Keyllan tournait en rond dans sa chambre, avec l’impression d’être un lion en cage. Il ne savait plus quoi faire pour palier au désœuvrement qui l’envahissait. Il avait tout essayé : mettre la musique, regarder les vieux dessins animés qui étaient diffusés à la télé, faire ses devoirs, … Il avait même sorti le carton aux souvenirs. Vous savez, cette petite boîte - souvent une ancienne boîte à chaussure - que tout le monde a chez soi, cachée au fond d'un placard, et qui renferme un tas de débris du passé, allant des photos de famille à la lettre donnée par notre premier amour quand on s’en tenait encore aux bisous sur la joue dans la cour de récré. Mais cette occupation n’avait pas réussi à retenir son attention plus de cinq minutes. Il avait fouillé quelque temps dans une liasse de papiers, sans vraiment les regarder, puis les avait reposés à leur place en soupirant.

Sa tête était emplie de trop de pensées pour qu’il puisse se divertir. Son histoire avec Coleen le perturbait. Il ne cessait de cogiter à propos de leur mariage et de la relation qu’ils entretenaient, une relation bien trop compliquée au goût de Keyllan. Il était peiné de voir la jeune femme dans un état si pitoyable. Elle était redevenue la pauvre camée paumée qu'il avait rencontrée à Londres. Elle avait replongé. Elle se détruisait un peu plus chaque jour. Elle était descendue tellement bas et avait l’air de se sentir tellement mal… Il ne réussissait pas à réfléchir à autre chose. Il souhaitait l’aider, mais ne savait pas comment faire.

L’élégant français décida finalement d’enfiler son manteau et d’aller au Bayview Park. Il devait retrouver sa sœur là-bas à 15h. Il lui restait une heure pour s’y rendre, ce qui était largement suffisant, mais il avait besoin de prendre l’air et de se changer les idées. Il ne voulait pas rester une minute de plus entre ces quatre murs à se morfondre. Il fallait qu'il sorte, qu'il voit du monde, qu'il quitte cette morne quiétude.

Dehors, un vent faible soufflait, mais le temps était agréable et un soleil timide dardait ses rayons sur la ville. L'étudiant en diplomatie marcha d’un pas tranquille dans les rues de San Francisco. Il aimait cette ville pour sa perpétuelle agitation. Elle était toujours en mouvement, quelle que soit l’heure. C'était une grosse fourmilière où chacun connaissait sur le bout des doigts le rôle qu'il devait jouer et contribuait à faire vivre la mégapole. Keyllan prit le temps d’examiner les passants. SF était plein de singuliers personnages et d’illuminés très intéressants à observer. Il rencontra un groupe d'hippie, quelques gothiques et un SDF barbu qui n'avait sans doute pas consommé que de la grenadine. Il prit le temps de caresser des chiens qui se promenaient gaiement avec leur maître. Il passa sa main dans leur fourrure épaisse et soyeuse. Il prit le temps d’admirer les décorations de Noël qui subsistaient encore dans quelques vitrines. Les fêtes de fin d'année étaient finies, mais certains commerçants ne s'étaient toujours pas mis au goût du jour. Toute cette perte de temps ne l’empêcha pas d’arriver au point de rendez-vous avec une demi-heure d’avance.

Les bancs étaient mouillés et un brin terreux et, comme Key’ n’avait aucune envie de se salir, il s’adossa à un lampadaire. Le parc était empli de rires d’enfant et de cris de mères inquiètes. Ce fond sonore, une symphonie bourdonnante, résonnait agréablement à l’oreille du grand brun. La pluie qui était tombait le matin même avait détrempé la pelouse. Keyllan aspira avidement une goulée d'air. Il aimait l’odeur qui se dégageait de la terre juste après une averse, une odeur agréable, une odeur d’humus, une odeur chaude et réconfortante. Cela lui rappelait les forêts françaises et par la même occasion son enfance. Il y avait peu de végétation en Californie, mis à part des parcs très fréquentés - comme celui où il se trouvait actuellement - qui n’avaient rien de sauvage, et c’était peut-être ce qui lui manquait le plus. La nature, la vraie, semblait avoir déserté la Californie, du moins la partie qu'il avait visitée.

Keyllan baissa les yeux et regarda sa montre. Plus que cinq minutes et son Chamallow arriverait, enfin en espérant qu’elle soit à l’heure. Il allait retrouver sa soeur, sa soeur à lui, celle qui lui avait été arrachée quand il avait pris son indépendance. "Arrachée" n'était peut-être pas le mot exact, puisque c'était son choix à lui. Mais la séparation n'en avait pas été moins douloureuse et il avait plus l'impression de l'avoir subie que de l'avoir voulue.

Retrouver mon frangin, voilà le programme de l'après midi ! Sympathique quand on y pense et oui, j'étais parfaitement d'accord. Je l'attendais depuis trop longtemps ce moment, pouvoir reprofiter pleinement de mon grand frère. Depuis plusieurs années, l'ensemble de la famille était explosé d'un bout à l'autre du monde. Keyllan à Oxford, moi à Paris puis à San Francisco, Holly à San Francisco, les parents à Paris et Cannes, famille à la con ces derniers temps surtout. Des histoires que j'aurais préféré ne jamais connaitre, mais que l'on ne pouvait pas ignorer malheureusement...
Tout ça pour dire que j'avais hâte de voir Keyllan, de pouvoir retrouver un semblant de ce qui nous liait quand on habitait encore ensemble. Même si aujourd'hui, tout avait changé. Plus rien n'était comme avant, avant sa chambre était de l'autre côté du palier à l'étage de la maison, je connaissais par coeur ses habitudes, je savais où le trouver n'importe quand. J'étais vraiment LE stéréotype de la petite soeur, pour moi, mon frère c'était mon idole. Maintenant, même si ça restait toujours le cas, c'était beaucoup moins marqué, j'avais grandi, lui aussi et nos vies avaient changé pour suivre leurs propres cours, ce qui expliquait que je ne l'idolâtrais plus autant ! Une bonne chose pour lui je pense !!!

J'avais rendez vous avec Keyllan à 15h dans le parc de Bayview, on avait notre lieu de retrouvailles habituel là bas. Je terminais mon dossier de littérature et au moment où j'appuyais sur "imprimer quand mon portable sonna, nouveau message d'Holly. Elle me demandait si j'avais le temps de passer la voir. Je lui envoyais ma réponse. « Je vois Keyllan cet après midi, tu veux venir ? » Je rangeais mon ordinateur avant de lui renvoyer l'heure et le lieu où on devait se retrouver. Une fois ça fait, il était presque l'heure que je me mette en route. J'attrapais un manteau, mon portable, mes clefs, ma carte de crédit, la laisse de Chocapic et j'ouvrais la porte d'entrée. Une fois le coffre ouvert, mon chien s'élança à l'intérieur et je vis la voiture s'abaisser, comme à chaque fois ! Je m'installais dérrière le volant et démarrais. Une fois arrivée à proximité du parc, je trouvais facilement une place de parking. En quelques minutes, j'avais rejoint Key'. J'avais de la chance que Choco' ne soit pas trop énervé aujourd'hui parce que je sentais encore la chute que j'avais faite la semaine dernière, ma cheville était redevenue normale mais j'avais encore mal, surtout en fin de journée.

« Keyyyyllan ! »

Je lui sautais au cou avant de m'écarter et de lui demander comment il allait. Il avait l'air tendu et fatigué...

« Au fait, Holly nous rejoint, elle devrait pas tarder à arriver, je pense. »

Spoiler:

Keyllan l’avait entendue avant de la voir arriver. Chamallow s’était mis à crier son prénom, comme si ils n’étaient que tout les deux dans le parc. En général, il détestait quand elle faisait ça, en fait il détestait se faire remarquer. Mais aujourd’hui il s’en fichait. Il allait retrouver sa sœur chérie et rien d’autre ne comptait. Il tourna la tête vers Aurlanne, qui déboulait en courant avec un monstre à la main, et ouvrit les bras. Elle vint se pendre à son cou. Il avait l’impression d’être revenu plusieurs années en arrière, quand ils se voyaient tous les jours, quand ils étaient liés comme les deux doigts de la main et quand les câlins étaient à volonté : matin, midi et soir. Cette époque lui avait énormément manqué et il espérait qu’ils allaient redevenir aussi soudés qu’avant. Il savait qu’ils ne retrouveraient pas la même complicité immédiatement, des tas de choses avaient changé depuis leur vie à Cannes, mais il se disait que peut-être avec le temps leurs bonnes vieilles habitudes reprendraient leur place et qu’ils se rapprocheraient.

Il fut content d’apprendre que sa cousine venait elle aussi. Il aurait été agacé si ça avait été quelqu’un d’autre. En effet, il aurait voulu pouvoir profiter pleinement de ses retrouvailles avec Aur’ et voir un étranger s’immiscer dans leur rendez-vous ne lui aurait pas vraiment fait plaisir. Mais Holly n’était pas une étrangère, même pas une simple cousine. Elle était comme une sœur pour lui et il était ravi de passer l’après-midi avec elle.

Son arrivée avait à peine était annoncée par Aur’ qu’Holly se trouvait déjà dans le parc, quelle synchronisation. Elle vint se lover dans les bras du garçon à son tour. Keyllan avait presque oublié tout le bien que ça faisait de se retrouver en famille, avec des personnes qui vous connaissent sur le bout des doigts et sur lesquelles vous êtes sûre de pouvoir compter quoiqu’il arrive. Sa famille, c’était son petit cocon à lui, une bulle chaude et confortable. Il se sentait déjà beaucoup mieux qu’il y a à peine cinq minutes. Ces filles devaient vraiment avoir un effet magique sur lui.

La remarque de sa cousine lui donna le droit à un regard noir. Un câlin à Chocapic, il ne manquait plus que ça ! Il n’était pas question que ce clébard plein de bave l’approche. Un monstre à quatre pattes, voilà ce que c’était ! Keyllan avait toujours détesté ce chien. Il collectionnait les bêtises et l’étudiant avait l’impression que le toutou l’avait tout particulièrement choisi comme victime. Il n’avait jamais compris comment sa sœur avait pu s’enticher d’un animal pareil. C’était une vraie calamité, toujours prêt à tordre des chevilles et à salir des pantalons. Et le pire, c’'est qu’il apparaissait à tout le monde comme un vrai ange. Les gens ne pouvaient s’empêcher de le caresser quand il arrivait quelque part. Personne ne semblait voir à quel point il était diabolique et méchant. Ce n’est pas « Chocapic » qu’il aurait dû s’appeler, mais plutôt « Terreur » ou « Tyran ».

Il soupira en entendant la question de sa cousine. Ce n’était pas seulement le surnom qui l’agaçait. Il en avait surtout marre de s’entendre demander « comment ça va ? » à longueur de journée. C’était toujours la même question, à laquelle il fournissait toujours la même réponse. Mais il ne pouvait évidemment pas en vouloir à Holly de s’intéresser à lui. De plus, il voyait bien que chez elle l’intérêt était sincère.

- Tout va bien répondit Keyllan.

Il affichait un sourire qu’il espérait convaincant, tout en étant persuadé que les filles ne seraient pas dupes. Bien qu’en temps normal il soit doué pour cacher ses sentiments, elles le connaissaient beaucoup trop pour ne pas s’apercevoir que ça ne tournait pas bien rond dans la tête du jeune homme. En ce moment, il passait son temps à faire croire à son entourage que tout était ok, même si ce n’était vraiment pas le cas. Sa vie partait en morceaux, il foirait tout ce qu’il entreprenait sans exception. Ses résultats scolaires n’étaient plus aussi excellents, il perdait les compétitions sportives auxquelles il participait et, pire encore que cela, son histoire avec Coleen ressemblait de plus en plus au Titanic. Mais il ne voulait pas gâcher la journée en évoquant ses problèmes et elles aussi avaient leurs propres soucis. A ce qu’il avait compris, Aurlanne avait une vie amoureuse plus qu’agitée ces derniers temps et Holly se retrouverait bientôt avec deux fardeaux sur les bras. Ces deux-là avaient vraiment besoin de son soutien et ce n’était pas le moment de jouer les égoïstes.

- Et comment vont Spencer et ma petite sœurette ? demanda le grand brun. Je suis certain que vous avez plein de choses à me raconter.

Keyllan misait beaucoup sur cette journée. Il comptait sur ces deux soleils miniatures pour lui remonter le moral. Il voulait faire de cet après-midi un après-midi mémorable.