Les convenances, mon père tenait tellement à ce que je les respecte qu'elles étaient devenues bien plus un rythme de vie qu'autre chose pour moi. Je n'étais pas ce qu'on appellerait un habitué pour ce qui était de déroger à mon éducation, tout au contraire j'y étais particulièrement attaché et j'y tenais particulièrement, cependant il fallait bien avoué que outre les convenances, j'aimais joué. J'avais toujours été comme ça, je suppose que ça doit venir de mon amour, et celui de mon père, pour la bourse. Les jeux boursiers si l'on peut dire ainsi était une histoire de famille qui finalement se passaient plutôt bien pour mon père et moi jusqu'à aujourd'hui. Lui et moi avions misé notre fortune et notre argent sur la bourse et cela nous avait réussi de forte belle façon. J'étais dans une Université prestigieuse, riche et n'ayant plus besoin de mes parents. Lui était riche et aspirait à toujours plus de richesse, il habitait une maison qui tenait du manoir et il avait une vie que bien des rois, parmi les plus riches, lui auraient envié sans aucune hésitation. Non mon père et moi étions des Mozart de la bourse, nous nous apparentions peut-être plus à des Rocky Balboa puisque nous prenions des risques, mais nous étions la crème de la bourse. En tous les cas à notre échelle personnelle, nous ne vendions pas nos talents et savoirs, c'était peut-être une forme de respect, ou peut-être simplement une forme de cupidité puisque plus pour moi signifie moins pour eux !

Cependant une différence importante me distinguait de mon père, lui vivait pour l'argent tandis que je vivais par l'argent. Il cumulait des richesses, les capitalisant sans les dépenser, et il vivait pour accroitre cette somme qu'il avait cumuler. J'avais des richesses et j'en avais capitaliser, cependant mes investissements n'étaient pas là pour être capitalisés dans un but d'arrogance, mais pour être utilisé. Mes placements suffisaient à compenser mes dépenses, parfois dépassant même ce solde, je m'en sortais parfaitement bien, mais je ne voulais pas devenir le plus riche. Je n'aspirais pas à la richesse la plus dominante du monde, je voulais de la simplicité. Facile à dire quand votre compte en banque affiche huit chiffres et vous avez raison, cette somme qu'indique mon compte aide énormément. Cependant, il ne fallait pas s'y méprendre, je n'avais pas gagné cet argent à la sueur de mon front, mais j'avais fais un pari pas des plus risqués, mais j'avais pris un risque. Payant comme il aurait très bien pu se vouloir particulièrement mauvais. Ma vie me plaisait telle qu'elle était en l'instant, devrais-je donc m'en plaindre ? Un regard pour cette jeune femme face à moi et je me dis que « non », je n'étais définitivement pas à plaindre, surtout en cet instant. Reprenant de mon ton calme et posé, toujours sur un rythme et une intonation parfaitement monotone:

- Le but était justement de ne pas se présenter véritablement, mais puisque vous l'avez fais, je me prénomme Richard et je suis originaire de Chicago. C'était très bien pour une première je trouve, tu as fais l'effort de jouer le jeu, c'est beaucoup trop en demander à certains. Vois-tu, nous savons l'un comme l'autre que nous ne sommes pas présent sur une bourse. Seulement beaucoup de personnes ici pensent être tellement meilleurs parce qu'ils n'ont pas besoin de bourses. Ce que j'aime c'est que ces gens présents sur une bourse ne se prennent pas la tête pour des histoires d'argent ou de classes sociales, ils se contente d'être eux, parfois tentant de tricher, rarement avec succès. La simplicité a ce côté agréable qu'elle est simple et elle fait beaucoup de bien dans des vies souvent bien trop compliquées. En tous les cas mademoiselle Avery, je ne peux que m'avouer charmé de te rencontrer, ce compliment doit perdre de sa force tant tu dois l'avoir entendu mais permets-moi de te dire que tu es des plus ravissantes...

Etre et ne pas paraitre était quelque chose que peu de personnes semblaient pratiquer ici à Berkeley. En tous les cas, ceux qui vraiment étaient riches ne se cachaient pas de qui ils étaient, ils profitaient de leur nom, de leur richesse, toujours dans ce même but que d'être connus et surtout reconnus. Pourtant vous avouerez que c'était ridicule, les gens finissent toujours par vous apprécier pour ce que vous avez et non pour ce que vous êtes véritablement, nous portions tous des masques, pas toujours bien sûr, il y avait des personnes avec qui on était honnête. Avec d'autres personnes en revanche, aucune intention d'être honnête, c'est même tout l'inverse et enfin il y avait encore un dernier genre, les personnes avec qui l'on veut être honnête, mais avec qui on a peur de l'être. Je n'avais pas peur d'être honnête, je ne l'étais jamais avec personne, il suffisait que je dise m'appeler « Richard Ness » pour déjà mentir. Ness était bien mon nom de famille, mais j'en avais changé, mon premier, celui sous lequel j'étais né et j'avais grandis était Brooks. Alors même en étant honnête avec les gens, je ne l'étais jamais véritablement quand il fallait parler de nos identités respectives. Ce qui différenciait Richard Brooks et Richard Ness, c'était la présence d'un père pour dicter la conduite et cela se sentait en cet instant puisque la demoiselle et moi étions dans un petit jeu, que j'avais moi-même proposé, où les convenances étaient pour une fois mises de côté. D'autant qu'il fallait l'avouer, en présence de cette jeune femme, je ne pouvais être que ravi, elle était plutôt jolie femme et elle osait se prêter au jeu, ce qui déjà la valorisait à mes yeux un peu plus que la moyenne des personnes.

Ce que j'espérais dans ce petit jeu ? Absolument rien sinon de faire une rencontre des plus simples avec la demoiselle, je savais que je ne montrais jamais ce que je ressentais et que mon ton parfaitement monotone ne trahissait pas de sentiments, comme d'ailleurs cette façon que j'avais de prendre des décisions dénuées de sentiments. C'était une façon de faire et de vivre que certains psychologues en herbe de Berkeley définiraient surement comme un moyen de protection. Cependant rien n'était plus éloigné de la vérité car en vérité ce n'était que la résultante d'une éducation stricte et punitive. J'avais grandis en apprenant à laisser mes sentiments de côté autant que faire se pouvait. Au point que aujourd'hui je ne les laissais plus s'exprimer. Le problème des sentiments est de mettre du gris dans la vie, ni vraiment bon, ni vraiment mauvais, des nuances de gris que je n'avais jamais appris à percevoir, aussi je préférais les ignorer. Je faisais du noir avec du gris foncé et du blanc avec du gris clair. Parfois je faisais du noir avec du gris clair également, tout dépendait mon humeur. La jeune femme eut un compliment sur mon prénom disant que ça faisait gentleman et je lui adressais un remerciement sous la forme d'un petit hochement de tête. Elle m'expliqua qu'elle trouvait que ça faisait trop prétentieux de dire « je sais » à mon compliment, parfaitement véridique, sur sa beauté. Elle bredouilla une réponse qui prenait forme d'un « merci » faussement hésitant mais qui ne me laissait pas sans me faire sourire. Puis elle m'expliqua qu'elle n'était pas faussement du genre prétentieuse, que c'était là tout ce qu'elle avait connu. Je lui souris en lui répondant, toujours aussi détaché et monotone:

- Alors tu as pris l'habitude d'être prétentieuse parce que tu n'as connu que cela ? Voilà qui est chose intéressante, c'est donc d'autant plus sympathique de ta part que de jouer le jeu de ne pas dire ton identité ou ce que tu possèdes. J'imagine qu'il suffirait que je sache ton nom pour comprendre, mais j'aime que ce ne soit pas le cas. Beaucoup de gens dans cette société s'enfonce dans un sordide besoin de paraître et dans une routine habituelle et sécurisante. Le principe de l'Homme est d'évoluer, de ne pas se cloitrer à ce qu'il croit, ou croit savoir, mais de découvrir et voir de nouvelles choses. Aussi cette expérience ne pourra être que bénéfique pour toi, tu pourras te poser des questions comme par exemple « que suis-je sans mon nom ? Que puis-je offrir à cette personne autour de moi pour avoir son attention ? » Je pourrais parler de mes réussites et tu pourrais me parler des tiennes, mais cela nous ramènerait à parler de nos possessions. Alors parlons plutôt de ce qui nous a fais nous. Mon père était autoritaire, très éducateur, il tenait vraiment à m'éduquer selon la façon dont il l'entendait et il pouvait lui arriver d'être violent. Ma mère n'a jamais su m'aimer comme j'aurais eu besoin qu'elle le fasse, pas parce qu'elle ne m'aimait pas, mais parce qu'elle n'a jamais su le montrer. Et pour toi ?

Je ne parlais pas de ma soeur, je n'aurais su comment parler d'elle en disant précisément ce que je ressentais, alors je passais ce sujet sous silence, tout en continuant d'avoir ce petit sourire qui visait à mettre en confiance la demoiselle...