Lorsque j’ai ouvert les yeux, j’ai tout de suite remarqué que les rayons de soleil inondaient ma chambre de lumière. J’ai froncé les sourcils, avant de tâtonner le sol, à la recherche de mon portable. Après avoir mis la main dessus, je me suis redressé, m’appuyant dos au mur. Il était plus de quatorze heures, et ma journée venait seulement de commencer. Quoi de plus normal ? J’avais eu ce rythme presque toute l’année ; maintenant que les cours étaient terminés, je n’étais pas prêt d’abandonner cette petite habitude qui m’allait à ravir.

Certes, d’ici quelques jours, je devrais passer mes examens. Droit social et justice criminel. L’année dernière, j’avais préféré prendre une « année sabbatique » (entendez par là que j’avais passé plus de temps à l’extérieur des amphithéâtres qu’à l’intérieur), et je n’avais donc pas le droit à l’erreur cette année. Alors cette année, j’avais dû faire des efforts quant à ma fréquentation de l’université, afin d’éviter le renvoi. Cependant, ça ne m’avait pas empêché de faire la fête : pas plus tard que hier soir, par exemple.

Je me suis levé, puis je suis allé prendre une douche. Après ça, j’ai appelé Belammée ; nous avions prévu d’aller travailler ensemble, à la bibliothèque de l’université. D’habitude, les gens avaient plutôt tendance à nous croiser dans les parcs de Berkeley, ou en train de boire un verre à la cafétéria ; mais pour une fois, nous avions décidé d’être sérieux, au moins pour les examens. Hors de question, pour elle comme pour moi, de les louper. Je me suis dépêché, afin de la rejoindre rapidement. Plus vite on s’y mettait, plus vite on aurait terminé. Belle philosophie, même si elle me paraissait complètement insurmontable.

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Il était plus de vingt heures lorsque j’ai remis les pieds dans la chambre que j’occupais. Je n’avais rien de prévu pour les trois prochaines heures, et il me faudrait tuer le temps. Hors de question de bosser trois heures de plus ; de toute façon, je n’en avais ni la motivation, ni même le courage. Il ne fallait pas compter non plus sur les autres Gammas ; comme moi, ils s’y prenaient à la dernière minute pour leurs révisions, et étaient donc tous occupés. Dure vie…

Pourtant, j’étais bien décidé à sortir. J’ai donc attrapé ma veste, puis j’ai quitté ma chambre. Plutôt que de me morfondre seul dans ma chambre à attendre minuit, autant partir à la recherche d’un endroit sympa en ville. Ce n’était pas ce qu’il manquait, en plus. J’ai donc quitté l’université, avant de héler un taxi qui passait. Dix petites minutes plus tard, j’étais en ville, en face du DNA Lounge. Lieu choisi totalement par hasard parmi les nombreux qu’offraient San Francisco.

Fréquenter les bars n’était pas vraiment dans mes habitudes ; à vrai dire, je ne trouvais pas vraiment ses lieux attrayants. J’avais des souvenirs interminables de moments passés dans les bars, avec mes parents, à attendre un taxi qui devrait nous ramener chez nous. J’ai légèrement secoué la tête ; étrange que je me souvienne de ça en ce moment, alors que je n’avais pas vécu cette situation depuis une bonne dizaine d’année.

J’ai été m’asseoir au comptoir, puis j’ai commandé un double scotch. C’est alors que j’ai remarqué que le barman ne me prêtait aucune attention, bien trop occupé à reluquer la fille qui lui parlait, et qui visiblement, cherchait à se faire embaucher. J’ai froncé les sourcils, avant de soupirer. Décidemment, la soirée commençait bien. J’ai patiemment attendu ; une, deux, trois minutes.

C’était sans compter sur mon impatience légendaire. J’ai claqué des doigts, avant de lancer, acerbe :

« Je suis désolé de vous interrompre dans votre séance de matage, mais ça fait cinq minutes que j’attends un double scotch. Donc si vous pouviez passer la deuxième, avant que je ne dessèche sur place… » Ajoutais-je, ironique.

C’est à cet instant que j’ai posé mon regard sur la fille qui se trouvait à ma gauche ; autrement dit, celle qui captait quelques secondes plus tôt l’attention du serveur. J’ai soupiré en reconnaissant Lexie Brown, une Iota qui fréquentait Berkeley.

« Décidemment, ma soirée ne pouvait pas plus mal commencer. » Lâchais-je en levant les yeux au ciel.

En cas de compte en banque dans le rouge, on sait mettre de côté ses habituelles manières pour foncer dans le tas. C’était exactement ce que s’apprêtait à faire Lexie pour la deuxième fois en moins de quarante-huit heures. La première fois, elle avait forcé la porte d’un avocat on ne peut plus réputé en ville, Cooper Stevenson. Elle avait habilement négocié un emploi d’assistante, et avec le recul, elle ne regrettait pas le moins du monde de s’être lancée dans cette folle bataille. Mais ce soir, la négociation n’allait pas être la même. Obtenir un emploi de barmaid lorsque l’on n’a pas vingt et un ans, ce n’est pas donné à tout le monde. Fallait-il qu’elle soit folle ou qu’elle soit on ne peut plus déterminée pour oser une chose pareille. Mais Lexie ne craignait pas le moins du monde d’être traînée au poste de police…Après tout, ce bar cherchait depuis un certain temps un barmaid, et Lexie était on ne peut plus douée avec les bouteilles. Elle jonglait comme personne, était habile et dure au mal. Elle n’avait besoin que de peu d’heures de sommeil et considérait la ponctualité comme un trait de sainteté. C’était une façon plutôt particulière de voir les choses, mais c’était la sienne et elle l’avait conduite sur des chemins plutôt sûrs jusqu’ici. Certes, Lexie n’avait pas mis l’accent sur une tenue provocante et elle donnait même l’impression d’être une petite fille sage, mais il ne fallait point se fier aux apparences. En premier lieu, elle avait accosté la patronne, en se présentant de manière plutôt audacieuse à celle-ci…D’accord, le ton qu’elle avait employé pour lui répondre n’était guère chaleureux, mais elle avait une chance : Celle de convaincre le barmaid de la prendre comme renfort. Lexie n’avait pas réfléchit pendant des semaines et s’était même aussitôt lancée au devant de la chance de sa vie…Cet emploi, cumulé à celui qu’elle exerçait auprès de l’avocat, allait enfin lui permettre de mettre la tête hors de l’eau. Et pour cela, elle était prête à se ridiculiser pendant des heures, tout comme à se mettre à table autant de fois qu’il le faudrait. « Embauchez-moi. Je fais des fiches de paye les yeux fermés et je jongle avec les chiffres comme avec des balles de golf. Je peux aussi donner un coup de main lors du coup de feu…Je ne suis pas bête, j’apprends vite et je suis disponible tout de suite. » La formule était audacieuse, nettement plus que ce qu’elle se serait permis d’habitude, mais il y avait urgence. Elle attendit patiemment que le barmaid l’examine sous toutes les coutures, et ce sans aucune discrétion, jusqu’à ce qu’une voix désagréable ne réclame un scotch avant de dépérir de soif. Cette voix, ce ton donnant envie de distribuer des gifles à la pelle, Lexie l’aurait reconnue entre mille : D’ailleurs, ce jeune homme ne manqua pas de la reconnaître à son tour…La soirée allait être nettement plus longue que ce qu’elle craignait de prime abord, mais d’un autre côté, elle ne pouvait qu’y voir une fantastique occasion de prouver sa valeur afin d’être embauchée. « Un petit essai ne vous coûte rien et je peux sans problème m’occuper de ce monsieur. » Juste pour cette fois, Lexie mit de côté sa rancœur envers Sterling afin de faire bonne impression…Et sa diplomatie légendaire eut enfin raison des réticences éventuelles du barmaid, car il lui donna une chance et une seule : S’il s’en allait en ayant laissé une belle petite note, alors elle avait le poste. Audacieux, proche du suicide, mais Lexie comptait bien relever le défi. La preuve, elle s’attacha aussitôt les cheveux en une queue de cheval basse, avant de passer derrière le comptoir pour mieux attraper un verre à scotch et le servir en deux temps trois mouvements à Sterling. Une chance que son futur collaborateur s’affaire à l’autre bout du bar, avec plusieurs autres clients, sans quoi Lexie ne se serait jamais permise d’être aussi familière avec ce jeune homme qui lui était tout sauf inconnu. « C’est drôle, mais dans l’histoire des soirées pourries, je crois que celle-ci remporte la palme. Ne t’inquiètes pas, c’est aussi désagréable de devoir supporter ta vue que ça doit l’être pour toi. » Lexie faisait preuve de bien peu d’efforts pour être aimable, mais d’un autre côté, ils avaient largement dépassé le stade des amabilités. Ils ne s’aimaient pas, et cela ne datait pas d’hier. Après tout, si elle était portée sur l’alcool, Sterling lui volait allègrement la vedette là-dessus. « Autre chose pour ton plaisir ? » Autant tenter de jouer le jeu jusqu’au bout, afin qu’un simple incident de clientèle ne lui vole pas sa chance d’être embauchée…