Lorsque j'arrive à l'aéroport de San Francisco, j'affiche un large sourire en prenant une immense bouffée d'air. Bien que je n'éprouve aucun regret de m'être installé à Las Vegas, je ne peux pas dire que je n'apprécie pas cette ville côtière. Mes pas me mènent au bas de l'appareil et vers une berline noire qui a pour mission de m'amener jusqu'au Castro, le quartier réputé pour son caractère festif, et spécialement aujourd'hui. Rater la Gay Pride ? Jamais. Je me suis même doté d'un look on ne peut plus particulier aujourd'hui : entre le gangsta et la caricature, aujourd'hui est synonyme d'excentricité, de folie et de lâcher prise. Le soleil est de plomb, la musique bat son plein et, autour de moi, je remarque que tout le monde joue le jeu. Concernés ou non, les gens défilent pour profiter de cette opportunité afin de se laisser aller au cœur d'une foule anonyme et unanime à la fois. Les caméras sont là pour immortaliser l'évènement, ce qui ne manque pas de me faire sourire en coin quand j'entrevois la manœuvre de Grant Sullivan, showman né et à l'œuvre pour booster cette Gay Pride pas comme les autres. Sans savoir si j'allais rencontrer qui que ce soit, je n'oublie cependant pas l'une des personnes pour qui je suis également venu : Rayan. En discutant par téléphone il y a quelques jours, il m'a fait part d'un rendez-vous qu'il devait honorer chez son boss, Shark senior. Perfect timing. Je sors mon smartphone et, après avoir remplacé une petite puce à l'intérieur par une autre de mon propre crû, je pianote sur cette nouvelle application. Les pare-feux et autres protections numériques de la forteresse de Shark Publications cèdent pour que les écrans n'affichent qu'une chose dans le building : mon visage filmé par l'objectif, et ma voix enregistrée puis diffusée dans les hauts-parleurs. De quoi faire bondir Joe de son siège de ministre, j'en suis sûr. "Bonjour les gratteurs d'articles et les tromblons de la compta', ici Dieu. Ceci est un message pour Rayan : j't'attends au quartier Castro, et dépêche-toi, ici c'est le feu ! La bise à ton patron, à tout à l'heure, beau gosse…" Le message passé, je raccroche et coupe la connexion pour relâcher mon emprise sur les systèmes d'exploitation du bâtiment. Tant pis si j'ai collé la honte à l'Israélien, je sais qu'il ne m'en voudra pas. Il m'aime trop pour ça, même s'il ne me l'a encore jamais dit très distinctement. En l'attendant, j'attrape un gobelet de bière et je me joins au défilé, tout sourire et à l'affût de nouveaux visages. C'est aussi pour cette raison que j'aimerai participer à ce mouvement avec lui : on ne fait rien comme tout le monde, on n'est pas un couple officiel, mais on a tout pour durer jusqu'à la fin de nos jours, de la passion à la folie, en passant par cette sincérité à peine chuchotée. Ici, il n'y aura personne pour nous juger, à nous de vivre pleinement notre relation sans nous en cacher, et de participer à une fête mémorable pour ouvrir les consciences.

Le rendez-vous en salle de réunion vient de prendre fin et je quitte la pièce en la compagnie de Joe Shark, raccompagnant ce dernier jusqu'à la porte de son bureau en échangeant encore quelques mots, un tantinet moins professionnels. Les locaux de Shark Publications ont tendance à me manquer depuis que j'ai quitté San Francisco, autant dire que c'est toujours agréable de revenir dans ce qui me paraît être une seconde demeure. Après une dernière poignée de main, Shark disparaît derrière la porte, me donnant l'occasion d'adresser un dernier coup d'œil à ce qui était il y a encore bien des semaines mon bureau du temps où je n'étais encore qu'assistant. Mes doigts en frôlent le bois, non sans m'arracher un sourire quelque peu nostalgique. Soudainement, une voix plus que familière retentit dans tout le bâtiment, me faisant me poster devant l'écran d'ordinateur. Mesdames et messieurs, Pavel Mikhaïlovitch vient une fois de plus de frapper un grand coup. Et pour m'adresser une invitation, je crois rêver. Ou être en plein cauchemar, je n'en sais trop rien pour le moment. Je glisse une main sur mon visage en grognant pour moi-même, mais un autre grognement, bien plus puissant et plus menaçant faisant trembler tout l'étage me pousse à prendre mes jambes à mon cou et à quitter le bâtiment en un rien de temps. Joe Shark n'est apparemment pas satisfait de ce qui vient de se passer, c'est compréhensible. Une fois à l'extérieur, je desserre quelque peu ma cravate au vu de la chaleur insoutenable qu'il fait et après cinq minutes de marche, j'arrive à mon hôtel. A présent dans ma chambre, j'en profite pour prendre une douche express avant de me préparer pour rejoindre Pavel, tout en passant un coup de téléphone à ma fille. Pour les vacances scolaires, j'ai envoyé Sara en Israël, chez ma mère adoptive, le temps de m'accorder quelques jours à San Francisco, à la fois pour le travail et pour profiter de la côte, avant de venir les rejoindre à mon tour et de profiter d'un moment en famille dans notre pays. Je raccroche finalement et opte pour une paire de lunettes de soleil, un short de bain hawaïen orange et des tongs comme simple tenue. En fait, je n'ai pas grand-chose d'excentrique dans ma valise, dans la mesure où je n'avais pas prévu des affaires que pour mon rendez-vous avec Shark et pour flâner sur la plage. Mais pour la Gay Pride, cela fera amplement l'affaire. Pavel n'ira pas s'en plaindre. Je prends finalement la route pour le rejoindre, arrivant à destination et me voyant être noyé au cœur de la foule présente. Des milliers de personnes à tout bout de champ... allez donc trouver le nabot que vous cherchez parmi tout ça. J'essuie des regards et des mains baladeuses par ci, par là, même si je suis loin de trouver le tout désagréable, au moins un endroit où je ne serais pas jugé pour être pleinement moi, mais je suis plus que focaliser sur un seul et unique objectif. Et il se trouve là, enfin. Un sourire étire mes lèvres en apercevant enfin les traits de Pavel et je ne peux au passage ignorer les battements stridents de mon cœur. Il m'énerve parfois à me faire tant d'effets. Je m'approche furtivement du jeune Russe, plaque une main sur sa nuque et percute ses lèvres des miennes. Territoire marqué pour le reste de la journée, que personne n'approche. « Je sais que t'aimes pas faire les choses à moitié, mais bon, un message ou un simple coup de téléphone aurait largement suffi. » Sans la moindre gêne, je lui vole son gobelet de bière afin d'en boire une longue gorgée. « Moi qui espérais passer quelques jours à retourner toute la ville comme auparavant sans que tu sois dans mes pattes, j'vois que c'est raté... » Mais sinon, j'suis bien content que tu sois là. « Puis bon, y'a du laissé aller sur la tenue. Le costume t'allait mieux. » Faut dire ce qui est vrai.

Je marche en fermant les yeux, bercé par le bruit ambiant que mon oreille s'emploie à décortiquer. Mes pensées s'égarent vers le Pavel qui est resté à San Francisco lorsque j'ai pris cet avion pour Moscou, puis pour venir m'installer à Vegas. Il semblerait que j'ai fait un bond en avant où je ne suis plus cette épave qui tient debout par les actes délinquants qui le motive… Chieur, ça, c'est pour la vie. Machiavélique aussi. Mais désormais, cette étincelle diabolique qui fait vriller tout mon être vers le côté obscur s'est en partie ordonnée. Aux oubliettes l'impulsif qui ne résonne qu'avec son goût pour le désordre : au milieu de cette foule anonyme, c'est un génie malade qui déambule comme si de rien n'était. Reste-t-il encore seulement une mince part de bonté dans ce corps ? Ah, mince, voilà le responsable de cette foutue part de bonté, justement. Je relève mes lunettes de soleil et, avant même de pouvoir en placer une, Rayan se dresse à mes côtés pour m'embrasser avec une ferveur comparable avec personne d'autre. Ca ne dure qu'une poignée de secondes, mais je sens cette pierre qui me sert de cœur se mettre en fusion en tambouriner à plein régime. On s'aime ? Non : j'dirai plutôt qu'on se déteste mutuellement pour l'effet qu'on peut se faire. C'est plus subtil, plus durable, et bien plus amusant. Sa façon de me reprocher les grands moyens que je me suis octroyé pour le contacter me fait doucement sourire. Je ne réponds rien, trop captivé par la vision que j'ai de lui. Ce short lui va comme un gant, et ce corps fièrement exposé… A mon visage, on pourrait croire que j'ai tout du moustique qui s'approche trop près d'une source de lumière. Pendant un bref instant, je m'aperçois qu'il va falloir être vigilant à ce que nul ne s'autorise à toucher à cet éphèbe narcissique et égocentrique au possible. Celui-là, il est à moi. Chasse gardée, comme pour ce baiser auquel il m'a contraint. "Je serai toujours dans tes pattes, tu f'rais bien de t'y habituer." Ce n'est peut-être pas le meilleur moment pour lui dire que batifoler avec un génie en ingénierie physique et numérique n'est pas recommandé quand on veut passer inaperçu ? Suivre chaque petite trace de l'Israélien et de ses proches est devenu un jeu aisé auquel je me livre assez souvent. Simple mesure de précaution, ou avidité obsessionnelle… bref, c'est flippant. Autant ne rien lui dire. "Si t'arrives à te tenir, t'auras le droit de la virer toi-même, cette tenue." Là, je le tiens. Et ce regard en biais que je lui lance devrait suffire allègrement à poser les bonnes limites. A mesure que nous avançons, nos corps se laissent facilement porter par les cris, la musique, et cette ambiance remarquable. Je n'étais encore jamais allé à un tel rassemblement, inexistant dans la région russe et contrôlée que j'ai habité pendant si longtemps. "Je ne te demande pas ce que tu es venu faire. Pas que ça m'intéresse pas… encore que… mais disons qu'en fouinant un peu dans les dossiers de papy Shark, j'trouverai bien. Par contre, je ne savais pas que t'avais aussi largué ta princesse pour venir en solo." Faux. Je le savais, mais c'est une façon subtile de faire remarquer que la ville n'appartient qu'à nous pour les prochains jours. "On nous voit pas assez, tu crois pas ?" Je repère un char sur lequel tous les yeux sont braqués. J'attrape la main de Rayan et, subtilement, j'enchaîne mes doigts aux siens. Toutes les occasions sont bonnes pour ces gestes que nous n'avions encore jamais vraiment eu l'un pour l'autre. Je l'entraîne avec moi en haut pour escalader la structure et, une fois au sommet avec d'autres fêtards, j'harangue la foule avant de me mettre à bouger comme un petit diable. No limit. "Eh, garde pas tout pour toi." J'attrape le gobelet de bière et je le termine avant de le lancer négligemment sur un type en bas. Un moche, au choix. J'approche alors de l'Israélien et je me déhanche en le dévisageant avec ce petit air prêt à lui faire perdre la tête. "On va probablement y mettre le feu, à ce char, tu sais…" Et si, juste pour se marrer, on lui mettait le feu autrement que d'une façon figurée ? Comme quoi, la folie Gamma n'est jamais bien loin.

“.This is about how you carried my bag off the bus yesterday. This is about how when we go to the movies and you go and you buy popcorn, you always make sure you bring back a napkin so I don’t wipe all the grease on my jeans. And this is about how just last week, when we were at miniature golf, you took all of the shots first so i would know the correct path. You taught me how to drive. And last year, you knew that the bracelet I was wearing was my mom’s. You kissed me first, sweetheart. The second time, you counted to ten before doing it again just in case I wanted to stop you. you bought me a wall. We were alone on a boat for three months and you understood without a word why I wasn’t ready. Do you have to ask me now why I am ? Pace, I’m gonna count to ten…and then I’m going to start kissing you. And if you don’t want me to, then you’re just gonna have to stop me. Ten, my love….”

« .Ow t'as juré, Devan. T'as juré !  C'est trop tard maintenant, tu ne peux plus reprendre ta parole. Ça veut dire que si c'est pas le cas, que c'est pas amusant, tu vas m'en devoir une belle. »  s'exclama-t-elle, peut-être un peu trop fort, ce d'un ton qui se voulait piteusement menaçant. Parce qu'elle savait combien ce genre de manifestation n'admettait rien qu'elle puisse apprécier, Nina se renfrogna à l'idée de se mêler à une foule aussi dense, et surtout aussi endiablée. Pas qu'elle ait un quelconque problème avec la population homosexuelle, ou trans' du pays, bien sûr que non. Sans soutenir la cause, elle ne la reniait pas pour autant et prônait l'idée que quiconque devrait être autorisé à aimer qui lui semble être juste, qu'importe son sexe. Elle soutenait la cause, mais de très loin. Toute hétérosexuelle, mais surtout toute réservée qu'elle était, Nina traîna des pieds en pénétrant dans le quartier Castro, et le fit d'autant plus que la foule devenait dense. Emmurée dans une réserve risible compte tenu de l'endroit, elle se contenta d'avancer à l'aveuglette, et de ne pas faire attention au carnaval de couleurs, et de travestissement qui s'opérait à ses côtés. Et que le diable l'emporte si quelqu'un osait même l'effleurer, puisqu'elle s'imagina tomber dans les pommes une bonne demi-douzaine de fois avant que Devan ne la rejoigne. Tomber dans les pommes ne serait peut-être pas une si mauvaise idée, en fait, pensa-t-elle, s'imaginant qu'au moins, à l'hôpital, tout était hygiénique, et stérile et personne n'aurait l'audace de scander des chansons aussi grotesques que celles des Village People dans ses oreilles. Décontenancée par le rire résonnant de son petit ami, elle serra les lèvres. « .Ça te fait rire en plus !. » protesta-t-elle, affublée d'une mine grave, et bien trop dramatique pour ne pas être risible. Bien sûr que ça le faisait rire. La faire sortir de sa zone de confort de façon aussi abrupte ne pouvait que provoquer l'hilarité. Elle manqua de s'étouffer lorsqu'il mentionna ses possibles enfants, et surtout l'idée absurde de raconter cet épisode pénible de sa vie. Des enfants ? Elle ne s'imaginait pas en avoir. Posant un regard interloqué sur Devan, elle se demanda si elle ne devait pas trouver là un certain sous-entendu. Automatiquement, en croisant ses prunelles, le visage d'Edison lui apparut et lui sauta à la figure comme un mauvais rêve. Elle détourna le regard en se pinçant les lèvres, se revoyant fauter avec son ex, et se rappelant donc combien elle pouvait être une horrible personne.   « .Oui, c'est ce que toutes les femmes rêvent de raconter à leurs enfants : la fois où elles ont été à la gaypride. » se contenta-t-elle de marmonner, convaincue que s'il lui arrivait d'avoir des enfants, elle préférerait conter l'histoire de Blanche-Neige, ou de la Princesse et la Grenouille, plutôt que celle de Nina et Devan visitent la gaypride.   « .Mais je suis détendue au travail, tu sais. » jura-t-elle, prête à briser toutes les règles de Disney et à lui faire visiter les coulisses où elle travaillait, si ça pouvait lui permettre de s'en aller de cette foire idiote. Consciente qu'il était décidé à en profiter, et qu'il n'y avait rien qu'elle puisse faire pour les faire déguerpir, elle se laissa docilement envoûter par son charme indéniable, et sa façon émérite de toujours prendre ses humeurs avec le sourire. Ses doigts entrelacés dans les siens, elle ramena sa main libre et la fit glisser sur son bras, appuyant sa joue contre son épaule. « .Tu viendras pas bouder quand tu te seras fait peloter le derrière par un garçon. » ajouta-t-elle, en adorable boudeuse. Un sourire s'invita sur ses lèvres rien qu'à y penser, et en le contemplant, elle s'imagina sa réaction si ça devait arriver. Probablement serait-il aussi mal à l'aise qu'elle. Ou le serait-elle vraiment, finalement ? Après tout, tout ici avait des allures de jeux. Le cadre guindé dans lequel elle vivait devait s'envoler aux portes de Castro, si elle ne voulait pas passer la pire soirée de toute son existence. Jugeant que toute soirée passée aux côtés de Devan serait inévitablement bonne, elle se laissa balader dans une grande rue bondée, et teintée des couleurs de l'arc-en-ciel. « .Tu te souviens quand j'ai dis que tu m'en devais une ? . » demanda-t-elle, une idée derrière la tête. Désireuse de se laisser aller, au moins un tout petit peu, pour lui faire plaisir à lui qui faisant tant d'effort pour elle, elle posa ses mains sur ses épaules, et fit un bond. Elle enroula ses bras autour de ses épaules, ses jambes fines autour de sa taille. « .Dette payée. Playmobil, en avant les histoires. » qu'elle dit, un sourire malicieux sur la bouche. Pour lui prodiguer du courage, elle le gratifia d'un baiser tiède sur la joue, et laissa sa tête reposer sur la sienne, juste à côté de son épaule. Voilà qui devrait repousser quiconque voudrait les séparer.