Le soleil venait de se coucher sur San Francisco. La pénombre s’assombrissait rapidement, et bientôt, il ferait entièrement nuit. Je prenais le chemin de ma confrérie lorsque j’ai croisé un groupe d’étudiant sur mon passage. Des Iotas, d’après ce que je savais. J’ai levé les yeux au ciel, avant de froncer les sourcils alors qu’ils me passaient à côté. Je détestais les groupes de gens qui me passaient à côté en ricanant bêtement, ou en me dévisageant. Or, c’était exactement ce qu’ils venaient de faire.

J’ai soupiré, tout en continuant d’avancer. Bientôt, lorsque je serais rentré dans la confrérie des Gammas, j’aurais la paix. J’avais envie d’aller m’étaler dans mon lit, de voir le temps passer, sans rien faire. Je voulais être tranquille, avoir la paix, pour pouvoir ruminer mes pensées sur Chelsea. Et David. J’avais un plan à élaborer contre eux, et pour le moment, je ne savais pas encore par où commencer.

J’ai franchi le seuil de la confrérie. J’ai hoché la tête en passant à côté d’un couple de Gammas, qui fumaient dans l’entrée. J’ai continué à avancer, pour regagner ma chambre. Certaines personnes murmuraient sur mon passage, mais ce soir, je n’avais pas envie d’en tenir compte. Depuis que j’étais rentré, il y a un peu plus d’une semaine, les gens avaient tendance à parler de mon cas. Personne ne savait réellement ce que j’avais fait, ce qu’il s’était passé, et surtout, pourquoi j’étais parti précipitamment après avoir vidé presque la totalité de mon armoire.

J’ai poussé la porte de ma chambre, soulagé de me retrouver enfin seul. J’ai balancé mon sac de sport dans un coin de la pièce, avant de me diriger vers la salle de bain, qui jouxtait la chambre. Je suis allé me réfugier sous la douche pendant une demi-heure, avant d’en ressortir. J’ai enfilé un boxer, avant de retourner dans ma chambre.

J’ai soupiré en voyant Coleen. Elle était là, assise bien sagement sur le bout de son lit. Et elle me fixait. J’ai levé les yeux au ciel, avant d’aller m’étaler sur mon lit. J’avais complètement oublié sa présence. Il faut dire, depuis qu’elle était arrivée, nous n’avions eu le temps que de nous croiser. Elle avait intégré les Gammas à peine quelques jours avant que je ne parte avec Belammée.

Lorsqu’on nous avait annoncé, à Charles-Edouard et moi, que Coleen, l’ancienne Bêta, allait désormais compter parmi nos membres, nous avions eu un regard de méfiance. Pourquoi subitement une Bêta quitterait-elle sa confrérie pour échouer dans la confrérie adverse ? Ça n’avait aucun sens. Alors, pour garder un œil sur elle, et éventuellement me distraire, j’avais décidé de partager ma chambre avec elle. Officiellement, c’était pour « faciliter » son intégration.

« Pas de commentaire, pas de remarques désobligeantes, et encore moins de paroles parasites. Je déteste ça, il faudra t’y faire. » Annonçais-je en me mettant assis dans mon lit, pour lui faire face.

Nous n’avions pas eu le temps de définir les règles, il était donc temps de le faire. Je n’avais aucune confiance en elle, et elle devait bien s’en douter. Je n’étais pas connu pour ma charité, et Coleen devait bien soupçonner que j’avais une idée derrière la tête en acceptant qu’elle dorme dans la même chambre que moi.

« Je ne te fais pas confiance, pour deux raisons. » Continuais-je. « La première, c’est que tu es une Bêta. Enfin, plus maintenant… Mais peu importe ; pour moi, tu restes une Bêta. Jusqu’à ce que j’en décide autrement. » Expliquais-je en la regardant. « La deuxième raison, c’est que tu es une des meilleures amies de Chelsea. Et pire encore, tu t’es même envoyée en l’air avec Flint. Donc si t’es ici en tant qu’enquêtrice ou je ne sais pas trop quoi, tu peux dégager maintenant, parce que je finirai par l’apprendre. Et si t’as des questions, c’est maintenant ou jamais.»

Moi qui pensais, en rentrant, que j’allais passer une petite soirée tranquille dans ma chambre, je m’étais bien trompé. En effet, pendant quelques temps, j’avais oublié que je n’étais plus seul. Depuis trois semaines maintenant, Coleen dormait dans la même chambre que moi. Evidemment, je n’avais presque pas eu l’occasion de m’en rendre compte ; j’étais parti précipitamment deux jours après l’avoir acceptée avec moi.

Lorsque le proviseur avait annoncé à Coleen qu’elle allait devoir partager ma chambre, elle n’avait rien dit. Elle s’était contentée d’accepter en hochant la tête. Je me doutais bien que ça ne l’enchantait pas vraiment ; qu’elle aurait sans doute préféré être seule, bien tranquille dans une chambre. Mais c’était hors de question ; je voulais garder un œil sur elle, et pour ça, il fallait vraiment qu’elle soit au plus près de moi. Charles-Edouard n’avait pas moufté, lorsque je lui avais évoqué cette idée. Pour être tout à fait honnête, j’avais même trouvé ça étrange. Moi qui pensais qu’il avait un lien « particulier » (sous-entendu sexuel, j’imagine), avec Coleen, il n’avait pas insisté pour la garder avec lui. Après tout, tant mieux. J’étais peut-être anti-Bêta, mais je n’étais pas anti-femme. Maintenant que j’étais célibataire, autant en profiter pour me rincer l’œil.

J’étais rentré depuis une semaine, mais j’avais déserté tous les soirs, excepté un. Ce qui fait que Coleen et moi n’avions pas réellement eu l’occasion de nous croiser, et donc encore moins d’avoir une conversation digne de ce nom. Elle s’était montrée discrète, et peu envahissante. Plutôt étrange, pour une Bêta. Je m’étais attendu à ce qu’elle débarque avec des tas de fringues, à ce qu’elle s’étale partout, et qu’elle ramène un mec différent tous les soirs. Ça n’avait pas été le cas, jusqu’à maintenant.

Décidant dans un premier temps de l’ignorer, je suis allé m’allonger sur mon lit. Pourtant, je savais bien que nous devions avoir une petite conversation, tous les deux. Alors je me suis redressé, pour lui faire face. Je l’ai observée quelques secondes, silencieux. Puis je me suis lancé, et je lui ai dit clairement que je ne lui faisais aucunement confiance. D’abord étonnée, elle ne répondit rien.

Pourtant, elle reprit rapidement une contenance. Elle se leva, puis se dirigea dans divers endroits de la chambre, dévoilant quelques unes de ses cachettes. J’ai froncé les sourcils ; deux bouteilles de Vodka, et quelques sachets de cocaïne. Finalement, on allait peut-être réussir à s’entendre, tous les deux. Visiblement, nous avions plus de points communs que prévu. La cohabitation ne serait sans doute pas aussi difficile que je l’avais imaginée. J’ai froncé les sourcils, alors que l’ancienne Bêta enlevait les boutons de sa chemise. Si elle croyait m’avoir comme ça, c’était mal barré. Quoique… Je me suis forcé à relever les yeux vers elle ; ce n’était pas le moment de me laisser divertir.

Je l’ai écoutée attentivement. Son discours se révéla être des plus intéressants ; en quelques secondes, je venais d’en apprendre plus sur elle qu’en deux ans. D’une certaine manière, toutes ces confidences de sa part étaient une preuve que je pouvais lui faire confiance. Néanmoins, j’ai légèrement secoué la tête. Tout ce qu’elle venait de me dire était bien beau, mais elle avait encore quelques petites choses à apprendre.

« Bon écoute, parce que j’vais pas me répéter. Certaines choses doivent être tues. Attends, je t’explique. » Dis-je, prêt à faire un effort. « Commençons par la tromperie. Chez nous, ça se pratique. C’est même plutôt courant, mais on s’arrange pour que ça ne se sache pas. Ça évite les problèmes, comme ça. Ensuite, nous attaquer sur notre consommation de drogue et d’alcool, franchement, c’est moyen. Ici, tout le monde a ses problèmes ; on est tous, ou presque, accros à diverses substances, mais on n’en parle pas. Chacun ses problèmes, chacun ses secrets. C’est une règle d’or. »

J’ai hoché la tête alors qu’elle me parlait de ses parents. Je pouvais comprendre leur point de vue ; je suppose que les miens auraient fait pareil, s’ils n’avaient pas voulu se débarrasser de moi à tout prix. J’étais trop bordélique, trop ingérable, trop rebelle. Leur plus grande défaite ? Ne pas être parvenu à me modeler à leur image. Qu’ils aillent se faire foutre, tiens.

« Effectivement, on se fout de ce que pense les autres. Qu’on nous aime ou qu’on nous déteste, quelle importance ? On se contente d’être solidaire, c’est tout. »

J’ai froncé les sourcils alors qu’elle parlait de Chelsea. Le fait qu’elles soient proches ne m’arrangeait pas vraiment, mais je m’en accommoderais. Tant qu’elle ne la ramenait pas ici… Et encore moins Flint. Parce que là, c’était le massacre assuré.

« Parfait. Et permets moi de te dire que pour David, t’as bien fait. » Dis-je en souriant légèrement.

Certes, je n’avais pas confiance en Coleen. Pourtant, après avoir parlé avec elle pendant quelques secondes, je me rendais déjà compte qu’elle tenait plus de la Gamma que de la Bêta. J’espérais que les jours à venir allaient confirmer ce point de vue.

« Nan, c’est bon, tu peux rester. En général, je m’arrange pour me défouler sur quelqu’un d’autre qu’un membre de la confrérie, t’en fais pas. »