connaissait-il ? Il semblerait que oui. S’efforçant de ne rien laisser paraître sur son visage, Camille passa rapidement en revue toutes ses connaissances, en commençant par celles de l’université, et finit par s’arrêter sur un étudiant qu’il avait croisées à quelques reprises, sans jamais réellement lui adresser la parole. « Bonsoir… Callum, c’est bien ça ? » Heureusement pour lui, Camille avait une excellente mémoire des prénoms qui lui avait sauvé la peau plus d’une fois. Camille fit signe à Callum de s’installer à ses côtés, en lui adressant un de ses fameux petits sourires en coin, qui faisaient sa signature. « Ouais, je suis seul… Normalement, je croise toujours un visage connu dans les parages, et la soirée devient un peu plus intéressante. » Nouveau sourire, et Camille finit son verre d’une traite, avant de reposer son regard noisette sur son interlocuteur. « Et vu qu’il semblerait que tu sois mon visage connu ce soir… je t’offre quelque chose à boire ? »

❦ il y a une première fois à tout...

Il y avait quelque chose d’étrange dans la manière dont Camille avait été abordé par Callum. Certes, il n’était pas inhabituel que ce genre de situation ait lieu, qu’un étudiant que Camille ne connaissait que très vaguement, voire pas du tout, vienne lui adresser la parole en soirée tout simplement parce qu’il l’avait reconnu, que ce soit pour discuter un peu ou pour l’inviter à le rejoindre lui et ses amis. Quant à des rencontres avec des filles, elles étaient bien plus fréquentes, et bizarrement, l’ambiance qui s’installait dès le début entre Cam et la demoiselle ressemblait plus à celle qui régnait déjà entre Callum et lui ce soir-là : une sorte de tension, qui n’avait rien de désagréable mais qui se faisait ressentir, régnait dès les premiers regards échangés. Il serait sans doute exagéré de parler de tension sexuelle dans la mesure où, de manière générale, Camille n’était pas un Dom Juan qui passait son temps à draguer et à chercher avec qui passer la nuit, ou, tout simplement, dans la mesure où Cam se considérait comme hétérosexuel dans ce cas précis. De plus, Cam ne voulait pas non plus être parano ou se flatter de manière déraisonnable en interprétant la moindre interpellation comme une tentative de drague masquée – loin de là. Pourtant, le petit sourire de Callum et l’air qu’il abordait avaient mis la puce à l’oreille de l’Alpha, qui préféra l’ignorer, plutôt tenté par laisser toutes ses réflexions de côté pour passer un moment sympa avec le Sampi. Adressant un sourire à Callum, il fit signe au barman de leur servir la même chose à tous les deux, avant de concentrer à nouveau l’attention sur son interlocuteur, portant son verre de vodka à ses lèvres sans quitter Callum du regard.

« Disons que mes amis et moi, on a une histoire avec ce bar, donc même quand je suis seul, j’aime venir ici – et on ne reste jamais seul bien longtemps, de toute façon. » plaisanta Cam en réponse à la question de Callum. Il fut intrigué par la manière dont le Sampi semblait enchaîner les questions, des questions qui paraissaient banales ; mais Cam ne put s’empêcher de remarquer l’intérêt apparemment sincère avec lequel Callum écoutait ses réponses, et il en conclut que ces questions n’étaient pas posées simplement pour combler un silence gênant. « Ouais, c’est d’ailleurs en partie pour ça que je viens autant ici. Et toi ? » Camille se sentait toujours tout de suite content dès que le sujet de la musique était abordé. Musicien dans l’âme, pour lui, la musique était bien plus intéressante que ses études ou que tout autre passe-temps auquel il s’adonnait régulièrement. Et il avait déjà constaté par bien des occasions auparavant que la musique, en plus d’apaiser les mœurs, constituait toujours un moyen infaillible de rapprocher deux personnes, même si celles-ci se connaissaient à peine.

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Camille était de plus en plus intrigué par Callum. Le jeune homme ne se comportait absolument pas comme les autres connaissances de Camille, il semblait réellement s’intéresser aux réponses du jeune homme et même si pour le moment, ils ne faisaient qu’échanger des banalités, celles-ci semblaient, une fois n’est pas coutume, avoir un sens. Camille ne s’en plaignait pas, bien au contraire. Et la présence de Callum, aussi déstabilisante fût-elle, était indéniablement agréable, aussi Camille en profitait-il, heureux de passer un bon moment au lieu de se morfondre seul. « T’en fais pas, ça viendra », sourit-il lorsque Callum lui confessa ne rien avoir comme attache à l’Absinthe Bar, si ce n’était la musique. « On finit tous par vivre quelque chose de mémorable à l’Absinthe, même les choses les plus surprenantes. Suffit de le vouloir. » Camille était, en prononçant ces quelques mots, à mille lieues d’imaginer l’interprétation que pourrait en faire Callum. Il ne connaissait rien de ses potentielles intentions et n’avait en rien pensé à une expérience homosexuelle en évoquant ces « choses surprenantes ». En gros, il ne croyait pas si bien dire…

Camille sourit et acquiesça à l’observation de Callum, agréablement surpris de voir qu’ils partageaient la même opinion à ce sujet. Et lorsque Cal l’interrogea, Camille fut à nouveau surpris, quelque peu dérouté par les questions inhabituelles que posait le jeune homme. Sans se départir de son sourire en coin, Camille répondit sans attendre : « J’écoute, je joue, j’ai jamais réussi à chanter convenablement. Rien de plus frustrant, d’ailleurs. » Camille chantait juste, Camille connaissait le solfège, Camille avait une belle voix quand il parlait. Pourtant, le chant, ça n’avait jamais réellement fonctionné pour le jeune parisien. Ce n’était toutefois pas faute d’essayer : Camille était du genre persévérant, surtout lorsqu’il s’agissait d’apprendre à maîtriser quelque chose qui l’intéressait et qu’il aimait. Mais en vain, et il avait dû se résoudre à l’évidence que la voix n’était définitivement pas son instrument de prédilection, et qu’il ferait mieux de retourner à sa guitare, dont il jouait avec talent. Camille avait toujours vu en cet instrument le moyen le plus simple de pouvoir accéder à la musique, cette discipline qu’il aimait tant et à travers laquelle il se sentait revivre même dans les moments les plus durs. « Rien qu’à ton expression, je parie que toi, tu chantes mille fois mieux que moi… je me trompe ? » Taquin, Camille lança un regard inquisiteur à Callum, de plus en plus intrigué. « En revanche, côté rap, je suis quasi sûr de te battre. C’est peut-être moins musical, mais ça a toujours été mon pêché mignon. » Les rimes, le rythme et le débit effréné, Camille adorait ça, et au moins, le rap ne demandait pas de prouesses vocales comme les autres types de musique. Bref, le compromis idéal pour Camille. « Mais tu ne vas quand même pas me dire que t’es venu ici rien que pour écouter de la bonne musique, tout seul ? Tu n’avais pas d’autres intentions derrière la tête, Callum ? » Toujours taquin, Camille finit à nouveau son verre et fit signe au barman de les resservir tous les deux.

❦ il y a une première fois à tout...

Camille esquissa un sourire, amusé par la réaction de Callum. La question qu’avait posée le Sampi en premier lieu au sujet des capacités de Camille sous-entendait clairement que lui en connaissait un rayon, et le jeune français l’avait tout de suite compris sans pour autant prendre cela le moins du monde comme de la vantardise – au contraire. Mais maintenant, voilà que Callum se contentait d’affirmer qu’il se débrouillait – même pas bien, juste pas trop mal, disait-il. Camille ignorait s’il s’agissait de fausse modestie ou non mais il admirait l’initiative, conscient que le Sampi aurait pu prendre un tout autre chemin en affirmant clairement qu’il savait chanter, et pas qu’un peu. La modestie était une qualité que Camille avait toujours su apprécier à sa juste valeur et Callum gagna en sympathie aux yeux de l’Alpha, qui d’ailleurs n’avait déjà rien à lui reprocher jusqu’à présent. Callum faisait un sans faute aux yeux de Camille, non pas que celui-ci eut la moindre intention de le juger, au contraire, mais l’impression dégagée était bonne et c’était toujours ça de gagné. « Pas trop mal ou super bien ? Vas-y franco, pas besoin de modestie exagérée » plaisanta Camille, s’amusant à taquiner son acolyte. Cependant il n’y avait pas le moindre désir d’oppresser Callum dans les intonations de Camille et il le fit comprendre par un simple regard, peu désireux de plomber l’ambiance. « Et en ce qui concerne le rap, crois-moi, c’est un grand manquement à ta culture ! En tant que Sampi, tu ne dois pas être étranger au concept d’élargir ses horizons. Ça paraît peut-être seconde gamme à cause des rappeurs atroces qu’on nous ressert à toutes les sauces, mais il y a des perles qui méritent d’être découvertes. » déclara Camille, fervent défenseur de son style musical préféré, les noms les plus grands tels qu’Eminem, Busta Rhymes ou Dr Dre défilant dans son esprit, Eminem restant toujours son préféré de tous. Camille avait tendance à s’emballer dès que l’on parlait de hip-hop et il en avait conscience, alors il préféra abréger de peur de faire fuir Callum et se contenta de conclure : « Si tu veux, je te ferai découvrir un de ces jours. Tu ne le regretteras pas, promis. » Et un sourire en coin pour conclure l’affaire.

Mais la discussion prenait déjà un tout autre tournant et Camille ne pouvait s’empêcher d’arborer un sourire légèrement narquois et incrédule en entendant que Callum était visiblement réellement venu pour écouter de la musique, sans plan précis en tête. Cela avait quelque chose de surprenant, presque surréaliste, tant cela différait des intentions de la plupart des personnes qui fréquentaient ce bar. « Décidément, tu m’étonneras toujours… », se contenta de lancer Camille avant d’écouter la suite des paroles de Callum qui le surprirent légèrement. Camille ne sut trop comment prendre ce qui suivit, intrigué et quelque peu déstabilisé. Certes, il s’agissait de trois fois rien mais les petits riens de ce genre s’accumulaient depuis leur rencontre et il commençait à se demander s’il n’y avait pas réellement de sous-entendus à tout ce que disait Callum et à chacun des gestes qu’il effectuait. Camille préféra accorder le bénéfice du doute, peu désireux de se croire irrésistible ou quoi que ce soit dans cette veine-là alors qu’il s’agissait probablement de paranoïa. Il se contenta donc de sourire et de remercier Callum lorsque le barman leur servit à nouveau des boissons. Peut-être boire n’était-il pas la meilleure solution compte tenu des soupçons que commençait à nourrir Camille, mais il décida d’arrêter d’avoir tant de doutes sans doute infondés et but une gorgée qu’il manqua de recracher en entendant la question suivante. Okay, là, il n’y avait décidément plus de doute possible. On appelait ça du rentre dedans. Mais Camille avait du mal à y croire, aussi décida-t-il de jouer le jeu de sorte que Callum ne puisse saisir l’allusion que s’il avait réellement des intentions autres que de passer une simple soirée à discuter avec une connaissance. « Non, non, pourquoi, ça t’intéresse ? » Sourire en coin, expression détendue alors qu’en réalité, il était tout sauf cela, pressé de connaître la réponse afin de savoir comment réagir par la suite.