"Non ! - Non !" répondirent Liam et Kilian en coeur en s'accordant un immense sourire ironique. Les deux frères ne s'entendaient qu'en se cherchant. Règle numéro 1 : jamais de méchanceté gratuite. Entre eux, c'était de la taquinerie, pas plus. Si quelqu'un s'était d'ailleurs avisé de se moquer du jeune garçon, Kilian aurait été le premier à le défendre. En gros, c'est de l'amour vache. Pour bien s'entendre avec les gens, le fils aîné des Salaun avait besoin d'avoir du répondant en face, voilà pourquoi il aimait bien aussi se quereller gentiment avec son père. Les personnes sans réelle personnalité ou avis tranché ne l'intéressaient absolument pas. Avec ce petit monstre sur pattes, Kilian ne s'ennuyait jamais. Et cela ne l'empêchait pas d'être raide dingue de ses autres frères et soeurs, y compris Aidan et Caitlin. A ses yeux, ils étaient tous au même niveau. Disons seulement qu'il avait une façon différente d'aimer Liam ! Voir tous les enfants s'empresser de faire les sacs pour partir à la plage fit sourire le Breton qui mit la main à la patte en vérifiant de n'avoir absolument rien oublié pour Erwan. Ce n'est d'ailleurs qu'après six inspections consécutives du sac qu'il daigna enfin partir avec l'esprit à peu près tranquille. Papa poule ? Oh, si peu... Bon, ok, c'est quasiment maladif. Et Vraona avait beau tout faire pour le "rationaliser" un peu, il n'arrivait pas à s'empêcher d'être aussi prévenant. Trop prévenant. Limite étouffant, d'ailleurs.
Quelques minutes de voiture plus tard et les voilà sur la plage. La période était absolument parfaite dans la mesure où la majeure partie des gens préféraient rallier la Côte d'Azur... c'est joli, mais rien ne vaut les rouleaux de l'Atlantique s'écrasant sur les rochers bretons. Toute la tribu se retrouva rapidement en maillot, mais fut bien plus lente pour le passage obligatoire par la case "crème solaire". Un sourire étira les lèvres de Kilian tandis qu'il regardait son père prendre toujours le même plaisir pervers à bien prendre son temps pour étaler la crème sur la peau de chacun des enfants. Sadique. "Râlez pas, les moches... il m'a gonflé pareil quand j'avais votre âge. Non, c'est bon, j'arrive à m'en mettre tout seul." prévint l'acteur en s'écartant de son père au cas où celui-ci aurait voulu le barbouiller comme au bon vieux temps. En revanche, s'il y en a un qui ne se plaignait pas de cette application, c'était Erwan : dans les bras de son jeune père, il riait dès que celui-ci en profitait pour le chatouiller quand il lui mettait un peu de crème.

L'après-midi fila à une vitesse folle. Les plus jeunes avaient vite formé une coalition pour tenter de couler le frère aîné, ou bien le père lorsque celui-ci venait les rejoindre. A ce moment, Kilian avait pris le relais auprès d'Erwan pour récupérer un peu - c'est que les petits monstres étaient crevants ! - et pour s'occuper de lui. Ses premiers déplacements sur la plage. Avec une précaution exemplaire, il le fit même barboter là où les vagues venaient s'échouer pour être sûr qu'il ne boive pas la tasse. Au départ apeuré, le bébé avait vite commencé à rire dès qu'un peu d'eau venait chatouiller ses pieds. Dire qu'il avait cru que ces moments avec son propre enfant lui seraient interdits en raison de sa quasi totale stérilité, Kilian se sentait plus chanceux que jamais. Le rire de son fils suffisait à son bonheur. Quant à ce dernier, il se sentait tout aussi à l'aise dans les bras confortables de son grand-père. Il faut dire qu'avec un papy pas trop vieux et plutôt en forme, Erwan aurait la chance de connaitre une famille nombreuse pendant un bon moment. La soirée se passa tout aussi bien, dans la mesure où chacun mangea à sa faim. Les courses communes de Logan et Kilian furent épuisées en à peine une soirée. Six estomacs sur pattes à nourrir et un bébé non moins vorace de petits pots, ça mettrait un supermarché en rupture de stock. Un nutritionniste serait sans doute effrayé de voir la quantité de nourriture ingurgitée par tout ce beau monde... mais paradoxalement, aucun problème de surpoids n'était à signaler. Il faut dire qu'ils mangeaient beaucoup sans pour autant s'empiffrer de cochonneries. Et encore moins entre les repas. Le truc, c'est de planquer tous les aliments dans des endroits insolites, pour être sûr de pouvoir goûter à un gâteau sec avant que quelqu'un d'autre ne tombe sur la boîte, par exemple.

En revanche, la suspicion de son père n'échappa pas à Kilian. En effet, aucun des enfants n'avait fait de cinéma pour veiller jusqu'à pas d'heure comme les adultes. Pendant qu'il terminait de changer Erwan, le fils Salaun haussa les épaules. "Tu sais, avec tout ce qu'ils ont fait cet aprem, et la fatigue du voyage, ils ont de quoi faire. Ou alors ils jouent avec ce qu'on leur a acheté." proposa-t-il simplement. Si les enfants n'étaient pas encore très soigneux, Kilian était acteur de métier... et pas des moindres. Il devait reconnaître qu'il lui avait fallu des années pour parvenir à berner son paternel immensément expérimenté lui aussi. Encore aujourd'hui, il lui arrivait parfois de se faire griller. Mais dans le cas présent, il savait faire illusion pour faire mine de ne pas se sentir concerné le moins du monde et, par conséquent, attirer moins de suspicion de la part de Salaun senior. "J'aime beaucoup le « tant pis » suivi du « il ne reste plus que toi et moi ». J'veux bien une bière, mais j'aimerai surtout pas m'imposer..." railla le trentenaire sur un ton plus sarcastique que jamais. Il coucha Erwan dans son lit puis attrapa la bouteille que lui tendait Logan avant de le rejoindre sur un autre transat. N'appréciant pas spécialement le cigare, il se contenta d'une cigarette. Tout se passait bien, enfin un moment de repos, jusqu'à... "Pfff..." soupira également Kilian. Il prit un air résigné pour se lever et secoua la tête. "Eh, la prochaine fois tu les colles en colo. Ou tu songes à tout ce qu'aurait pu t'apporter les miracles de la contraception." dit-il en lui mettant une petite tape sur l'épaule avant d'écraser sa cigarette pour rejoindre ses frères et soeurs. Voilà, maintenant, il allait techniquement être persuadé que ça le gonflait également d'aller voir de quoi il en retournait.

Une fois dans la chambre, il laissa entrouvert puis déposa sa main sur l'épaule de Gwen. "Ma puce, va à la porte pour surveiller que Papa ne vienne pas." On ne sait jamais, c'est qu'il peut être tordu, dans son genre. Une fois au niveau de l'ordinateur, Kilian fronça les sourcils. "C'était quoi, le souci ?! On vous a entendu d'en bas, bonjour la discrétion ! - C'est... c'est... M-ma... - Elle... toute... et puis... c'était..." Aucun doute possible, Aidan et Liam étaient sous le choc. Kilian tourna la tête vers Caitlin, déboussolé. "C'est quoi leur souci ? - Papa a un dossier un peu... spécial, dans son ordinateur." répondit Caitilin avec un pragmatisme étonnant. L'aîné de la fratrie s'avança jusqu'à l'ordinateur, surpris de voir ses frères se cacher les yeux en prévision. "Qu'est-ce qui peut vous... oh... d'accord..." Ah oui, voir Maman Cheyenne toute nue, c'est ça. Kilian arqua un sourcil et ne put s'empêcher de voir qu'il y avait quand même un bon petit paquet de photos dans ce dossier, mine de rien. Sans se rincer l'oeil davantage, il ferma ce dossier et se tourna vers ses frères et soeurs. "Pourquoi Papa prend des photos de Maman toute nue ? - C'est pour son dossier médical. Elle s'était fait mal, c'est pour voir si les cicatrices étaient parties." Le ton sérieux et le visage lavé de tout air douteux fit passer ce mensonge pour une vérité criante. "Et pourquoi il y avait des menottes pour accrocher les poignets de Maman ?" demanda Gwen avec une voix parfaitement innocente. Pauvre petiote... Parce que ton Papa et ta Maman adorent s'envoyer en l'air avec quelques accessoires ? "Parce que... Parce que c'était vendu avec le lit. C'était un lit "policier", tu sais ? - Je pourrais en avoir un ? - Pas avant tes dix-huit ans, mon p'tit coeur." lui répondit Kilian avec un grand sourire affectueux. Il n'avait pas envie de s'enfoncer davantage dans les mensonges. "Bon, maintenant vous regardez les noms des dossiers avant d'ouvrir, ok ? Genre photos de vacances ou d'anniversaires, c'est pas compliqué ? Et faites vite, vous êtes censés être allés vous coucher. Dans un quart d'heure, il faut que vous ayez fini. Un quart d'heure, pas plus !"

Kilian redescendit puis s'assit à nouveau sur le transat à côté de son père. "C'était rien, ils étaient sur mon ordinateur et ils ont vu une sorte de film d'horreur pour enfants. Ils vont se coucher dans un petit quart d'heure." Un léger sourire planait sur son visage. Allez, on lui dit, ou pas ? Oh non, mieux... on va jouer pour le mener en bateau. C'est plus distrayant et au moins, il ne sera pas tenté d'aller voir ce qui se passe en haut jusqu'à temps que les enfants aient terminé de mettre leur touche à ce futur cadeau. "Dis, j'ai un truc un peu... personnel à te demander." Il fronça les sourcils puis se ralluma une cigarette. Dans un sens, ils n'avaient jamais eu tellement de tabou l'un avec l'autre, c'était une chance. "Depuis l'arrivée d'Erwan, Vraona et moi avons un peu de mal à recréer de... de l'intimité, tu vois ? La journée, on est occupés et le soir, on est trop crevés pour faire quoique ce soit sans s'endormir." Faux, archi-faux. Entre eux, c'était toujours aussi explosif. Ils s'étaient quittés après une puissante passion à Berkeley, mais pour mieux se retrouver quelques années plus tard... et ne jamais se lâcher depuis. L'arrivée d'Erwan n'avait rien changé à cela, mais disons que c'était son cheval de Troie pour mieux attaquer son paternel aux idées parfois perverses, il faut bien le dire. "T'as eu ce problème, avec ma naissance, ou même avec celle des autres enfants ? J'ai beau me creuser, j'avoue être un peu à bout d'inspiration... et j'ai pas envie que mon couple ne devienne plan-plan avec l'arrivée du petit." Alors ? Mordra ou mordra pas ? Logan Salaun est un mec, techniquement les mecs adorent parler de ça entre eux. Et Kilian n'était plus un enfant.

« Eh, la prochaine fois tu les colles en colo. Ou tu songes à tout ce qu'aurait pu t'apporter les miracles de la contraception. » Oh oui, c’était épuisant d’être parent, et encore plus lorsque l’on n’a pas sa compagne avec soi pour filer un coup de main. J’étais très présent pour mes enfants, ainsi, Cheyenne n’avait pas à subir toute cette fatigue de devoir gérer toute une tribu. Et même si elle avait décidé de faire la grande majorité de son travail à la maison pour pouvoir garder un œil sur tous nos marmots, je faisais en sorte de ne pas lui laisser toutes les tâches. Nous partagions assez bien, adoptant tous les deux un rôle parental que j’estimais bon. Et lorsqu’il manquait un adulte pour cette famille nombreuse, nous nous en rendions bien vite compte. Cheyenne avait une plus grande facilité à canaliser l’énergie de nos enfants, alors que pour ma part, je me laissais vite envahir par cette montagne de diablotins terriblement attendrissants. « Oui je sais, j’aurais pu avoir une vie tellement plus reposante avec un seul mot : ‘‘préservatifs’’. Je suis vraiment trop con. », lançais-je à mon fils dans un sarcasme, le sourire aux lèvres. Puis il disparu, dans le but d’aller voir ce que ses frères et sœurs pouvaient bien fabriquer.

Je me retrouvais donc seul, avec mon cigare et ma bière, allongé sur un transat. Quelle douce sensation. Je pris mon téléphone portable pour envoyer un message à Cheyenne qui se trouvait à présent en Irlande. Un message simple et suggestif. « Chérie, toi et tes fesses, vous me manquez. » Et oui, avec le temps, j’étais devenu un peu plus romantique. Et alors qu’elle me répondait toujours avec autant de provocations et de jeux, je souriais, lui avouant ce que je désirais faire avec elle, une fois que nous serions l’un en face de l’autre. Je pris une inhalation de mon cigare, avant d’entendre un bruit de pas. Kilian revenait vers moi. Rapidement, j’envoyais à Cheyenne un : « J’dois te laisser, on reprend plus tard ! », et je posais mon cellulaire sur le sol. Enfin je tournais la tête vers Kilian, le regard innocent.

Enfin, Kilian m’expliqua qu’il souhaitait discuter avec moi d’un sujet personnel. Et à écouter le ton qu’il employait, je comprenais assez rapidement qu’il s’agissait de sexe. Il en vint donc à me raconter qu’entre lui et Vraona, les choses n’allaient pas spécialement bien au niveau intime, que l’arrivée d’Erwan avait plus ou moins mis un terme à leur libido. « T'as eu ce problème, avec ma naissance, ou même avec celle des autres enfants ? J'ai beau me creuser, j'avoue être un peu à bout d'inspiration... et j'ai pas envie que mon couple ne devienne plan-plan avec l'arrivée du petit. » Mes yeux s’écarquillèrent alors que je regardais devant moi. Mh… comment dire ? Avec Sasha, les choses avaient été différentes. Nous étions jeunes, au moment de l’arrivée de Kilian, nous vivions dans un petit appartement, jonglant entre le rôle de parents, les cours et les petits boulots à côté. Clairement, nous n’avions pas eu le temps de nous envoyer en l’air aussi souvent que nous le souhaitions, même s’il nous arrivait bien entendu de nous accorder des moments plus intimes. Puis avec le temps, nous nous étions adaptés à notre rythme de vie, au point de pouvoir en profiter davantage. Avec Cheyenne, le sexe restait une part importante, une grande tension physique restait puissante entre nous deux. Il ne se passait jamais très longtemps avant que nous nous envoyions en l’air. Nous étions comme deux adolescents avec une libido toujours plus croissante. Après plus de dix ans de relation, il m’arrivait encore de me sentir à l’étroit dans mon pantalon juste en imaginant mes mains sur ses fesses. C’est pour dire…

« C’est normal, l’arrivée d’un enfant chamboule toujours l’intimité des parents. Et puis, avec le temps, tu sais, tout devient banal… » FAUX ! Enfin vrai chez certains. Mais je n’avais pas envie d’expliquer à mon fils que pour ma part, je multipliais toujours les orgasmes en compagnie de Cheyenne, alors que pour lui, les choses ne semblaient pas si bien se passer. Je tirais sur mon cigare, tâchant de prendre un ton sérieux et sincère. « Avec Cheyenne, les enfants nous ont pris beaucoup trop de temps. Maintenant, on baise de temps en temps, comme ça, histoire de… de baiser. » Je haussais les épaules. « Rien de très intéressant. » FAUX ! Totalement faux ! Et déjà, j’entendais mon téléphone vibrer. Hutchinson venait certainement de m’envoyer un message qui n’aurait pas d’autre but que de me provoquer et de m’émoustiller, afin de me donner envie de filer droit en Irlande pour me loger entre ses cuisses. Mais au-delà de cette envie de lui faire l’amour, je devais avouer que son parfum me manquait, et que ce que je désirais le plus, c’était de m’endormir auprès d’elle, en l’enroulant de mes bras. « Après, avec Vraona, c’est à vous de faire renaître le désir. Avec Cheyenne on n’a pas réussi. Mais vous, vous êtes plus jeunes. Allez va, ça va s’arranger. » Je lui donnais une tape dans l’épaule, le sourire aux lèvres.

Rien qu'à voir en coin ses yeux s'écarquiller sous la surprise, Kilian en aurait presque eu un sourire s'il n'avait pas fait preuve d'une immense retenue. Parler de sexe avec ses parents, c'est souvent quelque chose de tabou... Principalement élevé avec ses grands-parents, il n'avait d'ailleurs jamais osé aborder ce sujet avec eux, quand bien même les parents de sa mère étaient du genre libérés sur le sujet. Combien de fois avait-il dû taper sur l'épaule de ses grands-parents pour les calmer un peu lorsqu'ils étaient tous au cinéma pour aller voir un film ? Ils étaient du genre expansifs, dirons-nous. Une salle obscure, du bruit pour couvrir et du monde autour, il n'en avait pas fallu plus pour qu'ils prouvent que l'amour n'était pas une affaire d'âge. Bref, toujours est-il que Logan n'avait jamais été du genre à se défiler face à de telles conversations. Dieu merci, ce n'était pas non plus comme s'ils en parlaient très souvent, mais au moins, il n'était pas l'un de ces parents coincés qui abjurent toute forme de sexualité vis-à-vis de leurs enfants. Evidemment, il y avait eu quelques petites anicroches, notamment vis-à-vis de la bisexualité affirmée de Kilian. Il se souvenait d'ailleurs d'un épisode où, après avoir découvert que James et lui avaient couché ensemble, Logan était devenu fou furieux à un tel point qu'il avait manqué d'écharper l'Irlandais sur place. Quoiqu'il en soit, le sexe n'était pas un sujet de conversation particulièrement gênant pour eux.
Cependant, Logan était un menteur. Un menteur hors-pair qui, peut-être par souci d'intégrité, n'osait pas révéler à son fils aîné que sa compagne et lui demeuraient en rut perpétuel depuis près de dix ans. C'est tellement grisant de savoir que la personne en face de vous ment volontairement et qu'à tout moment, vous pouvez faire vaciller son assurance. Sadique, oui, c'est le mot. Depuis le temps, Logan savait que son fils était un sacré numéro pour piéger les gens mine de rien que je t'embrouille. "Banal ?" releva-t-il en arquant un sourcil tout en perdant son sourire. Mais quelle hypocrisie, seigneur, quelle hypocrisie ! Depuis quand c'est banal de prendre sa compagne en photo nue sur un lit, parfois attachée avec des menottes ? Et encore, ce n'était qu'un très mince aperçu, la face visible de l'iceberg. Si ça, c'est banal pour lui, Kilian brûlait de savoir ce qui pouvait être insolite pour Logan Salaun.

Un air déçu flottait sur son visage, mimant ainsi qu'il gobait tout ce que son père lui affirmait. Que le sexe ne devient qu'accessoire après l'arrivée d'un enfant. Qu'on finit par voir sa libido chuter au fur et à mesure que l'enfant grandit. Que tout le caractère amusant et explosif du sexe n'est plus qu'un souvenir. Qu'on baise juste pour baiser. Au fond, Logan n'avait pas totalement tort, c'est ainsi que ça se passe pour une bonne partie des couples casés et, de surcroit, avec une famille nombreuse comme la sienne. Toutefois, le père Salaun n'était pas concerné, et Cheyenne non plus. Il suffisait de les voir ensemble pour savoir que la flamme de la passion brûlait avec toujours autant d'intensité entre eux, voire plus. Père et fils se ressemblaient, Kilian savait très exactement quelle signification avait le regard de son père lorsque ce dernier se posait sur Cheyenne. Il avait à peu près le même lorsqu'il scrutait Vraona. Son Italienne hantait chacun de ses fantasmes, même après leur séparation à l'époque de Berkeley. Il avait toujours été convaincu qu'elle était la femme de sa vie, et il ne s'était pas trompé.
Le Breton poussa un léger soupir et sourit légèrement en réponse à la tape que lui mit son père dans l'épaule. C'est ça, vas-y Salaun, joue là "pauvre vieux père frustré sexuellement", tout le monde te croit. Et dans deux jours, on te décerne l'Oscar du meilleur menteur de la planète. "T'as raison. Va falloir que je me creuse pour essayer de faire bouger les choses." Tu parles. Dans un sens, père et fils étaient deux sacrés menteurs. Car même avec l'arrivée d'Erwan, il suffisait à Kilian de voir le prénom "Vraona" s'afficher sur son téléphone pour que des dizaines de pensées toutes moins catholiques les unes que les autres envahissent son esprit. Sa dernière folie en date ? Débarquer dans le bureau de son épouse au beau-milieu de l'après-midi, baisser les stores après avoir verrouillé la porte et lui faire l'amour passionnément sur son bureau, malgré ses collègues présents à l'étage de ce building. Tout ça parce que, soi-disant, il avait envie "d'un petit bisou avant d'aller chercher Erwan chez la nounou". Toutes les excuses sont bonnes. Et quitte à avoir des vices, Kilian reconnaissait volontiers que les lieux publics avaient toujours été sa meilleure source d'inspiration...

"Remarque, faudrait voir à essayer des trucs assez bizarres, des fois ça marche. Il parait qu'il y a des tas de couples qui adorent se prendre en photo, par exemple." lança-t-il en regardant son verre, les sourcils légèrement froncés. Un air sérieux planait sur son visage, rien ne pouvait pour l'heure laisser présager qu'il avait eu vent des manies tordues de son père. "Ou alors les accessoires. On en a quelques-uns, mais les menottes, c'est réputé pour être assez marrant..." Deuxième service. L'acteur sentait que quelqu'un juste à côté de lui devait avoir relativement chaud ou devait se sentir mal à l'aise. Et ce n'était qu'un début, Kilian comptait bien poursuivre jusqu'à ce que son père se liquéfie totalement sur place, qu'il ait les mains tellement moites que son cigare lui glissera des doigts. Quoi ? Si on peut même plus taquiner son papounet adoré sans subir de jugement… Que faire ? Lui administrer le coup de grâce maintenant ? Faut voir. "Enfin, c'est pas pire que ceux qui s'envoient des textos cochons pour se chauffer quand ils sont loin l'un de l'autre… hein ?" lança Kilian en plongeant son regard bleu azur dans celui de son père. Non, rien ne lui échappait, pas même le vague contenu du message qu'il avait reçu sur son portable dont le rétro-éclairage s'était allumé au moment où Cheyenne lui avait apparemment répondu. Il attendit un petit moment puis se ralluma une cigarette avant de jeter un œil derrière lui : lumières éteintes, les enfants étaient partis se coucher pour de bon. Aucun risque que Logan surprenne leur petit coup monté maintenant qu'ils dormaient. Il recracha la fumée en l'air puis observa son père avec un très infime sourire en coin. "Au fait, j'ai pas encore précisé le contenu de ce qui leur a fait peur sur ton ordinateur… notre conversation t'en donne une petite idée ou tu préfères que je développe un peu ?" Le sarcasme faisait son grand retour. Oui, Papa, tous tes fils et toutes tes filles ont vu ce à quoi tu t'adonnais avec Cheyenne. Ta fille est blasée, tes deux fils sont encore sous le choc, ta plus petite n'a pas encore tout compris et ton fils aîné… bah, lui, ça le fait marrer de savoir que t'es un sacré numéro dans ton genre. Limite perturbé, mais ça lui plaisait de savoir que son père était toujours "en pleine forme". Il ne s'expliquait pas cet étrange sentiment de fierté de ne pas avoir un paternel trop mou. Dans tous les sens du terme. Restait à savoir si Logan allait d'ores et déjà commencer à creuser un trou pour s'enterrer dans le jardin et ne pas mourir de honte…

Il était difficile de mentir sur un tel sujet que ma sexualité avec Cheyenne. De la banalité ? Absolument pas. Nous restions des jeunes amants passionnés depuis le début de notre relation. Toutes les raisons étaient bonnes pour pimenter notre vie sexuelle. Nous avions l’esprit on ne peut plus ouvert et une parfaite entente mêlée à une confiance aveugle pour l’autre, acceptant ainsi les fantasmes de l’autre. Que n’avions-nous pas fait ? Lieux insolites voir publics, longues séances de massage, jeux érotiques, yeux bandés, inclure une troisième personne, tester chacune des positions de ce fabuleux (et parfois étrange ?) livre indien, photos érotiques, petit film personnel également, créer le manque en se poussant à une période d’abstinence pour mieux se retrouver, ou au contraire battre notre record de relations intimes en une seule journée, inclure des fruits et de la crème chantilly, surprendre l’autre en glissant dans son livre un petit post-it avec inscrit dessus ‘‘Et si tu t’occupais de moi à la fin de ce chapitre ?’’. Nous n’étions jamais à court d’imagination. Et c’est ce qui faisait la force de notre vie intime.

- Remarque, faudrait voir à essayer des trucs assez bizarres, des fois ça marche. Il parait qu'il y a des tas de couples qui adorent se prendre en photo, par exemple.

Cette simple remarque me fit hausser les sourcils, mais toujours avec la plus grande des discrétions. Je faillis d’ailleurs me mettre à tousser après avoir avalé de travers, sous la surprise, mais je m’abstenais difficilement. C’est de cette façon que je me contentais seulement de hocher la tête, avec un bref :

- J’avoue, c’est trop bizarre…

- Ou alors les accessoires. On en a quelques-uns, mais les menottes, c'est réputé pour être assez marrant...

Cette fois ci, je toussais en m’étouffant avec de la bière. Alors soit nous étions face à une véritable coïncidence, soit il savait quelque chose. Quoi qu’il en soit, si la première hypothèse se révélait valide, j’aurais l’impression d’être un véritable obsédé. Quoi qu’il en soit, on pouvait difficilement être plus mal à l’aise que moi en ce moment.

- Enfin, c'est pas pire que ceux qui s'envoient des textos cochons pour se chauffer quand ils sont loin l'un de l'autre… hein ?

Là, plus aucun doute. Kilian parlait de moi depuis le début. Mes yeux se posèrent un instant sur mon téléphone qui émettait une petite lumière rouge, afin de me faire comprendre que je venais de recevoir un message. Et quand je tournais la tête vers mon fils, je croisais son regard alors que lui m’observait avec une certaine fierté de m’avoir ainsi piégé. Je déglutis, ne sachant pas trop quoi dire. Là, ok, il m’avait eu. Et en beauté… Mais la plus grande question restait : ‘‘Comment a-t-il appris tout ça ?’’. Et malheureusement, j’en eus la réponse sans avoir le temps de lui demander.

- Au fait, j'ai pas encore précisé le contenu de ce qui leur a fait peur sur ton ordinateur… notre conversation t'en donne une petite idée ou tu préfères que je développe un peu ?

Là, mes yeux s’écarquillèrent d’eux-mêmes. Comment ça les enfants sont tombés sur un contenu assez gênant présent sur mon ordinateur ? Alors là, j’avais l’impression que j’allais mourir de honte. Et déjà, je m’étais redressé, les yeux comme des soucoupes, en train de parler à vitesse grand V.

- Tu m’as dit que c’était sur ton ordinateur qu’ils avaient vu un truc qui leur a fait peur ! Et puis, c’est pas ce que tu crois. C’est… c’est…

La thèse de la photo porno trouvée sur internet avec une ‘‘professionnelle’’ dont le visage et le corps sont étrangement similaires à ceux de Hutchinson ? Non, autant ne pas se lancer là-dedans, l’instant n’en serait que plus pathétique.

- Oh putain, mais j’avais mis un code. Comment est-ce qu’ils l’ont trouvé ? Bon Dieu, si ça vient aux oreilles de Cheyenne, elle va vouloir me tuer, mais vraiment ! Et… ah mais quelle horreur ! Ils ont vu leur mère toute nue dans une position compromettante… !

J’en lâchais mon cigare face au léger sourire de Kilian. Puis je lui administrais une légère tape sympathique derrière la tête.

- Et retire-moi ce sourire stupide de ton visage ! Tu verras le jour où ça t’arrivera monsieur ‘‘Jemeplainsdemaviesexuellepourtrompermonpèrealorsquetoutvabien’’ ! Tu rigoleras moins quand ton fils tombera sur la preuve vivante qu’il n’est pas né dans un chou !

Et c’est de cette façon que le reste de notre séjour fut tout aussi mouvementé. Entre la Bretagne avec les enfants, et la suite à Londres pour notre interview télévisée, nous n’avions pas un seul moment pour nous ennuyer. En fait, j’arrivais à comprendre pourquoi Cheyenne avait insisté pour s’accorder des petites vacances en Irlande, sans les enfants et sans moi, juste son meilleur ami, Maria et elle. De quoi souffler, être loin de tout. Être parent, c’est tellement de bonheur, mais tellement épuisant à la fois. Mais heureusement, si tout était à refaire, je n’hésiterais pas à ne rien changer.

FIN DU TOPIC