L’inutilité de son existence. Cette donnée qui lui revenait sans arrêt dans les gencives et qui fatiguait énormément la jolie Lexie. Cette idée incessante qui lui avait profondément gâché la journée et qui l’avait littéralement torturée en ce début de soirée…Du moins, suffisamment pour qu’elle se descende l’équivalent d’une bouteille de vodka à elle toute seule. Ce genre de réflexe ne pouvait traduire que son immense détresse, mêlée à une peur panique incontrôlable. Lexie avait l’impression de perdre son temps, surtout en s’adonnant à ses rendez-vous médicaux, de plus en plus nombreux. C’était une énième mauvaise nouvelle du côté de son cœur qui avait tout déclenché, du reste. A peine sortie de l’hôpital, Lexie était rentrée chez elle, pleurant toutes les larmes de son corps contre son oreiller, en solitaire et en silence, jusqu’à ce que l’appel de la bouteille ne soit complètement hors de contrôle. De gorgée en gorgée, elle s’était sentie mieux, jusqu’à ce qu’elle devienne complètement hilare et aille se perdre dans les couloirs de Berkeley. Elle dansait à présent sans musique, et ce depuis plus d’une heure. Lexie ne moquait totalement de l’éventuel public pouvant être présent. Ses mouvements étaient totalement désynchronisés, quant à son visage, il laissait échapper une pâleur presque mortelle. Ses yeux étaient à la fois brillants et largement rougis par les larmes…En une seconde, n’importe qui, y compris un inconnu, pouvait se rendre compte de la détresse de la demoiselle, et ce bien qu’elle se mette volontiers à rire à chaque fois qu’elle trébuchait. Sa danse ne reflétait certes pas sa souplesse légendaire habituelle, et encore moins les aptitudes physiques qu’elle avait depuis son plus jeune âge. A cet instant précis, elle avait bien plus l’air d’une épave qu’autre chose, et le pire, c’est qu’elle s’en moquait. L’alcool ingéré désinhibait totalement ses sens, et son cerveau était en ébullition. Elle n’était d’ailleurs pas concentrée une seconde sur sa danse, ou sur quoi que ce soit d’autre, mais elle n’entendit pas pour autant des pas se rapprocher de la salle où elle se trouvait. Ce fut sans nul doute la raison pour laquelle elle ne pu s’empêcher de sursauter violemment, avant d’éclater de rire. L’alcool n’avait pas pervertit son esprit au point qu’elle ne reconnaisse pas Fred, cela dit…Elle savait parfaitement qu’ils étaient relativement proches et qu’il risquait de lui faire la morale dès lors qu’il aurait découvert le pot aux roses ; mais même cette menace ne l’empêcha pas de continuer à danser de bon cœur, se moquant totalement d’être ridicule, voire même risible. C’était sa façon à elle de se défouler, de soulager son cœur pesant et malade. Les pleurs n’avaient pas suffit à l’ouvrage, il fallait donc bien trouver autre chose. « Ohhhhhh mais c’est Fred !! Comment que tu vas ? T’as vu, je daaaaanse c’est fabuleux ! » Ses paroles étaient aussi torturées et incohérentes que le restant de son corps, pourtant, elle mettait du cœur à l’ouvrage, et cela ne l’empêchait nullement d’en rire. La preuve, bien qu’elle soit alcoolisée jusqu’au bout des ongles, Lexie finit par s’approcher du jeune homme, non sans manquer de tituber à chaque pas, avant d’exploser de rire une fois qu’elle fut à quelques centimètres de lui. Si seulement elle s’était vue dans cet état, elle aurait probablement eut honte d’elle-même. Son alcoolisme était un secret défense, au même titre que sa maladie cardiaque, ou son attente de greffe. Ce n’était pas le genre de chose qu’elle souhaitait confier à n’importe qui, ou même à Fred qui lui faisait face. Elle n’en n’avait pas conscience, mais il devait se douter que quelque chose ne tournait pas rond chez elle. Très étrangement, il avait comme développé un sixième sens lorsqu’il s’agissait d’elle, et si c’était gênant la plupart du temps, Lexie n’était pas fâchée que ce soit lui qu’il l’ait trouvée plutôt qu’un parfait inconnu. « Je suis essoufflée, je crois que je vais m’asseoir. » Il n’y avait plus ni diplomatie légendaire, ni langue de bois. Lexie n’en n’était pas pour autant grossière, évidemment, mais elle mettait nettement moins de formes et n’arrondissait aucunement les angles. Elle n’avait ni l’esprit ni l’énergie pour ce genre de choses…Ni pour faire dans la dentelle. Elle finit donc par s’asseoir sur l’un des bancs de la salle, croyant jusqu’au bout qu’elle allait littéralement s’écrouler dessus, avant de soupirer bruyamment. Sa respiration était irrégulière et c’était un miracle qu’elle n’ait pas tout bonnement perdu connaissance. Mais comme quoi, sa carcasse était plus solide qu’elle ne le pensait de prime abord. « Et puis toi, tu fais quoi ici, hum ? C’était moi la première, faut que tu attendes ton tour ! »

Une petite partie de l’esprit de Lexie, partie qui n’était pas réellement embrumée par l’alcool ingéré, entendait absolument tout du discours de Fred. Elle s’était mis dans un état misérable et le lendemain allait sûrement être sévère…Surtout pour quelqu’un qui devait assister à une audience importante avec son avocat de patron. Mais pour l’instant, elle se contentait de fixer un point dans le vague, en face d’elle, sentant à peine la fraîcheur de la serviette que son acolyte était en train de lui passer sur le visage. Étant donné que son front était totalement ruisselant, il ne serait point étonnant qu’elle soit secouée par une violente fièvre. Lexie n’était que l’ombre de cette jeune demoiselle raisonnable qu’elle était habituellement. Certes, elle buvait souvent, et ce toujours en cachette, mais jamais elle n’avait bu à en perdre totalement la personnalité qui faisait d’elle ce qu’elle était. Lexie n’était plus hilare cette fois, elle était plutôt à deux doigts d’exploser en larmes. Ses beaux yeux d’une couleur noisette saisissante s’étaient considérablement humidifiés en l’espace de quelques minutes, et sa voix était littéralement étranglée dans sa gorge. Elle ne parvenait plus à articuler la moindre parole, comme si l’eau présente sur la serviette qu’il passait sur son visage lui donnait envie d’ouvrir ces vannes qu’elle tenait fermées depuis si longtemps. Il arrivait à cette énigmatique demoiselle de pleurer en solitaire sur l’oreiller, et si elle avait versé de nombreuses larmes plus tôt dans la journée, elle n’était pas pour autant prête à le faire devant un tiers. Elle prit donc sur elle et soupira à nouveau bruyamment avant de laisser échapper un rire on ne peut plus alcoolisé. Si une caméra cachée avait filmé l’intégralité de la scène, et que Lexie avait pu se revoir une fois redevenue sobre, elle aurait probablement eut honte d’elle-même. Mais sa conscience frôlait le degré zéro et son corps n’était rien d’autre qu’une immense épave qu’elle peinait à traîner tel un boulet à sa frêle cheville. Pour avoir cherché à oublier l’être raisonnable et secret qu’elle était habituellement, Lexie allait payer le prix fort…Si tant est qu’elle ne passe pas par la case confidences d’une seconde à l’autre, poussée par cette volonté qui n’était pas la sienne d’ordinaire. « Mais siiiii c’est marrant ! Puis, faut bien mourir de quelque chose, tu n’es pas d’accord ? C’est triste sinon. Il vaut mieux s’amuser, c’est plus marraaaant ! Même que moi, je vais mourir avant tout le monde. C’est cool non ? Je ne fais jamais rien comme tout le monde. C’est cool. » Encore une fois, une partie d’elle la poussait à dire la vérité, tandis que la quantité proprement homérique d’alcool qu’elle avait ingéré retenait un discours cohérent dans le brouhaha incessant régnant dans sa tête. Fred allait du mal à démêler le vrai du faux, si tant est qu’il le souhaite seulement, car Lexie n’était pas partie pour lui faciliter la tâche. La preuve, elle finit par se saisir de son poignet, et ce sans la moindre violence, pour mieux qu’il ôte cette serviette atrocement froide de son front ruisselant. Lexie détestait être mouillée, bien qu’elle aime la pluie. Il existait bien d’autres vérités illogiques sur sa personne, mais qui n’avaient strictement aucun intérêt pour l’heure. D’autant que bien que cette sensation soit désagréable, cela n’empêcha nullement la jolie demoiselle aux cheveux ambrés de se mettre à rire une fois encore. « C’est froid. Mais t’es jaloux que j’ai bu toute seule ? Non parce qu’on peut toujours s’arranger. » Lexie n’aurait pas été capable de boire une seule goutte de plus, cela dit. Elle était arrivée à son maximum, surtout que son rythme cardiaque était déjà bien assez irrégulier. Ce chamboulement émotionnel était sûrement à l’origine du fait qu’elle ait complètement oublié de prendre son traitement habituel. C’était pourtant un réflexe qu’elle n’oubliait jamais d’avoir, en temps normal. Chaque matin, avant de s’adonner à une petite séance de sport toute en douceur, Lexie prenait ce maudit traitement qui lui donnait la nausée et la rendait souvent de très mauvaise humeur. Elle devait ensuite prendre sur elle jusqu’à la prise suivante, prévue au moment du déjeuner, et ce après qu’elle ait avalé quelque chose. La troisième prise était évidemment programmée le soir, avant qu’elle ne s’en aille au pays des rêves après avoir déclaré sa flamme à Morphée. En somme, elle avait oublié les trois prises, et le fait qu’elle ait survécu à cette journée stressante sans faire le moindre malaise relevant vraiment du miracle. Restait à savoir si le fait d’être alcoolisée et hilare dans cette salle de danse allait la sauver à nouveau, ou bien s’il fallait que Fred l’honore de sa présence pour que la catastrophe ne survienne justement. « Ca ne marche pas. Je n’ai pas froid, j’ai encore chaud. C’est limite si je ne suis pas à deux doigts de me déshabiller. Tu crois que je peux, hein, d’ailleurs ? » Mais où était donc passée l’innocence habituelle de Lexie ? Elle qui ne disait jamais un mot plus haut que l’autre et dont la maîtrise était légendaire, la voilà qui était à deux doigts de s’enlever ses vêtements, et la peau ensuite si jamais elle estimait qu’il faisait encore trop chaud. Comme quoi, il était désormais amplement prouvé que l’alcool désinhibe de manière virulente et ce sans réellement prévenir.