Noelyne arriva un peu en avance devant le bureau où elle avait rendez-vous avec le Professeur O’Malley. Elle n’avait pas la moindre idée de la tête qu’il avait ni de sa réputation. La Zêta était apeurée à l’idée de devoir travailler avec un de ses enseignants de la vieille école très à cheval sur les principes. Secrètement elle priait pour que ce soit quelqu’un de jeune. Faire des prises de vue d’une personne âgée est plus difficile que pour une personne plus jeune. En effet, les gros plans par exemple sont à bannir. Montrer toutes les imperfections de l’âge sur le visage du sujet est loin d’être flatteur à son égard et bonjour les retombées de celui-ci lorsqu’il verrait le produit terminé. Mr Samuelson, le professeur en charge du projet avait seulement indiqué à Noel qu’elle avait le sujet le plus difficile à traiter compte tenu du fait qu’elle redoublait sa troisième année. Son projet de l’année passé avait obtenu une très bonne note, pas la meilleure certes, mais elle avait été très surprise que cela ait autant plu. Du coup cette année, ce professeur avait décidé de lui mettre la pression et de la placer en position dangereuse d’après ses propres termes. La brunette avait accepté le challenge, bien obligée, et se demandait pourquoi Monsieur O’Malley était le sujet le plus délicat à traiter. Elle avait eu beau retourner la question dans son esprit une bonne quinzaine de fois la nuit passée, à défaut d’une réponse elle avait gagné une nuit blanche.

Jetant un coup d’œil environ toutes les trente secondes Noelyne se demandait si elle ne s’était pas trompé de bureau. Elle vérifia à nouveau sur son agenda le bâtiment et la salle puis leva la tête vers le petit écriteau au-dessus de la porte, pas de toute elle était au bon endroit. La française fourra son agenda dans son sac en bandoulière et tenta de se calmer du mieux qu’elle le pouvait. Peut-être qu’elle se mettait Martel en tête inutilement. Ce n’aurait pas été la première fois que cela se produisait. Le stress avait tendance à lui faire avoir des pensées négatives et elle se rendait souvent compte que stresser ainsi ne lui avait rien apporté de bon. Remarquant qu’elle avait les mains moites, elle les essuya d’un geste prompt sur son jean et sautilla légèrement pour remettre son sac en place sur son épaule. Elle vit enfin quelqu’un ressembler à un professeur approcher d’elle. Petit, la cinquantaine bien tassée, l’air bougon et le crâne dégarni, tout ceci ne lui disait rien qui vaille.

*Oh non pas lui… Faites que ce ne soit pas lui…* se mit-elle à espérer jusqu’à être soulagée lorsqu’il la dépassa après lui avoir adressé un regard peu amène.

Mais tandis qu’elle soupirait de soulagement elle entendit une voix masculine derrière elle qui la fit légèrement sursauter.

*Oh mon dieu… ça doit être lui* pensa-t-elle en ayant du mal à déglutir

Elle se retourna prestement pour voir son interlocuteur et peina à dissimuler sa surprise en découvrant l’homme devant elle. Il devait avoir entre trente et quarante ans, des yeux d’un bleu qu’elle trouva sur le coup absolument magnifique, le teint un peu pâle mais un sourire digne d’une publicité pour le dentifrice Colgate. Noe avait trouvé pire que le vioc au mauvais caractère, le beau gosse parmi les professeurs de l’Université. Son visage se décomposa quelque peu mais la brunette reprit bien vite le dessus salua poliment le professeur d’un :

« Bonjour Monsieur »

Réveil difficile, comme chaque matin environs. Impossible de dormir pendant plusieurs heures, et juste avant que l'objet sonne, on tombe dans les bras de Morphée. Dure réalité. Heureusement, j'ai le droit de trouver dans mon lit un ange dés le matin, qui se cale contre moi pour en profiter. J'ouvre les yeux et observe Maria avec un tendre sourire. Je passe la couette sur nous et je la serre avec délicatesse dans mes bras. L'Amour, avec un grand A. Le plaisir de voir comme première personne le matin, celle que l'on aime. Elle me demande si j'ai bien dormi. Je lui donne une réponse positive pour ne pas l'inquiéter. Vue la moue qu'elle arbore, je comprends qu'elle m'a entendu vomir à quelques reprises durant la nuit. Elle m'ordonne presque de me reposer, puisque je ne peux pas assurer les cours dans cet état. Fichue greffe cardiaque. De toute façon, j'ai un remplaçant. Il ne faut juste pas que je loupe un rendez-vous avec une étudiante de troisième année en cinéma, du nom de Noelyne quelque chose. J'ai vaguement compris le projet. Elle doit faire un portrait de moi. Je n'ai pas compris plus que ça. Certains autres enseignants se sont portés volontaires. Qui sait, ça m'amusera peut-être, même si je n'ai pas totalement tout comprit. Je dois la voir pour en discuter, elle va elle-même m'éclairer.

Maria a déjà quitté le lit, afin de prendre son petit déjeuner, et préparer celui de mes deux enfants. Elle les emmènera à l'école. Dans mon état, il serait irresponsable de prendre le volant. D'ailleurs, en parlant de mes mômes, ils débarquent en courant dans la chambre. Vifs, impulsifs, comme d'habitude. Seth saute sur le lit en riant, prêt à s'amuser. Il est très matinal. Quant à Jade, elle préfère se poser doucement sur le matelas et trouver refuge dans mes bras. Elle, elle est plus câline à cette heure-ci. Les jumeaux de huit ans m'offrent le réveil parfait, en douceur, la petite pause en famille, les uns contre les autres, à discuter de tout et de n'importe quoi. Finalement Maria les appelle pour déjeuner, et ni une, ni deux secondes, mon fils sort en courant, affamé. Il tient de moi, un grand gourmand. Ma fille, elle, s'accorde encore un petit moment avec moi pour me raconter comment se passe l'école. Elle me confie qu'elle a actuellement trois amoureux. Ça m'amuse tout autant que ça m'exaspère. Qu'est-ce que ça sera quand elle sera adolescente ? Je devrais faire trop de meurtres. Dommage.

Arrivée à l'université quelques heures plus tard. Je vais pour me rendre à mon bureau et regarde autour de moi, comme si j'allais trouver l'étudiante dans la foule. Je ne peux m'empêcher de penser que je vais lui faire une peur bleue avec mon physique semblable à celui d'un zombie. Déjà que je ne suis assez blanc de nature, là, je parais presque livide à cause de mon état de santé. Je possède ces magnifiques cernes légèrement violacées, témoignant de ma grande fatigue. Je garde tout de même le sourire. Inutile de montrer mon état de faiblesse, je n'ai pas envie qu'on ai pitié. Je me rends donc jusqu'à mon bureau et vois une demoiselle qui attend visiblement quelqu'un, juste devant la porte. Ah, ce serait elle ? « Bonjour... ? », demandais-je avec un petit air amusé, alors qu'elle se retournait vers moi. Oh. Très charmante. J'adore la couleur de ses yeux, exactement la même que celle de sa chevelure. Je m'attarde un court instant dessus et elle finit par me saluer. Je lui adresse un franche sourire, ce sourire un peu gamin qui dévoile les fossettes sur mes joues légèrement barbues. J'insère la clef dans la serrure de mon bureau, ouvre la porte, et, en bon gentleman, laisse la demoiselle passer en première. « Je vous en prie, asseyez-vous. » Je referme la porte pour ne pas être gêné par le brouhaha immense créé par les élèves, puis m'installe de l'autre côté du bureau.

« Donc vous êtes Noelyne. Enchanté, je suis le professeur O'Malley. » Nouveau sourire. Je l'observe dans les yeux, une sale habitude que j'ai prise, car je donne souvent l'impression aux gens de soutenir leur regard, comme pour les obliger à le baisser. Mais ce n'est pas du tout le cas. « Je vous laisse m'expliquer davantage le projet qu'on vous a confier ? Je n'ai pas eu le temps d'avoir beaucoup d'informations dans la mesure où j'ai dû quitter précipitamment l'université quand j'en ai discuté avec votre professeur. »

Noelyne prit place sur l’une des chaises devant le bureau du professeur O’Malley quand celui-ci l’invita à le faire. Sur le court chemin qui avait mené de l’extérieur à l’intérieur du bureau, la française avait pris soin de balayer discrètement la pièce du regard. Cela ressemblait bien à l’idée qu’elle se faisait d’un bureau de professeur de l’Université mais elle se garda bien de dire quoi que ce soit à son interlocuteur. Lyne avait beau chercher des indices pour savoir pourquoi ce professeur serait le plus difficile à traiter elle n’en trouvait aucun. La Zêta tenta de prendre sur elle pour gérer davantage son stress et força un sourire poli pour répondre à Edward.

« C’est bien ça. Ravie de faire votre connaissance également monsieur »

Pendant un instant elle pourrit mentalement son professeur de ne pas avoir davantage pu développer le projet à O’Malley. A croire qu’il avait tout fait pour ne pas lui faciliter la tâche. Déjà qu’elle n’était pas à l’aise devant cet inconnu malgré son air fort sympathique alors lui expliquer le projet aussi bien qu’il l’aurait fait allait être un peu compliqué.

« Pour résumer sommairement, je dois faire un portrait de vous pour le projet semestriel. Nous devons convenir d’un axe ensemble qui pourra m’orienter sur le style de portrait de vous que je peux réaliser On peut partir sur quelque chose de banal comme votre travail de professeur et vos travaux de recherches ou sur quelque chose en peu plus intime qui montre qui est le professeur en dehors des heures d’amphi ou de TD… Enfin on peut aussi partir sur quelque chose de complètement loufoques du genre « 10 choses que vous ignorez à propos du Professeur O’Malley » avec un ton décalé et très humoristique. »

Noe avait parlé de manière assez lente et fait une explication la plus simpliste et claire possible. Elle avait simplement reformulé avec des mots simples l’intitulé barbare que leur professeur leur avait donné. Laissant le temps au professeur d’assimiler ces informations, la jeune femme s’humecta la lèvre inférieure et enchaîna sur le même rythme.

« Les meilleurs portraits présentés au semestre seront publiés sur le site Internet de l’Université dans le but de promouvoir à la fois le campus et la section Cinéma de Berkeley… Est-ce que mon professeur vous a dit autre chose sur le déroulement du projet ou… »

La frenchie laissa sa question en suspens espérant secrètement que son professeur n’ait pas été aussi vache que cela et l’aurait vraiment laissé se débrouiller sans filets. Pendant qu’elle ouvrait la bouche, Noelyne avait du mal à cacher des signes apparemment de nervosité tels que les entortillements aléatoires et désorganisés de ses doigts.

Mon bureau est ce que l'on peut appeler un bureau banal. Un ordinateur, une chaise confortable noire qui peut tourner sur elle même, une étagère avec un bordel monstre. Des femmes de ménage viennent souvent nettoyer et ranger ces pièces qui nous sont destinées à nous, les professeurs. Néanmoins, j'ai été très clair, ne toucher à rien, ne déplacer aucune feuille quelle qu'elle soit. En effet, je suis déjà d'une nature peu organisée. Pourtant, j'arrive à m'y retrouver dans mon bazar. Si on décide de tout ranger dans un ordre logique, c'est foutu, je passerais des jours entier à trouver le moindre document. Sur mon bureau, quelques photos, histoire de me redonner le sourire lorsque je l'ai perdu. Une où je me trouve avec Maria O'Berkeley, directrice adjointe de l'université mais aussi l'amour de ma vie, qui porte actuellement mon enfant, une seconde de mes deux gamins, une dernière de ma famille, parents, frères et sœurs, enfants, nièces et neveux, et la brunette. Celle-ci a été prise cet été, en Irlande. Ah, en y repensant, j'ai déjà bien hâte d'y retourner.

Comme je le lui avais demandé, Noelyne m'expliqua plus exactement sur quoi reposait son devoir. Elle devait faire un portrait de moi, professionnel, intime ou loufoque. Mh ? Intéressant. Je fais parti de ces professeurs qui s'investissent beaucoup dans la vie universitaire. De cette façon, j'ai accepté tout bonnement d'être le sujet de la jeune femme sans même savoir de quoi il s'agissait. J'ai besoin de me changer les idées de toute façon et sans vraiment savoir pourquoi, ce projet risquait d'être assez amusant. « Les meilleurs portraits présentés au semestre seront publiés sur le site Internet de l’Université dans le but de promouvoir à la fois le campus et la section Cinéma de Berkeley… Est-ce que mon professeur vous a dit autre chose sur le déroulement du projet ou… », poursuivit-elle. Ah ? Là, ça changeait un peu la mise. Non pas que je me défilais, néanmoins, il devrait y avoir quelques limites si ça devait être diffuser sur internet. Autant choisi le meilleur axe donc. « Il faudra bien choisir, dans la mesure où il y a certaines choses à respecter. Je m'explique. Mh... faire ce portrait sur le thème de mon travail, je vous avoue que ça risque d'en ennuyer plus d'un. J'adore rire et réaliser ça sur quelque chose de loufoque comme vous dites pourrait être intéressant, si seulement les étudiants n'étaient déjà pas tous au courant de toutes les choses stupides que je peux faire dans ma vie. Pour ce qui est de l'axe plus... « intime », personnellement, ça ne me dérange pas plus que ça. Pourtant, je ne suis pas le seul concerné. Ma compagne devra donner son autorisation étant donné qu'elle travaille ici à une place haute placée. Il faudrait voir si elle est d'accord pour qu'on la mette dans le sujet, sinon, on pourra s'en passer. De même... euh... » Difficile à dire. Je cherchais les mots exactes en fronçant brièvement les sourcils. « Si vous choisissez de faire ça, je ne veux pas que tout soit visible. Enfin... je ressors à peine d'une transplantation cardiaque, et mon état est plus que faible. Donc si on pouvait se passer des passages où je m'effondre d'un coup, où je suis totalement épuisé ou bien où je me rus dans les toilettes pour vomir, ainsi que les allers-retours à l'hôpital, je vous en serais grandement reconnaissant. » Petit sourire gêné. Elle allait le découvrir bien vite, donc autant la prévenir de suite, qu'elle ne soit pas prise au dépourvu et donc choquée.

« Je vous laisse choisir l'axe que vous préférez, et je vous suivrais sur ce chemin. Sinon non, je ne sais absolument rien sur le déroulement du sujet. Donc si vous pouviez m'éclairer... » Je la regarde dans les yeux tout en la gratifiant d'un sourire sincère et adorable, ce même sourire qu'afficherait communément un enfant qui voit la vie en rose.