Je m'étais fait une sorte de promesse à moi-même. Enfin, elle n'était pas écrite sur papier et je ne me l'étais jamais dite à voix haute, mais dans mon cœur, elle avait toujours été là. De quelle promesse suis-je donc en train de parler ? De celle de ne jamais déraper, de ne jamais me laisser sombrer, de ne pas quitter le "droit chemin". Pas le droit chemin qui ne nous permet pas de vivre non. Le droit chemin qui nous empêche de mourir. Celui qui nous empêche de nous autodétruire de par notre immoralité et notre irresponsabilité.

Je m'étais promis de ne jamais me laisser entraîner dans le monde de la drogue. Pas même pour simplement essayer. Rien du tout.

Et en rencontrant Flavia De Suza pour la première fois, j'avais tout de suite compris que je n'arriverais pas à tenir cette promesse faite envers moi-même.

Depuis mon entrée à l'université j'avais côtoyé des Sampi qui arrivaient à prendre la vie à la légère en fumant des joints, de l'herbe, de la marijuana, peu importe comment vous l'appelez. Je me moquais d'eux pendant qu'ils étaient dans leur trip, je rigolais avec eux même en étant parfaitement lucide, je trouvais mon bonheur réel dans leur bonheur artificiel. Je n'avais absolument rien contre cette façon de vivre, au contraire si ça pouvait les faire rêver, et bien allez-y ! Certes c'était néfaste et dangereux, mais on meurt tous un jour de quelque chose !

Moi par contre, je ne voulais pas y toucher. C'était tout simplement contre mes principes, et ce même si mes origines amérindiennes auraient pu laisser croire que je fumais toutes sortes d'herbes trouvées dans les bois avec le chaman du campement. Le cliché, quoi. Seulement, je n'avais jamais vécu avec la famille de ma mère, donc je n'avais jamais même passé plus d'une nuit dans une réserve amérindienne. J'ignorais donc tout de ce monde. Et j'avais assez vu de mondes au cours de ma vie pour savoir que le mien était celui qui me convenait le plus.

Malheureusement, tous mes accomplissements s'écroulèrent dès la minute où je croisai le regard de Flavia. J'étais dans un bar avec des amis de la confrérie et d'autres, aussi. Nous étions une petite bande, quoi. Puis elle était en train de danser, l'air complètement ailleurs, elle s'éclatait, elle planait, un verre à la main. Je l'avais regardée toute la soirée, sirotant mon cocktail plus sucré qu'alcoolisé. Elle était belle, pleine de grâce, sensuelle. Mon regard ne pouvait plus se détacher d'elle, en gros.

Évidemment, la belle ne mit pas de temps à remarquer l'intérêt que je lui portais.

Et dès lors, elle ne me lâcha plus. Ce soir encore, Flavia De Suza me trimballait dans sa valise en m'emmenant de boîte de nuit en boîte de nuit. Je commençais même à connaître les noms par cœur et je pouvais même les associer à son bon établissement. Il était passé minuit, nous venions d'entrer au Sierra Club de San Francisco que déjà, mon amie me prenait par la main, me faisait monter de grands escaliers et m'emmenait derrière des rideaux. Là, je découvris environ six personnes, assises sur de beaux fauteuils en cuir, en train de se renifler des lignes de poudre cristalline blanche. Pas la peine de me faire un dessin, je savais très bien que ce n'était pas du sucre. Je tournai un regard inquiet vers Flavia, qui me sourit en me faisant signe de venir. Je secouai la tête en reculant. « Je crois pas que ce soit une bonne idée, Flavia. On avait une entente ... tu sais bien que c'est pas pour moi ce genre de trucs ... » Notre entente ? Elle pouvait me saouler, me faire danser jusqu'au bout de la nuit, mais elle ne devait pas essayer de me convaincre de tenter les drogues. Nous nous étions seulement serré la main, après ça. Pas de promesse, pas de je le jure.

Je me souviendrais toujours de ce soir, ce fameux soir où j’ai rencontré Naveen. Je n’affectionne pas particulièrement les Sampis, la confrérie de ma sœur détestée mais elle c’était différent. Nous étions dans un bar, elle à une table en train de discuter avec ses amis les Sampis et moi en train de m’éclater sur la piste de danse, après avoir pris un joins, un verre à la main. J’étais dans un autre monde, dans mon monde, celui dans lequel j’aime me réfugier, celui dans lequel j’aime vivre. J’avais passée la soirée à danser avec mes amis et des gens que je ne connais même pas la veille. Cette soirée ressemblait à un début de soirées des plus banals en attendant l’ouverture des boites de nuit les plus branchées. J’aimais me rendre dans ce bar, il y avait toujours des tonnes de mes plus canons les uns que les autres à draguer, l’ambiance était vraiment bonne. C’était en quelque sort un petit amuse bouche avant la vraie soirée. La vraie soirée avec les Omégas. Ces soirées où quand tu arrives, tu ne connais pas la moitié des gens présent et une fois repartie tu as roulée des pelles au ¾. J’aimais me rendre dans ce bar car c’est ici aussi que je repérais mes proies. Les gens coincés, timides, ou introvertie que je me promettais de décoincer. J’en avais déjà un bon paquet à mon actif. A chaque fois que je choisissais une personne, je n’échouais jamais. Pourtant, j’ai eu parfois des cas. Le genre de cas tellement désespéré qu’on ne peut faire appel qu’à Flavia De Suza pour s’en charger. Ce soir là c’est elle que j’ai repérée ou plutôt qui m’a repérée. Je ne suis pas dupe et loin d’être aveugle, elle n’avait cessée de me regarder de la soirée. J’avoue que ça ne me déplaisait pas, cette nana était carrément canon. Je n’étais pas spécialement attirée par les filles. J’avais eu quelques expériences avec elles, des roulages de pelles par ci, par là – oui dans nos soirées tout le monde fini par se rouler des pelles – quelques expériences plus intimes lors de nos fameuses partouzes, des moments un peu hot mais rien de plus. Enfin, je n’étais jamais allée plus loin, seule à seule avec une fille. Et quand je vis Naveen j’avoue que cette idée me traversa l’esprit. C’est peut être aussi parce que je l’avais déjà vue deux trois fois à l’université et que j’avais connaissance de son orientation sexuelle. Bon d’accord, au début quand j’ai sue ça, la garce que je suis à tout d’abord voulue tout faire pour coucher avec elle, la lâcher ensuite. Naveen connaissait forcément Elena et si je pouvais l’atteindre en passant par ses amies alors je ne me gênerais pas. J’ai vite oubliée cette idée, je n’étais pas assez salope pour faire ça tout de même. Et quand je la vis ce soir, je me dis que si je devais coucher avec elle, ça ne serait pas vraiment par obligation. Ce fameux soir, je fis donc d’elle ma nouvelle cible, ma nouvelle proie. La nouvelle personne que je corromprais et je ne comptais pas y aller de main morte. Quand je vis que ses amis et elle était sur le point de partir je me suis dépêchée d’aller au bar et d’écrire mon numéro de téléphone sur une serviette en papier – oui dois-je préciser que j’ai aussi rajoutée le fameux petit bisou qu’on laisse tous sur les serviettes en papier – et d’aller lui glisser dans sa poche. Une petite main aux fesses en passant, elle savait à quoi s’en tenir.
Le lendemain, comme je l’espérais elle m’envoya un sms. J’avoue que la lecture de son message m’a fait plaisir mais je ne doutais pas trop qu’elle me rappellerait. Trop confiance en moi ? Peut être, en tout cas on m’a toujours rappelé donc je ne voyais pas trop pourquoi cette bombe brune, qui m’avait matée toute la soirée me foutrer mon premier vent. Je lui renvoyai instantanément un message lui proposant d’aller à une soirée ensemble le soir même. Le premier soir, je ne m’y pas la barre trop haut pour ne pas l’impressionner, la faire fuir, flipper ou je ne sais trop quoi. On remit ça toute la semaine, preuve que ça commençait à lui plaire. Chaque soir, j’essayais d’améliorer quelques choses, de mettre la barre plus haut. Elle avait déjà fait de net progrès depuis notre première sortie. Sa tenue déjà. D’accord, cette nana était toujours sublime mais plus nos soirées se faisaient nombreuses et plus elle était sexy et moins habillée.
Ce soir, j’avais décidée de sortir le grand jeu, nous avions fait la fête toute la soirée, j’avais bue, comme toujours mais raisonnablement afin de la surveiller. Honnêtement je l’avais pris sous mon aile, je ne voulais pas qu’elle finisse violée dans les toilettes. Naveen avait à peine touchée à son verre. Tant pis, une prochaine fois. Nous nous étions vraiment bien amusées quand même et j’avais appréciée notre proximité sur la piste de danse. Nous étions au Sierra Club depuis une bonne demi-heure quand je décidai que c’était le moment. Je la pris par la main et l’attira dans un escalier, en la regardant droit dans les yeux en souriant. Je tirai les rideaux qui nous séparaient du lieu que je cherchais. Elle tira une de ces têtes quand elle vit six mecs en train de renifler des lignes de coke. « Je crois pas que ce soit une bonne idée, Flavia. On avait une entente ... tu sais bien que c'est pas pour moi ce genre de trucs ... » . Je retournai vers elle, la prit de nouveau par la main et l’emmena sur la banquette à côté de toxicos. En lui caressant les cheveux je lançai : « Allez, laisse toi aller, tu verras ça sera génial, on à qu’une vie profites en ! » . Et avant même d’attendre sa réponse je nous préparai une ligne et la snifa. Je n’avais aucune attention de la force à faire quoi que ce soit, et d’ailleurs si elle ne voulait pas de ça, nous retournerions danser, et boire. Oui par contre, j’insisterais pour qu’elle picole un peu. Je lui laisserais prendre tout son temps mais j’en étais persuadée : j’arriverais à corrompre Naveen.

C'était drôle, comme tous les universitaires et même tous les californiens connaissant un peu la confrérie des Sampi, ne l'appréciaient pas. Comme si nous pouvions tous être mis dans le même panier, celui des hippies qui puent, qui ont des poils partout, qui revendiquent l'impossible et qui font l'amour avec tout, même ce qui ne vit pas réellement, genre les roches. Putain, c'était pas du tout ça ! Ceux-là étaient des extrémistes, et des extrémistes, il y en avait partout ! Je détestais me faire regarder de haut lorsque j'affirmais fièrement être une Sampi. Je n'étais pas différente des autres, en fait. La plupart des étudiants de Berkeley était catholique, puisque c'est le courant religieux le plus en vogue aux États-Unis, eh bien croire en Dieu c'est un peu comme croire au fait que les animaux et les éléments de la nature ont un esprit, non ? On croit tous en quelque chose. J'étais animiste, cela ne faisait pas de moi un être décalé et associable à mettre sur notre liste rouge ! J'essayais donc en permanence de défaire les Sampi de l'image que l'on avait d'eux. Bien sûr, tous mes autres confrères et mes consœurs projetaient eux aussi une image bien différente des stéréotypes. Nous étions des loveurs, des prophètes de la paix, certes, mais rien de plus. Je pense que Flavia avait enfin compris cela, la première soirée où nous nous étions vues. Et maintenant, elle tentait de taire la Sampi en moi, et d'allumer l'Omega qui devait bien se cacher quelque part derrière mon innocence de gamine. Aïe aïe aïe.

Le pire, c'était que ça marchait. Son plan fonctionnait à cent milles à l'heure. Je commençais à adorer l'ambiance des bars, des clubs, des discothèques, et le goût de l'alcool. Et le sentiment que ça me procurait. Et la confidence que je développais sur le plancher de danse. Et les yeux de tous ces hommes, et femmes, sur moi.

Maintenant au Sierra Club, je commençais légèrement à être fatiguée. Ce nouveau rythme de vie auquel Flavia me conviait à chaque semaine me rentrait dans le corps comme un bulldozer. Je n'arrivais pas encore tout à fait à la suivre. Je ne touchai d'ailleurs pas du tout à mon verre, sachant pertinemment que si je le faisais, j'allais finir nue à tourner sur la tête au beau milieu d'inconnus. Pas génial, comme image. Je n'avais pas envie de passer ma journée de demain à vomir mes trippes et à pleurer sur mon mal de tête. Et je savais que mes Sampis allaient me faire la leçon si jamais je rentrais avec une sale gueule pareille, et la gueule de bois qui vient avec après.

Tout d'un coup, la sublime Flavia me prit par la main, un sourire coquin aux lèvres, et elle m'entraîna vers les escaliers. La première pensée que j'eus fut qu'elle m'entraînait derrière ces rideaux pour que nous nous adonnions à des pratiques peu religieuses. Après tout, ni elle ni moi ne pouvions nier qu'une certaine tension sexuelle était née entre nous, depuis que nous nous étions rapprochées à ce point. Malheureusement, lorsqu'elle tira les rideaux, mon sourire sensuel et aguicheur disparu lorsque j'aperçus les quelques personnes qui reniflaient des lignes de coke. Je lui fis part de mes inquiétudes tout en reculant. Flavia, d'une douceur rassurante, me reprit la main et m'entraîna vers la banquette à côté de ces dépendants que je redoutais depuis tant d'années. Elle me caressa les cheveux, geste qui ne fit que provoquer encore plus de nervosité dans mon intérieur. J'avais la chienne de ma vie.

« Allez, laisse toi aller, tu verras ça sera génial, on à qu’une vie profites en ! » J'eus un petit rire nerveux. « Justement, on a qu'une seule vie, j'aimerais bien ne pas la ruiner ! » Dis-je. Tant de préjugés. Toutes les têtes se retournèrent vers moi, et je devins rouge de honte. Comme j'avais l'air prude et sage et naïve. Et stupide, de les insulter de la sorte sur leurs pratiques. Ils faisaient bien ce qu'ils voulaient de leur vie, après tout. Moi, je ne voulais pas. Mais leurs regards désapprobateurs me faisaient regretter d'être aussi catégoriquement contre les drogues. Je tournai mon regard vers Flavia, qui de ses yeux de chat, tentait encore de me convaincre. Je soupirai. « Je veux que tu me surveilles. Je veux que tu t'assures que je ne fasse pas de conneries. Et ce sera une seule ligne, pas plus. Plus jamais tu ne m'en proposeras. Et cette fois, tu tiendras ta promesse. » Lui dis-je.