La balade qu’elle venait d’écouter sur son Ipod l’avait quelque peu déboussolée. Il n’était pas rare qu’elle soit touchée par des paroles, des musiques, mais là elle avait comme l’esprit absent. Se chantonnant la chanson dans sa tête, elle prit les affaires qu’elle était venue chercher à son casier puis rangea le reste avant de le refermer. La journée n’était pas encore achevée, néanmoins Estrella ressentait déjà la fatigue la peser. Il faut dire qu’elle ne dormait plus aussi bien depuis quelques temps. Et les fêtes auxquelles elle participait sans cesse ne l’aidait pas à retrouver le sommeil. Mais bon, elle n’allait pas non plus se plaindre de sa condition, et puis elle était jeune. Elle avait toute la vie pour se reposer. C’était ce qu’elle se répétait sans cesse lorsqu’elle entendait son réveil sonner le matin. Malgré cela, elle jurait toujours autant contre l’heure. Son frère William pouvait en être témoin. Il était même parfois la cible de sa mauvaise humeur étant donné qu’ils habitaient tous les deux ensemble. A première vue, on pourrait croire qu’ils se disputaient souvent pour se partager leur villa ou les tâches ménagères mais en fait pas du tout. D’un leur maison était assez grande pour abriter trois familles nombreuses et le deux le ménage était effectuée par une employée. A à peine 20 ans, ils étaient donc tous les deux très bien lotis, mais ils l’avaient bien mérité. Après tout, ils avaient commencé à travailler à l’âge de 10 ans, même si leur job était plus la réalisation d’un rêve qu’un travail acharné. Sans parler du fait qu’ils étaient tous deux bien à l’abris du besoin pour les années à venir. Alors pourquoi étudiaient-ils demanderez-vous. Pour Estrella c’était plus une concrétisation, un approfondissement que de réelles études, puisqu’elle étudiait la musique, matière dans laquelle elle excellait, autant dans le chant que dans la composition et l’interprétation. Son but à Berkeley n’était pas de faire parler d’elle ni de se donner un genre de petite étudiante modèle, mais de simplement obtenir le diplôme pour un métier qu’elle exerçait déjà. A partir de là, elle pourra se perfectionner, s’améliorer et pourquoi pas toucher un plus grand nombre de gens. Et puis l’attrait de l’université était trop fort pour qu’elle y résiste. Après tout, c’était là que les jeunes devenaient des adultes, se découvraient et grandissaient.

La tête encore dans les étoiles, la brunette s’arrêta devant la salle détente de la fac. Elle n’avait pas de cours dans les prochains temps, et personne ne l’attendait donc autant en profiter pour être tranquille et confortablement installée. En réfléchissant, elle se souvint qu’elle avait apporté un roman, si jamais elle ne savait pas quoi faire. Cela l’occuperait au moins si elle ne trouvait rien de plus intéressant à faire. Avant d’entrer dans la pièce, elle consulta son portable pour connaître l’heure et répondre à ses éventuels messages. Elle constata qu’elle en avait reçu deux et ce fut donc le nez plongé dans son téléphone qu’elle entra dans la salle, pas très remplie, voire carrément déserte. Elle aperçut rapidement un étudiant en train de se chercher à manger mais n’y prêta pas plus d’attention. Déposant son sac à ses pieds près du canapé, elle s’y affaissa, contente d’être enfin posée. Messages envoyés, elle rangea son portable dans la poche de sa veste en cuir et ce fut là qu’elle le vit. Qui ? La bonne question serait plutôt : quoi ? Un livre d’apprentissage simplifié de la langue espagnol. Un sourire amusé mais pas du tout moqueur apparut sur ses lèvres tandis qu’elle le saisit et le feuilleta rapidement. Elle se souvint alors des quelques fois où elle avait eu la chance de se rendre en Espagne. Ses souvenirs étaient un peu vague puisque ça datait de quelques années, mais elle se rappellerait toujours de l’accueil chaleureux qu’elle avait eu à l’époque. Jamais elle n’avait appris cette langue pourtant très parlée en Californie. Elle s’était contentée de l’anglais, du français et de l’italien. Cependant elle se promit en voyant ce livre, qu’un jour elle trouverait le temps d’apprendre au moins quelques notions essentielles. Soudain, elle se souvint de la présence de l’individu derrière elle et se demanda si cet ouvrage ne lui appartenait pas, ou du moins qu’il l’avait apporté ici. Sans lâcher le livre du regard, elle demanda à l’attention du jeune homme :

ESTRELLA « Dis, il est à toi ce li… ? »

Sa question resta en suspend lorsqu’elle tourna la tête pour regarder l’étudiant. Le choc avait bloqué ses paroles dans sa gorge sans qu’elle ne s’en aperçoive. En fait, la seule chose qu’elle voyait, c’était le visage inexpressif de son ex qui l’observait. Voilà une situation dans laquelle elle souhaitait ne jamais tomber. Surtout qu’elle ne s’y était pas du tout attendue. Ca l’apprendrait à ne pas regarder qui se tenait près d’elle avant d’entrer dans une pièce ! Déglutissant avec difficulté à cause de sa gorge soudain très sèche, Estrella ne savait même plus quelle avait été sa question. Elle esquiva son regard dès qu’elle prit conscience qu’elle était figée, baissant la tête et ramenant machinalement une mèche derrière son oreille. Ce qu’elle ne faisait jamais à moins d’être dans une situation gênante ou stressante. Et là il s’agissait d’un peu des deux. Elle voulut briser le silence, mais aucune phrase sensée ne sortit de sa bouche. Ainsi, elle se contenta de marmonner, toujours le regard rivé sur ses mains :

ESTRELLA « Hey.. »

Les cours étaient également importants pour la jeune femme, néanmoins elle ne culpabilisait pas si elle ne pouvait pas assister à tous. Il y avait d’autres choses importantes dans la vie, comme la famille et les amis. Si l’un de ses proches avaient des problèmes, elle serait capable de tout abandonner pour le retrouver. Surtout s’il s’agissait de son frère, sa seule véritable famille. D’ailleurs, elle avait prévu de passer plus de temps encore avec lui, dès qu’il aurait eu la fameuse discussion avec Evan sur leur futur enfant. Pour le moment, il ne se doutait de rien, mais elle devrait bien le lui avouer un jour ou l’autre, avant que quelqu’un d’autre ne le fasse. Quand elle apprit qu’elle allait peut-être devenir tante, Estrella eut du mal à réaliser. En fait, c’était une chose à laquelle elle n’avait jamais songé. Bien sûr, elle aimerait fonder une famille un jour, mais elle avait encore tellement de projets avant cela que ça semblait à des années lumières de la réalité. Comme quoi, le destin faisait parfois de sacrées surprises aux hommes.

Il en valait de même pour l’OMEGA. Jamais au cours des mois qui s’étaient écoulés elle n’avait rencontré son ex. Elle s’était même demandé s’il n’avait pas quitté Berkeley. Mais en le voyant là en face d’elle, elle comprit qu’en fait ils avaient eu la chance de ne jamais être au même endroit au même moment. Chance, parce que, du moins pour Estrella, leurs retrouvailles amèneraient obligatoirement une confrontation et une discussion sur leur passé. Et cela, elle n’y était pas encore prête. Pourtant, elle n’avait plus vraiment le choix maintenant. Et elle se voyait mal sortir en courant de la pièce pour aller se cacher de lui. Son caractère voulait qu’elle affronte l’adversité et qu’elle en trouve des solutions. Mais pour ce cas précis, elle n’avait rien trouvé et ce, avec deux années de recherche. Elle en avait parlé avec Will, ou Catahleen mais même s’ils avaient pu lui donner des conseils, c’était à elle de faire face et trouver un moyen de surmonter la gêne et les non-dits de leur relation passée. Il serait bien, pour commencer, qu’elle arrive à aligner deux mots cohérents. Il lui faudrait sans doute encore quelques minutes pour que la surprise de sa vue se dissipe. Hors le voir lui faisait se souvenir de tous les moments qu’ils avaient partagés. D’abord les bons, jusqu’à la fin de leur histoire et de leurs nombreuses disputes déchirantes. Cette rétrospective la fit souffrir, mais elle tacha de ne rien montrer, elle devait déjà être assez bizarre comme ça, à ne pas oser lever les yeux vers lui, il ne manquait plus qu’il remarque son désarroi et sa peine en le voyant. Ce qui était stupide puisque leur rupture était de sa faute, elle aurait dû culpabiliser peut-être mais pas regretter quoi que ce soit ! Estrella avait fait des erreurs dans sa vie, mais rompre de façon aussi violente avec Orphey était certainement la pire. Leurs problèmes étaient indéniables, il n’empêche qu’elle se demandait encore parfois ce qui serait advenu si elle avait dit « oui ». Seraient-ils encore ensemble ou se seraient-ils quittés de toute façon ? Personne ne pouvait le savoir, et cette question serait éternellement sans réponse.

Sa gorge sèche l’empêchait de parler normalement, même le petit mot de salutation qu’elle lui avait adressé n’avait été qu’un murmure rauque. Elle s’éclaircit la voix, des fois que ça pourrait changer quelque chose, et se força à ôter ses yeux de ses mains pour les lever vers les siens. Le fait qu’il utilise le surnom qu’il lui avait donné la secoua, et pas qu’un peu. Tant d’émotions revenaient à la surface en si peu de temps qu’elle n’arrivait pas à les gérer. L’automatisme qui le fit l’appeler ainsi la rassura en un sens, lui aussi semblait désorienté. Elle n’allait pas être la seule idiote dans l’histoire au fond. N’empêche que le ton qu’il avait employé n’était plus le même qu’il y a deux ans, preuve qu’un mur s’était bel et bien dressé entre eux. Et elle en était la première responsable, puisqu’elle avait fui toutes discussions et avait même fait croire à ceux qui voulaient l’entendre qu’elle avait tourné la page et était à nouveau heureuse. Elle était très bonne comédienne, tromper les autres n’était donc pas un problème. Mais se leurrer était tout à fait différent. Orphey déposa ses encas sur la table basse, se rapprochant considérablement d’elle par la même occasion. Derechef, et sans s’en rendre compte, elle se releva et remit un peu de distance entre eux. Puis, croisant les bras, elle se força à lui faire face, son corps tremblant d’appréhension de la discussion qui allait suivre. Elle espérait même qu’il n’aborderait pas cette fameuse histoire, mais il fit tout le contraire. Un fin sourire aux lèvres, elle tenta de paraître sincère, mais là même les meilleurs talents du monde ne pouvait pas cacher ce qu’elle ressentait. De la peur, du regret, de la culpabilité mais d’un autre côté, elle était contente. De le revoir, de savoir qu’il n’avait pas été qu’un rêve, un souvenir qu’elle gardait précieusement. Et d’une certaine façon, elle allait peut-être enfin savoir ce qu’elle ressentait encore pour lui, si ça n’était qu’une tendre affection ou beaucoup plus. Dans tous les cas, il lui serait impossible de le détester, peu importait les reproches qu’il pourrait lui faire. Elle les méritait amplement. Et s’il lui avouait être passé à autre chose, elle l’accepterait. C’était la moindre des choses.

ESTRELLA « Tout va très bien merci. »

Ou du moins était-ce le cas avant qu’elle ne le revoit.. Ses mots sonnaient faux même pour elle, cependant elle n’avait pas la moindre envie de parler d’elle pour le moment. En fait, elle ne voulait pas parler du tout, plutôt se cacher dans un trou jusqu’à ce qu’elle se retrouve seule. Lâche ? Elle ne l’a jamais été avant ce jour là.

ESTRELLA « Oui… ça fait un baille c’est vrai. »

Il lui était trop peinable de le défier du regard, elle baissa donc une nouvelle fois les yeux vers ses pieds, se mordant la lèvre à la recherche de bonnes paroles. Rien ne lui venait. Elle se contenta donc de l’imiter.

ESTRELLA « Et de ton côté, ça va ? »

La gêne ne pouvait pas être plus grande ! Jamais elle n’avait été si embarrassée avec un garçon, d’habitude elle était joyeuse, sociable et très extravertie. Là, sa timidité faisait son apparition pour la première fois. Comme si elle n’avait pas déjà assez d’émotions contradictoires à gérer.

A l’époque de leur rupture, Estrella avait encore des rêves plein les yeux, chaque jour, elle se levait avec un nouvel objectif en tête, un nouveau but à atteindre. Rien de bien étrange à 18 ans, sauf que l’amour ne faisait pas partie de ses ambitions à ce moment là. Elle avait été heureuse avec Orphey, cela ne faisait aucun doute, mais elle n’avait jamais cru au Prince Charmant ou à l’amour durable. Elle se disait parfois que leur histoire finirait par se ternir un jour ou l’autre, et que par conséquent, il n’y avait aucune raison de faire des projets communs. Comme dit, elle était encore jeune et bête. Ne dit-on pas qu’on réalise la valeur d’une personne seulement quand on l’a perdue ? Et bien c’était ce qu’Estrella avait vécu. Elle aimait le jeune homme, point qu’elle ne pourrait jamais nier, mais ce ne fut qu’après leur séparation qu’elle comprit à quel point il avait laissé un vide dans sa vie. La musique l’aidait alors à penser à autre chose et exprimer ses émotions à travers des mélodies douces et même parfois tristes. Personne n’avait fait le lien avec les chansons qu’elle avait composé ensuite et sa peine de cœur, tout simplement parce qu’elle avait tout fait pour que tout le monde l’a croit soulagée d’un poids. Or pas du tout, elle avait tout manigancé, des beaux sourires, aux apparitions mondaines constantes, en passant par sa fausse liaison avec un autre étudiant de Berkeley. D’ailleurs à l’époque elle ne savait pas du tout qu’Aby était un ami proche d’Orphey, sinon elle aurait refusé leur « alliance ». En y repensant, tout ce qu’elle avait jamais su à son sujet était ses possibles futures fiançailles avec la jeune Windsor. Et cela lui avait suffi pour qu’elle veuille faire croire à la planète qu’elle vivait une nouvelle idylle.

Idylle qui s’était rapidement achevée. Estrella avait réussi à tenir plusieurs semaines, mais à force elle ne supportait plus ce jeu. Son agent la poussait à poursuivre pour faire monter les audiences lors de ses prestations, mais en réalité, la rupture fit plus de succès que l’histoire en elle-même. Et la brunette retrouva sa liberté qu’elle chérissait tant. Depuis, elle n’avait plus eu de réelles relations, collectionnant les aventures. Pourtant, après ces deux ans de quasi absence d’amour dans sa vie, elle put prendre son temps pour faire le point et enfin trouver ce qu’elle cherchait dans une histoire. Et elle découvrit qu’en fait, c’était ce qu’Orphey avait toujours voulu lui offrir. Amour, fidélité, compréhension et pourquoi pas mariage. Elle avait mis deux ans à faire cette déduction, donc forcément qu’il était trop tard pour faire machine arrière. Mais au moins apprendrait-elle de ses erreurs pour ne plus les refaire plus tard.

Alors que les centimètres entre les deux étudiants se resserraient, Estrella remit de la distance, plus instinctivement que volontairement. Elle ressentait toujours cette sensation étrange que quelque chose n’était pas terminé entre eux. Peut-être n’était-ce que son imagination, mais les battements irréguliers de son cœur et sa respiration difficile lui indiquaient bien qu’elle n’était pas dans son état normal. Les exercices de respiration qu’elle effectuait en cours de chant l’aideraient sans doute à reprendre son calme, mais encore fallait-il qu’elle songe à les utiliser ! Ses pensées étaient complètement omnibulées par Orphey, leur passé en commun, sa présence, son parfum, sa voix et même ses gestes. Sa tête commençait même à lui faire mal, au point qu’elle dut contracter la mâchoire. S’il pensait qu’elle était énervée contre lui, il s’égarait totalement, car en réalité elle se contenait, gardant ses distances pour ne pas faire une bêtise. Comme lui sauter dans les bras par exemple, chose qu’elle avait éperdument envie de faire depuis trente secondes. A la place, elle jouait l’indifférente, sans pour autant pouvoir cacher son malaise. Contre cela elle ne pouvait rien, peu importait ce qu’il dirait, elle ne pourrait faire comme si de rien n’était. Et au fond, une confrontation et une vraie discussion seraient peut-être même mieux qu’un débat sur la météo. Tellement éprise dans ses pensées, Estrella ne comprit pas tout de suite l’allusion au livre d’espagnol qu’elle avait trouvé quelques minutes plus tôt. Du coup, elle mit quelques secondes à hocher de la tête en réponse. Et pour ne pas paraître complètement ridicule, elle ajouta, plus pour combler le silence que par réel intérêt.

ESTRELLA « Tu projettes des vacances en Espagne ? »

Bien sûr elle écouterait avec attention la réponse, mais ses réflexions étaient toujours ailleurs. Elle se demanda qui d’entre eux allait crever l’abcès en premier. Pour le moment, elle n’était pas prête de se lancer, mais si elle continuait à contracter ses poignets, elle allait finir par avoir très mal. C’était soit ça, soit elle déballait tout ce qu’elle avait sur le cœur. Et ce ne serait pas forcément très beau à attendre. La dernière chose qu’elle souhaitait était qu’il la prenne en pitié.

ORPHEY « Peut-être un peu trop… »

Elle haussa les épaules à sa remarque, une grimace se rajoutant un instant plus tard. Elle ne voyait pas vraiment ce que le fait de se revoir plus tôt aurait changé, mais il est vrai que d’une certaine manière, il lui avait manqué. La brunette lui demanda à son tour comment il allait et sa réponse sonnait tout aussi faux que la sienne deux minutes plus tôt. Ou bien était-ce qu’elle voulait se faire croire ? A la suite de sa phrase, elle ne put s’empêcher de relever les yeux vers lui, pour constater qu’il ne la regardait plus non plus. Elle fronça les sourcils une fraction de secondes puis se reprit pour rétorquer :

ESTRELLA « Je ne suis là que depuis quelques mois, c’était plutôt à moi de me poser des questions sur ta présence à Berkeley ! »

Quand à son compliment, elle ne fit que sourire, un peu plus sincèrement que précédemment ce qui était déjà un bon début. Il le pensait c’était certain, il n’avait jamais été quelqu’un qui déballait des compliments à tire-larigot. Alors bien sûr que ça lui faisait plaisir d’entendre ça de sa bouche, mais la situation n’était pas vraiment appropriée à ce genre de choses. Pas tant que l’étudiante aurait l’estomac noué et la gorge sèche à ce point en tout cas.

ORPHEY « Écoute si ma présence te dérange ... je préfère que tu me le dises tout de suite d'accord ! Je vois bien que tu évites mes regards et que certaines de mes paroles font que tu te sens ... pas si bien que ça avec moi enfin en ma compagnie ! »

Sa remarque inattendue eut au moins le mérite de la faire croiser son regard. Elle stoppa net dans ses gestes nerveux, le toisant simplement, surprise. Elle ne s’était vraiment pas attendue à ce qu’il en vienne à une telle conclusion. La preuve que ses agissements n’avaient vraiment aucun sens. Estrella passa sa main dans ses cheveux et soupira pour se donner du courage.

ESTRELLA « Ecoute chér… »

Elle toussota pour faire passer le surnom affectif qu’elle s’apprêtait à lui donner. Durant leur histoire, il l’appelait Ella, et elle se contentait du bon vieux chéri, ce n’était pas faute d’avoir essayer de trouver quelque chose avec son prénom, mais son imagination n’avait jamais trouvé quelque chose de très beau.. Décidant finalement de se rassoir, elle poursuivit :

ESTRELLA « Désolée… Ecoute Orphey… Oh et puis Zut ! Ta présence ne me dérange pas, pas du tout même ! C’est juste que j’ai l’impression de retourner deux ans en arrière et ça n’est pas facile à gérer okay ?! Si tu as une solution miracle contre mon malaise vas-y je suis tout ouïe ! »

S’énerver n’allait pas arranger les choses, mais elle n’arrivait plus à se maîtriser. Rien ne se passait comme elle le souhaitait avec lui, et ça en était désarmant. Mais la colère avait le mérite de la rendre plus sûre d’elle et de ce fait, elle n’esquivait plus son regard, le sien brulant et pas seulement à cause de sa soudaine tension. Une tentation sous-jacente risquait de très vite faire surface, ce serait mauvais pour elle de faire l’idiote, dans un lieu publique qui plus est. Mais bon, elle n’en était pas encore là, son self control avait encore quelques réserves.

A chaque fois qu’elle était avec quelqu’un, Estrella avait tendance à se sentir prise au piège, comme si, en offrant son cœur, elle en perdait sa liberté. Pourtant, elle adorait la sensation d’être aimé et d’aimer en retour, ce qui était assez contradictoire. Autant dire clairement que la brunette était une éternelle insatisfaite. Peut-être apprendrait-elle avec le temps de profiter de ce qu’elle avait sans chercher constamment à tout compliquer. Cette attitude la faisait passer pour une petite fille gâtée qu’elle n’a jamais été qui plus est. Tout son entourage l’affirmerait si nécessaire. Alors pourquoi réagissait-elle ainsi ? Par peur de faire une erreur, de devenir une autre personne, d’oublier ses rêves, en clair de tout abandonner pour l’être aimé. Car elle en était capable, elle avait même failli le faire un jour, ce que Orphey ne savait pas…

Elle se souvenait parfaitement de ce jour où il lui avait demandée sa main. Son non se voulait catégorique, néanmoins elle y avait longuement repensé ensuite. Le soir, elle passait des heures à se poser des questions, en regardant leurs photos de couple, les endroits qu’ils avaient découvert ensemble. La nostalgie la prenait à chaque instant, mais elle ne se laissa pas pour autant abattre. Elle s’était jurée à l’époque de ne rien mettre en travers de sa carrière. Et malheureusement, ce fut sa relation avec l’étudiant qui en pâtit. D’ailleurs, encore aujourd’hui quand elle y repensait, elle avait du mal à croire ce qu’elle avait fait. Aggraver leur relation, proposer une pause avant la rupture, provoquer leurs disputes quotidiennes, tout avait commencer à cause d’elle, de son égoïsme et de ses ambitions. Elle n’était pas prête à l’époque à s’engager de cette façon, et par malchance, Orphey dut en subir les conséquences. Elle aurait réagi de la même manière si cela avait été avec un autre homme, cela elle n’en doutait pas. Pourtant, elle ne pouvait s’empêcher de se faire des films avec des hypothèses plus au moins probables. Peut-être que finalement leur rupture, certes longue et pénible, n’avait été que la meilleure chose à faire. Quand deux êtres n’ont plus les mêmes souhaits, leurs chemins se séparent tout naturellement, laissant derrière eux un bout de leur cœur en souvenir.

ESTRELLA « Oh… c’est beau le Pérou. »

Elle s’était vite rattrapée. La surprise ou même la tristesse ne devait pas se lire dans son visage, elle n’avait aucun droit de se sentir concerné par sa vie bon sang ! Reprends toi ma vieille, ou tu vas avoir des problèmes, pensa-t-elle. Et par là elle entendait une mauvaise interprétation de son attitude par le jeune homme. Elle n’avait aucune envie de se justifier sur ses paroles ou ses gestes. Bien sûr, elle était intéressée par sa vie, même si elle n’avait jamais pris l’initiative de reprendre contact avec lui. Elle n’aurait de toute manière pas su quoi lui dire. Assise, ses jambes tremblaient sous la nervosité, une grande première. Même quand elle montait sur scène, elle ne ressentait pas autant de pression. Et tout ça par la simple force d’une présence, d’un regard. Ca en devenait ridicule à force ! De ce fait, elle s’énerva automatiquement, à cause de ses paroles à lui, mais aussi contre elle-même. Son erreur d’utiliser son surnom affectif ne fit que renforcer sa colère. Quelle idiote elle pouvait être parfois !

ESTRELLA « Non. Non ce n’est simple pour aucun de nous. Alors pourquoi insister, on ne ferait que se disputer. Une nouvelle fois. »

Encore une fois, elle jouait la lâche et ça n’arrangeait rien. Leur situation ne s’améliorerait jamais si elle n’y mettait pas un peu de sien. Pour commencer, il faudrait qu’elle calme les battements effrénés de son cœur et par la même occasion la colère qui l’habitait. Elle allait mettre quelques minutes à y arriver, mais elle s’en voulait de hausser la voix pour des choses aussi ridicules. Ca lui rappelait de mauvais souvenirs et elle ne souhaitait plus revivre de tels moments. Sans s’en rendre compte, ou bien s’en penser à mal, elle le fixa, de ses yeux flamboyants. Et sa remarque la fit dévier le regard et toussoter pour la seconde fois.

ESTRELLA « Désolée. Je n’ai pas fait exprès… »

Elle reprit la trituration de ses doigts, la tête ailleurs. L’espace d’un instant, elle s’imaginait deux ans et demi en arrière. A la même période de l’année, ils s’étaient un jour rendus à New York pour passer un peu de l’hiver sous la neige. Ils s’étaient promenés à Central Park avant d’entamer une bataille de boule neige qui se termina par un bon bain chaud dans leur chambre d’hôtel. Ils étaient rentrés trempés et l’hôtesse d’accueil les avait dévisagés d’un air désapprobateur. Mais ce dont elle se souvenait le mieux, c’était leurs éclats de rire durant ses vacances improvisées. Elle avait rarement autant ri avec un autre homme que son frère et ça lui avait fait beaucoup de bien.

O. °° Ecoute Ella ... mon coeur ne bat pas normalement, j'ai du mal à déglutir, mes mains tremblent comme je ne sais pas quoi ... et je me sens pas super bien à l'aise ...

Ses pensées retournèrent au présent quand il reprit la parole. Elle leva les yeux vers lui pour l’observer. Tout ce qu’il disait lui rappelait ses propres sentiments. Elle non plus ne se sentait pas à l’aise et son corps ne réagissait pas comme il le devrait. Elle eut envie de le lui dire, mais elle s’obligea à garder le silence en se mordant la lèvre inférieure. Faire un constat de ce qui leur arrivait n’allait pas leur être d’une grande aide. Elle préféra donc attendre simplement une suite à son discours, mais si elle avait su de quoi retourner sa question, elle aurait tout fait pour changer de sujet bien avant. Pendant quelques instants elle ne sut quoi lui répondre. L’impulsivité n’était pas dans sa nature, mais avec Oprhey pas loin, elle pouvait s’attendre à tout. Prenant une longue et profonde inspiration, elle haussa les épaules et répondit aussi sincèrement que possible.

ESTRELLA « Je ne sais pas vraiment quoi répondre, j’’ai pu réaliser certains rêves oui et ce serait mentir que de dire que je n’en suis pas satisfaite. Alors dans un sens, oui je suis heureuse. »

Elle n’avait pas vraiment répondu à sa question, le problème était qu’elle ne s’était jamais posé de telles questions. Sa vie, elle l’aimait c’était indéniable, pour rien au monde elle ne l’échangerait contre une autre. Mais si elle devait y songer profondément, elle découvrirait bien qu’il lui manquait encore quelques choses. Comme l’amour par exemple. Et c’était peut-être pour de tels constats qu’elle ne voulait pas y réfléchir plus. En croisant son regard, elle ne put s’empêcher d’ajouter, en laissant cette fois son cœur parler à sa place.

ESTRELLA « Orphey… dis moi clairement ce que tu veux de moi. Si ce sont des excuses pour t‘avoir fait souffrir, très bien. Je sais à quel point j’ai été égoïste et méchante de te rejeter de la sorte sans ménagement et j’en suis désolée, vraiment. Si ce sont des regrets, okay. Oui il m’arrive de me demander ce qui nous serait arriver si j’avais dit oui. Mais le passé est passé, ce qui est fait est fait. Je n’ai pas l’intention de passer ma vie à me lamenter sur ce qui est derrière nous. Cette situation entre nous me fait mal, je déteste cette tension mais les discussions aussi sérieuses et douloureuses n’ont jamais été mon fort. »

Elle reprit son souffle à la fin, ayant tout sorti d'un trait. Elle avait déjà fait un exploit énorme pour lui sortir tout ça. Maintenant il pouvait en faire ce qu’il voulait. Contrairement à ce qu’elle avait cru, ses révélations ne la soulagèrent pas d’un poids. En fait, elle redoutait sa réaction et comme précédemment, elle ne put plus rester en face de lui. De ce fait, elle se releva et passa derrière le canapé pour souffler deux minutes. Elle passa ses deux mains dans ses cheveux et ferma un instant les yeux. Son cœur battait toujours la chamade, mais plus aucune colère ni amertume ne ridaient ses traits. En l’observant, on pourrait croire qu’elle est sereine, alors qu’en réalité, les soucis ne faisaient que s’accumuler dans sa tête. Tout ça pour une histoire pas tout à fait achever qui datait de deux ans ! Et elle qui n’avait pas eu d’autres préoccupations que la prochaine fête qu’elle allait organiser avant de se rendre dans la salle de repos ! A présent, elle avait pris trois kilos de doutes en plus, qui n’allait pas la quitter de si tôt.