Cette fin d’avril s’éternisait. Il faut dire que quand les êtres chers se mettent à vous fuir ou à disparaître de votre vie, le temps semble beaucoup plus long. Vous avez déjà dû attendre des heures et des heures pour obtenir une réponse à un message ? C’est un peu la même chose et chaque minute passée vous semble équivaloir à un quart d’heure. C’est ce qu’on appelle la relativité et ça fait franchement chier.
Depuis le départ de Lucie, Alcide avait agi sans réfléchir. Il avait couché avec plusieurs jeunes femmes, parce que ça l’aidait à ne pas trop penser à la fille de Samuel, il avait beaucoup bu, parce que quand il était bourré il ne pensait à rien, et il avait essayé de travailler un peu, aussi, parce que quand il s’adonnait au travail, il ne pensait à rien d’autre.

L’anniversaire de l’enseignant approchait. Le six mai, il allait avoir cinquante ans. Et ça lui faisait un peu peur. Quitter la quarantaine, changer de dizaine, cela le déprimait. Il avait bien remarqué depuis quelques mois que ses cheveux étaient de plus en plus gris, que son front se ridait et que les coins de ses yeux se couvraient de ridules… il y avait aussi ces douleurs dans le dos, qui ne le quittaient quasiment plus. Même ses genoux lui faisaient mal lorsqu’il circulait pendant trop longtemps à moto ou à vélo.
Van Stexhe avait beau savoir pertinemment que c’était dans l’ordre naturel des choses, se rendre compte que ça lui arrivait, c’était comme se prendre une gifle dans la figure. Vieillir, ça avait quelque chose de très frustrant. On perdait en endurance, en souffle et en physique ce qu’on était censé gagner en sagesse.

Il fallait profiter de ses derniers jours de quadragénaire. Parce qu’après ça, les choses ne seraient plus jamais pareilles. Peut-être qu’il pourrait encore séduire des femmes, plus ou moins jeunes, peut-être qu’il pourrait encore rêver un peu… mais ce cap des cinquante ans, cela lui semblait tout de même une étape importante. Au-delà de ce demi-siècle, il n’y en aurait sûrement pas un autre demi. Pas avec la vie qu’il avait menée. L’alcool, la drogue, le sexe et les excès en tous genres, même s’il ne les regrettait certainement pas, avaient nettement fait baisser son espérance de vie. Alcide le savait. Alors, il fallait profiter de ce qu’il était encore possible de vivre et de faire.

Ce soir, il y avait quelque chose à faire, comme la plupart des soirs à San Francisco. Une soirée punk et électro. Ce n’était sans doute pas l’endroit où on s’attendrait à croiser un mec de son âge, mais van Stexhe se fichait pas mal de ce que pourraient penser les gens. Il avait besoin de sortir, de changer d’air et de se rafraîchir les idées. Pas besoin de vous faire un dessin, Alcide comptait bien se bourrer la gueule ce soir et s’éclater tant qu’il le pouvait encore.
Costard léger, de couleur blanche, avec une chemise noire accordée à ses souliers, pas de cravate, pas de tee-shirt. Il ne comptait pas faire sensation, juste s’amuser. Et comme ni Samuel ni Edward n’étaient disponibles ce soir, il sortirait seul. Il y avait toujours quelqu’un à rencontrer dans les soirées, de toute manière.

Parce qu’il comptait rentrer complètement ivre, Alcide laissa sa voiture chez lui et préféra prendre les transports en commun. Il s’agissait là d’une marque de prudence et de bon sens. Et puis, qu’aurait fait Alcide si sa belle Audi venait à embrasser un pylône, franchement ? Ce n’était pas du tout le genre d’union qu’il encourageait, loin de là.

La soirée avait lieu au Lexington Club. Une boîte dont l’homme n’était pas à proprement parler un habitué. Il y était venu l’une ou l’autre fois et y avait trouvé la musique agréable, les danses sympathiques et les boissons bien adaptées. Alors c’était parti, il emprunta le métro pour se rendre à cette soirée.
Il arriva vers vingt-trois heures. De toute manière, il était rare que l’ambiance soit bonne avant ça. Et il commença directement par se prendre un cocktail à base de vodka et de fruits.

« Ce soir dès huit heures, soirée Punk & Electro au Lexington Club. » Voici les quelques mots que notre cher Gamma reçu en texto dans la journée. C’était plus précisément durant la pause repas qu’il eut ce message. Ce midi là, David avait préféré éviter son petit ami pour manger. David avait besoin de réfléchir sur la relation qu’il entretenait depuis plus de deux mois déjà avec Chris. L’aveu que l’autre garçon lui avait fait quelques jours auparavant l’avait chamboulé plus qu’il n’aurait pensé. Il y a de cela quelques semaines encore, Flinty n’aurait jamais cru pouvoir tenir autant à un autre homme qu’il s’était attaché à Swen. Au-delà de ses espérances et contre toute attente, Chris avait pris son cœur. Le plus jeune des deux était tombé en amour de l’autre. Situation pas du tout évidente à vivre lorsqu’on apprend que sa moitié ne vous aime pas comme vous l’auriez souhaité. Comme vous avez osé envisager. Dans ses songes les plus secrets, Flint s’était aventuré à imaginer un avenir avec son compagnon. Il s’était déjà vu vivre ensemble dans une jolie maison. Dans ses rêves, ils travaillaient tous les deux. Chris était devenu un grand artiste célèbre. Tout le monde voulait son talent pour des projets divers et variés. David, quant à lui, avait réussi à finir son doctorat. Ils gagnaient bien leurs vies. Ils étaient heureux et même mariés. Dans son fantasme, Flinty voyait deux enfants. Un garçon et une fille. S’il n’y avait pas un écart d’âge assez important entre les deux gosses, on aurait pu croire que les petits étaient les jumeaux de Swen et Holly. Mais non ce n’étaient pas eux. En revanche David était encore incapable de savoir si les petits étaient leurs enfants biologiques ou s’ils les avaient adoptés. Le Gamma n’avait jamais approfondi ce point important de ses rêves. Surement parce qu’il savait que Chris ne voulait pas avoir de môme. Il refusait que des êtres aussi jeunes et innocents souffrent comme Turner avait souffert pour avoir deux papas aimants. Les jeunes étaient bêtes et cruels entre eux. La jalousie sans aucun doute de voir une autre personne plus heureuse que soi même. Sinon le problème viendrait d’où ? De nos jours l’homosexualité devenait un sujet de moins en moins tabou. Certes tout le monde n’était pas encore assez ouvert d’esprit pour imaginer des gens vivre autrement qu’eux. Trop étroit même pour se rendre compte que si toute la populace sortait du même moule, la vie serait bien triste et monotone. Enfin bref ! Les espoirs que David avait fondés sur son couple avaient de fortes chances de s’évanouir dans la nature plutôt que de devenir réels. Chris était encore amoureux de Swen. Et tant que cela durera, la relation qu’il avait avec l’autre ex compagnon de Turner restera fragile. David souffrait car il revivait ce qu’il avait vécu avec Swen. Pour autant le Gamma refusait catégoriquement de refaire les mêmes erreurs que par le passé. Flint ne voulait plus tenter de s’imposer dans la vie de l’être aimé. Swen l’avait toujours reproché d’être égoïste et de faire passer sa petite personne avant celle des autres. Ici il était hors de question qu’il se mette en avant. Dans sa tête, c’était Chris et le bien être de ce dernier les prioritaires. Avec Swen dans cette situation là, David se refermait sur lui-même et repoussait son compagnon sinon il était extrêmement pot de colle avec l’autre. Ici, malgré qu’il ait appris la triste nouvelle sur les sentiments de Chris, David ne l’avait pas rejeté pour autant. Il arrivait même à se faire moins autocollant. Nos deux Gammas n’avaient pas cessé de coucher ensemble. Certes leur vie intime n’était pas ce qu’il y avait de plus dynamique et mouvementée. Il fallait encore que David se décoince. Mais avec le temps cela viendra certainement…

Ce midi David avait voulu dîner avec sa sœur Charlotte. Cela faisait trop longtemps à leur goût qu’ils ne s’étaient pas revus. Les Flint se racontaient les derniers évènements passés dans leurs vies. Chuck avait conseillé à son frère de laisser du temps à Chris mais que tout viendrait à point s’il apprenait à l’attendre. Ce soir, David avait voulu venir à la soirée avec Chris mais l’autre Gamma ne pouvait pas. Il passait la soirée avec Swen qui était dans une sale période. En effet Holly l’avait trompé et tout était fini entre eux. A peine arrivé au Lexington Club, Flinty se commanda une boisson alcoolisée. Il prit son verre et s’éloigna du bar pour trouver une chaise libre dans la salle.

David : " – Oh bonsoir Monsieur Van Stexhe ! Je suis étonné de vous voir ici. Je… Je peux m’asseoir avec vous ? “

En se rendant compte qu’il était entrain de s’imposer, le garçon rectifia.

David : " – Hum… Ex… Excusez moi, vous… Vous devez surement déjà attendre quelqu’un… Je vais vous laisser tranquille dans ce cas… “

La soirée ne s’annonçait pas forcément très joyeuse. Rien d’exceptionnel n’était prévu pour ce soir et Alcide était venu à ce truc punk et électro parce qu’il ne voulait surtout pas rester seul. Alors, oui, il était venu seul, mais son but était surtout de s’éclater ce soir, sans avoir à penser à tout le reste, à ce moment prochain où en prenant un an de plus il allait se retrouver à changer de dizaine et à passer le cap du demi-siècle. Putain, ça faisait long, n’empêche.
Ces derniers temps, l’enseignant ne pouvait s’empêcher de calculer un tas de choses… Sur ces cinquante ans, combien de temps avait-il été heureux ? Combien d’heures avait-il passées à s’interroger sur la vie, sur la mort, sur le sens de tout cela ? Combien de cigarettes avait-il fumées ? Combien de litres de bières avait-il bus ? Avec combien de femmes avait-il couché ? Au fond, il n’était capable de répondre qu’à cette dernière question. Et encore…

Être ici ce soir, cela équivalait à une sorte de dernière soirée pour un quadragénaire. Une fois qu’il aurait cinquante ans, peut-être ne pourrait-il plus entrer dans ces clubs… il devrait se contenter de soirées chiantes pour les vieux. Car c’était ça le problème, dans le vieillissement : on finissait par devenir un vieux croûton. Bordel, van Stexhe avait si longtemps pensé que la vieillesse était loin… et la voilà qui se ramenait… On n’échappe pas à son destin…

Une foule d’idées de ce genre l’assaillaient. L’homme ne se sentait pas prêt à entrer dans une période de la vie qui signifiait se priver de tant d’activités qu’il aimait. Bientôt, ce ne serait plus « presque trente ans » d’écart qu’il allait avoir avec Lucie, ce serait trente ans d’écart, carrément. Et c’était encore un nombre qui avait quelque chose d’effrayant.
C’était peut-être sa dernière soirée de quadra. Il fallait qu’il en profite. C’était là-dessus qu’il devait se concentrer. La déprime, ce serait pour plus tard.

La vodka fraise qu’il avait commandée était sucrée, douce dans la gorge, puis un peu brûlante. Un délice. Et puis, le goût de la fraise lui rappelait une soirée passée au Manhattan Lounge, avec une certaine Fraisinette… voudrait-elle encore de lui quand il vieillirait ? Raaaah, quelle horreur de revenir encore à ces fichus doutes !
Alcide était allé s’asseoir au comptoir, puis avait finalement changé d’avis et opté pour les tables hautes à grands tabourets. Il était seul, avec sa boisson, mais cela n’allait pas durer.

Relevant le visage en entendant son nom, van Stexhe reconnut immédiatement l’un de ses étudiants. David Flint. Etudiant en médecine ayant choisi de prendre la psychologie en option. L’homme l’accueillit avec un sourire et eut même un petit rire en entendant le jeune homme lui dire qu’il attendait certainement quelqu’un et qu’il allait le laisser.

"Pourquoi attendrais-je quelqu’un, David ? Prenez place, je vous en prie… nous n’avons pas souvent l’occasion de discuter, vous et moi…"

Flint était un excellent ami de Lucie Salaun. Alcide le savait très bien et, à vrai dire, c’était peut-être un peu pour cela qu’il avait accepté tout de suite que l’étudiant prenne place près de lui, mais l’homme ignorait si ce garçon savait ce qu’il en était pour Lucie et le professeur. Si elle était aussi proche de lui que ce que pensait Al, alors elle devait lui en avoir parlé. Peut-être qu’il savait pourquoi elle était partie sans rien lui dire…
L’enseignant leva son verre devant lui comme pour trinquer avec l’étudiant, puis avec un air à la fois un peu idiot et presque satisfait, il porta son toast.

"A votre santé, David. Et à votre étonnement de rencontrer un vieux dans une soirée pareille !"

Un vieux. Oui, il était évident qu’il dépassait de beaucoup la moyenne d’âge des personnes présentes à cette soirée. Même le barman n’avait pas trente ans. Et quoi, il pensait pouvoir se trouver une jeune fille ce soir ? Non, ce n’était pas ce qu’il cherchait. Il aurait voulu passer la soirée avec Lucie, ou avec Emy, ou Lexie… ou une autre jeune femme, peu importait, pourvu qu’elle soit jeune et qu’elle puisse lui permettre de ne pas se sentir trop vieux pour tout cela. Cependant, David était jeune aussi. Peut-être qu’en passant au moins une partie de la soirée avec lui, le professeur allait pouvoir éviter de se sentir aussi mal face à son propre âge.

Alcide porta son verre à ses lèvres et but une gorgée du cocktail. La saveur de la fraise, c’était un goût qui l’envahissait peu à peu, un goût qui lui rappelait des souvenirs et qui annonçait toujours le plaisir, ne fût-il que gustatif.

"Alors, quoi de neuf, David ? Vous aimez l’électro ou vous préférez le punk ?" Oui, il fallait bien lancer la conversation, voir un peu de quoi ils allaient pouvoir converser durant cette soirée. Mais van Stexhe comptait bien profiter de cette soirée pour danser un peu aussi, peut-être qu’une jolie fille le repérerait et qu’il pourrait terminer cette journée autrement qu’en se posant des questions déprimantes. "Si vous voulez me tenir compagnie ce soir, je vous préviens tout de même que je n’ai pas l’intention de rester assis toute la soirée !"

Le professeur ponctua ses paroles d’un clin d’œil qu’il voulait amical. Il cherchait à instaurer un climat de confiance pour pouvoir essayer d’avoir des nouvelles de la jeune fille qu’il aimait, pour pouvoir se rassurer, pour pouvoir essayer de se sentir bien et de passer un bon moment pour recharger ses batteries.

La soirée avait mal commence. David voulait la passer avec son compagnon mais ce dernier préférait rester avec Swen. Cela n’aurait pas dérangé l’ex Alpha en temps normal. Mais depuis quelques jours tout était différent. Flint savait son petit ami toujours amoureux du Thêta. Et Chris resterait toujours le premier amour de Swen. Même si aujourd’hui ce dernier voulait être avec Holly, David savait que Loyenz gardera une place particulière dans le cœur du Natural. Flint avait peur. Terriblement horrifié à l’idée que les deux exs se rapprochent à un peu trop et finissent par succomber à la tentation. Paniqué d’imaginer Chris arrivant vers lui et lui annonçant leur rupture… Enfin soit ! Il fallait toujours que Flint voit le mauvais côté des choses.

En arrivant dans le club, à peine servi, David repéra assez rapidement un de ses professeurs. Le garçon savait que cet homme connaissait bien de ses amies. N’ayant plus de nouvelles de Lucie dernièrement, le Gamma voulait profiter de converses avec l’homme pour prendre des nouvelles de la demoiselle. Certainement qu’Alcide en aurait des plus fraiches que lui.

David : " – Bah je ne sais pas moi… Il… Il est rare de voir un homme comme vous errer seul dans les bars… Enfin je vous remercie. “

L’étudiant prit un tabouret et posa ses jolies petites fesses dessus. Il souriait timidement au professeur et but une gorgée de sa boisson. David se mit aussitôt à tousser. Il ne supportait pas de boire de l’alcool. Même si ces derniers mois, le Gamma se laissait plus aller vers les boissons « d’adultes », ça avait encore du mal à passer.

David : " – Oh… Ex… Excusez moi M’sieur ! Je… Je ne voulais pas me montrer aussi surpris de vous voir ici… En fait, je… Hum… Comment dire ? … Ce… Ce n’est pas par rapport à votre âge M’sieur ! C’est juste le fait que c’est rare de voir un professeur rôdait dans des lieux comme celui là… Vous… Vous comprenez ce que je veux dire ? “

Mais non David ne prenait pas Alcide pour un idiot rassurez vous. Il ne fallait d’ailleurs pas que l’homme prenne mal cette question. Flint était tellement emmanché pour s’expliquer qu’il n’était jamais certain que ses interlocuteurs comprennent où il voulait en venir.

David : " – Si… Si je peux me le permettre… Vous… Vous avez quel âge ? “

Le professeur était sur le point de connaitre la maladresse légendaire de son élève. David posa un doigt sur ses lèvres. Puis il se gratta la tête. Oui quand ce garçon se mettait à réfléchir, Flinty avait pas mal de mimiques.

David : " – Attendez… Laisse… Laissez-moi deviner… Euh… Hum… La cinquantaine sûre… Euh… Cinquante trois ans ? “

David ou l’art et la manière de vieillir les gens ! Il fallait toujours qu’il se trompe à ce jeu là. Quoique pour une fois ci, l’étudiant ne s’était pas trompé de beaucoup. Lorsque le professeur lui annonça son âge.

David : " – Bah vous savez M’sieur, mes parents à votre âge, ils… Ils venaient seulement de m’avoir donc bon… Si vous… Si vous pouvez encore faire un enfant, c’est que vous n’êtes pas si vieux que cela… Enfin je pense… “

L’étudiant avait une façon assez particulière qui lui était propre de voir la vieillesse. La conversation se dirigea vers des sujets plutôt basiques.

David : " – Bah pas grand chose de neuf M’sieur ! Ce soir je ne retrouve tout seul, mon copain n’a pas voulu passer la soirée avec moi. Et… Et vous ? Sinon bof bof cette musique. J’ai connu mieux quand même. Mais bon c’est mieux que rien pour passer le temps… “

Ensuite le professeur annonça à son élève qu’il ne voulait pas rester assis toute la soirée, le Gamma prit ça pour une invitation à danser. David finit son verre. Il se leva en prenant la main du professeur.

David : " – Bah v’nez avec moi dans c’cas là… On… On va aller danser… “

Ofet Alcide savait il que David était gay ?

Aux yeux d’Alcide, Flint était un étudiant comme les autres. Il n’avait pas forcément de contacts avec ce garçon en dehors des cours de psychologie auxquels assistait le jeune homme. Le seul fait qui le rendait un peu différent des autres était le lien qui l’unissait à Lucie. Alors, effectivement, l’homme ne voyait aucun inconvénient à ce que l’étudiant prenne place près de lui. Ils étaient entre personnes civilisées, il n’y avait pas de raison que tout dérape.
David s’installa sur un tabouret, en face de van Stexhe, et les premières paroles qu’il prononça firent rire un peu le professeur. Quoi, c’était si rare que ça de voir un homme mûr apprécier des amusements de jeunes ? Il n’était pas écrit « Interdit aux plus de 25 ans » sur la porte du club, alors l’enseignant ne voyait pas trop en quoi sa présence ici pouvait sortir du ton…

"Si je me teignais les cheveux en noir, ça passerait sans doute bien mieux. Je n’erre pas seul ici, David, nous sommes deux, à présent."

Alcide souriait. Bien sûr, en venant seul, il s’attendait à faire l’une ou l’autre rencontre, ce soir, et le fait de croiser Flint n’était pas pour lui déplaire. Il aurait pu tomber beaucoup plus mal… sur Charles-Edouard Castello, par exemple… ce type-là, van Stexhe ne le supportait tout simplement plus. Et il savait pertinemment que s’il le voyait, il ne pourrait s’empêcher de lui cogner dessus… non que l’homme soit violent, mais il avait la rancune tenace en certains cas. Et Castello faisait partie de ces cas-là. Dommage pour lui.
Voyant son vis-à-vis tousser après avoir bu un peu de son cocktail, Alcide sourit à nouveau. La scène lui rappelait étrangement son premier verre de whisky. Il devait avoir aux environs de seize ans à l’époque… et, putain, ça lui avait vraiment arraché la gorge ! mais depuis, il s’y était habitué… après tout, l’être humain possède une capacité d’adaptation assez exceptionnelle…

"Je vais vous faire un aveu, David… Les professeurs sont aussi des êtres humains. Je mange, je bois, je sors… il m’arrive même d’aller aux toilettes !" Le ton était ironique, évidemment, et cela se voyait sur le visage de l’enseignant. "Cela dit, vous imaginez bien qu’il faut avoir certaines habitudes pour être doyen de la confrérie Oméga. Vous m’avez percé à jour, jeune homme !"

C’était dingue comme les étudiants avaient très souvent, voire toujours, une image très respectable de leurs professeurs… mais s’ils savaient comme les profs pouvaient s’éclater quand ils étaient entre eux ! Bon sang, ils en tomberaient des nues !
Ensuite, eh bien, l’étudiant posa la question fatidique. L’âge d’Alcide… justement ce qui le taraudait ces temps-ci. L’homme n’eut guère le temps de répondre que déjà Flint se lançait dans une hypothèse qui fut loin de faire plaisir à van Stexhe. Écarquillant les yeux en entendant qu’il avait sûrement la cinquantaine, il fronça les sourcils en entendant le nombre cinquante-trois. Son visage se décomposa durant un moment. Merde, il ne savait pas comment il était censé prendre cela !

"Je préfèrerai que vous vous absteniez de faire ce genre de réflexion… J’ai quarante-neuf ans, encore pour quelques jours, et je compte bien en profiter pleinement avant d’atteindre mon demi-siècle !" Alcide se renfrognait. L’idée de vieillir ne l’avait jamais vraiment dérangé, mais la cinquantaine, c’était un cap important… cela dit, plutôt que de chercher à plomber l’ambiance derechef, le professeur essaya de laisser une seconde chance à l’étudiant, en lançant une petite boutade pour détendre l’atmosphère. "Les cheveux gris, ça donne l’air d’être plein de sagesse, mais ça donne surtout l’air d’être vieux. Je n’ose même pas imaginer quel âge vous me donneriez si j’arborais une barbe argentée comme celle du Merlin de Disney !"

Flint parla alors de ses parents, qui avaient l’âge d’Alcide quand il était né. Mouais… l’homme savait bien qu’il pouvait avoir des enfants, enfin, il s’en doutait, il n’avait jamais passé de tests pour vérifier cela, mais l’idée d’avoir un nouveau-né dans les bras, ça lui faisait un peu peur…

"J’espère bien pouvoir avoir un enfant un jour… Mais vous savez comment c’est : les femmes de mon âge sont, pour ainsi dire, quasiment « périmées »… et j’aurais l’air d’un grand-père avec un môme en bas âge sur mes genoux !"

Et pourtant, très sincèrement, il n’y avait rien que l’homme désirait plus que pouvoir enfin fonder une famille. La sienne, celle où il serait l’homme de référence… il rêvait depuis des années déjà de pouvoir vivre avec la même femme pour le restant de sa vie, se poser avec elle, construire quelque chose de solide et de bien… mais le monde entier semblait conspirer pour que cela n’arrive pas.

Le sujet de conversation s’orienta alors sur le fait que le Gamma soit venu seul, parce que son copain n’avait pas voulu venir. Tiens… le mot « copain » fit tilt dans le crâne de l’homme. Alcide ignorait que le jeune homme était homosexuel. Bah, cela laissait plus de chances au professeur pour se trouver une jeune femme à étreindre cette nuit… L’étudiant demanda ensuite ce qu’il y avait de neuf du côté de l’enseignant, avant de commenter le musique.

"Moi ? A part ma crise de la cinquantaine, le départ de ma compagne et le fait que je vais bientôt me retrouver avec un gamin de sept ans sous mon toit, les choses ont l’air d’aller plutôt bien…" Se livrer sans en dire trop. La vie privée, c’était quelque chose de sacré pour les enseignants. C’était pour cela qu’il fallait toujours faire gaffe à ce qu’on disait et à ce qu’on faisait. "Une soirée pareille, ça n’est pas fait pour passer le temps ! Votre copain n’a pas daigné vous accompagner ? Eh bien vous allez voir qu’on peut s’amuser en étant célibataire un soir !"

Van Stexhe eut un sourire et avala le reste de sa vodka-fraise, avant de se lever pour aller danser. Si Flint était ici pour « passer le temps », Al comptait bien lui montrer que les soirées de ce genre-là étaient idéales pour s’amuser un peu et oublier quelque temps durant les aléas de la vie quotidienne. L’homme ne tiqua pas quand son interlocuteur lui prit la main pour aller danser. Bien sûr, cela pouvait faire penser à un couple gay, mais c’était une bonne manière pour aborder les femmes : parler de sujets qui plaisaient aux nanas, en leur laissant croire qu’on ne cherchait pas à les draguer, ça marchait parfois…

Arriver main dans la main avec quelqu’un sur la piste de danse, ça remontait à quelque temps déjà pour van Stexhe… et arriver main dans la main avec un mec, ça remontait à jamais. A moins qu’il n’ait fait ça avec Edward un soir de beuverie ? Si c’était le cas, il n’en avait aucun souvenir.
Bref. Une fois sur la piste, le duo s’inséra dans la foule pour danser. Un regard sur les gens et Al se rendit compte que cette manière de danser ne correspondait pas trop à ce qu’il aimait faire, lui. Il se pencha à l’oreille de Flint et lui parla de manière à ce que celui-ci comprenne malgré la musique :

"Vous êtes partant pour danser un rock là-dessus, David ?" Le rock, c’était le dada d’Alcide. Il le dansait comme si bouger sur la musique allait de soi pour lui, il le dansait comme s’il s’agissait d’une seconde nature. La dernière fois, c’était avec Maria qu’il avait dansé comme ça. Ça avait un peu énervé Edward, d’ailleurs, et ça avait fait rire van Stexhe. Evidemment. "Dans trois minutes, on est les rois de la soirée et tout le monde nous paye à boire !"

Tiens, ça lui faisait penser qu’il n’avait jamais invité Lucie à danser. Gosh, peut-être qu’il aurait dû. Peut-être qu’elle l’avait quitté parce qu’elle s’ennuyait avec lui… mais bon, il y avait de fortes chances qu’il ne sache jamais le fin mot de l’histoire…

Sans attendre vraiment la réaction ou la réponse du jeune homme, Alcide plaça ses mains sur le corps de son étudiant, comme s’ils étaient à un cours de danse pour hommes et qu’il fallait s’entraîner entre personnes du même sexe pour pouvoir ensuite emballer les filles comme il se devait. Autant le prendre comme cela, au fond, pour que la soirée n’ait pas l’air d’être un plan B.
Le professeur menait la danse, faisant tantôt tourner David, tantôt l’amenant contre son corps. Oui, comme un cours de danse. Lorsqu’il lâchait Flint pour qu’il s’éloigne un court instant, il l’attirait ensuite vivement, faisant voler légèrement la veste ouverte de son costume blanc, prenant aussi de plus en plus de place sur la piste de danse. Les diverses lumières qui allaient en tous sens donnaient à cette danse une allure endiablée, comme si les stroboscopes faisaient monter la température et diffusaient un parfum enivrant qui poussait le professeur à continuer. Danser un rock sur du punk, cela demandait de jouer sur la vitesse, sur la fièvre ambiante et sur les mouvements précis, malgré le rythme. Et pour cela, Alcide gérait parfaitement l’affaire. Au terme du morceau, il retint David d’une main dans le dos et le releva ensuite vivement, tandis que des gens les regardaient, certains applaudissant, d’autres tirant une gueule d’enterrement. Van Stexhe parla encore à l’oreille de Flint.

"Vous voyez, on a déjà des fans et des rivaux… La classe, non ?"

Dans ses contacts avec le corps professoral du campus, en dehors des cours, David n’avait eu de lien qu’avec Samuel Salaun. Ce dernier n’enseignait pas encore à Berkeley la première fois qu’il vit le Gamma. En effet, l’homme n’était que de passage en Californie pour régler certaines affaires familiales ainsi que pour passer un entretien d’embauche avec Maria, la directrice adjointe de la faculté. Le rendez vous s’était bien passé car l’homme devint enseignant en médecine dès la rentrée universitaire. Samuel avait rencontré David dans un bar. Ce dernier avait pris une cuite suite à la rupture avec son ex petit ami. David n’avait pas supporté la séparation. Swen n’avait été son premier compagnon. Celui qui lui a fait révéler son homosexualité au grand jour. Celui pour qui, malgré leur trop courte histoire d’amour, le cœur du Gamma avait battu ces trois dernières années. Turner était celui qui avait complètement changé la vie de David. Les rapports que le Rebel avait avec ses parents et le reste de la famille. Déjà que le garçon n’était pas très apprécié de ses nombreux demis et demis sœurs car il était le fruit de l’adultère entre leur mère à tous et le géniteur de David – qui était en réalité l’oncle du reste de la tribu -. Mais lorsque l’orientation sexuelle du gamin avait été sue ce fut l’apocalypse chez les Flint ! Famille très croyante et pratiquante d’une religion peu orthodoxe dont on ne citera pas le nom car elle est en réalité une secte, David fut rejeté des siens. Même sa maman avec qui le jeune homme avait toujours entretenu une relation fusionnelle le repoussa. Elle avait coupé les ponts avec cet unique enfant né de son véritable amour. En voyant à quel point l’étudiant en médecine se rendait malade, Samuel l’avait pris sous son aile. L’homme s’était fait passé pour son père auprès du barman en payant ainsi les consommations ainsi que les autres dégâts que le jeune homme avait involontairement causé. Depuis le professeur était devenu le papa de cœur de l’étudiant. Ce père aimant que le garçon n’a jamais eu la chance d’avoir.

David : " – Hum… La couleur des cheveux n’a rien à voir M’sieur ! Je… Je connais des garçons de la génération qui en possèdent déjà. Dit-on que cela est dû à de fortes contrariétés. Après je ne sais pas si c’est scientifiquement trouvé ou non. Car j’ai réellement un doute sur cette hypothèse. Pas vous ? Sinon c’est gentil d’affirmer que nous sommes deux à présent. Mais... Hum… Je doute fortement que vous arriviez à me supporter toute la soirée… “

L’étudiant riait doucement de sa bêtise. Mais en même temps il le pensait réellement. Si on en croyait les dires d’un certain Thêta, David était tout simplement insupportable.

David : " – Vous… Vous êtes le doyen des Omégas M’sieur ? Oh… Mais… Je… Je ne le savais même pas ! Je n’étais pas au courant que des professeurs pouvaient être doyen. Vous… Vous connaissez les doyens des autres confréries ? “

Alcide avait réussi à étonner David avec sa nouvelle. En effet, le garçon avait été président des Gammas lors de sa première année universitaire et jamais il n’avait entendu parler de doyen à l’époque. Et alors moins que les professeurs pouvaient suivre de près ou de loin les différentes confréries du campus. Car pour David, être doyen signifiait cela. Mais bon maintenant l’étudiant pouvait bien se tromper.

La discussion dévia par la suite sur l’âge du professeur. Il était vrai que le Gamma n’avait pas été très subtil dans sa façon de nombrer la « vieillesse » de l’homme. Mais au point de limite se faire enguirlander, David n’avait pas trop apprécié la façon dont l’aîné lui avait répondu. Bon en même temps il ne pouvait trop rien dire car il était en faute sur ce coup là.

David : " – Je… Je suis désolé M’sieur si… Si je vous ai vexé… Ce… Ce n’était pas dans mon intention… Et puis… Bah.. Merlin, je… Je sais pas quel âge il peut avoir cet homme… Il est plus proche du siècle complet que du demi comme vous non ?“

David retroussa son nez en faisant une légère grimace. Il avait peur d’avoir dit encore une autre bêtise pour avoir voulu cette fois ci détendre l’atmosphère comme le faisait le professeur. Ce dernier lui raconta qu’il aimerait fonder une famille. Puis il fit une remarque sur les femmes de son âge. Remarque d’ailleurs que David ne comprit pas.

David : " – “Périmée” ? Euh… Pour… Pourtant il… Il n’y a pas de date… De date de consommation sur les femmes comme sur les boîtes de converses… Euh… Si !? “

Le Gamma grimaça davantage. Il continuait de boire son verre pour ensuite se justifier de son ignorance auprès de l’homme mûr.

David : " – Pardonnez moi M’sieur… Mais… Euh… Je… Je m’y connais pas trop en matière de femmes… Déjà que… Qu’avec les hommes ce n’est déjà pas évident… “

Grosso modo Flint n’était pas très expérimenté et n’hésitait pas à le faire indirectement savoir à Alcide. David était un garçon très pudique concernant sa vie privée. Mais ici avec l’alcool, le garçon parlait sans réfléchir. Tourner sept fois sa langue dans sa bouche avant de parler, le Gamma ne connaissait pas.

Alcide lui parla très brièvement de sa rupture et d’un garçon de bas âge arrivant dans sa vie alors qu’à peine quelques secondes plus tôt, il avait prétendu ne pas avoir de famille. Les choses s’embrouillant déjà un peu dans la tête de David, le garçon ne répondit rien. Après tout il s’était peut être trompé. Ou alors qu’il avait mal compris. La musique allait tellement fort que ce ne serait pas étonnant de toute façon.

David : " – Mon… Mon petit ami a… Il a préféré resté ce soir avec son ex… “

David baissa la tête. Il était visiblement triste que Chris ne soit pas à ses côtés. C’est alors qu’Alcide proposa d montrer au Gamma ce qu’était une soirée de célibataire. Bah oui après tout pourquoi pas. L’homme invita l’étudiant à faire une danse. Ce qui rendit au Rebel son petit sourire. David adorait danser. Il se débrouillait même plutôt très bien sur une piste de danse.

David : " – Oui je veux bien… Evidemment… Surtout si… Surtout si les gens nous offre notre tournée après ça… “

Nos deux hommes s’éclatèrent sur la musique. Ils s’amusèrent comme il fallait. A deux, ils formaient un bon duo. Bon certes c’était le professeur qui tenait le rôle de l’ « homme » et David celui de la « femme » dans la danse mais peu importe. Le principal était de se divertir comme il fallait. Après ces trois minutes de folie, Alcide commenta le public. Pour réponse David rigolait. Ils étaient tous les deux essoufflés. Le garçon pensait très fortement à son petit ami. Chris et lui adoraient danser ensemble. Ce fut en s’imaginant avec Loyenz que le Rebel se lança sur les lèvres du professeur. Il lui vola un baiser que l’autre ne répondit pas. En voyant cela, Flinty se recula en ouvrant les paupières. Il mit ses mains devant sa bouche.

David : " – Oh je… Je… Je… Je suis désolé M’sieur… Je… Je… Je crois que j’ai b’soin d’m’reposer… Boire et me reposer oui… “

Le garçon retourna vers leur table assez difficilement. Il se fit bousculer à multiples reprises par le client du club. Ce qui n’arrangea pas sa migraine. En passant Flinty s’était commandé un autre verre. Le serveur ramena sa boisson ainsi que celle d’Alcide à table. David commença à boire quelques gorgées puis il s’avachit sur le bois. Les effets de l’alcool commençaient déjà ses ravages sur l’étudiant. Il ne fallait pas que le professeur lui en tienne rigueur pour le baiser.

Peu importait pour Alcide ce qui poussait les gens à sortir seuls ou à venir vers lui. Au fond, ce qui l’intéressait, c’était que David soit là et qu’ils étaient désormais deux pour passer la soirée. C’était bien mieux que de rester seuls, chacun de son côté, après tout.
Flint, c’était un gars bien, pour ce qu’en savait l’homme. Etudiant un peu timide, peut-être, mais cela pouvait être une qualité. Et puis, s’il avait été un sale con, franchement, Lucie n’en aurait jamais fait son confident.

En attendant, eh bien, van Stexhe découvrait peu à peu qui était ce garçon, bien qu’il y avait déjà quelque temps qu’il le connaissait de vue. Au fond, il ne savait pas grand-chose de lui. Déjà, il venait d’apprendre que Flint était gay. Mais ça, franchement, Al s’en fichait. L’avantage de passer la soirée avec un type homosexuel, c’était que cela laissait plus de filles pour le professeur…
Parlant alors de cheveux grisonnants, les deux hommes finirent par s’entendre sur un fait : finalement, on s’en foutait pas mal de la couleur des cheveux, puisqu’on pouvait grisonner à n’importe quel âge.

"Les soucis ? Alors j’aurais dû avoir des cheveux gris bien plus tôt. Non, je ne crois pas à cette théorie, David. Donc, rassurez-vous, je ne serai pas complètement chenu après avoir passé la soirée avec vous !"

Alcide utilisait le ton de la plaisanterie, évidemment. Il avait bien remarqué que son interlocuteur n’était pas très à l’aise et qu’il se sous-estimait.
C’était quelque chose d’assez fréquent chez les jeunes, le fait de se sous-estimer. Van Stexhe avait du mal à comprendre pourquoi, mais cela semblait être un phénomène du siècle. Le manque de confiance en soi, la crainte de ne pas être à la hauteur…

Par exemple, devant son ignorance sur le sujet des doyens de l’université, Alcide eut un sourire pour essayer de réconforter un peu son vis-à-vis.

"A la base, c’est ce qui se fait dans toutes les universités, David. J’ai enseigné ailleurs avant de passer à Berkeley et chaque université est découpée en facultés. Vous me voyez venir, les doyens sont les responsables de chaque faculté. Ici, c’est un peu différent, ça me fait penser à Harry Potter, si vous voyez à peu près… Les autres doyens… eh bien, Samuel Salaun est le doyen des Sampi et le jeune Bradley Cooper celui des Delta. Pour le moment, nous n’avons pas encore eu vraiment de réunions ensemble."

Il était vrai que depuis sa nomination à ce poste, Alcide avait surtout été confronté à la réalité de la merde dans laquelle il était : la confrérie Omega devait se reprendre en main et lui il était arrivé pile à ce moment-là. Un moment idéal pour redresser la barque, mais sans doute pas le meilleur pour profiter pleinement de son nouveau statut.

Soit. Puisque le Gamma s’excusait de ce qu’il avait dit à propos de son âge, Alcide fit mine de rire. Un geste de la main suivit son rire pour signifier au jeune homme qu’il ne lui tiendrait pas rigueur de cette maladresse. Après tout, s’il fallait commencer à garder en mémoire chaque petite vexation de la vie, alors certaines mémoires seraient vite saturées.
Et puis, déjà, vu la tête du jeune homme, van Stexhe se dit qu’il valait mieux ne pas continuer en ce sens. L’homme faillit s’étrangler en entendant David poser la question de la date de consommation sur les femmes. Bon sang, mais il venait d’où, lui ? On ne lui avait jamais rien expliqué ? Fronçant légèrement les sourcils, Alcide se rappela que l’étudiant était homosexuel. Mais tout de même, ces choses-là, on étudiait ça dans les cours de sciences, non ?

"Excusez-moi, David, mais c’est bien médecine que vous faites, n’est-ce pas ? Je parlais de date de péremption pour ne pas dire « ménopause »." Il était horrible, ce mot « ménopause », c’était moche et ça mettait des images en tête que l’homme préférait éviter. "Rien n’est facile avec les êtres humains. Si nous étions des singes, ce serait tellement plus simple…"

Et puis, de fil en aiguille, on arrivait toujours à la même chose. Alcide avait parlé de lui. Oh, pas beaucoup, il n’aimait pas trop se livrer, surtout en ce moment. Tant qu’Elyott n’était pas chez lui, Al considérait qu’il était seul. Point barre. Mais tout allait changer très bientôt. A cause d’un putain d’incendie de merde.
Et là, l’étudiant lâcha ce qui clochait. Son copain avec son ex. Mmmmh, dangereux, ça. Pour que le jeune homme soit dans un tel état, il fallait que ce soit assez grave…

"Allons, ne faites pas cette tête, David ! Si vous êtes venu ici, c’est pour vous amuser. Vous n’avez pas confiance en votre petit ami ? S’il est avec vous et pas avec son ex, c’est bien pour une raison. Alors, essayez de penser un peu à vous, ce soir."

Le ton autoritaire qu’avait employé Alcide ne lui convenait pas très bien, mais il voulait surtout faire réagir le jeune homme. Alors voilà, tous les deux avaient fini par se retrouver sur la piste de danse, à bouger dans tous les sens, comme deux beaux diables, se laissant guider par la musique et au terme de la chanson, le duo qu’ils formaient se figea quelques secondes, histoire de bien montrer à tout le monde qu’ils étaient presque des pros du rock.
Flint rigolait, comme si durant le temps qu’avait duré la chanson il avait oublié ses soucis. Tant mieux. C’était exactement ce qu’il lui fallait.
Et là, alors que le professeur ne s’y attendait pas du tout, il sentit soudain sur ses lèvres celles de l’étudiant. Les yeux écarquillés, Alcide vit le Gamma se reculer puis se cacher la bouche derrière les mains avant de se répandre en excuses… avant d’aller s’écrouler sur la table qu’ils occupaient tous les deux un peu plus tôt.

Van Stexhe ne comprit pas tout de suite ce qui s’était passé. Le baiser, il s’en foutait un peu. Si ça pouvait pousser les gens à leur offrir des verres, il était prêt à faire beaucoup de choses. Mais là, en voyant le jeune homme affalé sur la table, l’enseignant se dépêcha de le rejoindre.

"David ! Eh, David !" Alcide posa la main sur le front du garçon, vérifiant qu’il n’était pas fiévreux, puis il essaya de le secouer légèrement sans le brusquer. "David, bon sang, vous me faites quoi, là ? M’abandonnez pas au milieu de tout le monde comme ça, bordel !"

Car, évidemment, entre la piste de danse et la table, Alcide avait dû refuser quelques danses, tant à des filles qu’à des mecs. Et ça, ça lui avait fait plus bizarre encore que tout le reste.
Appelant le serveur, l’homme détourna un instant son attention de l’étudiant pour commander de l’aspirine pour lui. Et puis, en attendant le verre, eh bien, il se mit à boire le sien, lentement, tout en gardant un œil sur Flint et une main sur son épaule.

David n’était pas un garçon peu mais extrêmement timide. Le sujet sur la non-importance des cheveux grisonnants finissait par une petite blague d’Alcide. Apparemment l’homme aimait bien taquiner les gens. Pour réponse à cela, le Gamma baissa les yeux sur son verre. Il haussa légèrement les épaules en grimaçant. A l’expression du jeune homme, on ne saurait dire s’il faisait la moue ou s’il souriait.

David susurra un petit : " – Merci “

Le Gamma savait parfaitement que l’homme plaisantait. C’était juste que le garçon n’avait pas encore assez bu pour oublier ses soucis et rigoler de bon cœur. Les deux hommes abordèrent le sujet des doyens.

David : " – Mais Bradley est encore étudiant. Il peut déjà être doyen ? Et les doyens doit ils un pouvoir sur les élections de présidents de confrérie ? “

Quelques moi après son arrive à Berkeley, David s’était vu nommé au rang de président avec Lyzabeth. Le garçon avait adoré ce poste là et regrettait encore aujourd’hui d’être parti temporairement des Gammas pour rejoindre Chucky chez les Alphas. Malgré le bon vouloir de sa grande sœur, Flinty n’a jamais su bien s’intégrer chez les Students. Après un passage difficile à la rue quand il a été viré de l’université, David avait trouvé un logement clandestin chez Coleen dans la prestigieuse sonorité des Bêtas. Pendant que la défunte présidente l’accueillit, l’ex Alpha remplaçait Vladimir à Berkeley. David était un bien pitoyable surveillant. Heureusement que cela avait duré à peine un trimestre le temps de récolter assez d’argent pour redoubler son quatrième semestre de médecine. Et revenir enfin chez les Rebels. Malheureusement, Charles Edouard avait pris sa place de président de confrérie. Piètre dans les fonctions il fallait bien l’avouer. Il fut remplacé par la mignonne Militine. David voulait retrouver ses anciennes responsabilités cependant la confrérie était entre de bonnes mains avec nos deux Rebelles favorites. Néanmoins, le garçon songeait à se représenter aux prochaines élections, espérant cette fois ci être repris. Car la défaite était dure à assumer. Mais dans un sens Flinty n’en voulait pas à ses confrères et consœurs. Il devait prendre assez de temps pour retrouver leur confiance.

Les femmes… Ah là là ! Cette espèce là cachait encore bien des secrets pour le jeune Gamma. David était d’une grande naïveté et prenait facilement au premier degré les remarques. Qu’elles soient bonnes ou non d’ailleurs.

David : " – Oh ! … Euh oui je vois… C’est quand les anglais ont décidé de ne plus débarquer en fait… “

Cet étudiant avait l’art et la manière de parler de façon infantile. Oui c’était vrai qu’il était en médecine mais bon les cours – théoriques comme pratiques – de sexualité et Flint, cela avait toujours fait deux.

David : " – Vous pensez réellement que si on était des singes ce serait plus simple ? “

Non non le Gamma ne se moquait pas de l’enseignant en lui posant cette question là. Quelques instants plus tard, David avoua à son aîné ce qui le tracassait. Chris était avec Swen cette nuit.

David : " – Oui bien sûr que j’ai confiance en Chris… Mais bon… Les choses seraient plus simples si la personne qu’il aime est celle qui est en face de vous et non son ex… C’est… C’est de ma faute s’ils ne sont plus ensemble. J’ai vraiment peur de le perdre… “

Une danse plus tard…

David : " – Ne… Ne vous inquiétez pas Professeur… J’ai… Euh… J’ai juste besoin d’un petit remontant pour… Pour aller mieux… “

A l’entendre parler on aurait dit que David faisait son adulte alors qu’il était déjà malade avec les deux verres qu’il avait bus.

David : " – Serveur…. S’il… S’il vooouuussss plaitttt… “

Alcide avait du fil à retordre avec l’étudiant. Le garçon avait beau commander des verres, c’était le plus âgé qui les buvait pour empêcher le cadet de sombrer plus qu’il ne faisait déjà dans l’alcool. Environ deux heures plus tard, les deux hommes étaient sur le point de partir.

David : " – Faut que… Faut que j’aille chercher la titine mais… Euh… Sais plus où elle est… “

David sortit du bar en titillant légèrement. Il se tenait d’un côté au mur et de l’autre à l’enseignant pour ne pas tomber par terre. Le Gamma ne se sentait pas très bien. Il avait la tête qui tournait et ne voyait pas sa voiture. EN même temps c’était normal car ça faisait deux ans qu’il n’en avait plus. Et ici il était venu en autocars. Vu l’état de l’élève, Alcide se proposa de le raccompagna jusqu’à sa confrérie. Le professeur était garé derrière le bâtiment. Pour y accéder, il valait traverser une sombre ruelle. C’était le trou noir. Les choses tournaient étrangement tout à coup. Encore une absence. Puis David se surprit collé contre l’homme. Ils s’embrassaient et se chauffaient même mutuellement. En reprenant ses esprits, Flinty repensa à Chris. Le garçon ne voulait pas tromper son petit ami.

David : " – Non… Non s’il vous M’sieur… J’aime Chris, je ne veux pas… “

Puis tout se tremblait encore dans la tête à David…

La soirée aurait pu être géniale, au fond, vu la population de la salle. Il y avait là un tas de jolies filles aux formes bien faites et apparemment bien fermes… mais au lieu de danser avec elles et de draguer comme il l’aurait fait habituellement, Alcide s’était retrouvé à servir de bouche-trou à David, véritable caliméro en plein choc post-traumatique dû à la situation un peu inextricable dans laquelle il était.
Soit. Après avoir discuté un peu, les deux hommes avaient dansé, van Stexhe menant la danse pour tenter de changer un peu les idées du Gamma. Et puis ce dernier s’était effondré sur une table, faisant flipper le professeur comme un malade. Heureusement, il y avait eu plus de peur que de mal, puisque Flint était encore capable de commander un tas de verres d’alcool. Mais dans l’état dans lequel il se trouvait déjà, le doyen des Omégas avait préféré avaler tous les verres qui passaient, sans jamais se douter un seul instant que l’un d’eux contenait un petit supplément qui n’avait jamais été commandé ni par lui ni par David.

Au bout de deux heures, l’esprit bien trouble malgré tout, Alcide s’était décidé à essayer de faire sortir l’étudiant de là et à sortir, lui aussi, par la même occasion. La tête commençait à lui tourner et les lumières multicolores de l’intérieur lui semblaient terriblement agressives, comme s’il s’était agi de flashes d’appareil photo balancés dans les yeux. Argh, une horreur !
En mettant le nez dehors, van Stexhe inspira profondément. Bon sang, ça ne calmait pas cette impression d’avancer dans du coton. Il soutenait l’étudiant qui titubait et voulait aller chercher sa voiture pour rentrer… mais il n’était pas en état de conduire. Pas plus qu’Alcide, d’ailleurs. David ne trouvant pas son véhicule, Al proposa de le raccompagner avec la sienne… mais en réalité, il était venu en métro puisqu’il avait eu la ferme intention de se bourrer la gueule ce soir… enfin, ça, il ne s’en rappelait pas trop non plus, tout était assez flou… L’homme se sentait en forme, malgré le fait que ses sens lui semblaient un peu émoussés – émoussés, ça faisait penser à de la mousse de bière, tiens –, et il aurait été prêt à rentrer à pieds sans problème.

Dans l’un des verres qu’avait avalés le professeur, une main pas si innocente que cela avait glissé une drogue, peut-être par erreur, peut-être pas, personne ne le saura jamais, et les rooffies avaient tendance à donner envie de se déchaîner. Alors Alcide avait indiqué une ruelle obscure, un raccourci, pour rejoindre une rue quelconque.
Et là, Flint avait trébuché. L’homme l’avait aidé à se relever et, après l’avoir regardé dans les yeux un moment, il l’avait embrassé, roulé un patin du feu de Dieu non sans laisser ses mains balader un peu partout. Van Stexhe n’avait pas tardé à ouvrir son pantalon pour que l’étudiant vienne lui caresser l’entrejambe et puis aux paroles du jeune homme, le professeur avait glissé un doigt sur les lèvres de ce dernier, comme pour le faire taire.

"Chhht, laisse-toi faire…" Il avait alors tourné l’étudiant déculotté, face contre le mur et avait caressé son arrière-train comme si c’était celui d’une femme. "Tu vas voir, je fais ça très bien !"

Du pied, il lui écarta les jambes pour se faciliter l’accès et là, il fit ce qu’il n’aurait jamais imaginé faire avec un mec.

Sous son crâne, Alcide n’était pas lui-même. Il réagissait à l’instinct… instinct qui lui disait « Un trou, c’est un trou, fonce ! »… et lui, eh bien, il écoutait cette petite voix intérieure, sans réfléchir… de toute manière, il aurait été bien en peine de poser la moindre pensée sensée en ce moment. Maintenant les poignets de David contre le mur, il s’affairait entre ses reins, veillant à son propre plaisir, sans penser un seul instant au fait que Flint lui avait plus tôt demandé qu’il ne se passe rien de tel… Mais pourtant, il était bel et bien en train de faire précisément l'inverse de ce que l'étudiant avait demandé. Et il ne s'en rendait même pas compte, tout était flou, comme s'il n'était pas dans la réalité, comme s'il était dans un rêve, ou plutôt un cauchemar, où il n'était pas maître de lui-même et où il obéissait à des pulsions qu'il n'avait jamais. Celles dirigées vers un jeune homme. Soumis chimiquement à un produit qu'il ne connaissait pas, l'homme n'avait plus aucune conscience, il était juste un corps et était incapable de redevenir lui-même pour le moment...