Plus rien allait pour moi, vraiment plus rien. La pire chose qui pouvait m'arriver s'était produite, on m'avait bernée, on avait joué avec mes sentiments. Steven m'avait fait croire qu'il m'aimait, j'avais commencé à monter des projets avec lui, jamais je ne m'étais posé de questions sur sa sincérité... Lundi encore je nageais dans le bonheur, et puis il a fallu que je le trouve le soir même dans un lit avec une fille que je ne connaissais pas. Il s'est joué de moi... Et puis Mason, je me fais du souci pour lui depuis nos retrouvailles et son aveu, je ne comprends pas pourquoi les médecins veulent lui faire subir une greffe totale du foie alors qu'il n'a qu'une tumeur bénigne selon leurs dires... Il ne manquait plus que j'apprenne le décès de ma mère et là je serais plus bonne à rien si ce n'est à rejoindre la tombe... Et vu mon état, ma santé n'allait pas tarder à se décliner. Aussi, je n'avais pas mangé depuis plus de 48h et depuis mon arrivée à Berkeley même pas 3 semaines auparavant, j'avais perdu pas loin de 6kg, bientôt, il ne resterait plus rien de moi. Aussi, pour me détendre et oublier tout cela, du moins pour tenter d'oublier, je me réfugiais dans le sport, une activité que je n'avais pas pratiquée par le passé et qui me faisait perdre le peu d'énergie qui me restait, mais cela ne m'importait pas, au contraire, ma seule satisfaction était de m'écrouler au sol, trop exténuée pour pouvoir tenir sur mes jambes.
En ce début de matinée, j'avais décidé de courir encore, cela faisait déjà 30 minutes que j'avais commencé ma séance et je ressentais déjà les effets de la fatigue, pas étonnant vu l'absence d'alimentation et les 2 nuits blanches consécutives que j'avais passé, mais je ne pouvais rien y faire, je me sentais comme en emprisonnée dans mon corps et mon existence, plus rien avait de sens à mes yeux, ma vie n'était qu'un enfer duquel je ne pouvais pas me dégager.
Aussi je courrais à en perdre haleine, je ne faisais aucune pause, je me contentais de ralentir seulement quand je passais près du dôme où se dressait un joli piano, étrangement, la musique m'attirait et j'avais envie de poser mes doigts sur le clavier mais pour quoi faire ? Je ne savais pas jouer une seule note ! Alors je décidai de passer mon chemin et je me remis en route pour une 7ème boucle de ce parc.

La musique avait toujours eu beaucoup d'importance pour moi, j'en écoutais beaucoup, surtout quand ça n'allait pas, autant dire donc ces temps-ci j'aurais passé toutes mes journées avec des écouteurs dans mes oreilles. En fait, depuis que j'étais petite, je vivais dans ce monde, pourtant ma mère n'était pas musicienne, je ne sais d'où me vient cette attirance pour la musique, principalement le piano dont j'aurais bien voulu savoir jouer mais impossible d'en acheter un vu mes faibles moyens ni même de pouvoir suivre des cours.
Aussi, entendre cette musique m'avait donné un peu plus de légèreté et de force pour continuer de courir mais l'effet n'était que moral, physiquement je ne tenais vraiment plus. La personne qui jouait avait en tous les cas un vrai talent et je le lui enviais très fortement, si seulement j'avais pu jouer moi aussi pour m'évader et aussi pour avoir un rôle dans la société en me faisant entendre par le contact de mes doigts sur les touches du clavier blanc et noir...
Alors que la pianiste avait fait une petite pause, j'en avais profité pour m'approcher de l'instrument et pour reprendre un peu de force. Mais comme il y avait encore du monde autour et que j'étais très réservée, je n'avais pas osé toucher ne serait-ce qu'une touche, je n'aimais pas me faire remarquer de manière générale et encore moins pour mon amateurisme, j'avais donc décidé de reprendre la course mais après quelques pas, trop faible, j'étais allée m'asseoir quelques instants sur un banc libéré près du piano avant d'y revenir finalement, trop attirée.
Et ce que je ne voulais pas arriva, la talentueuse pianiste me remarqua et n'hésita pas à m'adresser la parole, elle n'avait pas l'air de vouloir garder le monopole de son talent pour elle seule et j'étais encore assez douée pour cacher mon ignorance de la maîtrise de l'instrument. Malgré tout polie, je n'allais pas partir comme une sauvage, je n'avais pas été élevée comme ça, aussi je me forçais un peu à sourire pour paraître avenante.
-Oh, c'est gentil mais je ne préfère pas. J'aime beaucoup le son du piano mais je ne sais vraiment en jouer, contrairement à vous qui avez un très grand talent pour cela, je vous félicite.

La jeune pianiste qui me faisait face avait l'air d'être vraiment très humble pour tenir un tel discours. A mes yeux, il ne lui restait rien à apprendre, elle avait un véritable talent et je pense que le public qui était là pensait la même chose que moi, aussi j'aurais pu les prendre à témoins avec l'assurance de connaître leur réponse à l'avance. Voir une femme si douée me donnait un double sentiment, d'un côté l'envie d'être pareille et de l'autre l'assurance que c'était un don et que je n'aurais jamais celui-ci.
J'avais bien raison quand je pensais qu'elle était vraiment très talentueuse puisqu'elle venait elle-même de me dire qu'elle donnait des cours, que ce soit ici-même ou bien à l'université, j'avais compris par là Berkeley. Que j'aurais été ravie d'en suivre mais je ne le pouvais pas vues mes finances, mais ça, je ne pouvais pas le lui dire, j'avais horreur de reconnaître mes faiblesses face à des inconnus.
-C'est très intéressant cela, vous devez avoir de très nombreux élèves à ce que je pense, je me trompe ?
J'esquissais un faible sourire. Oui, j'étais à Berkeley mais je n'étais pas vraiment une étudiante d'ici étant donné que j'étais là dans le cadre de l'échange inter-universitaires de 2013.
-Oui, je suis à l'université, vous avez raison mais je ne peux pas dire que je sois vraiment de Berkeley. Je suis arrivée ici il y a seulement quelques jours, je fais partie de l'échange, j'étudie à l'origine à Oxford et j'ignore si je vais rester à San Francisco ou si je vais retourner en Angleterre...
Il était encore trop tôt pour que je prenne une décision sur ce point mais j'avoue que j'étais bien tentée, l'Amérique me plaisait bien et après tout, mise à part ma mère qui n'avait plus beaucoup de temps à vivre, rien ne me rattachait à mon pays natal. Aussi, quelque soit ma décision, je repartirais du Nouveau Monde avec quelques notions de piano... Au conseil de la demoiselle, je m'étais assise à côté d'elle et j'avais écouté avec une grande attention ce qu'elle m'avait dit.
Ce micro-cours improvisé était déjà pour moi une grande fierté, ainsi, désormais, lorsque je verrais un clavier je saurais à quoi correspondent les touches et puis, si je me retrouvais seule, je pourrais toujours poser mes doigts dessus et jouer un "do ré mi fa sol la si do". Quel bonheur d'entrer dans le monde de la musique, ce n'était pourtant rien mais pour moi c'était beaucoup que ces bases rudimentaires, j'avais alors très envie de prendre des cours et je ne pensais plus aux obstacles.
La remerciant d'un signe de tête et d'un sourire, je me permis de répéter ce qu'elle venait de faire et en toute sincérité, sans me vanter, je m'étais bien débrouillée pour une première approche de l'instrument.
-Vous expliquez vraiment très bien et vous savez donner envie de poursuivre l'apprentissage ! Je serais si fière d'avoir votre talent, vraiment, vous avez une chance inouïe !
J'étais vraiment sincère dans ce que je disais, si j'avais pu avoir un don de ce genre, je me serais sûrement sentie plus utile au monde...
Nous étions si absorbée par la musique que nous en avions oublié les formalités ! A entendre son nom, et même dès le premier regard, j'avais compris qu'elle était d'originie asiatique, j'avais toujours été fascinée par ce continent même si je n'y avais jamais mis les pieds !
-Moi de même ! Je m'appelle Anastasya Jones mais tout le monde me surnomme Ana'. Je suis étudiante en deuxième année de psychologie, et vous ? Vous avez choisi un cursus en musique ?
Puis vint cette étrange demande d'un homme du public à laquelle Konomi répondit favorablement. La musique magnifique couplée à ce qui se passait me fit plonger dans la tristesse soudainement, j'aurais tant voulu être à la place de ce couple mais je doutais d'y parvenir un jour, surtout depuis quelques jours, lorsque j'avais découvert celui que je croyais être mon prince charmant en compagnie d'une autre. Malgré cela, je n'en fis rien voir, j'avais ce pouvoir de dissimuler tous mes sentiments.