Il était un peu plus de vingt heures lorsque mon portable sonna. J'étais allongé sur le lit de la chambre d'hôtel , mes yeux fixant le plafond. J'attendais Chelsea, qui était sous la douche. Nous avions décidé, après le mois écoulé en Italie, de revenir aux Etats-Unis pour une petite semaine. L'université étant fermée, nous avions décidé de louer une suite dans un hôtel luxueux de la ville, avant de repartir pour deux semaines en Russie.

J'ai froncé les sourcils en voyant s'inscrire le numéro de Belammée. Je n'avais rien contre le fait qu'elle m'appelle, loin de là, mais je trouvais ça louche. Déjà, elle ne m'appellait jamais dans ces heures là. Et ensuite... Elle n'avait rien contre le fait que je sois avec Chelsea, mais elle ne l'aimait pas beaucoup. Et Bela savait très bien que je passais mes deux mois de vacances avec elle. C'est donc avec une légère appréhension que j'ai décroché.

Je l'entends qui soupire. Non, vraiment, il y a quelque chose d'anormal dans le comportement de Belammée ce soir. Finalement, elle me demande si je suis libre. Elle hésite, j'ai l'impression qu'elle est inquiète. Je sais qu'il se passe quelque chose, ou qu'il s'est passé quelque chose. Belammée ne me demande jamais si je suis libre. Elle me demande de ramener mon derrière, de bouger mon cul, de venir immédiatement, mais elle ne me demande pas si je suis libre.

Et puis, finalement, elle m'annonce qu'elle est à l'hôpital, et je déglutis difficilement. Dans quelle merde s'est-elle encore foutue ? Qu'est-ce qu'il s'est passé ? Alors qu'elle me demande de la rejoindre là-bas, j'accepte, sans hésiter une seconde. Elle raccroche, et je me lève du lit. C'est ce moment là que choisit Chelsea pour sortir de la salle de bain, enveloppée dans une serviette de bain. Elle me sourit, mais je suis trop perturbé pour le remarquer.

- Bela est à l'hôpital. Je suis désolé, il faut que j'y aille.

Je regrette d'abandonner Chelsea de cette façon, surtout que nous avions prévu d'aller dîner. Mais Bela est à l'hôpital, et je suis inquiet. Si elle m'a demandé de venir, c'est pour une bonne raison, et je sais qu'elle ne l'aurait pas fait si elle n'en avait pas eu besoin. Je me suis dirigé vers la table de chevet, où mes clés de voiture sont posées.

J'allais sortir de la chambre, lorsque j'ai entendu Chelsea me demander d'attendre. J'étais pressé ; apparemment, Bela avait besoin de moi. Vu comme la situation se présentait, Chelsea allait me passer un savon. Et je pouvais la comprendre ; j'annulais au dernier moment, pour aller voir une fille qu'elle détestait purement et simplement. Mais, alors que je m'attendais à une leçon de morale, j'ai simplement entendu Chelsea me dire qu'elle m'accompagnait. Et avant que je n'ai pu réagir, elle avait filé à la salle de bain, pour s'habiller rapidement.

Une dizaine de minutes plus tard, nous étions dans la voiture. Chelsea n'avait rien dit depuis que nous avions quitté notre chambre. J'étais, moi aussi, resté silencieux. Mais mes gestes trahissaient mon état d'anxiété. Si Bela avait été à l'hôpital pour une opération de routine, elle n'aurait pas eu cette voix, et elle aurait appelé Kienan ou Charlie. Mais moi... Quelque chose ne tournait pas rond, et j'allais bientôt être fixé.

Une dizaine de minutes plus tard, nous sommes arrivés à l'hôpital. Je crois que pour venir, j'ai grillé un feu rouge et une priorité, mais je m'en fous. Chelsea me suit, toujours sans rien dire. Ma main tient fermement la sienne. A ce moment, j'en ai plus besoin que jamais. Je pousse la porte de la chambre de Bela, un peu trop brusquement peut-être. Je l'entends rire. Bon signe, mauvais signe ? Je n'en ai aucune idée.

J'entre, et une légère appréhension me noue l'estomac. Finalement, ma main lâche celle de Chelsea, et je me dirige vers Bela. Elle est là, allongée dans son lit, et semble étonnée de la présence de Chelsea. Mes lèvres se posent sur son front, puis je me redresse, pour mieux l'observer.

Sa jambe est immobilisée, et un bandage recouvre son bras. Son arcade est bleue foncée. Putain, mais qu'est-ce qu'elle a foutu ? J'allais lui poser la question, lorsque je l'entends me demander ce que Chelsea fait ici.

- Bela, murmurais-je. Elle ne t'a rien fait, soit gentille. Et explique moi ce que tu fous ici, et pourquoi.

Entre Chelsea et Belammée, c'est une grande histoire de haine. Je ne sais pas vraiment pourquoi elles se détestent et sont exécrables entre elles. Je crois que ça a un rapport avec Joshua, un Delta. Mais pour le moment, je m'en fous complètement. Je n'ai pas envie de chercher à comprendre, ce n'est pas le moment. Un autre jour, peut-être.

Je soupire en entendant Chelsea répondre à Belammée qu'elle a un prénom. Bon, en même temps, je peux la comprendre, mais Bela a des circonstances attenuantes. Mais c'est pas une raison, c'est vrai. Bref, j'espère juste qu'elles sauront se retenir quelques instants, histoire que Bela ait le temps de me raconter son histoire, et que je puisse réfléchir. Les choses se calment à peine lorsque Belammée s'excuse auprès de Chelsea. Aucune des deux n'est ravie de la présence de l'autre, mais il faudra bien qu'elles fassent avec.

Je suis allé m'asseoir sur le lit de Belammée, alors qu'elle proposait à Chelsea d'entrer dans la chambre. Finalement, les yeux de Bela se posent sur moi. J'ai l'impression qu'elle hésite, qu'elle a un peu honte. La légère couleur rosée que prennent ses joues me confirment ce que je pense. Mais je sais que Bela va se confier ; elle a confiance en moi, et je ne suis pas du genre à me moquer. Surtout pas d'elle, et encore moins alors qu'elle est allongée dans un lit d'hôpital.

Puis Belammée finit par me raconter son histoire. Je sais que sa vie amoureuse est légèrement complexe, ces derniers temps. Charlie, Kienan ? Kienan, Charlie ? Les deux ? Aucun des deux ? Donc d'après ce qu'elle me dit, Charlie l'a trompée. Classe, vraiment très classe de la part de ce crétin de Sigma. Je ne dis rien, par respect pour Bela, mais je n'en pense pas moins. Apparemment, Bela lui aurait proposé un compromis, comme quoi ils pouvaient faire ce qu'ils voulaient chacun de leur côté. Je ne peux m'empêcher d'avoir un léger sourire. Je n'ose même pas imaginer ma réaction si Chelsea venait me proposer ce genre de marché.

Finalement, elle enchaîne en me parlant de Kienan, et d'un enfant de lui qu'elle a perdu ? C'est quoi cette histoire ? Bien sur que non, elle ne m'a rien dit. Je hoche négativement la tête, sans l'interrompre. Bela a retrouvé Kienan, pour lui parler. Mais je connais Kienan, et surtout, je sais que sa fierté a été touchée lorsque Bela lui a annoncé son mariage avec Charlie. Alors forcément, il allait lui faire payer ça. Et la seule chose qu'il a trouvé à faire, c'est de la défier de se faire écraser par une voiture, alors qu'elle était à nouveau enceinte, mais de Charlie cette fois-ci.

- Putain mais Bela ! M'exclamais-je. C'est Kienan, tu sais très bien qu'il est dingue !

Kienan a beau faire parti de ma confrérie, je sais ce qu'il en est. Nous nous sommes déjà croisés, nous avons déjà parlé et fait quelques fêtes ensemble. Nous ne sommes pas proches, mais je le connais plus qu'il ne le pense, notamment grâce à Belammée. Kienan ne me dérange absolument pas, au contraire, mais je sais qu'il déraille facilement. Je sais qu'il est amoureux de Bela, mais je sais aussi qu'il est trop fier, trop blessé dans son orgueil pour le lui dire. Alors, la seule chose qu'il a trouvé à faire, c'est de la défier.

- Tu n'aurais pas dû prendre ça au premier degré, Bela. Tu as eu de la chance.

C'est vrai, elle avait eu de la chance. Ça aurait pu être pire, bien pire. Mais maintenant, il y avait un autre problème, et de taille. L'enfant qu'elle portait, celui de Charlie, l'homme dont elle allait divorcer. Je crois sincèrement que Bela a un don fabuleux pour se foutre dans des situations pas possibles.

- Qu'est-ce que tu vas faire de l'enfant, Bela ?

J’ai levé les yeux au ciel en entendant Belammée me dire qu’en fait, c’était plus ou moins elle qui avait enclenché ce défi stupide. C’était bien son genre, ça : se mettre dans des situations impossibles et périlleuses. Et finalement, ce soir, elle avait fini par passer sous une voiture. Certes, elle ne s’en sortait pas trop mal ; elle avait eu de la chance. Ca aurait pu être bien pire. J’ai secoué légèrement la tête, pour éviter de penser aux conséquences plus graves qu’il aurait pu y avoir. Ce n’était pas le cas, inutile de penser au pire. Belammée était bien là, en face de moi, allongée dans un lit d’hôpital, et en train de me parler. Elle était vivante, et elle avait eu de la chance, pour cette fois-ci. Malgré moi, je lui ai lancé un regard noir ; l’un de ses regards qui vous glace le sang, mais qui en même temps, en dit beaucoup plus que de simples mots.

« Qu’est-ce que tu veux que je te dise, Bela ? Tu sais bien que quoiqu’il arrive, je serais là pour toi. Que ce soit financièrement ou humainement. »

Oui, bon, ce genre de promesse, venant d’un Gamma, pouvait faire sourire. Déjà, il faudrait que je sois en état d’être là pour elle. Bon, ça, au pire, je pouvais gérer. Mais quand même… J’avais conscience de prendre un engagement, en disant ça. Et un engagement sur le long terme. Mais Bela était mon amie, et ça ne me posait pas de problème, de l’aider quand elle en avait besoin. Et en ce moment, je pense sérieusement qu’elle en avait besoin.

J’ai eu un vague sourire, alors qu’elle disait qu’elle ne croyait pas franchement au mariage. Que pour elle, ce n’était qu’une cérémonie, et une feuille de papier à signer. J’approuvais totalement ce raisonnement ; et ceux qui me connaissaient bien pouvaient en témoigner. Je n’étais vraiment pas fan de tout ce qui pouvait avoir un rapport avec le mariage. Mon sourire s’est élargi alors qu’elle me disait que si Chelsea et moi venions à nous marier, il faudrait lui garder une place. J’ai levé les yeux au ciel, et j’ai été sincère en lui répondant.

« Ce n’est vraiment, mais alors vraiment pas à l’ordre du jour. »

Non pas qu’épouser Chelsea soit un problème, loin de là. Je lui faisais confiance, j’avais besoin d’elle, elle me rendait meilleur, et surtout, j’étais amoureux d’elle. C’était sans doute la fille qui était faite pour moi. Mais j’avais une sainte horreur de tout ce qui pouvait ressembler à un engagement, de près ou de loin. Je ne savais pas vraiment à quoi c’était dû ; peut-être la peur de ne plus me sentir libre. Je n’ai pas osé me retourner vers Chelsea pour la regarder, et voir ce qu’elle en pensait. Nous n’en avions jamais parlé, mais elle devait bien se douter de mes positions sur le sujet. Et puis, ce n’était ni l’endroit, ni le moment pour débattre sur le sujet.

J’ai écouté Belammée me dire ce qu’il s’était passé, avec Charlie. Alors comme ça, il l’avait trompée. Classe, très classe le pseudo-mari. Que je dis que c’est un crétin, ce Sigma… Bref. J’ai levé les yeux au ciel, mais j’ai évité d’en rajouter une couche ; Bela n’avait pas besoin de ça. Puis elle continua en se comparant avec une grand-mère. J’ai souri. Même si elle était allongée dans un lit d’hôpital, même si elle n’était pas au meilleur de sa forme, elle continuait de raconter des conneries.

« Si. Tu es mon cas désespéré. » Dis-je en souriant.

Ce qui n’était qu’à moitié faux. Mais bon, je pouvais bien lui dire ça ; moi, je devais sans doute être son cas désespéré, à elle. Quoique… Entre Kienan, Charlie et moi, les choses ne devaient pas être simples, et Bela avait son lot de cas.

Puis elle s’excusa. J’ai froncé les sourcils, étonné. Qu’est-ce qu’elle allait m’inventer, encore ? J’ai souri en voyant qu’elle s’excusait de nous avoir dérangés, et d’avoir contrarié nos plans pour la soirée. J’ai balayé ses excuses d’un signe de main ; notre repas attendrait, étant donné que Bela avait besoin de moi. Enfin, ça, c’était mon point de vue. Nul doute que celui de Chelsea serait différent, et elle n’hésiterait sans doute pas à me le faire payer plus tard.