…Une feuille se décrocha paresseusement de son arbre, virevolta quelques instants dans les airs poussée par les aléas du vent avant de se déposer avec délicatesse sur l’asphalte de la cour. L’homme d’entretien, de son œil aiguisé, repéra directement l’importune. Se précipitant vers cette dernière, armé de son balai et de sa pelle, il ramassa vivement l’inopiné végétal.

La sonnerie de fin des cours sorti soudain le jeune homme de ses rêveries bucoliques. Il n’avait pas écouté un traître mot du discours ennuyeux du professeur d’économie, bien trop occupé à penser au sort de la petite feuille du parc... Il avait choisit de suivre cette matière en s’imaginant qu’elle l’aiderait à gérer ses affaires par l’avenir, mais il n’avait jamais osé supposer qu’elle serait aussi barbante… Les perspectives d’avenir des PME l’intéressaient autant que la vie sexuelle de Paris Hilton et c’était peu dire, car Sergeï avait toujours trouvé ces histoires de ‘’People’’ plus que niaises… Si le cours avait porté sur les perspectives d’avenir des multinationales, peut-être s’en serait-il soucié un peu plus, mais là, il ne voyait pas l’intérêt de connaître les vicissitudes des petites entreprises artisanales. Non, il n’était pas égocentrique, il savait que la classe moyenne jouait un rôle important dans l’économie nationale, certes, mais il savait aussi que son avenir était tout tracé et que s’il ne finissait pas avocat, il serait bien obliger de prendre la tête de ’entreprise familiale, et autant dire qu’elle ne faisait pas partie de la catégorie des PME !

D’un air emprunt d’une grande lassitude, il s’étira avant de se redresser paresseusement et de décoller son postérieur de sa chaise. Baillant aux corneilles, il attrapa son sac à dos et le jeta sur l’une de ses épaules. Précédé de la foule d’étudiants, pressés de quitter l’amphithéâtre, il prit la direction de la sortie d’un pas nonchalant…

Il était midi et comme la plupart de ses congénères, le jeune homme avait faim… Que voulez-vous, certains instincts animaliers restent persistants, même chez le plus raffiné des êtres humains…Il n’avait encore jamais mit les pieds au restaurant universitaire de la fac, préférant de loin se sustenter dans les enseignes environnantes. Pourtant, quelque peu paresseux, il choisit ce jour pour tenter de découvrir la nourriture servie en ce lieu, histoire de ne pas avoir à se déplacer trop loin… Le cours d’économie l’avait réellement endormi. Se dirigeant vers le bâtiment abritant sa destination, il marcha lentement, sans doute pour profiter du peu de soleil qu’il allait voir aujourd’hui…

Sergeï poussa la porte vitrée du restaurant universitaire. Le brouhaha qui y régnait contrastait avec la quiétude de l’extérieur et déjà, le russe regrettait presque d’avoir franchit le seuil. Soupirant, il attrapa un
plateau et se mit à la file. Après quelques vingt minutes de queue interminable, il avait enfin ses couverts, son verre, son plat principal composé d’un steak et de frites, son eau pétillante et sa tarte aux fraises. Le
tout payé, il scruta la salle à la recherche d’une table libre qu’il trouva au fin fond de la pièce, tout près des fenêtres… Place idéale pour être tranquille selon lui… Se dirigeant vers son lieu de prédilection, il se fit devancé par deux jeunes femmes en grande conversation… Pestant, il fit demi tour et chercha une autre place disponible. Il en repéra une près de la porte d’entrée, en plein dans le passage… Parfait ! Il n’y avait pas plus calme comme emplacement ! Soupirant – encore ! – il se dirigea vers cette dernière…

Déposant son plateau sur la table, il jeta son sac sur la seconde chaise avant de s’installer sur la première. Il versa un peu d’eau dans le verre et bu un peu de liquide en observant les alentours. Comment les étudiants pouvaient-ils supporter manger dans un endroit pareil ? Le brouhaha qui y régnait était assourdissant, sans compter la foule étouffante d’universitaires qui se pressaient dans la file d’attente pour avoir le meilleur plat… Secouant négativement la tête, il entreprit de découper sa viande…

Salut jeunesse bronzée de San Francisco. Qu'avez-vous de si passionnant à raconter?, vous ne semblez pas manquer de souffle pour rapporter la moindre parcelle de vos formidables vacances à qui veux bien l'entendre, ou non. Berkeley retrouve son fourmillement familier, une nouvelle année commence. Et comme toujours, une nouvelle page amène sans aucun doute son lot de révolutions et de curiosités. Bien entendu, personne ne laisse passer le moindre élément de son regard calomniateur, l'université en perdrait de son vivant. Qu'avons-nous alors par ici? Les mêmes protagonistes, plus tourmentés, plus sublimes que jamais, dont l'illusoire parenthèse de l'été n'a pas aidé à s'améliorer, pour notre plus grand plaisir. Mais nous pouvons aussi, et surtout, souligner l'entrée de petits nouveaux, qui ne manqueront pas de nous divertir. Et avant tous, un bleu chez les Zéta, en provenance de Russie: Serguei Davidoff. Ce nom ne vous rappelle pas un crack de la finance? Un loup dans l'univers du show business? Ou encore un génie politique? C'est tout à fait normal, et l'étudiant en deuxième année ne semble pas demander mieux... Tout ce qu'on en sait, ou du moins qu'on pense en savoir c'est qu'il vient de l'impériale Russie avec l'intention d'obtenir un diplôme en Droit, et que son regard profond en fait déjà fondre plus d'une... Mais on a tous un petit quelque chose à cacher, et que tous prendraient ardemment plaisir à connaitre. Malgré toute cruelle absence de profondeur, les hyènes parviennent toujours à arracher un morceau intéressant qui les occupe du moins un moment, ce n'est qu'une question de temps.

Si Ash' n'affirmait pas dès le premier jour de la rentrée un oeil si incriminateur, il n'en était pas moins servi pour autant en matière d'histoires. Les bonnes habitudes ne se perdaient pas. Entre les réflexions cinglantes de Tristan qui en disaient long en faisant souvent mouche, et les observations tordantes d'Otto au quotidien; ajoutées au bourdonnement incessant des couloirs, Jude ne pouvait pas s'empêcher d'être "spoilé". Eh bien entendu, il ne fallait pas omettre le retour triomphant de Watch out, qui ne se faisait pas réclamer pour sa rentrée des classes. Mais concernant l'objet du jour, Jude avait surement une longueur d'avance sur toute l'université réunie. En effet, sans l'avoir croisé, ni même aperçu encore, le Sigma connaissait quelques antécédents du russe. Il était seul aux Etats-Unis, et sans être totalement perdu, il ne montrait donc encore aucun repère précis, même si sa faculté de discrétion le mêlait parfaitement aux flux étudiants continus. Si Jude pouvait prétendre connaitre le jeune homme sans même l'avoir rencontré encore une seule fois, c'est qu'il avait eu affaire à l'action d'un tiers, d'un informateur, d'une source. Mais pourquoi me direz-vous? En effet, que pouvait bien avoir de si intéressant la plus fantomatique des nouvelles recrues? Oh, rien de bien croustillant, remettez-vous. Dois-je vous rappeler que Jude est revenu chez papa-maman en août? Et que Maman Ashcroft est avocate? Mais, attention, pas n'importe quelle avocate. Non, il fallut qu'elle soit assez exemplaire dans son domaine pour attirer l'oeil d'un étranger qui rejoignait les USA pour ses études de Droit - et qui accessoirement à quelque chose à se reprocher... Vous faites le rapprochement?

Je vais la faire en clair pour les plus lents d'entre vous. Serguei Davidoff a cherché à contacter les meilleurs avocats des Etats-Unis en arrivant de l'autre côté du Pacifique. Allez savoir pourquoi... En tout cas, les sérieuses références concernant Maître Ashcroft, et le suivi de quelques affaires plutôt surprenantes amenèrent le jeune homme à la contacter sans attendre. Devant un boulot encore et toujours considérable et les capacités discernables de Monsieur Davidoff, Maître Ashcroft ne négligea pas ce coup de pouce venant de nulle part. Elle ne regretta pas son choix: bosseur, minutieux, endurant, Serguei s'affirmait comme un carriériste endurci dans ce qu'il entreprenait. Mais malgré cette remarque, le Maître ne semblait pas souligner chez le jeune homme une passion des plus dévorantes. Si elle, même après plus de vingt ans dans ce monde, s'épanouissait toujours autant et avec la même verve - demandez à ses enfants - le jeune Davidoff n'exprimait pas une humeur des plus impliquées. Il ne devait juste pas être très loquace; contrairement à la jeune femme. Elle ne s'inquiéta pas plus de ne pas avoir tissé de réelles relations qui dépassaient la politesse d'usage avec lui; jusqu'à ce que justement il montra un intérêt tout particulier pour ce qu'il entreprenait. La sympathie professionnelle de Louise se teint alors d'une certaine alarme. Elle ne pouvait dire quoi exactement, mais il cachait quelque chose, et ça ne semblait pas bien net.

Sans prendre peur d'un seul coup et s'enfermer dans une psychose de cinéma, elle ne manqua pourtant pas d'en parler à Jude. Ayant su que Serguei rejoignait Berkeley à la rentrée en seconde année, elle l'informa que son deuxième fils y était aussi, lorsqu'elle ne doutait pas encore de la sincérité du jeune homme. Pourquoi s'était-il tourné vers elle, à New York, alors que n'importe quel étudiant normal et, même avec un compte en banque correct serait resté sur la côte ouest? I y avait de très bons cabinets d'avocat en Californie. Bon, ok, c'est vrai, je suis peut-être la meilleure... Hum hum! Mais ça restait peu logique, le choix d'un avocat d'un état voisin à la Californie du moins demeurait plus sensé; ou il devait être issu d'une famille particulièrement riche et avoir de la suite dans les idées. En tout cas, son fils était au parfum. Il devait se méfier du jeune homme, qui en un tour de manche avait autour de lui une aura lourde de mystères. Cela suffit à attiser l'esprit du Sigma, qui, photographe dans l'âme, ancien amateur des Tintins, et accessoirement admirateur de Veronica Mars, n'attendit pas qu'on lui demande de mener l'enquête. Bien entendu, sa mère(-poule) ne lui avait pas demandé directement et explicitement d'enquêter sur le jeune homme, même si pour le fils, une curiosité et un esprit malin réciproques le poussaient bien évidemment à le faire. C'est ainsi que, dans le secret le plus profond, il allait donc s'intéresser à ce Serguei Davidoff, si bien entendu c'était avant tout son vrai nom.

L'enquète débutait. La phase d'observation parvenait à son terme, elle ne donnait aucun résultat satisfaisant. L'objet S. - comme Jude s'amusait à l'appeler - n'avait pas une activité des plus réjouissantes et remarquables au sein du campus, du moins aux yeux de la société étudiante... Peut-être tuait-il des gens une fois la nuit tombée? Il menait peut-être une double vie? Jamais il n'aurait cru que son esprit romanesque puisse être si proche de la réalité. Ashcroft devait prendre les devants. Sa mère restait à l'arrière, prenant les traits en quelque sorte d'un informateur. Il s'imaginait alors dans un jeu d'espionnage, à la "Metal Gear Solid", ou son infiltration serait suivie par un groupe de spécialistes qui guideraient sa quête. Que voulez-vous, il a 12 ans! Mais son esprit bon enfant déchantera bien vite face à l'affaire dans laquelle il s'implique... Enfin pour le moment, il ne sait rien, et c'est bien ce qui le travaille. Il ne connait même pas sa cible. Son dossier demeurait bien lacuneux. La moindre découverte devenait un trésor rare, une relique précieuse potentiellement élémentaire. C'est aussi ce qui menait notre bonhomme dans les pires mises en scène pour tenter d'apprendre n'importe quoi.

Mardi - 01:19 p.m. Serguei Davidoff est à la cafétéria, évènement remarquable par son originalité: c'était bien la toute première fois - et sans doute la dernière - qu'il daignait manger au milieu de cette masse d'hormones sales. Jude avait eu un coup de pouce du destin sur ce coup là: ayant terminé les cours à la même heure, il avait aussi rejoint la cafétéria relativement au même moment, lui permettant d'observer les moindres faits et gestes de sa cible. Steak, frites, tarte aux fraises, eau pétillante. Repas tout ce qu'il y a de plus banal. Le Sigma ne pouvait pas non plus analyser le moindre choix comme un indice révélateur. S. semblait afficher la même figure constamment, cette face grave et sérieuse, presque solennelle si elle n'impressionnait pas par sa sévérité triste. Jamais Jude n'avait pu être spectateur d'un changement d'émotion vif chez le russe. Et c'est aussi ce constat qui l'amena vers cette chose stupide qu'il s'apprêtait à faire dans à peine quelques instants. Il avait un plan; risqué, puéril, inconscient et bateau, mais...il pouvait fonctionner, et lui apporter plus de réponses qu'il n'en demandait.

Jude n'avait pas quitté des yeux sa proie d'un bout à l'autre du déjeuner, laissant totalement planer les paroles d'Otto autour de lui, sans en retenir grand chose. D'un seul coup, Jude bondit pour se mettre à la hauteur de S., lorsqu'il se levait alors pour poser son plateau et enfin sortir de la cafétéria polluée. Avec la bêtise la plus hypocrite possible, Jude feignit de trébucher bêtement pour laisser s'écraser les restes de son déjeuner - comprenez un repas presque complet composé des mets les plus salissants du menu du jour: part de pizza, frites/ketchup, yaourt aux fruits à peine entamé, brique de lait chocolaté pleine mais bien sûr ouverte - sur un Serguei encore ahuri aujourd'hui devant pareille maladresse chaplinesque. La scène comique ne put échapper bien entendu aux regards de toute l'assemblée en train de se sustenter ou dans la file d'attente du réfectoire. Au milieu de certains éclats de rire et chuchotements désagréables faussement retenus, Jude se releva avec l'air le plus penaud possible. Prenant les traits d'un gosse confus après une bêtise qui l'étonne lui-même, il s'excusa platement, et entre mille courbettes, laissa entendre qu'il avait un T-shirt à donner à celui qu'il avait offensé, ne pouvant décemment le laisser dans pareille tenue.

En effet, il n'avait pas raté son coup, le T-shirt, de couleur claire en plus, n'avait pas été épargné par toute la méchanceté du plateau de Jude, pour le plus grand plaisir de ce-dernier. Il souligna à Serguei de juste le suivre jusqu'à son casier pour qu'il change de T-shirt, que ça ne prendrait qu'une minute, qu'il lui devait bien ça. Le russe acquiesça, n'imaginant pas tout le manège alors monté par le Sigma, et désirant plus que tout sortir du zoo que représentait alors le restaurant universitaire. Otto était resté à sa table, totalement interloqué par ce qui venait de se passer sous ses yeux, n'ayant pas compris une seule seconde pourquoi Jude s'était levé ainsi, pourquoi il était si bizarre depuis quelques temps et surtout depuis qu'ils étaient entrés dans la cafétéria ce midi, et comment il avait pu être si maladroit... En attendant, Jude souriait intérieurement alors qu'ils traversaient les couloirs vers son casier, voyant là une voie certaine vers quelques informations sur ce Serguei Davidoff.

_ Tu t'appelles Serguei c'est bien ça...? Serguei Davidoff si je ne me trompe pas...? Oui, ça va te paraitre étrange je sais, mais on m'a parlé de toi... Brièvement, ne t'inquiète pas, on ne m'a rien dit de bien précis... Il resta quelques instants en silence. Il marchait devant. C'est parce que tu viens de Russie... Otchène rada poznakomitssia. J'ai de la famille russe moi-aussi... Quelques pas. Jude fronce légèrement les sourcils d'un air interrogateur. ... Davidoff, c'est assez marrant, c'est la marque de mes cigarettes, ça a un quelconque lien?

oui, je le déplace corbeille RP ;)