Comme tous les matins, je me réveillais seul dans mon lit. La chambre me paraissait immense et froide sans elle. J’avais, depuis près d’un an et demi, perdu la joie de vivre. M’enfonçant chaque jour davantage dans la dépression. Je ne savais même pas pourquoi je prenais encore tous ces médicaments en fait. Ils ne me faisaient pas vraiment beaucoup d’effets. Mes pensées restèrent désespérément tournées vers elle. Cette jeune femme brune aux yeux verts que l’on voyait sur la une de tous les journaux people. Viktoria Pedersen. Elle était devenue une grande célébrité dans le monde du Broadway. Tous les animateurs la voulaient dans leurs émissions pour faire monter leurs taux d’audience. Elle avait déjà reçu multiples propositions de contrats avec les plus grands producteurs de disques du pays. J’étais si fier d’elle. C’était un peu grâce à moi si elle avait réussi à obtenir ce fameux premier rôle dont elle rêvait tant. Mais son absence m’était insupportable. J’avais essayé de combler ce vide par l’alcool. Mais tout ce que j’avais réussi à faire était de perdre mon emploi à Berkeley. Mes pratiques quelques peu originales pour enseigner les arts cinématographiques ne plaisaient guère à me supérieurs. Sans parler de ma trop brève histoire d’amour avec une de mes étudiantes. Afin que Viktoria ne soit pas renvoyée de ses études, j’avais pris tous les tords de mon plein grès. Mon premier renvoi ne m’avait pas suffi. Entre temps elle était partie à New York pour ses premières répétitions. J’avais essayé de reprendre le travail mais ce fût un échec lamentable. Je me mettais minable parce qu’elle m’avait déjà remplacé dans son cœur. Comment avait elle réussi à tourner la page aussi facilement sur nous ? Aujourd’hui encore je n’y arrivais pas.

Comme tous les matins, je passais par le kiosque à journaux pour suivre sur papier la vie de ma douce. Je payais au marchand ce que je lui devais et me rendit à la bijouterie pour y bosser. En arrivant je ne vis aucun client. Je m’installais donc dans mon coin pour lire les nouvelles. Viktoria faisait encore parler d’elle. Il y avait une photo récente où on commençait à voir une forme arrondie apparaître sur son bidon. Elle était enceinte. Et qui plus était mariée. Ne me sentant pas très bien, je pris dans la main la bague qu’elle m’avait rendu et que je gardais sur moi et la plaça contre mon cœur. J’avais envie de verser quelques larmes mais rien ne sortait. Heureusement. C’était un des seuls effets positifs de mes antidépresseurs. J’étais comme vidé de toute sensation. Refermant mon journal, j’ouvris la main pour admirer une fois encore l’anneau avant de la mettre dans la poche.

Il y a un an et demi, je vivais les plus beaux instants de mon existence. Très vite dans notre relation j’avais compris que Viktoria était la femme avec qui je souhaitais passer le reste de ma vie. La nuit où nous avions dépassé le cap d’une simple union platonique fut une épreuve à la fois déboussolante et très importante pour moi. Je n’y connaissais rien dans ce domaine avant de sortir avec elle. Ma douce norvégienne le savait. Elle m’avait fait croire qu’elle désirait que je sois le dernier homme avec qui elle le faisait et aspirait vivement être la seule me concernant. Pour l’ultime point aujourd’hui encore c’était le cas. Et je refusais que cela change. Je l’aimais toujours. Désespérément. Inlassablement. Notre histoire d’amour n’avait en réalité duré que trois mois. Le lendemain de la perte de mon innocence, j’étais venu ici et avait acheté cette bague en demandant au bijoutier de me graver « Jeg elsker deg Kattunge » à l’intérieur de l’anneau. J’avais attendu plus d’un mois avant de l’offrir à Viktoria. M’agenouillant face à elle, je lui avais demandé par la même occasion sa main. Qu’elle me refusa… J’étais à l’aube de mes vingt-neuf ans et rêvait de fonder une famille avec elle. La Sampi était de huit années ma cadette. Elle m’avait sollicité du temps car elle avait besoin de vivre sa vie avant de se marier. Cela avait mis un grand froid dans notre couple. Ce fut le début de la fin. J’avais tout gâché entre nous et m’en mordais toujours les doigts. Peu après notre union fût découverte par mes supérieurs. J’avais fait la terrible erreur d’accepter de rompre tout contact avec elle. Pour la préserver. Ma mise à pied me fut imposée. Je refusais que Viktoria sache que l’on m’avait viré à cause de nous. Je lui avais menti en lui faisant croire que je ne l’aimais plus. Qu’elle serait mieux dans les bras d’un garçon de son âge. En échange elle m’avait rabaissé sur mes pitoyables exploits sexuels affirmant qu’elle n’avait jamais eu de plaisirs avec moi. Que j’étais sorti avec elle dans l’unique but de coucher. Elle avait ainsi brisé ma virilité. Cependant je ne lui en voulais pas. Je l’avais bien cherché. Lisant l’article concernant Viktoria et son mari, je me rappelais cette stupide demande en mariage que je lui avais faite. Les raisons de son refus. Je riais ironiquement commençant à me questionner sur ses sentiments à mon égard à ce moment là. Pourtant je m’acharnais à croire qu’elle m’avait réellement aimé.

Lorsque je glissais la bague de Viktoria dans ma poche, je levais les yeux sur la voix féminine qui m’avait interpellé. C’était Petra, la fille de mon patron. Elle pensait très certainement que je volais dans la boutique car elle exigea des agents de sécurité qu’ils me fouillent. Acte qu’ils s’empressèrent de faire. Pour cela, ils m’emmenèrent dans la pièce d’à côté pour ne pas nuire à la clientèle. L’un me tenait pendant que l’autre me tripotait de la tête aux pieds afin de trouver mon potentiel butin. « Je n’ai rien fait de mal Mademoiselle… » Lorsqu’on me prit l’anneau, je voulais la récupérer mais un des agents me cogna contre le mur pour m’en empêcher. « Rendez la moi Mademoiselle… S’il vous plait… » Je me mis à supplier Petra. Ce bijou était tout ce qu’il me restait de Viktoria.