Mardi, dix heure trente. J'inscrivais sur le grand tableau blanc derrière moi, au feutre noir le nombre 1,618 sous le regard curieux de mes étudiants. « Qui peut me dire à quoi ce nombre correspond ? » Je retroussais les manches de ma chemise en fronçant doucement les sourcils. Une étudiante se manifesta timidement. « Le nombre PHI ? » Je hochais positivement la tête avec un fin sourire, tentant de repartir dans ma concentration. J'étais fatigué, et j'avais une certaine douleur dans la poitrine, un peu comme toujours, même si cette fois-ci, elle se montrait un peu plus forte. « Effectivement, le nombre PHI, le nombre d'or ou encore la Divine Proportion. Ce nombre a été utilisé par beaucoup d'artistes, notamment par Leonardo Da Vinci... » Je glissais ma main contre mon front, avant de la faire glisser dans mes cheveux. Pourquoi je voyais légèrement flou ? Comme si j'observais un écran d'ordinateur en étant totalement fatigué. « Le nombre... PHI est... » Je fronçais de nouveau les sourcils. Je devais me reprendre, je détestais les centaines de regards interrogateurs qui m'étaient destinés. « … la base de la structure... de l'anatomie humaine... » Je ne pouvais pas continuer mon cours, je ne pouvais pas...

Edward O'Malley venait de s'effondrer violemment sur le sol, comme si ses jambes l'avaient lâché. Sa tête percuta cette légère estrade en bois mettant en valeur le bureau des enseignants dans l'amphithéâtre. Pour la plupart, les étudiants furent choqués, immobilisés, tétanisés par le spectacle. Certains se décidèrent à se ruer vers le trentenaire. « J'vais chercher l'infirmière ! » Pour eux ? Un malaise parmi tant d'autres de la part du professeur d'Histoire. Ils savaient pour la plupart qu'il avait un grave problème cardiaque. Ce n'était pas faute de le cacher, mais son état de santé était assez visible, avouons le. Et ce fut le choc, un élève remarqua que son pouls était beaucoup trop faible pour une simple perte de connaissance.

L'arrivée à l'hôpital fut rapide, mais certainement pas assez. Le cœur du patient était réellement en train de lâcher. Il fut mené dans une salle, sous des regards apeurés. « Chargé ! » Son corps se souleva sous une grande décharge. On voulait relancer l'organe vital dans sa poitrine. Il fallut s'y reprendre à plusieurs reprises. On regardait l'écran. Une ligne continue. Le médecin ne lâchait pas prise. L'atmosphère se crispa un peu. Le jeune homme comprit qu'il était le seul désormais à avoir encore de l'espoir. « Son cœur a lâché, il n'y a plus rien à faire... » Visiblement, celui qui tentait de sauver la vie d'O'Malley était trop jeune pour avoir vu beaucoup de ses patients mourir. Il secoua négativement sa tête et continua. « Il a des enfants. »

« Chargé ! » Je voyais mes gosses jouer ensemble dans la pelouse avec Tiago. Seth faisait l'imbécile, il savait comment faire la roue et ne cessait de le montrer à sa sœur. Cette dernière ne prêtait pas beaucoup attention à lui. Elle préférait caresser le gros chien. « Réveille toi mon cœur, on doit aller travailler. » Sans aucun lien conducteur logique, je me retrouvais dans la chambre, ce matin, en train de me faire sortir de mon sommeil par Maria. Le sourire aux lèvres. C'était comme un rêve qui finissait en cauchemar. Ce n'était pas moi dans ce lit, mais un autre homme. J'étais mort pour elle. Non, non, non ! « Chargé ! » Mon corps se souleva brusquement, comme s'il était aimanté par cet instrument servant à redonner un rythme cardiaque à un patient. C'était désagréable. Horrible même. J'avais l'impression de m'être pris un éclair dans la poitrine. J'entendais vaguement un « Bip... bip... bip... » Mais j'étais incapable de parler, incapable d'ouvrir les yeux. J'étais ailleurs, totalement ailleurs.

Le cœur venait de se remettre en marche, mais avec une trop grande faiblesse. On décidait donc de l'aider à battre grâce à une machine. On donnait des petits décharges électriques à l'organe, afin de l'aider à battre. Ça devrait le maintenir en vie quelques temps. « Je veux qu'on le fasse monter en tête de liste avec les personnes qui ont besoin d'un cœur de toute urgence ! Il ne tiendra pas longtemps, donc faite un rapport, une demande, tout ce qui est nécessaire, je veux un cœur pour lui dans la journée ! Il a une petite chance de survivre, je veux qu'on la saisisse. »

« Directeur !!! »

Comme tout les jours, Maria bossait de manière ardu dans son bureau sur différents dossiers par rapport aux élèves de l'université qu'elle essayait de diriger tant bien que mal. Relevant brusquement la tête en entendant qu'on hurlait pour attirer son attention du couloir, Maria fronça les sourcils, que se passait-il encore ? Une bagarre entre élèves ? Entre profs ? Oh pitié qu'Edward ne soit pas mêlé de près comme de loin à cette altercation...

« Directeur ! »

« Mais qu'est-ce que c'est que ce raffut ?! »

« C'est le professeur O'Malley, il... »

Le sang de Maria ne fit qu'un tour. Et tout s'enchaîna très vite, un peu trop vite même. On lui annonça qu'Edward avait fait un arrêt cardiaque au beau milieu de l'un de ses cours et qu'il venait d'être emmené d'urgence à l'hôpital de Richmond District. Trop préoccupée par l'état de son compagnon, elle prit simplement sa veste et ses clefs de voiture sans se préoccuper du reste, le boulot attendrait, c'était clair, net et précis. A peine était-elle sortit de son bureau qu'elle s'était mise à pleurer s'attendant au pire. Et si on lui annonçait qu'elle arrivait trop tard ? Mon dieu, non, elle refusait une telle éventualité ! Il ne lui fallut pas bien longtemps avant d'arriver aux urgences où elle demanda paniquée où se trouvait Edward O'Malley. On lui expliqua qu'elle ne pourrait pas le voir de suite, qu'il était présentement prit en charge par des médecins faisant tout leur possible. Tout leur possible, tu parles ! Ils devaient le ramener ! Elle refusait de le perdre. Matthew était mort, elle ne voulait pas perdre en plus Edward, non, elle le refusait !

« Madame calmez-vous...nous vous préviendrons dès que vous pourrez le voir. »

Elle se résigna.

« D'accord. »

Allant s'asseoir en salle d'attente, elle ne fit attention à personne, et pourtant il y avait un petit paquet de monde dans la pièce en ce moment avec elle. Qu'importe. Tout ce qui comptait à l'heure actuelle était Edward. Totalement paniquée, elle avait les mains moites, pleurait en s'imaginant le pire. Et pour cause...

« Madame O'Malley ? »

« Oui ?! »

Ce n'était son nom mais qu'importe, ils devaient faire au plus vite, ainsi elle ne chipotait pas sur le nom qu'on lui attribuait en ce moment.

« L'état de votre mari est inquiétant. »

Rien que ces mots la firent trembler. Elle devait se ressaisir. Et vite.

« Je peux le voir ? »

« Suivez-moi... »

Trois couloirs et deux virages plus tard, Maria se retrouvait devant la porte d'une chambre...elle n'osait cependant pas entrer de peur de ce qu'elle allait voir. Voir Edward branché de partout allait la tuer...elle le savait.

On venait de mettre Edward O'Malley sous perfusion, on l'avait branché à une machine, son torse nu était parsemé d'électrodes et un fil passant à ses narines l'aidait à respirer. Il était complètement HS, les yeux fermés, plongé dans un sommeil peu profond cependant. « Une de ses valves n'a fait que de rétrécir durant sa vie. Le problème, c'est qu'elle a atteint un stade où cela empêche le sang de circuler correctement. Mais ce n'est pas le seul problème. Le cœur de votre compagnon est faible, il n'arrive pas à se contracter entièrement. » Le médecin observa la jeune femme et s'en voulait terriblement de lui annoncer tout cela, mais comment ne pas être sincère ? Comment pourrait-il lui donner des faux espoirs en lui disant que tout allait bien pour lui alors que c'était totalement faux ? « Donc... le sang n'est pas suffisant dans le muscle. De ce fait, le cœur n'arrive pas à envoyer une quantité suffisante dans les organes, ni assez d'oxygène. » Il voyait bien qu'elle n'osait pas entrer dans la pièce, néanmoins, elle avait souhaité le voir et elle ne tarderait pas à se résigner. « On l'a mis sous assistance. Nous... nous avons branché une pompe en parallèle à la circulation du sang. De cette façon, nous n'avons pas eu à retirer le cœur maintenant. Un tuyau se contente de relier le ventricule gauche à la pompe pour lui donner un coup de main... »

J'entendais des paroles, des paroles très vagues. Elles étaient lointaines et de ce fait, j'étais incapable de comprendre parfaitement ce qu'elles disaient. J'avais une douleur atroce dans la poitrine. Qu'on arrête ça s'il vous plaît !

« Si... si un cœur compatible pour Edward O'Malley n'arrive pas, nous serons contraint d'en mettre un artificiel. Néanmoins, je ne vous cache pas que son état est faible, beaucoup trop faible et... même si nous avons un donneur, je ne peux absolument vous garantir qu'il... » Il avala difficilement sa salive. C'était bien le plus difficile dans ce métier. « … qu'il survive à l'opération... ses chances sont trop minces. Il faudrait un miracle. Je suis sincèrement désolé... je ne veux pas vous donner de faux espoirs. » Il n'y avait pas de bonne façon de faire cela. Il n'y avait pas de bonne façon de dire à une femme que l'homme qu'elle aime va mourir, sauf si un miracle se produit. Mais ce patient est fort, il semble vouloir lutter. Il a pu le voir lorsqu'il a tenté de le ranimer. Contre toute attente, le cœur s'est relancé. Néanmoins, il doutait sérieusement qu'il aurait autant de chance par la suite. Bien entendu, il espérait se tromper. Il aurait aimé demander à la jeune femme de lui faire ses adieux, mais elle ne le supporterait jamais. Sans vraiment savoir pourquoi, cette histoire le touchait. Peut-être était-ce les larmes de la brunette, ses tremblements, l'amour important qu'elle avait pour cet homme.

« Sarah Fitzpatrick ? » La jeune femme tenait le téléphone à son oreille et fronçait les sourcils. « Oui ? » Un silence se fit entendre un court instant. Puis la femme, une infirmière, poursuivit. « Vous êtes la personne à contacter en cas d'urgence en ce qui concerne Edward O'Malley... » Son sang ne fit qu'un tour. Elle n'eut même pas la force de demander ce qu'il se passait exactement. Tout était assez clair. « Il est à l'hôpital de Richmond District... sous assistance et en attente d'une greffe de toute urgence... » Sous-entendus ? « Veuillez venir et lui faire vos adieux, ses heures sont malheureusement comptées, je suis désolée. » Sarah lâcha le mug rempli de café qu'elle tenait dans la main. Les collègues de la jeune femme furent alertés par cela. « Sarah ? Tu vas bien ? » Les larmes coulaient le long de ses joues. « Quelqu'un peut me conduire à l'hôpital s'il vous plaît ? Mon ex-mari vient de faire un arrêt cardiaque. » Elle n'était clairement pas en état de prendre la voiture. Une question la travaillait néanmoins. Devait-elle faire venir les enfants ? Si Edward venait à mourir, devait-elle leur infliger l'image de leur père branché à une machine ?

J'ouvrais doucement les yeux, avec une certaine difficulté. J'étais faible, je ne me suis jamais senti autant à bout de force. Mes yeux se posèrent un instant sur Maria que je pus reconnaître rapidement. Son regard était rougi par les larmes. Je m'en voulais. J'aurais préféré qu'elle n'éprouve pas d'amour pour moi, car j'étais clairement en train de la faire souffrir. « Maria... ? » Je vis le médecin tourna la tête vers moi, régler un peu les doses des perfusions, puis lâcher un simple : « Je vais vous laisser. » Puis il quitta la chambre.

Le discours du médecin fut le plus difficile qu'elle n'ait jamais entendu. Même lors de la perte de Matthew, les choses, et surtout les mots avaient été beaucoup moins brutal. Quand vous entendez un médecin qualifié vous dire que l'homme que vous aimez a très peu de chance de survivre, malgré une greffe cardiaque, vous avez la fâcheuse tendance à tout oublier autour de vous, comme si vous étiez seule...complètement seule. Il fallait qu'elle le voit, qu'elle lui parle, qu'elle lui dise combien ses sentiments pour lui étaient la plus belle chose qu'elle n'ait jamais ressentie de toute son existence.

« Il...il n'a que trente-six ans, on ne peut pas mourir à cet âge-là. Il a deux enfants...Sarah, il faut que je l'appelle. » Le médecin ne semblant pas comprendre de qui elle parlait, Maria prit une grande inspiration et se lança. « Son ex-femme, la mère de leurs enfants, il faut que je la prévienne. » Le médecin, compréhensif la rassura en lui expliquant qu'une infirmière allait le faire, Maria elle devait aller auprès de l'homme qu'elle aimait.

Prenant son courage à deux mains, Maria décida d'entrer dans la chambre d'Edward. Malgré la difficulté de l'instant, elle avait vraiment besoin de le voir. Entrant donc avec le médecin, la brunette ferma les yeux en voyant qu'il était effectivement – comme elle l'avait craint – branché de partout. Longeant pas à pas le lit dans lequel son homme était allongé, Maria fit glisser sa main jusqu'à celle d'Edward. Ce fut à ce contact qu'elle l'entendit l'appeler, faiblement, mais elle l'entendit malgré tout. De toute façon en ce moment elle aurait été capable de n'entendre qu'un murmure de sa part, cela lui aurait suffit pour la rassurer et se dire qu'il était encore bien là malgré tout. Entendant soudainement le médecin leur dire qu'il les laissait seul, Maria le remercia brièvement d'un rapide « merci » puis reporta de suite son regard sur l'homme de sa vie.

« Salut... »

Elle ne fut pas capable de dire mieux sur le moment. Déjà qu'elle se faisait violence pour ne plus pleurer sachant pertinemment qu'il ne supportait pas de la voir en larmes. Passant sa main libre dans les cheveux de l'homme, elle se pinça les lèvres lorsque ses doigts effleurèrent délicatement sa joue rugueuse de par sa barbe de trois jours. Le voyant qui semblait vouloir parler, elle posa ses doigts sur ses lèvres l'en empêchant clairement.

« Ne dis rien, repose toi. »

En l'empêchant de parler, elle se protégeait d'une certaine manière ne voulant pas l'entendre lui dire de refaire sa vie ou toutes ces choses stupides qu'un mourant dit toujours à la personne dont il partage la vie. Maria connaissait déjà le refrain, sauf qu'aujourd'hui elle savait qu'il n'y aurait pas de demande en mariage comme il y en avaiteu une six ans et demie auparavant.

Sentir les doigts de Maria m'effleurer la joue me fit particulièrement du bien. J'avais besoin de la voir, de la sentir. J'aurais aimé être contre elle, lui faire de la place dans ce lit, mais avec toutes ces machines qui m'étaient reliées, c'était assez difficile. Je tentais de me remémorer ce qu'il s'était passé. Mon cours, le regard des élèves interrogateurs en voyant l'état dans lequel je me trouvais, puis le noir total. Je me souviens uniquement avoir tourné de l'œil puis plus rien, j'étais parti, mon cœur avait lâché. Néanmoins, je ne semblais pas avoir gardé de séquelles quant à cette épreuve. En effet, j'ai eu beaucoup de chances dans mon malheur de m'en sortir indemne. Je bougeais mes orteils, mes doigts, ça fonctionnait. Ouf. « Salut... » Je sentais à quel point Maria était inquiète quant à mon état. C'était compréhensible. Mais j'avais bon espoir. Comme on dit, les mauvaises herbes ont du mal à mourir et je dois en faire parti. Je ne préférais pas vraiment entendre le diagnostic des médecins, ça me fera peut-être moins stressé. J'avais envie de dire tellement de chose à cette femme, lui avouer à quel point je pouvais l'aimer.

Et, alors que j'entre-ouvrais les lèvres pour parler, elle y posa son index afin de me faire taire. « Ne dis rien, repose toi. » Je lui adressais un faible sourire. Néanmoins je forçais. J'avais besoin de lui parler. « Écoute mon ange... » Je m'entendais à peine, j'espérais que Maria pouvait clairement comprendre mes paroles. « … je me rends compte que... la vie est trop courte donc... si je m'en sors, je t'épouse sur le champs. » Nouveau sourire. Je me rendais compte à quel point je pouvais aimer cette femme, à un degré tellement fort. Si je m'en sortais, tout obstacles seraient poussés. « Je t'aime, je t'aime plus que tout... je me battrais pour toi, pour les gosses... » Je serrais doucement sa main dans la mienne alors qu'une larme coulait le long de ma joue. Oui, je souriais, mais j'avais peur, peur de mourir, peur de me voir arracher à tout ce que je pouvais aimer. Bon Dieu, si ma mère était au courant, j'allais la briser. « Excuse moi... je te ferais une demande en mariage plus romantique... » Oui, je préférais jouer la carte de l'humour, plutôt que de me mettre à chialer comme un gamin en la suppliant de me tenir la main, de ne plus quitter cette chambre pour rester avec moi. J'avais peur qu'elle franchisse cette porte et que ça soit la dernière image d'elle que je verrais avant de m'éteindre. La vie est mal fichue, on sera tous d'accord là-dessus je pense. Mais je refusais que Maria subisse un nouveau drame. Je me battrais. Un O'Malley est un battant. Je suis un O'Malley. Un cœur n'aura pas raison de moi.

Le médecin se trouvait hors de la chambre, mais gardait un œil attentif sur son patient, de façon à pouvoir agir rapidement s'il venait à se produire quelque chose. Il fut touché par la scène et se promit de faire tout son possible pour le sortir de là, lui assurer une vie belle. Il savait qu'il exerçait le plus beau métier, mais également le plus difficile. Le tragique, ou le bonheur. Il y avait rarement un entre-deux. Il espérait que l'homme allait tenir jusqu'à ce qu'on lui trouve un cœur et il se surprenait même en espérant qu'une personne compatible pour lui allait mourir pour cela. C'était horrible, vraiment horrible. Pourquoi y avait-il si peu de donneurs d'organes ? Néanmoins, il avait eu un faible sourire en voyant qu'Edward O'Malley serait donneur s'il venait à mourir. Un comble et pourtant, un beau geste. Mais il gardait de l'espoir. Il est plus facile de trouver un cœur pour une personne de son âge que pour un bébé. Oui, les parents d'un nourrisson qui meurt n'acceptent que rarement de donner les organes pour un autre nouveau-né. Quelque part l'Irlandais avait de la chance de ne pas avoir eu besoin d'une greffe avant.

Têtu comme une mule, il était têtu comme une mule. A peine venait-elle de lui dire de ne pas s'épuiser à parler qu'il démarra un speech. Un magnifique speech cependant. Un speech faisant clairement comprendre à Maria à quel point elle comptait à ses yeux. A croire qu'avec Matthew ils s'étaient passé le mot de demander la belle en mariage lors d'un moment où leur état de santé serait on ne peut plus critique. Incroyable. Quoiqu'Edward était quelque peu plus prudent que Matthew parce qu'il avait ajouté le “si je m'en sors” contrairement à Matthew qui ne l'avait pas fait. Sa pseudo demande lui fit esquisser un faible sourire, qu'il se préoccupe de lui, de sa santé avant de penser à elle ou à un potentiel mariage. Ils auraient tout le temps d'en reparler après qu'il ait été sauvé, car oui il le serait, Maria refusait à penser le contraire. Edward croquait toujours la vie à pleines dents, mais il en restait encore un bon bout à dévorer, qui plus est Edward n'était pas encore rassasié alors pourquoi devrait-on le priver de cela ? Aucune raison valable à l'horizon. Il irait bien. Quitte à remettre sa croix de David et prier, Maria le ferait, si ça pouvait lui assurer la survie de l'homme qu'elle aimait. L'entendant finalement s'excuser en lui promettant une demande en mariage plus romantique à venir, Maria se mit à rire quelque peu, de bon cœur. Même dans les pires situations il arrivait encore à la faire rire. Repassant une main dans les cheveux d'Edward, Maria se pinça les lèvres, l'instant était tellement difficile.

« Est-ce que tu veux que j'appelle tes parents ? »

La question fatidique. Devait-elle prévenir la famille d'Edward située en Irlande ? Mon dieu, rien que de penser au fait qu'elle allait peut-être les avoir au téléphone l'a rendait fébrile. Comment annoncer aux parents de votre compagnon qui vivent à l'autre bout du Monde que leur fils est entre la vie et la mort et qu'il y a plus de chance qu'il y laisse sa peau ? Maria n'y parviendrait jamais, ce n'était pas possible.

« L'hôpital a sans doute déjà prévenu Sarah. Je suis sûre qu'elle ne va pas tarder à arriver. »

Lui souriant un petit peu comme si ce sourire allait lui donner du courage pour survivre, Maria se pencha tout en faisant très attention à ce qu'elle faisait et embrassa avec tendresse son compagnon. Bon sang, qu'est-ce qu'elle pouvait l'aimer. Si demain, on venait à lui apprendre qu'Edward n'avait pas survécu, elle ne s'en remettrait jamais, elle ne se relèverait pas de cette énième chute. Non, cette fois-ci c'était plus que certain, elle avait retrouvé la joie de vivre avec cet homme, alors pourquoi devrait-on l'en priver si rapidement ? Ils n'avaient pas eu le temps de profiter d'eux, de leur amour et on devrait déjà les séparer ? Jamais ! Maria refusait clairement cette éventualité. C'était décidé, il allait vivre.

« Est-ce que tu veux que j'appelle tes parents ? » Un frisson me parcourait. Non, je ne voulais pas qu'on les appelle, ça les ferait stresser. Si je venais à mourir, je préférais qu'on leur annonce directement, plutôt qu'ils aient pour dernière image de moi, mon corps relié à une machine. Ça leur ferait bien trop mal. Donc, c'était peut-être égoïste de ma part, mais je ne souhaitais pas que Maria les prévienne. Malheureusement, je pense que ça ne serait tarder dans la mesure où Alice allait m'appeler comme tous les jours, afin de prendre de mes nouvelles. Et si je venais à ne pas répondre, elle allait téléphoner à la brunette ou bien à Sarah pour avoir des explications. Et, comme notre amour fraternel restait plus que fusionnel, je parierais presque qu'elle sait déjà que quelque chose ne va pas. « J'aimerais... qu'ils ne soient pas au courant... même si, ça arrivera quand même... »

« L'hôpital a sans doute déjà prévenu Sarah. Je suis sûre qu'elle ne va pas tarder à arriver. » Je restais silencieux. Dans quel état allait-elle être ? Elle qui est toujours si inquiète pour moi au moindre petit problème ? D'un côté, j'avais également besoin de la voir. Maria n'a pas à être jalouse, elle sait très bien que l'amour n'est plus ce qui m'unit à mon ex-femme. Mais nous sommes importants l'un pour l'autre, une grande amitié nous lie dés à présent. Elle reste la mère de mes enfants, mon premier véritable amour, celle avec qui j'ai passé bien plus d'une décennie. On ne peut pas effacer une personne aussi importante de sa vie, du jour au lendemain. La brunette semblait l'avoir compris et ça me rassurait.

Maria vint se pencher vers moi afin de déposer avec délicatesse ses lèvres sur les miennes. Je répondais à ce doux baiser. C'était agréable, rassurant. J'aurais voulu la serrer contre moi, lui répéter mille et une fois à quel point je l'aime, afin d'être sûr qu'elle ne l'oubliera jamais, quoi qu'il arrive. Je la regardais un court instant. Elle est toujours aussi magnifique, aussi charmante et je suis heureux qu'elle soit la première personne que j'ai vu après être revenu à moi. « Tu serais d'accord pour rester... avec moi au moins jusqu'à ce que je m'endorme ? », lui demandais-je avec un faible sourire. J'avais besoin de l'avoir près de moi, ne pas me retrouver tout seul en l'attente de cette greffe, sinon, j'allais clairement péter un plomb.

« Edward ? » Je tournais mes yeux en direction du murmure quand Sarah, le regard rougi par les larmes, entra dans la pièce. Je lui adressais un nouveau sourire, bien que faible. « Salut. », lui lançais-je dans un souffle, alors que je l'observais s'approcher de moi. « Mon Dieu Ed', tu m'as fait peur... » Elle m'embrassa sur la joue. Je pense que n'importe quel homme qui serait passé devant ma chambre m'en aurait voulu d'avoir deux magnifiques femmes à mon chevet. « Désolé... », dis-je sur un ton sincère, ce qui la fit sourire malgré tout. « Tu veux que j'aille chercher les enfants ? » J'étais partagé en deux. D'un côté, si je devais mourir, j'aurais aimé les voir une dernière fois, et d'un autre, je me refusais à ce qu'ils me voient dans cet état. C'était compliqué, je n'en savais rien. « Je sais pas... et si c'était la dernière fois que j'ai l'occasion de les voir ? » Et voilà que je stressais. Il fallait que je me calme, que je me détende. Mes yeux bleus se posèrent sur Maria, comme pour lui demander ce qu'elle en pensait.

« Bien-sûr, je reste là, ne t'inquiète pas. »

Il n'était pas question qu'elle aille ou que ce soit en le sachant seul ici, dans cette chambre terne. Elle ne pouvait pas le laisser seul, qui plus est, elle ne voulait pas partir de peur qu'en revenant, il ne soit plus là. Oui, intérieurement elle paniquait, mais en même temps les raisons étaient là. Maria voulait être à ses côtés jusqu'au bout, quoiqu'il advienne d'ailleurs. C'est alors qu'ils entendirent qu'on appelait Edward. Tournant la tête vers la porte, elle vit Sarah, les yeux rougis par les larmes hésitant à entrer. La voyant finalement venir près d'Edward, Maria se décala pour laisser la place à Sarah pour que celle-ci vienne embrasser l'homme allongé dans le lit. C'est alors que la jeune femme demanda de suite s'il souhaitait qu'elle aille chercher leurs deux enfants pour qu'ils puissent passer un moment ensemble. Maria trouvait normal qu'ils viennent, même si ce serait difficile pour eux de voir leur père dans cet état, Seth et Jade avaient besoin de le voir une nouvelle fois surtout si celle-ci devait être la dernière. Regardant Edward dans les yeux, Maria ne mit pas longtemps à comprendre que les deux parents avaient besoin d'un avis autre que le leur à savoir si les enfants devaient être là ou non.

« Même si ça va leur être extrêmement difficile car ils sont encore jeunes, ils ont besoin de te voir, ils ont sans aucun doute des tas de choses à te dire. Ne les prive pas de ce besoin Edward. »

Elle ne voulait surtout pas qu'il culpabilise, seulement Sarah et Edward devaient comprendre que leurs enfants avaient le droit de voir leur père. Si Sarah n'allait pas les chercher, cela ne faisait aucun doute qu'ils allaient lui en vouloir à tout jamais si leur père venait à mourir. Maria ne voulait pas que les enfants vivent avec des regrets tout au long de leur vie. Ils voulaient sans aucun doute dire des milliers de choses à leur père, alors ils devaient lui dire.

« Ça va être dur, mais même toi tu as besoin de les voir. »

Edward aimait ses enfants plus que tout au monde et Maria savait pertinemment que si les choses se terminaient mal, il s'en voudrait à tout jamais de ne pas leur avoir dit au revoir, de ne pas les avoir embrassé une dernière fois, de ne pas leur avoir dit combien il pouvait les aimait. Toutes ces choses, Edward avait réellement besoin de les faire, et maintenant. Le temps lui était compté, avait dit le médecin. Alors autant ne pas perdre de temps.

« Même si ça va leur être extrêmement difficile car ils sont encore jeunes, ils ont besoin de te voir, ils ont sans aucun doute des tas de choses à te dire. Ne les prive pas de ce besoin Edward. » Il y avait des points positifs comme des inconvénients pour ce qui était de faire venir les enfants dans cet hôpital pour me voir, peut-être, la dernière fois. Ils sont grands, ils pouvaient comprendre ce genre de choses, même si les raisons de mon état de santé n'était pas encore très clairs pour eux. Ils répétaient seulement « Le cœur de papa est malade. », c'était aussi simple que ça à leurs yeux. L'enfance, l'innocence, c'est beau. D'un côté, j'avais peur de les voir et de me dire que ça serait peut-être la dernière fois. Si je devais mourir, j'aurais préféré peut-être un accident, ne rien voir venir et passer l'arme à gauche sur le coup. Là, si je devais y laisser ma peau, c'était sous mes yeux.

Je tournais la tête vers Sarah, après avoir longuement regardé la brunette dans les yeux. « D'accord... fais les venir s'il te plaît... » On lisait facilement sur mon visage que j'avais envie de les voir et que quelque part, je m'en voulais de leur infliger ça. Mon ex-femme hocha la tête de façon positive, avant de s'écarter du lit. « Je serais de retour bientôt alors, porte toi bien en attendant. » Je lui adressais un faible sourire et l'observa enlacer Maria en lui chuchotant un « Courage ma belle. » qui me donna l'impression d'être déjà au fond du trou. C'était assez effrayant. Les médecins me disaient de ne pas stresser ? Facile à dire... sincèrement... Si je crevais, j'allais foutre pas mal de gens dans un sale état. Le problème des familles nombreuses.

Observant Sarah quitter la chambre, je reposais mon regard sur Maria. Je m'écartais difficilement du lit, afin de lui faire une place, tout en faisant en sorte que les fils ne passent pas par-dessus le matelas. J'avais besoin de sentir la brunette contre moi. « Viens ma belle. » Et à peine elle fut contre moi que je calais ma tête contre la sienne, à défaut de ne pas vraiment pouvoir faire de grands gestes. Pour le coup, j'étais scotché au lit. Mes lèvres se déposèrent sur son front, puis je la regardais dans ses beaux yeux bleus. « Je sais que... les médecins considèreraient presque... comme un miracle que je m'en sorte, mais... j'ai bon espoir... Les O'Malley sont des battants... Et puis..., je ne peux pas mourir maintenant, j'ai... pas encore fait mon quota d'engueulades avec toi. », lui lançais-je sur un ton faible mais amusé, en référence à nos nombreuses petites disputes inutiles, suivies de belles réconciliations. Je me plaisais à lui dire qu'on s'engueulait certainement pour mieux nous retrouver. Je préférais également partir dans l'idée que j'allais m'en sortir, afin de ne pas vraiment déprimer. Mais sincèrement, je sentais vraiment que j'allais m'en sortir. Instinct ou simple idiotie...

Un médecin ouvrit la porte doucement, celui qui avait accompagné Maria jusqu'ici. Il eut un sourire en voyant Maria contre moi. « Comment vous portez-vous monsieur O'Malley ? » Je l'observais un instant : « Comme un charme, à part que... j'ai l'impression d'avoir une... gueule de bois monumentale... ». Il semblait amusé que je garde mon sens de l'humour. Il était important d'avoir le moral, non ? L'homme s'approcha pour régler mes perfusions. « Avec une aussi belle femme contre vous, ce n'est pas étonnant de se porter comme un charme. Pour l'impression de gueule de bois, je vous rassure, c'est normal. » Oui, en effet. « Je repasserais d'ici deux heures pour vous faire passer quelques examens. » Je lâchais un bref « Ok... » alors qu'il quittait la chambre.