Dernier devoir de l'année, une sorte d'entraînement à l'apprentissage de l'histoire de l'art pour l'année prochaine. J'étais certain d'avoir réussi mes examens, il ne restait donc qu'à attendre les résultats, démarrer le processus de réinscription et enfin, je n'aurais plus à me rendre à Berkeley. En effet, j'avais la tête bien ailleurs en ce moment suite à un tournage que je m'apprêtais à faire pour le premier rôle d'un film de Danny Boyle. Une surprise en soi d'avoir été retenu face à d'autres acteurs bien plus connus que moi qui, n'ayons pas peur de le dire, n'ai aucune expérience professionnelle dans le milieu. En ce moment, je passais donc bien plus de temps à apprendre mes répliques et m'entraîner à jouer le script plutôt qu'à songer à la rentrée. J'en avais donc oublié ce dernier devoir et, comme un fait exprès, je me retrouvais contraint de le mener à bien avec Stephen. "Toi, tu m'trouves associable ? Tu t'fous pas un peu de ma gueule, là ?" J'avais grogné sur un ton à peu près aussi aimable que le sien en lui rendant son regard. Dans une télé-réalité, nous aurions fait grimper l'audience avec le revirement de situation entre nous. Stephen a toujours été mon "frère Sigma", l'artiste avec lequel je m'entends le mieux dans la confrérie précisément car nous avons un comportement remarquablement similaire. Complices comme jamais, il avait longtemps été l'un des premiers vers lesquels je me tournais pour tout et n'importe quoi, sans avoir à me poser de question préalable. Je me souviens encore de cette garde à vue que nous avions partagée avant que mon père et Emy ne viennent nous sortir de là, après une bagarre de bar dont nous avions le secret. Je le regarde descendre en grommelant, grattant ma joue légèrement barbue avec un air mécontent sur le visage. Enfin, avec l'air que j'ai pendant environ 90% de l'année. Au fond, ça me manque de ne plus discuter avec lui, de ne plus avoir cette complicité amicale et artistique qui nous allait si bien. Des drames m'ont conduit non pas à venir lui parler, mais plutôt à me couper de toute vie sociale. Certes, j'ai fais la rencontre de certaines personnes qui m'ont beaucoup aidé, comme Benedikt, mais je m'étais volontairement coupé de celles et ceux avec qui j'avais l'habitude de parler en temps normal. Déjà qu'ils n'étaient pas légion, autant dire qu'ils étaient quasi inexistants à présent. Lorsqu'il remonte, je l'observe essayer de déchiffrer la feuille comme un américain essaierait de décoder du chinois. Eh ben, ça promet. J'allais me proposer de jeter un coup d'œil pour l'aider, mais la façon qu'il eut de me jeter la feuille fit taire immédiatement la moindre envie de coopération à son égard. Ok, tu le prends comme ça, on va le prendre comme ça tous les deux. "J'suis pas ta bonne. Si t'as du mal à lire, t'as qu'à investir dans des lunettes ou un cerveau." Je prends la feuille en lui jetant un regard mauvais. Quand nous sortions dans des soirées tous les deux, nous tenions souvent les badauds à distance avec nos airs de bad boy. Surtout Stephen. Cependant, si nos sales caractères se mettent à nous jouer des tours, autant dire que ce travail à deux s'annonce long, sanglant et pénible. Je commence à lire en fronçant légèrement les sourcils. "Le pop'art a-t-il un rôle dans l'émergence d'une culture de masse et dans la société de consommation ?" répétai-je. Immédiatement, quelques connexions commencèrent à se faire dans mon esprit pour relier quelques œuvres héritées du pop'art avec les vecteurs principaux du sujet. Culture de masse, société de consommation, émergence. Deux concepts et des bornes chronologiques. Je jette un œil à Stephen car, malgré notre éloignement, je me souviens qu'il est artiste au point d'exécrer les cours en général, n'étant attiré que par la peinture. En ce sens, je suis un peu plus "académique" que lui. Je m'apprête à griffonner quelques pistes sur une feuille de brouillon lorsque je réalise que ce ne sera pas à moi de faire tout le travail. "Tu comptes rester les bras croisés longtemps ? T'es au courant qu'on a besoin de ses mains, pour écrire ?" Quoi ? Moi aussi, je peux jouer à la tête de mule. Quand on est Breton de naissance, c'est même un devoir national, patriotique. Je lève la main pour m'adresser au professeur et lui demander de combien de temps nous disposons. Quatre heures. Ô joie. Je commence finalement à écrire quelques dates clés et des titres d'œuvres ou d'artistes classés par périodes. "T'es allé au cours, au moins ? Tu dois forcément connaître deux ou trois bricoles sur le pop'art, même si c'est pas ton rayon."