Se relever était le plus difficile et ne pas tomber dans l’enfermement et la solitude demandait à Jimmy des efforts au quotidien. Il ne se passait pas une seule minute sans qu’il pense à son ami, à son « âme sœur » amical. La vie est injuste et le décès de Matt ne laissait que ce goût amer dans la bouche du jeune homme. Il avait besoin de tourner la page de la musique pendant un petit moment, tourner la page de ce système dans lequel ils s’étaient enfermés tous les 5 et avait conduit à ce désastre. Chaque jour, Jimmy se blâmait un peu plus pour cette tragédie. Comment avait-il pu ne pas voir les signes avant-coureurs ? Après tout, lui aussi touchait aux drogues pendant et même en dehors de la tournée. Mais voir son ami mourir à cause de cela lui était insupportable. Et c’était d’autant plus tragique qu’il n’avait même pas eu l’occasion de lui dire en revoir de son vivant. Ce n’est pas comme lors de la perte d’un membre âgé de sa famille, on s’y attend plus et la perte est différente. Les pensées de Jimmy étaient noires ce soir, et un verre ne lui serait pas de refus.

Le temps était clément ce soir, comme quasiment tous les jours en Californie et le jeune homme avait pris possession de son appart’ pour les 4 prochaines années en centre-ville de San Francisco dans un quartier plutôt calme et pas forcément huppé qui lui permettait de louer beaucoup plus grand pour un prix raisonnable. Ses habits étaient simples et ils lui ressemblaient, pantacourt en jeans et tee-shirt de Pantera sur les épaules, il s’arma de son plus grand courage pour se diriger vers l’Absinthe Bar. Cet établissement était assez réputé à SF et il en avait grandement entendu parlé par de nombreuses personnes venant de cette ville qu’il avait pu rencontrer au cours des différents concerts en première partie puis en tête d’affiche. Au vu de l’heure assez « matinale » de la soirée, le bar était quasiment vide. Cela tombait bien pour Jimmy qui n’avait que peu envie d’affronter la foule en cette soirée, il pourrait ainsi rester les fesses vissées sur un tabouret et accoudé au bar pour les nombreuses heures à venir. Heureusement pour lui, il avait amassé pas mal d’argent lors de ces 5 dernières années tout en réussissant à maximiser celle-ci en investissant dans l’immobilier. Les 2 appartements qu’il louait à des étudiants lui permettaient d’avoir un revenu supplémentaire en plus de ce qu’il avait déjà touché et touchait encore avec les ventes d’albums et de merchandisings. De quoi payer confortablement les frais de scolarité ici à Berkeley et vivre sans soucis du lendemain.

- Une pinte de de Bud s’il-vous-plaît.

Depuis la tournée européenne, Jimmy avait une nouvelle passion pour la bière. Il avait goûté des choses absolument extraordinaires en France, en Belgique, en Allemagne ou encore en Angleterre. Les bières américaines lui paraissaient bien fades à l’heure actuelle mais pour commencer la soirée, mieux lui valait démarrer en douceur. A peine servit et juste après avoir remercié le serveur, il s’en enfila une gorgée et s’en retrouva bien plus désaltéré qu’à son entrée dans l’établissement. N’ayant pas peur de paraître un peu solitaire, il sortit son téléphone et commença à jouer à un de ces nouveaux jeux à la mode. C’était divertissant et celui lui permettait de penser à autre chose, ou même de ne penser à rien d’autre que sa performance. D’autant plus qu’il se débrouillait plutôt bien. Aussi bien que l’on puisse se débrouiller à un jeu insignifiant.

- Dîtes-moi, est-ce que vous avez une bière européenne ici ?

- Oui monsieur, je peux vous proposer de la Beck’s. Par contre, je ne l’ai qu’en bouteille. Est-ce que cela vous convient ?

Jimmy acquiesça. Il avait bu celle-ci en Allemagne et l’avait trouvé bien meilleure que celle qu’il venait de s’enfiler. Lors le serveur lui posa la bouteille sur le comptoir, la porte du bar s’ouvrit et de nombreuses personnes, probablement plusieurs groupes, firent leur entrée. Il ne prêta cependant pas attention à eux, retournant son attention sur son téléphone.

Au fur et à mesure que la soirée avançait, l’ambiance sonore devenait de plus en plus aux conversations couvrant quasi entièrement la musique. Celle-ci ne plaisait guère à Jimmy alors cela ne le dérangeait presque pas, d’autant plus qu’il commençait à avoir un taux d’alcoolémie assez sympathique. Chose à savoir concernant le jeune homme, c’est que l’alcool n’a pas d’effets visibles sur lui. Il est toujours le même, sûrement plus joyeux et avenant mais pas de conneries, pas de trous de mémoires, seulement le ventre en vrac le lendemain.

"Jimmy Deathbat ? Charlotte de La Croix après tout toi aussi tu peux connaître mon nom de famille vu que je connais le tiens non ?"

Jimmy fut bougrement surpris d’entendre son nom. Il leva les yeux de son téléphone et se retrouva face à face avec une jeune femme qui a vu d’œil semblait un petit peu plus jeune que lui. Elle était habillée tout simplement et cela lui allait à ravir. Elle s’assit sur le  tabouret juste à côté du sien. Il en profita pour ranger son téléphone dans sa poche, c’était plutôt malpoli de l’avoir dans les mains lors d’une discussion. Même si pour l’instant, ce n’en était techniquement pas une puisqu’il n’avait pas encore parlé. Il se demandait comment elle pouvait connaître son nom n’ayant absolument pas la tête à écouter la musique qu’il avait fait. Son nom faisait très français, pourtant son anglais était très fluent. Peut-être un héritage ? En tout cas, au risque de la décevoir, il ne connaissait absolument pas la jeune femme, ne l’avait jamais rencontré et son nom n’évoquait rien pour lui.

"Juste de la bière ? Je suis déçue !"

La bière restait de l’alcool mais soit. Elle commanda 2 whiskys. Jimmy grimaça légèrement, il n’aimait pas le whisky. Ou plutôt, il ne le supportait plus. Beaucoup trop d’excès pendant les premières tournées faisait qu’il ne pouvait plus en avaler une goutte et même l’odeur allait jusqu’à l’écœurer.

- Je suis désolé, je n’aime pas le whisky. Enfin, je n’aime plus pour être honnête.

Jimmy se sentait un peu nul de refuser un verre offert. D’autant plus que c’était plutôt rare de se faire offrir un verre par une femme. Mais c’était ça ou faire la grimace en le buvant et avoir des hauts de cœurs pendant tout le reste de la soirée. Il se leva du tabouret pour aller alpaguer le barman qui était à l’opposé de leur position. Il annula un des deux whiskys pour se commander un cognac. Après tout, il était peut-être temps de passer aux choses sérieuses et d’envisager la gueule de bois du matin avec beaucoup plus d’assurance. Il glissa un petit billet au barman en espérant que cette Charlotte n’en soit pas offensée. Il retourna vers elle et entreprit de se présenter quand même, en s’asseyant.

- Excuses-moi pour l’attente. Enchanté Charlotte, que me vaut la chance d’être rejoint par une jolie jeune femme ?

La question lui brulait la langue, personne ne l’avait encore remarqué ici à SF. Enfin pas qu’il ne l’ait remarqué. Peut-être que certaines personnes avaient été discrètes aussi. En tout cas, l’assurance de la jeune femme à venir vers lui et se présenter de but en blanc attisait sa curiosité.

- Tu connais mon nom mais, malheureusement, je ne connais pas le tien. Nous sommes nous déjà rencontrés ?

Pour être seul, Jimmy l’était depuis son arrivée à San Francisco. Il n’avait quasiment parlé à personne, du moins pas dans le sens d’une conversation qui ce serait avéré instructive et le contact humain lui manquait un peu. Bien sûr, il parlait tous les jours avec les gars de son ancien groupe mais c’était différent, chacun dans son coin pour le moment à essayer de comprendre ce qu’il s’était passé et à faire surface seul.

Il était content qu’elle soit là d’autant plus que sa spontanéité lui faisait plaisir, c’était rafraichissant, surtout venant de quelqu’un qui le connaissait grâce à la musique. C’était, il faut le dire, assez rare pour être souligné. La nouvelle remarque de Charlotte lui fit esquisser un grand sourire, un peu béat. En effet, il ne connaissait pas tout le monde. Cependant, il connaissait énormément de prénoms de fans, notamment ceux qui avaient suivis le groupe pendant de nombreuses années. Il faisait partie de la famille et les garçons s’étaient fait une obligation de les traiter avec énormément de respect et de gentillesse parce qu’après tout, c’est grâce à eux qu’ils en étaient arrivés à ce niveau de notoriété. Organiser des Meet&Greet, aller faire un tour dans la file d’attente, sortir après le concert malgré la fatigue ou encore le temps désagréable. Jimmy avait besoin de ces moments. Peut-être qu’il avait même déjà parlé à Charlotte lors d’un de ces moments, qui sait ? En tout cas, la jeune femme flattait son égo en parlant de son talent pour la guitare. Selon Jimmy, ce n’était pas du talent, seulement du travail et encore du travail. Comme tout le monde, il avait démarré avec un niveau nul puis au fur et à mesure de ses découvertes musicales, des reprises qu’il effectuait, il s’était amélioré jusqu’à avoir le niveau qui était le sien aujourd’hui. Et tout cela en autodidacte. Il faut dire qu’au prix des cours de guitare, mieux vaut essayer de se démerder par soi-même. Tout en sirotant tranquillement son cognac, délicieux par ailleurs, Charlotte lui demanda s’il étudiait ici. Juste avant de lui demander si elle ne l’importunait pas. Quelle question, bien sûr que non. Un peu de sociabilisation ne peut faire que du bien.

- Tu ne m’importunes absolument pas voyons. Crois-moi que j’aurai été plus cassant si cela avait été le cas.

Et puis comment refuser une compagnie comme la sienne. La question sur les études était marrante. C’était d’ailleurs la première à le lui demander. Peut-être qu’elle allait rire quand elle allait apprendre qu’il entrait seulement à l’université et que donc, il faisait son entrée en 1ère année ? Oh et puis merde, après tout, ce n’était aucunement une honte. C’était une grande fierté pour Jimmy que de pouvoir aller à l’université après avoir été une « rockstar » pendant quelques années. Il allait pouvoir étoffer sa culture générale pendant 4 ans, recevoir une éducation formidable et pouvoir avoir une autre vie pendant quelques temps.

- Et bien, je vais étudier ici à la rentrée prochaine, en sociologie plus précisément. Ca peut te paraitre bizarre de voir un mec de 23 ans entrer seulement aujourd’hui à l’université mais c’était un peu impossible pendant les dernières années. Et avec la tragédie, nous avons décidé de nous recentrer avec les gars. De clore ce chapitre de notre vie, en commencer un autre, et pourquoi pas un jour, repartir ensemble.

Il se rendit compte qu’il avait pondu le plus long monologue dont il se souvenait depuis au moins 3 semaines. C’est dire à quel point les conversations étaient diablement limités en ce moment.

- Je suppose que toi aussi, tu étudies ici ? Dis moi, ton nom et ton prénom ne sonnebt pas vraiment américain, je me trompe ?