Cassandre en a eu assez, assez de voir son visage à longueur de temps. De le voir quand elle rentre de la piscine, de le voir quand elle sort de la salle de bains, de le voir au réveil. Elle ne supporte plus, et elle a besoin d'évacuer, de se sortir ses boucles brunes de l'esprit, et son sourire malicieux, comme s'il se croyait supérieur. Cassandre ne veut plus entendre parler de lui, elle ne veut pas savoir ce qu'il a fait la veille, ou qui il a côtoyé, elle ne veut pas entendre ses explications concernant les paroles qu'il a eues à son visage. Elle désire simplement qu'il disparaisse purement et simplement de son champ de vision, et de ses pensées. Alors, elle s'est tirée Cassandre. Elle n'a pas dit un mot, elle s'est juste levée de son lit sans lui accorder un regard, et a claqué la porte derrière elle. Tout, plutôt que Levy. Elle se hâte dans les rues de la Grèce, sans regarder le dédale des rues qu'elle parcourt, la nuit commence à tomber, mais elle n'en à que faire. Tout, plutôt que Levy. Elle ne s'inquiète pas de l'heure qui passe, elle ne se soucie pas de s'éloigner de l'hôtel, tout ce qu'elle cherche à faire, Cassandre, c'est mettre le plus de distance entre le jeune homme et elle. Elle arrive à se débrouiller pour commander une glace à force de gestes approximatifs, elle parvient à rejoindre une belle plage sur laquelle elle se laisse envahir par le bruit des vagues, et le sable glissant sous ses pieds. Rien ne peut ternir ce paysage, rien ne peut abîmer cette vision édulcorée du monde. Elle finit par s'asseoir sur le sable, seule. Cassandre n'a jamais été effrayée par la solitude, bien au contraire, car bien qu'elle soit toujours entourée, elle sait que tout cela est bien souvent factice. Les sourires sont souvent faux, et les paroles vides de sens. Quand elle est seule, elle peut réfléchir, ou se vider l'esprit, elle peut se poser les bonnes questions, faire un retour sur les événements passés, se ressourcer. Il n'y a rien de mieux que la solitude finalement, et elle chérit ces instants, Cassandre, car elle les sait rares et importants. Alors, elle se laisse envahir par ce qui l'entoure, le bruit de l'eau apaisant, la brise fraîche reposante, la chaleur du sable rassurante, et elle ne compte plus les minutes qui passent, elle oublie le visage de Levy, et celui de tous les autres. Il n'y a qu'elle face à l'immensité de la mer. Et ça lui suffit. Pourtant, le temps la rattrape vite, et quand elle rouvre les paupières, la nuit est noire dans le ciel, et le temps s'est rafraîchi. Elle sait que le moment de rentrer est arrivé, il ne lui reste qu'à retourner à l'hôtel, et se glisser dans ses draps sans un regard vers le jeune homme, et déjà ce jour serait derrière elle. Elle commence à avancer, Cassandre, tranquillement mais sûrement, ayant une maigre idée du chemin qu'il lui fallait prendre. Et bien vite, la certitude qu'elle s'est perdue s'installe en elle. Elle ne reconnaît aucun bâtiment, aucune adresse. Elle ne sait simplement pas où elle se trouve, et la panique commence à s'emparer de la brune. Elle tente d'aborder quelques groupes de jeunes qui ne la comprennent pas le moins du monde, elle qui ne baragouine pas un seul mot de grec. Elle essaie de trouver le nom de son hôtel sur des panneaux, mais rien n'y fait, Cassandre est simplement perdue, comme une pauvre conne. Et elle s'imagine tout type de scénarios dès qu'elle entend un bruit, dès qu'elle voit une ombre. Son esprit est pris d'une paranoïa qu'elle ne se connaissait pas. Elle décide de fouiller dans son sac à main à la recherche d'une adresse, et elle ne trouve qu'un numéro de téléphone griffonné rapidement sur une serviette en papier. Le numéro de sa chambre. Elle soupire, le range, secoue vivement la tête, le ressort, soupire de nouveau, et finit par le taper sur le clavier de son téléphone. Elle sait qui va décrocher, elle sait qu'elle va reconnaître cette voix pour l'avoir entendue maintes et maintes fois. Et d'un côté, elle prie pour qu'il dorme et ne réponde pas, de l'autre côté, elle espère qu'il pourra venir la sortir de ce pétrin dans lequel elle s'est fourrée seulement pour pouvoir l'éviter. Enfin, après quelques sonneries, elle entend la voix ensommeillée de Levy, et un poids se détache finalement de ses épaules. Il ne peut pas la laisser crever sur le bas-côté, il ne va pas le faire. Pourtant, un doute demeure dans son esprit alors qu'elle ouvre la bouche : « Levy, c’est Cassandre, comment dire… Je me suis perdue, et évidemment je ne peux contacter que toi. Crois-moi bien que je me serai débrouillée autrement si j’avais pu. Tu pourrais avoir l’amabilité de venir me chercher ? » Pas de s’il te plaît, pas de gentillesse mielleuse que personne ne lui connaît, et qu’elle ne feindra pas avec lui. Même si elle est perdue au milieu de nulle part, il ne mérite pas ça, il ne mérite aucune sympathie, aucun faux-semblant. Levy est un con, et elle préférerait presque se laisser mourir ici plutôt que de demander son aide. Pourtant, elle a su mettre sa fierté de côté, parce qu’elle est exténuée, et qu’elle sait que, de jour comme de nuit, elle ne retrouvera pas sa route. « Tu me dois bien ça, je pense. »

Quelle plaie. Ces vacances sont une belle arnaque. Alors d'accord la résidence est plutôt jolie, la piscine agréable et le soleil est au rendez-vous mais le fait de ne pas choisir avec qui l'on va partager sa chambre et ce pendant tout le durée du séjour, est une belle connerie. Moi qui avait peur de me retrouver avec un parfait inconnu, le résultat final est bien pire : Cassandre. De toutes les personnes présentes en Grèce, c'était le nom que je redoutais le plus d'entendre. A croire que c'est le Karma qui me rit au nez encore une fois. Ou le destin qui me torture encore et encore. Ou peut-être tout simplement que c'est de la malchance pure et simple. Quelques jours, à peine quelques jours que nous partageons cette chambre qui à première vue semble plutôt grande mais qui est bien trop microscopique pour un couple d'individu se détestant. Il n'y a eu aucune dispute entre nous. Nous nous contentons de nous ignorer et de nous lancer des regards désapprobateurs quand l'un à le malheur de s'approcher trop près de l'autre. Je passe mes journées dans la piscine et Cassandre passe ses journées à explorer Athènes, si bien que nous ne nous croisons que le soir quand vient le moment de se mettre au lit. Là encore, aucune parole n'est échangée. Personne ne raconte sa journée à l'autre, aucun ne formule des politesses. C'est le néant entre nous. C'est comme un jeu du silence qui n'en finit plus de se jouer. Le premier qui s'adresse à l'autre a perdu. Alors on se tait. Ce jeu ne connaît aucun gagnant, seulement deux perdants. Il est tard et je suis exténué. J'ai trainé au bar de l’hôtel avec quelques amis de ma confrérie. J'ai fait exprès d'y rester plus longtemps que prévu,  pour éviter le moment gênant où je croise Cassandre tous les soirs. Lorsque j'arrive dans la chambre en commun, je suis surpris de ne pas l'y trouver. Je prends une douche rapide et me glisse dans les draps. Je fixe le plafond pendant quelques temps, me demandant pourquoi elle n'est pas rentrée ce soir. Peut-être dort-elle chez une copine. Bien, c'est tout ce que je lui souhaite et surtout ce que je me souhaite. Je finis par m'endormir quelques minutes plus tard, avant d'être réveillé par le bruit du téléphone. J'attrape le combiner tout en grommelant des paroles incompréhensibles. Cassandre est au bout du fil et il faut un peu de temps à mon cerveau endormi pour comprendre sa requête. J'ai vraiment envie de lui rire au nez et de raccrocher avant de me rendormir. Juste histoire de lui prouver que je suis bien le connard qu'elle pense que je suis. « Première parole que tu m'adresses de tout le séjour et tu me demandes de l'aide. J'apprécie le comique de la situation. » Je lui réponds sur un ton sarcastique qu'elle me connait trop bien. J'ai envie de la faire poireauter, de lui donner l'impression que je ne viendrais pas la chercher et qu'elle va croupir toute la nuit où elle se trouve. Moi seul peut lui venir en aide ce soir et c'est tout à fait jouissif. Elle s'empresse d'ajouter que je lui dois bien et je ne peux m'empêcher de rouler des yeux. Non, je ne lui dois rien. Je ne dois rien à personne. Je suis ici pour passer du bon temps et non pas pour jouer au taxis d'une fille qui n'a pas adressé la parole en un an. « Tu m'as réveillé. » Je lui reproche finalement, comme si à ce moment là c'était le pire dans la situation. Et puis je me dis qu'elle me déteste et que si elle m'appelle c'est que vraiment la situation est désespérée pour elle et qu'elle pourrait se trouver dans une ruelle peu fréquentable. « Sache que je ne te dois rien, je viens te chercher simplement parce que je ne suis pas aussi con que tu peux le penser. » Et sur ce j'écoute le descriptif d'où elle se trouve avant de raccrocher. J'ai un sens de l’orientation plutôt bon mais les rues d'Athènes se ressemblent toutes. C'est à pied que je pars à sa recherche, une carte en main. Il est inutile de prendre un taxi puisque les routes sont impraticables sur les hauteurs de la ville. Nous devons tout faire à pied ou au mieux en bicyclette mais je ne suis pas ce genre de type à me promener à bicyclette, il me reste tout de même un minimum de fierté. Alors je marche encore et toujours et j'ai l'impression d'être perdu moi aussi. Je tourne et retourne la carte avant de me rendre compte que je ne sais même plus où est-ce que je me trouve. Tout autour de moi est fermé et il n'y a personne à qui demander mon chemin. Alors je maudis très fort Cassandre. Ça m'apprendra à faire le bon samaritain. Je continue d'avancer malgré tout, me souvenant de ce proverbe qui énonce que tous les chemins mènent à Rome. Tant pis pour Cassandre, j'aurai essayé mais là je rentre à l’hôtel. Et finalement c'est au moment où j'arrête de la chercher que je la trouve assise près d'une fontaine. Je traîne des pieds en allant la retrouver. J'ai honte de lui avouer qu'en la trouvant je me suis perdu moi-même. Je vois déjà son visage soulagé qui me regarde, pensant probablement que je vais la ramener en lieu sûr. « Bon, comment te dire .. Je savais exactement où j'étais et où j'allais mais maintenant j'en ais plus aucune idée. » Main derrière la tête, penaud, je débite mon texte. Je sens qu'elle va me crier dessus, comme si c'était de ma faute. Je m'assois au niveau de la fontaine sans la regarder. Je ne sais pas combien de kilomètres j'ai marché mais je me sens exténuer. Encore plus, quand je comprends que maintenant que nous sommes perdus nous allons avoir cette conversation que nous aurions du avoir il y a des mois déjà. « Fait chier. » Fait chier d'être perdu, fait chier d'être perdu avec Cassandre, fait chier d'être en Grèce, Fait chier, tout simplement.