Une journée entre filles…Tiens, cela faisait bien longtemps que les jumelles Vodianova ne s’étaient plus adonnée à ce genre d’activité. Elles n’étaient pas ferventes amatrices de shopping, utilisaient davantage la carte du traiteur pour éviter d’aller chez le traiteur, et pendant de longues années, elles n’avaient plus été suffisamment proches pour se faire une vraie virée entre filles en bonne et due forme. Il fallait dire que les layettes n’avaient pas toutes été achetées, et les demoiselles avaient leur intérieur à refaire à neuf après que la tornade de leur père soit passée. La première chose qu’avait répliquée Abby en apprenant que Tasha souhaitait faire des achats, c’était qu’elle était aveugle et que donc, elle ne risquait pas de lui être d’une grande aide. Mais sa jumelle avait su utiliser d’excellents arguments, à savoir qu’elles ne passaient plus assez de temps ensemble, et la blondinette avait bien été contrainte d’abdiquer. Elles s’étaient donc donné rendez-vous à l’immense demeure Vodianova, Abby étant persuadée qu’elle allait sortir de 4x4 pour marquer le coup. C’était incroyable comme ce petit bout de femme était un redoutable conducteur et comme elle savait faire taire les hommes par sa conduite à la fois irréprochable et provocante. Tout en absence de nuance, Abby et Tasha étaient pareilles sur ce point précis. Voilà pourquoi la blondinette s’était pointée à l’heure prévue, peut-être même un peu en avance, afin d’être sûre qu’elles auraient toute la journée devant elles pour parler de ce qu’elles voudraient. Elle s’était vêtue d’une tenue de femme enceinte, à la fois ample et confortable, composée d’un sweat fin rouge et d’un pantalon blanc. Même dans de pareils vêtements, elle parvenait au miracle d’être classe…Le charme russe, sans nul doute. Mais elle aurait dû parier que Tasha sortirait cette vieille voiture qui en avait bien plus sous le capot que de nombreuses voitures neuves et actuelles. S’installant à l’avant, bouclant sa ceinture, Abby se souvenait de leur dernière virée entre filles, qui s’était finalement transformée en course poursuite avec le FBI. Cette fois-ci, maintenant qu’elles travaillaient avec l’organisation pour faire coffrer leur père, il y avait nettement moins à craindre…Abby s’installa confortablement et sans crainte, avant d’éclater de rire. Il faudrait vraiment qu’un jour, elle prenne son courage à deux mains et joue les entremetteuses entre sa jumelle et ce bon Antoine. Le pauvre français avait beau lancer des signaux de la taille de baleines à Tasha, celle-ci faisait soit la sourde oreille, soit elle était encore plus aveugle que sa pauvre blondinette de sœur, ce n’était pas possible autrement. « Au fait, des nouvelles d’Antoine ? J’en ai pas personnellement, alors je me suis dit que tu en avais peut-être » demanda-t-elle d’une voix parfaitement innocente et simple. Cette question était logique, puisqu’Abby était très amie avec le français. C’était parti d’une petite moquerie sur un accent, et ils étaient devenus proches avec le temps. Du coup, la blondinette n’avait d’autre choix que de supporter le fait de l’entendre se plaindre que Tasha ne remarquait pas ses petites séductions…A croire que les sœurs Vodianova étaient aussi peu douées l’une comme l’autre pour conserver de vraies relations sur le long terme. Ce n’était guère étonnant, vu l’éducation qu’elles avaient reçue, en même temps…

ABBY – « Alors voilà le programme…On va passer se prendre un café, faudra voir pour quelques layettes, et après on s’attaque à la peinture et autres trucs pour la maison. Je suppose que tu as pris le 4x4 pour son coffre défiant toute concurrence côté taille ? Remarque, faut bien qu’il serve, c’est péché que de le laisser sans arrêt au garage. T’as pensé à lui donner un petit nom ? Les dingues de voiture aiment bien surnommer leur véhicule, j’avais entendu ça quelque part. Après tout, le vieux tas de ferraille d’Aaron, je l’avais bien appelé Géraldine ! »

Et ça, c’était le dossier le plus humiliant qu’il y avait à connaître sur l’ancienne histoire d’Abby et du jeune homme. Ce n’était certes pas le seul, mais puisqu’elles s’apprêtaient à faire une virée entre jumelles, autant y aller franchement et sortir tout ce qu’il y avait à dire du sac. Tasha ne connaissait pas encore Aaron, mais si elle savait tout ce que sa sœur avait fait pour attirer son attention, elle aurait sûrement ressentit de la compassion pour ce pauvre jeune homme. C’était un miracle qu’il soit tombé amoureux d’elle dans ces conditions, après tout.

ABBY – « Tu sais que l’un de ses potes m’avait humiliée, un jour ? Un pote d’Aaron, je parle. J’avais quatorze ans quand je l’ai rencontré, et pour me venger, j’avais fait subir un shampoing à l’œuf à la personne m’ayant humiliée, si tu vois ce que je veux dire. Je n’étais pas du tout vindicative à l’époque… »

Les jumelles étaient bien parties pour se faire certes une virée entre filles, mais également pour découvrir des secrets inavouables de leur passé. Pour sûr, si Ekaterina avait fourré son nez dans ce joyeux bazar, elle aurait sûrement trouvé beaucoup à redire. Mais Abby était secrète, déjà à l’époque quand elles avaient été prise en charge par la directrice de la CIA, et cela n’allait pas changer de sitôt. On ne fait pas évoluer un tempérament comme celui-ci d’un claquement de doigts… « Et toi, quoi de neuf ? J’espère que t’as plein de trucs à me raconter, parce que qui dit virée entre jumelles, dit potin-land ! Et au fait, j'exige qu'on aille se faire masser et bichonner avant la fin de la journée. Y'a pas de raison. »

« Tiens, c’est drôle que tu n’aies pas pris le 4x4…A croire que t’es raide dingue de cette voiture ! Cela dit, tu me bats côté surnom. Terminator et Titine, alors là, chapeau bas sœurette ! Tu es championne toutes catégories ! Ta fille a eu de la chance que tu lui choisisses un joli prénom ! » Abbygail se permettait uniquement de plaisanter là-dessus car elles avaient eu une longue conversation au sujet des enfants. Les jumelles Vodianova n’avaient pas une vie de famille des plus banales, après tout…Entre la blondinette, enceinte de jumeaux sans être mariée, et Tasha ayant une adorable petite de quatre ans après avoir accouché dans le secret le plus total, il n’y en avait pas une pour relever l’autre. C’était à croire que ces deux là n’avaient cure des traditions, pourtant enseignées respectivement par leur père et leur tante, et privilégiaient leur propre bonheur avant de se soucier de ce qui était bien, convenable ou pas. La preuve en était que les jumelles n’avaient prévenu personne qu’elles partaient pour la journée, hormis Charles. Pour une fois, Abby n’avait pas fait de rapport détaillé à Samuel, et pour cause, il était déjà bien assez embêté avec son histoire d’amour…Avec une étudiante. La blondinette n’avait pas prévenu non plus Aaron, occupé avec la sempiternelle visite de Morgan chez le médecin, partant du principe qu’il allait probablement être préoccupé davantage par sa fille que par la minuscule absence de son amante. Ce n’était pas comme si Abby avait une vie sentimentale on ne peut plus stable, ni qu’elle était fiancée…A ses yeux, elle ne l’était plus. Après les nombreux mensonges et autres cachotteries d’Adrian, elle avait décidé de faire le vide dans sa vie. Aujourd’hui, elle n’allait accorder d’importance qu’à sa jumelle et à leur relation qui récemment avait été bien trop délaissée. Elle avait énormément de temps à rattraper, et cela bien qu’elles s’en soient donné à cœur joie à Noël. Cette fois-ci, ce n’était pas pareil…Abby comme Tasha s’était apprêtée, maquillée, quant à sa jumelle, elle avait sortit la voiture de sport, comme pour marquer cette grande occasion. Cette fois-ci, plus d’intrigues à la clef, seulement de la détente, comme attestait le fait que Tasha ait pris rendez-vous chez l’esthéticienne et au SPA, afin qu’elles se détendent et évacuent toutes les deux le stress immense accumulé lors des dernières semaines. Alors que sa sœur venait tout juste de se garer, Abby sortit de la voiture après avoir au préalable détaché sa ceinture de sécurité. Ce fut plus fort qu’elle, elle ne pu s’empêcher de faire semblant de caresser la voiture dans le sens du poil, comme s’il s’agissait là de l’unique réaction qu’elle pouvait adopter en entendant le surnom ‘Titine’.

ABBY – « Après tout, faut bichonner Titine aussi !! Même si je t’imagine très bien la laver toi-même, au soleil, tout juste armée d’une éponge, d’un sceau plein de mousse et d’un peu d’huile de coude ! C’est marrant, mais autant Charles ne prendrait pas le risque de rayer sa voiture, autant je ne te vois pas du tout l’emmener chez un spécialiste pour un nettoyage…M’enfin bon, à en sentir la peinture douce, tu t’en occupes bien sœurette, t’as pas à rougir ! Bon blague dans le coin, je crois que l’esthéticienne nous attend. On va oublier le masque aux algues, j’ai pas envie de ressembler à un zombie sortit tout droit du cimetière un jour d’Halloween, par contre une petite manucure je dis pas non ! »

Telle une fillette à sa première fête foraine, Abby s’empara du bras de Tasha pour qu’elle la guide à l’intérieur de l’institut, bien qu’elle ait conservé dans son autre main sa canne d’aveugle. Ce n’était pas vraiment pour qu’elle soit ses yeux, c’était plutôt pour marquer un rapprochement significatif entre elles. Du reste, le réceptionniste ne s’y trompa pas : Il commença à trouver formidable que des sœurs jumelles comme elles leur fassent l’honneur de venir dans leur institut. Ce qui choquait presque Abby, ce n’était pas tant qu’il s’extasie devant une chose aussi banale, normale, logique…Mais plutôt que ce soit un homme qui tienne la réception de l’établissement en question. Ca, ce n’était ni fréquent, ni banal ! Elle ne pu s’empêcher de laisser éclater un petit rire lorsqu’elle sentit le jeune homme se saisir de sa main pour la serrer en guise de bienvenue, après en avoir fait autant avec celle de Tasha. Ils les conduisit dans une sorte de pièce individuelle, où il y avait deux lits spécialement réservés pour elle. Quand le réceptionniste leur expliqua le fonctionnement, Abby crut qu’elle était atteinte d’une berlue incommensurablement virulente : Ainsi, la salle d’attente ne se résumait pas à trois chaises pourries se battant en duel, avec des magasines vieux comme Érode en guise de lecture pour patienter, mais bien à deux lits dont le matelas était d’un moelleux extrême, une immense table avec un petit déjeuner de roi, dont les effluves chatouillaient délicieusement les narines de la blondinette, mais aussi un pré massage offert par le réceptionniste en personne. Il les laissa s’installer tranquillement, leur promettant de revenir d’ici cinq minutes maximum, une fois qu’il aurait installées les deux autres clientes venant tout juste d’arriver. Abby eut beaucoup de mal à se retenir d’éclater de rire et de joie tout en même temps…Ce fut un supplice d’attendre qu’il ne daigne fermer la porte de la pièce pour qu’elle pousser son habituel cri des grandes journées. Pour avoir géré, Tasha n’avait pas fait les choses à moitié ! Cela valait grandement le coup de ne pas prendre Terminator mais plutôt Titine, d’avoir les cheveux en bataille et tout le reste pour se faire accueillir dans un véritable palace esthétique. Abby lâcha temporairement Tasha pour aller s’asseoir sur le lit lui ayant été assigné, se délectant d’un petit jus d’orange pour démarrer en beauté.

ABBY – « Bah dis donc, t’as braqué une banque ou quoi ? Le service premium, ça va te coûter juste un bras et une jambe ! Heureusement que maman nous a légué un petit pécule conséquent, mais présente-moi la note que j’en paye la moitié quand même. On partage les frais, que tu le veuilles ou non ! »

S’allongeant finalement pour tester le moelleux effectif du matelas, Abby se permit de pousser un immense soupir d’aise. Elle avait rarement testé pareil lit, pareil confort, et était tout à fait prête à se faire bichonner. « Il ne manque plus que tu me dises que le réceptionniste est beau comme un dieu et c’est bon, tu m’as perdue ! Je crois que je vais avoir du mal à ne pas fantasmer, tu te rends compte ? Un réceptionniste homme…Qui masse en plus ! Alors ça, c’est juste énormissime. » Et la blondinette éclatait une fois encore de rire, avant de se rasseoir pour attraper un croissant, dont l’odeur de beurre embaumait agréablement la pièce. Abby avait déjà petit déjeuné, mais quand on est enceinte de jumeaux, les envies sont nombreuses, et ce n’était pas comme si elle avait déjà pris vingt kilos…Puisque le gynécologue la suivait depuis le début de sa grossesse trouvait qu’elle n’avait pas assez grossi, pour sûr, elle allait se venger en bonne et due forme aujourd’hui. Soupirant après s’être goinfrée de deux croissants au total, Abby soupira. « Retire-moi ça, sinon d’ici cinq minutes il va plus rester une miette et je vais avoir honte » énonça-t-elle dans un petit rire, preuve qu’elle n’en pensait pas un mot et qu’au pire, elle était prête à se rendre à la première boulangerie venue pour faire un grand stock…Il n’était pas question de mourir de faim, pas aujourd’hui où le but premier était de s’amuser et de prendre soin de soi !

ABBY – « Bon alors, toi tu vas choisir le masque vert qui te donne un air de martien ou tu vas rester soft avec une simple manucure ? Pas que ça me choque, mais en sachant que c’est un homme qui va nous faire notre fête pour ainsi dire, pas question qu’il me foute une sale mixture dont la couleur est…Pas catholique et qui te donne une tronche inhumaine !! »

« Oui ça c’est sûr, la gourmandise est ton péché capital ! Pour moi, attends laisse-moi réfléchir…L’orgueil, la colère ? Les deux mon général ! » Tout en se déhanchant à en avoir le souffle coupé, Abbygail ne pu s’empêcher d’éclater de rire. Si Tasha éprouvait une sorte de mélancolie en voyant sa jumelle ressembler autant à leur défunte mère, c’était une tristesse que la blondinette ne connaissait plus. Voir les gens avoir une forte ressemblance à quelqu’un que l’on regrette, nous ayant quitté, elle ne savait plus ce que cela pouvait faire au juste. Ca ne faisait pas d’elle un cœur de pierre, mais c’était tout juste. Pour beaucoup de sentiments, la vue garde une importance capitale. Abby en étant privée depuis maintenant trois ans, c’était la raison pour laquelle elle ne fondait plus aussi facilement en larmes, et pourquoi elle paraissait aussi insensible vis-à-vis du sujet de leur mère. Ce n’était pas pour rien que ce sujet n’était jamais abordé, surtout entre les jumelles…Après tout, ce n’était pas comme si leur père ne leur avait jamais dit qu’elles étaient responsables de la mort de celle-ci en naissant ! Le jour où il avait osé prononcer de telles paroles, la jolie russe se souvenait être entrée dans une colère proprement homérique, et de lui avoir balancé un vase d’une valeur inestimable en pleine poire avant de prendre Tasha par la main et de s’en aller pendant de longues heures. En vérité, elles s’étaient arrêtées à un hôtel, pour réfléchir, se changer les idées et surtout, ne plus penser à l’horreur qu’elles avaient entendu. Le lendemain, quand elles étaient revenues, Dimitri était de meilleure disposition, mais Abby ne l’avait jamais entendu prononcer la moindre excuse sur cet épisode. De temps à autre, il lui arrivait d’en cauchemarder même encore aujourd’hui, alors que cela faisait des années, mais pas aujourd’hui. Aujourd’hui, c’était un moment privilégié durant lequel les jumelles Vodianova s’en donnaient à cœur joie, dansant plus pour se défouler qu’autre chose. En danseuse professionnelle, les gestes d’Abby étaient gracieux bien qu’elle n’ait nullement cherché à faire une chorégraphie particulière. Il s’agissait plus de l’expression de son état d’esprit…Plus aucune tension ne peuplait son corps alors qu’elle s’en donnait à cœur joie, sans discontinuer. Elle était certes fatiguée, et Mila s’étaient brusquement mise à lui donner davantage de coups de pieds pour lui faire comprendre qu’elle en avait sûrement assez d’être ballottée dans tous les sens, mais pour l’instant, Abby n’avait pas envie d’écouter.

ABBY – « Je parie que je te bats sur la distance ! Bon d’accord, ça fait un peu un lustre que je n’ai plus vraiment fait d’entraînement digne de ce nom, mais c’est comme le vélo, ça s’oublie pas. Au fait, t’as demandé au beau brun aux yeux verts la pâte de chocolat ? Non parce que j’imagine qu’il faut un brin de préparation, alors autant lui dire à ce pauvre bougre… »

En vérité, Abby s’était aussitôt ruée vers la porte pour le hurler au pauvre bougre justement. « Masque à la pâte de chocolat, c’est possiiible ?! » Après tout, la blondinette n’était plus à un côté ridicule près. En l’entendant lui répondre qu’il apportait ça illico, un immense sourire se mit à peupler ses lèvres. Abby referma donc la porte, en se remettant aussitôt à danser de plus belle, comme si sa vie en dépendait. Cela faisait longtemps qu’elle ne s’était plus lâchée à ce point. Même pendant ses répétitions avec Adrian, il n’y avait pas cette pêche qu’elle avait actuellement en présence de sa jumelle. En même temps, même si le jeune bulgare connaissait plutôt bien la blondinette, il ne la connaîtrait jamais autant que sa sœur Tasha. Celle-ci connaissait ses moindres réactions, ses rêves, ses peurs, et même ses envies futures. Après tout, la première fois qu’Abby avait abordé son envie d’un grand mariage en blanc, elles étaient hautes comme trois pommes. Ekaterina avait beaucoup rit ce jour là, étonnée qu’un petit bout de chou puisse rêver à ce genre de choses à son âge. Mais Abby avait toujours eu le chic pour être en avance, pour tout et n’importe quoi. C’était pareil au sujet du fait d’être mère avant de se marier, alors que c’était un véritable sacrilège pour une russe comme elle. Ce n’était pas comme si sa grossesse avait été préméditée, pourtant…Mais ce n’était pas le plus important. Abby se moquait que ses petits bouts naissent sans qu’elle soit mariée avec leur père. Adrian n’était peut-être pas fait pour être un mari et un père aimant, après tout.

ABBY – « Au fait, temps mort…Je t’avais dit qu’Adrian était kleptomane ? Je ne dis pas ça pour me moquer, c’est pas mon genre, mais je voulais avoir ton avis. A ma place, tu lui accorderais la chance de voir ses enfants ou tu le fuirais comme la peste de peur qu’il ne fasse du mal aux jumeaux ? Tu es la plus sage, j’ai besoin de ton avis d’experte. Je fais quoi, à ton avis ? »

La blondinette n’avait pas vraiment cessé de danser même en demandant cela à Tasha, et ce fut bien ce qui causa sa perte en quelques sortes. Abby s’était bien trop approchée de la porte sans vraiment y prêter attention, elle suivait simplement la musique, et ce fut bien de cette manière simple et innocente qu’elle se heurta à ce pauvre réceptionniste, véritable masseur professionnel, qui s’était pointé avec le masque au chocolat commandé par la même blondinette quelques minutes plus tôt. Résultat, le beau sweat rouge de la demoiselle fut bientôt hourdé de chocolat tiède et elle ne pu que grogner en voyant quelle catastrophe elle avait encore provoquée.

ABBY – « Je suis maudite, c’est bien ça ? Put…C’est pas vrai !!! »

C'était toujours ça qu'elle ne devienne pas affreusement grossière alors qu'elle était couverte de chocolat sur son beau sweat...

« Bouton d’or ? Oh, c’est mignon, ça faisait longtemps que je l’avais pas entendu ce surnom ! » Et Abbygail était on ne peut plus sincère…Tasha était bien la seule à avoir l’insigne honneur de pouvoir la surnommer ainsi. Même Adrian n’avait jamais eu droit à l’appeler autrement qu’Abby, pour la simple et bonne raison qu’elle ne s’était jamais sentie aussi proche de quelqu’un que de sa jumelle. Heureusement, sans quoi, elle aurait hurlé au scandale. Maintenant que son sweat était proprement hourdé de chocolat, elle se sentait plus stupide encore qu’elle ne l’avait jamais été. C’était pire que lors du shampoing aux yeux, de la baignade toute nue lorsqu’elle avait eu le malheur d’être somnambule, et on pouvait en passer beaucoup d’autres du genre, rien n’était pire que le fait de se retrouver pleine de masque au chocolat dans un institut de beauté de ce standing. Une chance que Tasha ait la bonne idée de l’aider à enlever la tache, car sans elle, jamais la blondinette n’aurait pu être en mesure de réussir. Le chocolat aurait alors séché et elle n’aurait plus eu qu’à jeter son sweat rouge préféré…Cela aurait été dommage, n’est-ce pas ? Bien évidemment, le nettoyage se transforma en une énorme bataille de chatouilles, et c’était presque heureux qu’il n’y ait pas de blessés dans cette guerre sans merci. La tache était même presque partie, mais Abby ne pouvait guère s’empêcher de se sentir admirablement stupide tout de même. « J’ai l’air fine avec mon pull badigeonné, tiens ! » Abby finit finalement par l’enlever, se retrouvant en débardeur laissant entrevoir encore davantage son ventre arrondit de femme enceinte. Maintenant que les masseurs étaient présents dans la pièce, difficile de ne pas piquer un fard en entendant une bonne dizaine de fois qu’elle était sublime avec ses rondeurs de grossesse. Encore un peu, et l’on aurait pu faire cuire des œufs contre ses joues rouges comme des tomates. Une chance qu’on lui fasse un masque, malgré tous ses à priori en la matière…Au moins, ses joues étaient redevenues normales. Une chance qu’elle ne puisse rien voir, sans quoi, elle aurait été proprement horrifiée du résultat. « C’est vraiment pas le moment d’aller draguer, on doit avoir des tronches de zombie » énonça-t-elle, pourtant persuadée que les responsables des masques avaient quitté la pièce. Ce n’était pas le cas, et le fait qu’ils éclatent de rire mis la blondinette encore plus mal à l’aise. Il n’y avait bien qu’elle pour mettre les deux pieds dans le plat à ce point là. Mais après tout, ce n’était que la pure vérité : Si les masques sont connus pour leurs vertus nourrissantes et apaisantes pour la peau, on ne peut pas dire que ce soit la chose à se mettre sur la figure si l’on souhaite draguer. « Bah quoi ? Ma sœur me dit qu’il faut qu’on se case, moi je dis juste que je préfère attendre de ne plus avoir cette mixture sur la gueule ! » Nouveau rire de la part des masseurs, qui quittaient désormais la pièce, avant qu’Abby ne se permette d’enchaîner. Cette fois-ci, elle ne ressentait plus de gêne, bien que la musique ait reprit son cours normal et que l’envie de danser soit toujours présente. Abby avait bien conscience qu’il fallait attendre maintenant une trentaine de minutes avant de faire le moindre geste brusque, ce fut pourquoi elle se contenta de s’enfoncer un peu plus dans son fauteuil, reprenant un air rêveur qu’on ne lui connaissait que trop peu. Comme quoi, la grossesse peut adoucir le plus dur des cœurs.

ABBY – « Tu te souviens quand on avait sept ans ? J’avais sorti à Tata que moi, je voulais un grand mariage en blanc, avec une robe magnifique, de beaux invités et tout le tintouin…Je crois que j’ai hautement revu mon point de vue. Si je me marie, ce ne sera pas demain la veille, et il faudra que le fiancé ait vraiment le cœur bien accroché ! Franchement, à l’heure actuelle je nous voie vraiment pas casées. On a trop de trucs à gérer, avec notre cher père dans les pattes, je vois pas comment on pourrait penser mariage. Déjà, j’ai pensé gosse…C’est déjà pas mal. Ma vie me suffit pour l’instant, je crois. Mon intervention va sûrement révolutionner ma vie, en plus. »

Et un éclat de rire vint ponctuer ses paroles. La blondinette était vraiment satisfaite de ce qui lui était offert, et profitait simplement de ce moment avec sa jumelle, consciente du fait qu’il n’y en avait eu que trop peu de ce genre dernièrement. C’était très dommage qu’il faille que leur père cambriole leur grande maison pour qu’elles se réveillent, l’une comme l’autre… « Oublie pas qu’on est les invincibles ! On nous appelait comme ça, et c’est pas près de changer crois-moi » renchérit-elle au bout de quelques secondes de silence. Là encore, Abby était on ne peut plus sincère. Mais après ce petit passage nostalgie, elle eut du mal à rester bien en place. Elle bougea à plusieurs reprises un peu trop brutalement, manquant donc de faire tomber son masque, tandis qu’elle imaginait la suite de leur petite virée entre filles. Après tout, même si elles décidaient de prolonger la chose jusque tard dans la nuit, Abby n’était pas sûre que cela dérange quelqu’un. Elles étaient majeures, vaccinées, et elles faisaient bien ce qu’elles voulaient.

ABBY – « Après, on va dévaliser les magasins de layettes et de jouets ou tu veux d’abord qu’on aille se faire masser ? »

Entre deux jumeaux, il existe un lien inflexible, indivisible. C'est un cadeau inestimable.

ABBY – « Aaron ? C’est un grand brun au sourire qui rendrait tendre ou docile même l’être humain le plus rêche. Il a de grandes mains, c’est ce que je préfère chez lui. C’est bien l’une des rares personnes dont je me souviens exactement la couleur des yeux, et l’éclat qu’ils ont. Tu sais, ce mélange de vert et de marron qui donne une teinte noisette aussi rare que sublime ? Et bien ces yeux sont comme ça. Je ne pourrais pas te décrire avec une grande précision la manière dont il se fringue, parce que ça fait huit ans que je n’ai pas vu ce genre de détails de mes propres yeux, cela dit…Il est fils de Sénateur, et sa mère est journaliste TV redoutablement connue à Chicago, donc je pencherais pour un côté classe, un peu BCBG sans trop pousser à l’extrême. Par contre, il a toujours les cheveux en bataille. Il veut se donner un genre rebelle alors que dans le fond, je crois qu’on trouverait difficilement plus fiable et plus tendre que lui. Il est d’une jalousie maladive, exactement comme moi, et sait refaire la tête de dragueurs façon puzzle s’ils s’approchent trop de moi. Je te jure, c’est hyper rassurant. En fait, je crois qu’il ressemble un petit peu à ton Antoine du côté du carafons…Capable d’être un gentleman un jour, un séducteur tantôt et un autre jour, quelqu’un qui pourrait décrocher la lune pour peu que ça lui paraisse utile. Je ne sais pas comment ton français chéri est avec toi, mais si je devais te décrire Aaron d’une façon précise, bien que ce n’est pas évident, c’est ce que je dirais. »

Poussant un long soupir, histoire de reprendre une respiration plus normale, la blondinette laissa échapper un petit rire en voyant le monologue qu’elle venait de débiter. C’était rare qu’elle soit aussi bavarde d’un coup sans être malmenée par le stress. Ici, ce n’était pas le cas…Il n’y avait plus que Tasha et elle dans la pièce, depuis que le réceptionniste leur avait laissé des boissons munies de deux pailles. Délicate attention s’il en est, étant donné qu’Abby ne pouvait pas faire des miracles avec un verre à la main. Elle prit le sien afin de se désaltérer, toute déshydratée qu’elle était à force de parler sans marquer réellement de pause. Maintenant, elle hésitait avec deux sujets de conversation possible : L’agréable d’un côté, avec Antoine et ce qu’elle pourrait bien avoir à dire sur leur lien complexe du « fuis-moi je te suis, suis-moi je te fuis » ; le désagréable de l’autre, avec leur père, la bataille juridique qu’elles s’apprêtaient à mettre en place et tout le reste. Abby, la battante, celle qui ne se laissait jamais marcher sur les pieds, était en train de douter sérieusement de l’intérêt de la manœuvre. Bien sûr que l’éminent Dimitri Vodianov avait fait beaucoup de tort autour de lui, à commencer par ses propres filles…Mais d’un autre côté, une fois qu’il serait en prison, un autre prendrait sûrement sa place à la tête de la Mafia Russe, et comme dit le proverbe, si on sait qui on perd, on ne sait pas qui l’on gagne par la suite. Abby n’avait aucunement envie d’être à l’origine d’un chaos fabuleux n’ayant pour but que de plonger le pays dans une misère encore plus véridique. Leur père était sans nul doute un salopard sur les bords, mais il muselait la bande de mafieux le suivant tel un chien courant après son os. Dimitri avec suffisamment de charisme, de puissance et surtout un carnet d’adresses suffisamment rempli pour se permettre d’être ce qu’il était. La blondinette avait pleinement conscience que lui causer du tort ne ferait que les mettre en danger, Tasha, elle et les jumeaux. Était-ce souhaitable ? A bien y réfléchir, non. Abby ne voulait même pas imaginer à quel point elles pourraient être menacées, devoir se cacher et courir après la sécurité durant un temps considérable. Elle ne voulait pas de cette vie, et elle ne voulait pas non plus que Tasha puisse désirer une chose pareille. Que faire, alors ? Finir son verre, dans un premier temps, afin de prendre quelques calories en vue du plan lui trottant dans la tête. Enceinte ou pas, il n’était pas raison qu’elle reste les bras croisés. Elles auraient toute la mort pour dormir et se reposer, après tout…

ABBY – « Tasha, finit ton verre en vitesse, j’ai bien peur que l’on doive écourter les réjouissances. Je ne veux pas d’une bataille judiciaire, pour être franche, je veux qu’on règle ça nous-mêmes, à la russe. Finis ton verre, on s’en va et je t’explique en chemin. »

La jolie blonde eut tôt fait de presser sa jumelle afin qu’elle accélère le mouvement. Il n’y avait pas une minute à perdre, et pour être tout à fait honnête, elle ne tenait absolument pas à être écoutée d’une quelconque façon. Bien que les deux comparses soient parfaitement capables de s’exprimer en Russe tout le long de leur conversation, Abby avait besoin de se dégourdir les jambes. Il serait toujours temps de revenir et être fidèle à l’adage « après l’effort, le réconfort », n’est-ce pas ? Elle se changea donc en quatrième vitesse, avant de quitter la pièce pour prévenir le réceptionniste qu’elles devaient s’absenter pendant un petit moment et qu’elles reviendraient sûrement après. Dans le cas contraire, Abby savait très bien utiliser un téléphone, ce n’était pas le problème…Tasha sortait juste à ce moment là, autant dire qu’elle ne se priva pas de la saisir par le bras pour la conduire dehors, où une pluie torrentielle s’était soudainement mise à tomber, pour couronner le tout. Mais rien n’aurait pu empêcher la blondinette de quitter cet endroit pour la conduire dans le premier parc à proximité. Abby obligea sa jumelle à s’asseoir sur un banc, bien que celui-ci soit complètement trempé, en exerçant une légère pression sur ses épaules afin d’obtenir gain de cause. Tasha devait sérieusement commencer à craindre le pire vis-à-vis du futur discours de sa sœur…Mais si Abby était impressionnante de sérieux, il n’y avait strictement rien à redouter de terrible. Elle ne faisait que réfléchir à la situation dramatique qui serait la leur si jamais elles s’aventuraient à faire mettre leur père en prison.

ABBY – « Écoute-moi sans m’interrompre, c’est tout ce que je te demande. Ca fait des années qu’on est en guerre avec Papa, et nul ne sait mieux que moi à quel point il a merdé dans notre éducation. On a été ballottées de pays en pays, poursuivie par les autorités, interrogées et accusées à tort par le FBI…Mais on s’en est toujours sorties indemnes, pas vrai ? Réfléchis cinq minutes. Si on était restées en Russie, que Papa nous avait élevées à sa façon, on ferait déjà partie de la Mafia à l’heure qu’il est. On est filles de mafieux, mais il nous a éloignées de lui exprès, pour nous protéger et qu’on vive comme on le sentait. Tu es passionnée par l’art, moi par la danse…Tu crois franchement qu’on aurait eu accès à une telle vie s’il n’avait pas demandé à Tata de nous élever ? Perso, je ne crois pas. Alors ouais, on est souvent emmerdées, mais en attendant on est en un seul morceau. Si on fout Papa en taule, qui tu crois que la Mafia va mettre à sa place ? Un salopard de première, qui risque de ruiner le pays, et nous prendre pour bouc émissaire par-dessus le marché. On ne sera jamais en sécurité, et pour le coup, on sera des proies faciles. Tata ne pourra nous être d’aucune aide, et la petite vie presque tranquille qu’on avait jusque là…Pfiou, envolée ! Je ne veux pas être un gibier de premier choix. Je veux pouvoir accoucher en toute tranquillité, je veux pouvoir mettre mon putain de pied en pleine rue et danser sous la pluie sans craindre de prendre une balle en pleine tête par un sniper, tu piges ? D’accord, avec Aaron c’est hyper compliqué, mais c’est ma vie et je l’aime comme ça. Je n’ai pas envie d’être emmerdée davantage, et je ne te le souhaite pas non plus. Tu comprends où je veux en venir ? »

Bien sûr qu’elle comprendrait. Tasha était intelligente, fine d’esprit et savait mieux que personne à quel point Abby pouvait avoir raison malgré son vocabulaire peu fleurit. L’important en l’occurrence, ce n’était pas la forme, mais bien le fond. Si jamais elles se soutenaient mutuellement, il y avait forcément quelque chose d’autre à faire plutôt que de se mettre toute la Mafia à dos, n’est-ce pas ? Haussant les épaules face au silence de sa jumelle, Abby laissa bientôt échapper un petit rire amusé. Fallait-il qu’elle soit folle pour pardonner absolument tout à leur père…Ou alors, qu’elle l’aime nettement plus qu’elle ne le faisait croire de prime abord.

ABBY – « Je pense que Maman a tout fait pour essayer de le faire sortir de la Mafia, et que la perdre a été le drame de sa vie. Je sais ce que c’est de passer à côté de l’amour de sa vie, et franchement, c’est pas bien glorieux…Si je n’avais pas revu Aaron, j’aurais eu des regrets jusqu’à la fin, et je suis on ne peut plus sérieuse. Traite-moi de romantique de gare, ou digne d’une blague carambar, t’as intérêt à te magner le train pour séduire Antoine, parce que je mettrais volontiers ma main au feu qu’il n’attend que ça !! »