C'est fou quand parfois votre vie peut basculer du jour au lendemain sans que vous vous y attendiez et cela sans que vous soyez responsable de ce changement dans votre vie. Vous pensez votre vie paisible , presque banale, ennuyante donc vous vous mettez à rêver d'un peu plus de piment, d'un peu d'action dans votre vie puis quand cela arrive, vous commencez à regretter votre vie bien paisible. Crewdie était loin de se douter que cet événement venant chambouler sa vie arriverait de si tôt. En l'espace d'une soirée, il a suffi d'un coup de téléphone pour que sa vie bien rangée d'étudiante modèle bascule et encore ce n'était que le début. D'habitude, elle ne répondait jamais aux appels de sa belle-mère , elle attendait toujours que celle-ci laisse un message pour savoir ce qu'elle lui voulait encore. Quand elle vit son nom apparaître, Crewdie se dit que ça devait être encore pour l'inviter au genre de diner de famille qu'elle déteste et s'empressa pour trouver une excuse pour ne pas y assister. Mais, quand elle vit que celle-ci rappela presque aussitôt, elle comprit que quelque chose n'allait pas et se décida donc à décrocher. Quand la voix insupportable de sa belle-mère lui annonça la nouvelle, impossible de dire quel a été le sentiment prédominant oscillant de l'incrédulité , l'incompréhension à la déception, voire plus.Elle était loin d'être une petite fille, elle en avait vécu des choses dans sa vie qui faisait que le temps de l'enfance était loin pour elle depuis longtemps mais elle avait l'impression d'être redevenue une petite fille, se sentant si vulnérable derrière ses traits de femme forte et sûre d'elle.Elle avait toujours détesté qu'on lui colle l'image de fille à papa mais son père avait toujours été le sujet sensible.Elle en avait des choses à lui reprocher , encore plus aujourd'hui.Mais, il restait son père. Alors oui, d'après les mots de sa belle-mère et de la presse ,il était soi-disant accusé d'être complice de corruption, fraude à cause soi-disant de ses relations avec des milieux plus ou moins mafieux. Elle ne pouvait pas croire une seule de ces accusations : connaissant la déontologie de son père, il n'aurait jamais accepté de défendre ce milieu là et de tremper dans leurs affaires en plus. Elle avait passé toute la nuit à essayer de joindre les amis de son père, ses collègues pour savoir exactement de quoi il s'agissait. Au final, impossible de savoir ... Cette incompréhension , cette méconnaissance faisait qu'elle ne savait si elle devait croire la justice (valeur fondamentale pour elle) ou croire en l'innocence de son père. Leur relation avait beau être des plus compliquées, elle ne pouvait pas faire comme si elle n'en avait rien à faire. Même à 22 ans, il continuerait de lui pourrir la vie. Famille, je vous aime ...

Malgré tout, elle était venue travailler aujourd'hui. Pas seulement par professionnalisme.Elle avait pris soin de masquer toute marque de son insomnie et fait preuve de son élégance habituelle , arborant un de ses plus beaux faux sourires par fierté et pour masquer l'intérieur , pour faire comme si tout cela ne l'affectait pas. Faire comme si c'était un jour comme les autres, tout à fait normal.Mais autant dire que même si elle avait tout fait pour soigner les apparences, elle n'avait pas vraiment la tête à travailler. Bosser sur les clauses de ce contrat était censé lui faire penser à autre chose mais elle ne pouvait penser à autre chose parce que ce n'était pas comme si c'était une chose sans importance. C'est alors qu'une secrétaire vint la voir pour lui dire que Monsieur le Boss voulait la voir. C'est pas vrai, il ne manquait plus que lui pour égayer sa vie. Elle traversa les couloirs menant à son bureau, se demandant ce qu'il allait lui dire, sachant très bien de quoi il allait lui parler.Oui, elle était arrivée avec quelques minutes de retard ce matin mais ce n'était certainement pas pour ça qu'il l'avait convoqué. Comme beaucoup de monde, il devait être au courant de l'affaire. Une chose est sûre, c'est qu'elle ne voulait pas en parler avec lui. Ici, dans son entreprise, c'était son supérieur donc hors de question,de parler de sa vie privée. Et même en dehors de son entreprise, elle ne parlerait pas de ça avec lui : ils n'étaient même pas amis. Parler de ses problèmes n'est pas vraiment une technique de séduction efficace.Arrivée à son bureau, elle prit une grande respiration avant de toquer à la porte. La permission obtenue, elle entra dans la pièce, s'arrêtant juste au niveau de la porte, preuve de sa défensive. Elle remarqua presque de suite la une du journal posé sur le bureau.Elle en avait désormais la certitude : il était au courant, lui aussi. Faire comme si de rien n'était , voilà son plan de défense pour aujourd'hui et la séduction serait son arme pour cela.

«Vous vouliez me voir ? Je savais que je vous manquais. Avouez que vous ne pouvez plus vous passer de moi »

Si à trente ans, elle pouvait avoir la même carrière que James O'Malley, elle serait très fière et considérerait avoir réussi dans la vie. Elle ne rêvait pas de mari, de bébé, juste d'une carrière réussie. Une carrière réussie qu'elle ne devrait qu'à elle-même , juste au travail et aux efforts fournis tout au long des années. Si elle s'était adressée à lui pour son stage, ce n'était par hasard : c'était pour l'homme d'affaire qu'il était , l'homme d'affaire au parcours qu'elle respectait.Si seulement elle savait que son père y était pour quelque chose dans cette affaire de stage , elle ne le prendrait sans doute pas très très bien. Elle était consciente que son nom de famille et les relations de sa famille pouvait lui ouvrir de nombreuses portes mais ce n'est pas pour autant qu'elle le faisait et plus encore,qu'elle aimait cette sorte de favoritisme ou autre traitement de faveur quand il avait lieu , surtout derrière son dos. C'était d'ailleurs pour éviter ce genre de pratiques que lors de sa candidature à Yale, elle avait préféré utiliser le nom de sa mère , la majorité des membres de la famille Montgomery étant tous passés par la célèbre université et cela depuis des générations. Au moins, elle était certaine que pour Berkerley, sa famille n'y était pour rien , ce changement d'université s'étant fait dans le secret. Elle avait comme principe de ne pas profiter de son nom pour réussir , elle voulait bâtir sa réussite par elle-même sans que le clan Montgomery y soit pour quelque chose. Alors oui, pour certains, elle avait un avenir déjà tout tracé. Mais qu'on la voie seulement comme la fille de bonne famille , une fille « de son rang », elle détestait cela. Alors ce stage était pour elle encore un moyen pour s'émanciper de l'héritage donné par son nom , de faire ses preuves et de montrer qu'elle pouvait et voulait réussir uniquement par le travail et l'effort. La famille Montgomery confère un environnement étouffant aux membres de la famille , très interventionniste,très paternaliste, très patriarcale. Une famille qui dirige tout , de sa vie privée à sa vie professionnelle . Crewdie a donc grandi selon les préceptes de la famille Montgomery.Mais, elle a aussi appris à s'émanciper de cette tutelle très tôt, même si la famille a toute sa signification dans son système de valeur. Elle était un peu l'anticonformiste de la famille , celle qui tient tête quand elle n'est pas d'accord mais finalement, cette combativité et cette ténacité, elle le tient aussi de sa famille. Oui, sa famille n'était pas parfaite, mais la cohésion de ce clan reposait sur le principe de solidarité entre chaque membre de la famille. Alors, cette affaire qui avait entrainé son père dans une tourmente médiatique allait donc être une épreuve pour la famille Montgomery, sachant plus que jamais que ce principe de cohésion devra être mis en application.

Et c'était bien cette attachement à ces valeurs qui faisait qu'elle ne pouvait faire que soutenir et croire en l'innocence de son père dans cette affaire. En entrant dans ce bureau, elle savait pertinemment que le sujet de discussion allait tourner autour de cette affaire et cela se lisait dans son regard qu'elle n'avait pas envie de s'exprimer sur le sujet. Avec l'air détaché qu'elle essayait de prendre, son regard se posa malgré elle une nouvelle fois sur la une du journal en question. Un regard qu'elle voulut furtive.Info ou intox,cette une resterait désormais gravée dans sa mémoire. Les médias, elle les connaissait bien et connaissait très bien leurs méthodes. Sa mère est attachée de presse , alors le petit monde des médias , elle avait quasiment grandi avec et les avait assez côtoyé . Ce n'était pas la même presse mais après tout, un journaliste reste un journaliste. Elle avait fait le choix délibéré de ne pas lire ce que pouvait dire les médias et préférait être informée de l'affaire par des sources sures. Les traits de son visage habituellement doux se crispèrent pour laisser place à une expression froide et presque hautaine : «Pure calomnie» Deux mots pour exprimer tout le mépris qu'elle ressentait à cet instant à l'égard de cet article qu'elle n'avait pas lu , le titre lui suffisant amplement. Et deux mots pour exprimer sa position sur cette affaire. Pas plus pour répondre à sa question. «Si c'est ce que vous voulez savoir, cela ne viendra aucunement compromettre mon travail , je sais très bien faire la part des choses entre ma vie privée et ma vie professionnelle.».

Elle avait beau n'avoir jamais manqué de rien , être une fille des beaux quartiers , tout ce que vous voulez ; elle n'était pas aussi superficielle qu'on pourrait le croire. Elle savait évidemment que l'argent ne fait pas tout dans la vie. Sa mère le lui a assez inculqué tout au long de son éducation , sa famille maternelle étant le contraire de sa famille paternelle : une famille brésilienne immigrée aux Etats-Unis qui a commencé au bas de l'échelle. Pour ne pas faire de sa fille une bimbo prétentieuse sans cervelle et sans morale , Crewdie a grandi dans le rappel constant de l'histoire de sa famille maternelle et de ses origines. Alors qu'elle aurait très bien pu fréquenter des «personnes de son rang » du fait de sa scolarité dans les meilleures écoles privées de la ville , le niveau social des personnes n'a jamais dicté ses fréquentations et ses amitiés. Cette double éducation entre élitisme et modestie faisait d'elle la personne qu'elle était aujourd'hui : une ambitieuse humaine. Les épreuves de la vie façonnèrent sa sensibilité et sa maturité derrière sa carapace.Il est alors vrai que la réussite sur le plan professionnel et des études comblerait inconsciemment un vide dans la vie de Crewdie : tout d'abord, le vide d'un père absent dans les premières années de sa vie dû à une séparation plus que difficile de ses parents auquel s'est ajouté un vide dû à cet enfant dont elle avait dû se séparer il y a quelques années. Heureusement, ce vide social était comblé par ses proches : amis et famille.

Mais,elle n'aimait pas se montrer vulnérable , même devant les personnes qui pouvaient prétendre la connaitre mieux que quiconque.Crewdie, c'était plutôt la bonne humeur ,une femme souriante mais certainement pas, la femme fragile.Elle refusait qu'on puisse la voir comme une victime , comme quelqu'un de qui on doit se soucier , de qui on doit prendre soin. Elle pouvait faire cela très bien elle-même , sans avoir besoin de quelqu'un pour cela. Elle avait vécu d'autres épreuves beaucoup plus difficiles toute seule. Donc,le scandale qui éclaboussait sa famille l'affectait , ce qui était normal et elle était totalement consciente des enjeux de cette affaire mais elle s'autorisait aussi à relativiser , estimant que par rapport à ce qui lui arrivait aujourd'hui, certaines personnes vivaient bien pire. Son père était toujours là et dans quelques jours- semaines, l'affaire finirait par se tasser et la justice aura rétabli la vérité.Et c'est parce qu'elle refusait cette position de vulnérabilité qu'elle trouvait la situation actuelle un peu gênante. Elle face à son patron impassible avec qui elle n'avait pas spécialement d'affinités , à devoir parler d'elle , si elle avait bien compris le sens de cet entretien. Il est vrai que cela l'étonnait un peu.Même si il était un ami de son père, ça restait son supérieur. Alors déjà qu'elle ne se confiait pas facilement à ses plus proches amis, pourquoi le ferait-elle avec lui ? Alors, comme ça, il voulait savoir si elle allait tenir le coup. Cela se voyait qu'il ne la connaissait pas encore car si il la connaissait, il saurait qu'elle est assez forte et plus qu'il ne le croit.Elle était même certaine qu'elle en sortirait encore plus forte. Cette force et cette détermination, elle le tenait de sa famille et toute forme de faiblesse était inacceptable dans ce genre de famille. Alors, oui, tenir le coup était une obligation et un principe pour elle. Voilà ce qu'elle devait faire croire à tout ceux qui se souciaient d'elle. Parvenant à esquisser un mince sourire, elle planta son regard dans le sien et répondit en affichant le plus d'assurance possible et le plus de conviction : «Ce n'est pas vraiment comme si j'avais le choix. Il le faut , c'est ce que mon père voudrait.On est comme ça dans la famille : aucune place à la faiblesse » Le discours du je vais bien , elle le sortait à tout le monde et continuerait de le sortir. Parfois,ça marchait ; parfois pas. Aujourd'hui, c'était de ne rien savoir de très précis qui la faisait douter , elle ne savait pas qui croire : son esprit de juriste lui faisait croire qu'aux faits et les faits semblaient aller contre son père mais son esprit de famille faisait qu'elle était convaincue de l'innocence de son père. En quête d'informations, voilà son état d'esprit actuel. Ne voulant pas faire confiance aux dires de la presse, elle voulait de l'objectivité de la part d'une personne en qui elle pouvait avoir confiance. Quelqu'un qui ne la ménagerait pas si les faits étaient véridiques. Brisant un léger instant de silence, elle reprit la parole , ne perdant pas en assurance « Je peux vous demander votre avis sur cette affaire , vous qui connaissez mon père»

« L'une des raisons qui l'avait poussé à l'interroger au sujet de son paternel en était justement de sa vision sans doute plus juste que celle des médias et de ceux qui le prétendent coupables, du monde dans lequel elle a vécu. ».Une vision plus juste que celle des médias et de ceux qui le prétendent coupables surement mais une vision juste, pas sûre. Il s'agissait de son père et peut-on être objectif quand il s'agit de sa propre famille ? Certains proches de la jeune femme lui reprocheraient d'avoir une vision idéale, exemplaire de son père surtout quand il s'agit de l'homme professionnel. Ce qui n'était pas faux : elle avait toujours suivi son père comme un modèle pour sa carrière. D'autres diraient qu'au contraire, elle ne peut avoir une vision juste car elle en lui voudrait toujours pour les avoir quitté elle et sa mère quand elle était petite. Ce qui n'était pas faux : elle ne lui avait jamais complètement pardonné cela et c'est pour cette raison que leur relation était autant conflictuelle. Alors pas sûre qu'elle soit la meilleure personne pour juger de cette affaire. Une partie d'elle croyait en son innocence mais une autre ne pouvait s'empêcher de douter : cette partie d'elle s'appelle la raison.Mais peut-on vraiment douter de son père ? Elle l'aurait l'impression d'être une fille indigne , après tout ce qu'elle a reçu , notamment cette éducation faisant d'elle une femme intelligente, réfléchie avec des convictions. Ces fameuses convictions avaient toujours dicté sa vie, ses décisions. Et généralement, suivre ses convictions mais aussi ses intuitions lui avait toujours fait prendre les bonnes décisions. Ce qu'elle comptait faire maintenant - enfin quand elle aurait enfin réussi à résoudre ce conflit interne ? Faire confiance à ses intuitions et convictions.Pour son père, elle se devait au moins de tenter ce qui était de son possible même si elle était quasiment sûre que lui voudrait qu'elle reste en dehors de tout ça mais ce n'était pas ça qui allait l'empêcher de faire ce qu'elle voulait. Comme toujours. Le problème était qu'elle n'était pas assez proche de lui pour avoir des preuves de son innocence ou au contraire de sa culpabilité ; cela faisait plusieurs mois qu'ils ne s'étaient pas vus , voire même parlés. Si elle désirait savoir ce genre de choses , elle devait se rapprocher des associés de son père qui en sachent plus qu'elle et qui sont à son contact presque quotidiennement. Elle avait déjà essayé de contacter ses associés les plus proches - c'est à dire ceux de longue date - c'est à dire ceux qu'elle connaissait mais aucun n'avait pu- voulu - lui fournir plus d'informations. Elle ne pouvait compter que sur son meilleur allié : sa volonté. Heureusement, elle n'en manquait jamais.Et ce que Crewdie veut, Crewdie l'a toujours. Elle sait se montrer très persuasive , très convaincante , très têtue quand il le faut. Et encore une fois elle allait en faire la démonstration.

Elle en avait profité d'être ici pour avoir l'avis de James sur cette affaire : non pas en tant qu'ami de son père mais en tant que regard extérieur pouvant lui apporter l'objectivité qu'il lui manquait pour pouvoir avoir une opinion sur tout cela. Elle voulait de la franchise et elle savait qu'elle pouvait compter sur l'homme d'affaires pour cela. Elle n'était pas une petite fille alors pas besoin de lui cacher la vérité. Sa réponse fût brève , c'est vrai mais suffisante pour le moment. Savoir que son père pouvait compter sur des personnes comme James ,en qui elle avait confiance,était pour le moment suffisant pour la rassurer quelque peu.Car si elle ne pouvait pas faire grand chose de son côté, d'autres personnes avaient plus d'influence qu'elle pour cela. Intriguée,elle releva le regard vers celui de son patron et dit impulsivement , baissant sa garde malgré elle « Je viens avec vous » Dévisageant l'homme assis en face d'elle,elle reprit avec sa réserve et ses bonnes manières habituelles «Enfin , je voulais dire : laissez-moi venir avec vous » Elle savait d'ores et déjà que ce ne serait pas aussi facile de le convaincre. Si il le fallait, elle était prête à tenter le plan charme comme à son habitude ,même si elle savait qu'il y avait de fortes chances que cela ne marche pas sur lui pour l'avoir déjà essayé sans succès mais elle était prête à essayer quand même.