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| Sujet: we agreed to love each other madly. (lola) Lun 7 Sep - 23:19 | |
| Octobre 2011. Il a pris la route. Un beau matin d'août, il s'est tiré de chez lui sans prévenir personne, il a quitté le monde de l'opulence, le monde des étiquettes, des ragots, de la superficialité. Il en rêvait depuis toujours ou presque, depuis que ses doigts s'étaient refermés sur un livre qu'il n'avait alors plus jamais quitté. Plus d'une fois, il s'était surpris à prendre le large, avec en tout et pour tout un sac à dos contenant des clopes, son bouquin, un carnet et un stylo pour écrire ce qui lui passerait sur la tête. Il n'avait pas pu s'y résoudre. Chaque fois qu'il préparait son départ, quelque chose venait inévitablement l'en empêcher. C'était un trouillard, Holden, un putain de trouillard, un lâche qui cherchait la moindre occasion pour se défiler. Il avait toujours eu la sensation étrange de ne pas être né ni au bon endroit, ni à la bonne époque. Et puis un jour, il a plus eu envie d'être un trouillard. Il a eu envie de vivre, pour la première fois de sa vie, quelque chose qui n'aurait pas été factice, construit de toute pièce par l'univers dans lequel il a grandi. Quelque chose de vrai, quelque chose d'authentique, d'intense, tout un pan de vie à créer dans lequel il ne serait qu'Holden, ou peut-être même personne. Parce que sur la route, on se fout de votre nom ou de votre origine, on se fout que vous ayez un compte en banque à faire pleurer la Somalie ou pas une thune. Là-bas, ça n'a pas d'importance. Vous n'êtes personne, et vous êtes tout le monde à la fois. Vous vous réinventez au rythme des rencontres qui ponctuent votre parcours, au rythme des aventures effrénées que vous réserve le Grand Ouest. C'était ça qu'il voulait vivre, Holden. La passion de l'inconnu, le moment présent dont on l'a toujours privé parce qu'il fallait penser à l'avenir. Ca fait trois mois maintenant qu'il a mis les voiles, mais la vérité c'est qu'il a perdu la notion du temps. Il s'est arrêté au même moment que la montre héritée de son grand-père, peu de temps après son départ. Il sait pas quel jour il est, encore moins l'heure, même pas le mois. Il sait pas ce qui se passe dans le reste du monde et il s'en fout. Par contre, il sait où il est, un endroit paumé à proximité de l'Utah, où y a pas âme qui vive. Son dernier compagnon de route l'a lâché à des centaines de kilomètres au nord de la route 66, paraît qu'il avait une urgence, sa nana en train d'accoucher, il sait plus trop. Il s'est mis à marcher, sous le soleil écrasant et la chaleur étouffante, sans trop savoir où aller. Pour la première fois, il a senti une espèce de peur sourde, viscérale, enserrer son être tout entier. La peur du lendemain. C'est con, parce qu'il a toujours cru qu'il pouvait se contenter de vivre au jour le jour, qu'il se réjouirait de l'inconnu, mais faut croire que son monde a toujours été trop bien tracé pour vaciller comme ça, du jour au lendemain. Il attend un signe du destin, Holden, un truc, n'importe quoi qui le convainque que c'est ici que se trouve sa place. Le signe prend la forme d'une station service qu'il voit se dessiner le long d'une route déserte – pas une bagnole depuis quatre heures qu'il marche – et qui a un goût d'oasis. De l'eau, de la nourriture et l'espoir de tomber sur quelqu'un qui pourra peut-être le guider. Il a eu les trois. Jack, le pompiste, avec une clope pendant dangereusement entre ses lèvres, lui a dit qu'il y avait une petite ville pas trop loin, je te dépose si tu veux mec, c'est pas comme si y avait beaucoup de clients, puis Nancy peut tenir la maison, pas vrai Nancy ? Holden a dit oui, docilement avant de s'acheter une bouteille d'eau et un sachet de Cheetos au fromage. C'est le seul truc qui avait l'air décent, dans la station-essence. Jack l'a déposé au bout d'une heure de route (de quoi faire repenser le concept de 'pas trop loin') et s'est tiré en sens inverse sans rien demander d'autre. C'est le truc qui l'a le plus surpris, Holden. Il est pas habitué à la spontanéité, s'attend toujours à ce qu'on lui demande un truc en retour, mais non. Les gens, là-bas, s'en foutent complètement. En guise de ville, il ne trouve rien d'autre qu'un assemblage discordant de baraques en bois, alignées les unes à côté des autres. Un peu plus loin, ce qu'il suppose être le bar du coin, et probablement quelques chambres pour dormir s'il a de la chance. Ca a pas le charme d'un motel, mais c'est toujours mieux que rien. Il y a de la musique qui s'élève, un vague air de county qu'il reconnaît pas et spontanément, il s'approche de l'endroit un peu miteux. La nuit s'apprête à tomber, le soleil se pare d'éclats sanglants et bientôt, il n'y aura plus que la lueur de la lune pour l'éclairer. A l'intérieur du bar, c'est animé. Sans doute que c'est toujours comme ça, ici, parce que y a pas grand-chose d'autre à faire. Plusieurs fois, il s'est demandé comment ils faisaient pour vivre, quel boulot ils pouvaient bien avoir, et puis il s'est rappelé qu'ici, ça n'a pas d'importance comme tu vis. L'argent n'a pas d'importance. Le moment présent, seulement le moment présent. Il se dirige sans hésiter vers le comptoir, commande une bière, observe la faune locale. Eux aussi, ils sont discordants. Des jeunes, des moins jeunes, blancs ou ridés par le soleil qui meurt jamais, mais ils ont tous quelque chose de commun, qui les relie les uns aux autres comme un bien étrange fil d'Ariane. Il arrive pas à dire ce que c'est précisément, il peut pas mettre le doigt dessus, mais il sait qu'ils sont à leur place ici. Et lui aussi, il l'est. Instinctivement, sa main tâtonne pour sortir son carnet de route qui ne l'a pas quitté depuis le départ. Il est jauni, bruni là où ses clopes sont tombées, un peu abimé par des relents de whisky, de vodka, de bière, c'est le carnet d'un mec qui a tout vu, tout vécu. Il le chérit comme le plus précieux des trésors et se replonge avidement dans les passages écrits la veille. Il sait pas combien de temps il reste là, à lire et relire, corriger, raturer, rectifier, tout ce qu'il sait c'est que la nuit est bel et bien tombée quand il relève enfin la tête. La clameur s'est intensifiée, et un coup d'oeil lui permet d'en deviner l'origine. Une bande de jeunes a débarqué dans le bar, et ils ont été accueillis comme des rois par les piliers de comptoir. Quatre mecs et au milieu, une nana sortie de nulle part. Il va pour détourner la tête, mais son regard croise le sien. C'est un regard étrange, profond, comme si elle cherchait à lire dans son esprit et pas seulement à le regarder. C'est pas un regard de curiosité, ou plutôt si, mais trop long pour être innocent. La bande s'approche du comptoir, et en quelques instants elle est là, juste à côté de lui, dans un short en jean effilé et un débardeur. Pas de soutien-gorge, constate son œil avisé de mec. Il pensait qu'elle allait l'ignorer, après son inspection, mais à l'instant même où ses coudes s'appuient sur le bois, elle tourne la tête vers lui avec un sourire en coin. Il le sait pas encore, Holden, mais cette fille-là, c'est le signe qu'il attendait. La station-essence, c'était qu'un avant-goût, les prémices d'une histoire d'une toute autre envergure. « Je m'appelle Holden. » 2000 pour nos clochards célestes. |
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