Aylen détestait se retrouver dans ce genre de situation. Ces moments où comme un enfant qui a fait une bêtise, elle doit avouer qu'elle a fait quelque chose qu'elle n'était pas censée faire. Ou dans le cas présent, entendre quelque chose qu'elle n'aurait pas du. Elle se sentait très mal à l'aise, et une bouffée de chaleur l’envahi lorsqu’elle entendit la voix de Shannon dans la cantine. Aylie essaya de se remémorer exactement ce qui c’était passé pour ne pas perdre de temps devant son aînée.
Elle était dans les toilettes, faisant ce qu’elle avait à faire, quand une jeune fille blonde était entrée. Celle-ci avait l’air bizarre, inquiète, alors Aylen avait décidé de rester dans la cabine sans déranger l’étudiante qui parlait rapidement au téléphone. La jeune brune ne comprenait pas vraiment de quoi sa camarade parlait, mais bientôt les pièces du puzzle prirent forme dans son cerveau. Un homme, proche d’elle, était en prison. D’après ce qu’elle avait entendu, il avait était arrêté depuis bon nombre d’années pour maltraitance d’enfant, et abus sexuel. Très vite, Aylie comprit que la victime de cet homme n’était autre que la jeune fille parlant au téléphone. Celle-ci était sortie des toilettes tout de suite après avoir raccroché. Aylen réalisa qu’elle venait d’apprendre un secret familial de sa camarade. Elle se sentait mal, comme si elle avait trahi sa confiance sans même la connaître. Quelques jours après, elle se dit qu’elle devait avouer à cette fille qu’elle avait entendu quelque chose qu’elle n’aurait pas dû.
Aylen secoua la tête pour se ramener à la réalité. La blonde était là, à quelques mètres d’elle, et elle devait faire sa confession. La brunette inspira un grand coup et se dirigea vers la table où la jeune fille était assise avec ses amis. Elle se racla la gorge avant de parler.
« Hum. Excuse-moi. » Aylie lui tapota gentiment l’épaule de son index. « Euh est-ce que je pourrai te parler ? » Elle jeta un coup d’œil aux autres personnes à la table. « En privé. » Finit-elle alors qu’un des garçons devant elle haussa les sourcils de façon provoquante.
La cheerleader roula des yeux. Ils étaient tous pareils, et elle trouvait ça parfaitement exaspérant. Elle commença à marcher vers un endroit où elles seraient seules ; le derrière d’un grand arbre, à l’ombre, fera l’affaire. Elle espérait que la jolie blonde la suivrait, même si au fond, elle ne voulait pas du tout avoir cette future conversation.
Aylen s’arrêta derrière l’arbre, et se tortilla les doigts comme elle faisait quand elle était stressée ou inquiète.
Elle se mit en face de sa camarade et commença son récit en regardant ses pieds. « Voilà hum. Il y a deux-trois semaines, tu es venue dans les toilettes en parlant au téléphone. J-j’y étais déjà, je ne voulais pas écouter ta conversation avec cet homme, c’était vraiment pas mon intention ! » Elle avait l’impression qu’elle allait beaucoup regretter d’avoir eu cette stupide idée. Elle aurait du le garder pour elle et basta. Mais il était trop tard pour faire marche arrière. « Ce que je veux dire, c’est que si tu veux en parler, ou si tu as besoin d’aide, enfin je n’sais pas, t-tu peux toujours toquer à ma porte. Avant que tu t’énerves et commence à me crier dessus, sache que personne ne sera au courant, je ne dirai à personne, je te le promets ! Ce n’est pas quelque chose qu’on déballe comme ça devant les gens après tout… » Sa voix devenait de plus en plus basse mais maintenant ses yeux fixaient les pupilles de la jeune blonde.
Elle priait les dieux pour que la colère de celle-ci ne lui tombe pas dessus comme un ouragan…

Le sourire qu’elle m’adressa lorsqu’elle se leva de la table me surpris. Après tout elle ne me connaissait pas, je pense même qu’elle aurait dû se méfier de moi ou quelque chose du style. Mais non, elle avait l’air aimable, gentille. Pendant que je parlais, elle semblait ne pas comprendre que je savais quelque chose d’important de sa vie, quelque chose que peut-être même ses amis à la table ne savaient pas. Elle m’écouta tout de même tout le long sans dire un mot et fronçais les sourcils de temps à autre.
Quand je lui proposai « ma porte » pour aussi dire, elle eu un petit ricanement. Je trouvai tout de suite ma phrase bête et stupide. Je ne connaissais même pas son nom ! C’était pareil dans son cas je pense, étant donné que je suis quelqu’un qui reste plutôt tout seul et n’attire pas les problèmes. Ou du moins c’était comme ça jusqu'à maintenant... Elle me fit une remarque que j’aurai du prévoir avant de lui proposer mon aide : celle qu’on ne se connaissait pas et que par ailleurs, elle n’avait pas à se confier à une inconnue. Malgré ça, elle me lança un sourire amicale que je lu comme une sorte de « merci quand même », mais je pense que c’était surtout pour me réconforter moi-même.
Elle croisa les bras toujours en me regardant, comme si elle attendait à ce que je rajoute quelque chose. Dans ma tête je vérifiai si j’avais bien tout dit ; j’eu un hochement positif, comme pour lui dire que c’était bon. Quand elle compris que j’avais fini, je remarquai une lueur de curiosité sur son visage, comme si elle voulait savoir de quoi exactement est-ce que je parlais même si elle n’était pas sûre de vouloir être au courant. Elle regarda autour d’elle-même, un air concentré dans ses yeux. Je me demandai à quoi elle pensait, mais je ne dis rien. C’était assez compliqué comme ça. En la regardant plus intensément, je vu dans son expression que c’était comme si elle voulait dire quelque chose mais qu’elle avait peur de faire une gaffe. Je penchai la tête sur le côté la laissant réfléchir. Quand elle prit enfin la parole elle me regardait toujours, me demandant ce que j’avais entendu exactement lorsque j’étais dans les toilettes il y a trois semaines. Elle n’avait pas l’air convaincue jusqu’à maintenant. Et elle me le fit savoir encore plus lorsqu’elle me dit que je m’étais peut-être trompée de personne, que j’avais entendu quelqu’un d’autre. Pendant quelques brèves secondes, cette possibilité envahi mon corps et je me sentis encore plus stupide. Je secouai la tête à nouveau. Non c’était elle j’en étais sûre ! Je n’attendis pas plus longtemps. « Cet homme. Je ne sais pas son nom, mais il t’a battu quand tu étais petite. » Je fis une pause n’étant pas sûre si je devais continuer l’élan de ma pensée. Mais j’avais commencé, alors il fallait que je finisse. « Il a abusé de toi, et il est en prison maintenant. » Je guettai son expression, observant les moindres changements de traits.
Je me rendis vite compte que j’étais allée trop vite, que j’avais été trop brusque. Après tout des choses comme ça traumatisent les personnes jusqu’à leur plus vieil âge. Je me tapais le front mentalement, maudissant ce manque de tact. Je lui lançais un regard doux et désolé en espérant qu’elle réussisse à me pardonner. « Excuse-moi… Je ne voulais pas que ça sorte comme ça. » La prochaine fois que je dois annoncer une chose du genre à quelqu’un, je tâcherai de tenir ma langue, ou du moins de la faire parler plus lentement.

J’ai connu une personne ayant vécu quelque chose de ce genre. Ma mère. C’était son beau-père à elle aussi ; ma grand-mère refusait de croire ma mère et prenait toujours la défense de son second époux. Mais un jour où ma mère se faisait battre pour la énième fois par ce monstre, ma grand-mère rentra plus tôt que prévu. Elle le prit « en pleine action ». Il fut envoyé en prison où il mourut peu après ma naissance. Même si ma grand-mère s’est excusée des milliers de fois de ne pas avoir cru ma mère, je n’ai jamais voulu la connaître. C’est impossible pour moi d’avoir plus confiance en un homme qui qu’il soit qu’en ta propre fille. J’essayai tous les jours de supprimer l’image gravée dans mon esprit de ma mère me racontant son histoire, mais je n’y arrivais jamais… Certes, je ne pouvais pas savoir ce qu’elle ni la blonde fille devant moi avaient vécu, mais au moins je les aider, me rendre utile, soulager leur peine. Ca avait marché avec ma mère. Elle est restée dans me bras pendant des heures, pleurant. Ca ne marchera surement pas avec ma camarade, mais au moins il fallait lui dire que quelqu’un sera là si elle en aurait besoin. Parfois les personnes qui ne te connaissent pas peuvent être plus utiles que celles qui te connaissent.
Quand j’expliquai à la blonde ce que j’avais entendu, elle avait n’affichait rien sur son visage. Pas un choc, pas une émotion, rien. C’était un masque. Ca se voyait dans ses yeux, et pourtant je préférai ne rien lui dire. Elle avait l’air assez agacée comme ça. Elle soupira, croisant les bras devant sa poitrine. Elle me regardait pendant un moment avant de commencer de manière assez brusque. Elle m’annonça que je n’avais rien entendu, ni vu ce jour d’il y a trois semaines. Elle me dit de tout de suite partir de là et d’oublier la conversation qu’on venait tout juste d’avoir. Je reculai d’un pas, et reçu son énonciation comme une gifle. « Ecoute. Je comprends que tu sois fâchée, agacée, aigrie. Je sais ce que tu as vécu ; enfin non. Je peux imaginer ce que tu as vécu. Je sais que ça a été dur pour toi, mais je ne veux pas que tu croies que je vais aller le crier sur le toit du campus. Des personnes dans ce monde veulent vraiment ton bien, et même si je ne te connais pas du tout, je veux ton bien aussi. Mais bon, tu fais ce que tu veux après tout. » Elle était plus calme, mais n’avait tout de même pas l’air de baisser sa garde. Elle me regardait toujours, comme si elle essayait de percer ma personne. Si elle pouvait me faire confiance, ou si au contraire elle devait m’éviter comme la peste à partir de maintenant. Elle me demanda mon prénom. « Aylen. » Je ne lui demandai pas le sien, ayant le pressentiment qu’elle me le dira d’elle-même. Elle me dit que la prochaine fois je devrai tenir ma langue et me renseigner avant dire quoi que ça soit. J’arquai un sourcil. « Tu veux que je me renseigne ? Donc tu veux que j’aille demander aux gens de tes cours si tout ce que j’ai entendu dans les toilettes est vrai ? Je ne crois pas, non. » Je fis une pause en la regardant alors qu’elle sortait une cigarette de son sac. Elle me regarda à son tour, adossée au grand arbre, méfiante. Comme si elle attendait que je rajoute quelque chose. Je n’avais pourtant plus rien à dire.

A en voir son regard, elle commençait vraiment à être énervée. Ca m’énervait aussi. Pourquoi est-ce que les gens de nos jours refusent l’aide qu’on leur propose ? Ce n’est pas comme si j’allais raconter à tout le monde que la pauvre fille c’est fait maltraiter durant son enfance ou que j’utiliserai ça contre elle, pour me rendre populaire ou quelque chose du genre. C’est comme si les personnes sont incapables de réaliser que quelqu’un veut leur bien sans prix, sans récompenses, qu’aider est le seul but. Elle était pourtant une de ses personnes. Je voulais crier à ce moment là. Lui crier que je suis pas une imbécile, je suis pas une manipulatrice, que je ne veux que me rendre utile. Mais je ne fis rien : elle ne m’en dira pas plus de toute façon. Alors je restais debout devant elle, à la regarder fumer. Son esprit criait « fiche-moi la paix espèce de gamine », mais pour une fois ça ne me faisait rien. Comme si j’avais gagné en courage. Il y a un an je n’aurai même pas osé lui parler, encore moins à lui tenir tête. Mais voilà que maintenant ce n’était plus le cas. Elle tirait de sa cigarette l’air pensif, comme si elle pensait à ce con qui lui a fait toutes ses choses pendant son enfance. Elle reprit enfin la parole et me dit à nouveau que ce n’était pas mes histoires, que je ne connaissais rien à sa vie, qu’elle ne voulait l’aide de personne et qu’elle était très bien comme ça. Elle avait l’air de réfléchir à ce qu’elle venait de dire. J’espérais qu’une petite pensée du genre « pourquoi est-ce que je garde ça pour moi ? » surgira dans sa tête, mais je ne pouvais rien savoir. Je n’étais pas télépathe. Elle me regarda à nouveau sans émotions, et pourtant j’ai appris à percer les regards des gens. Quand ils veulent qu’on les laisse tranquilles, quand ils sont fâchés, angoissés, énervés. Elle avait à peu près toutes ces choses dans ses yeux. Les gens se croient fort, ils pensent que rien ne peut les atteindre, mais je sais que c’est faux. Tout le monde à un point faible, et s’était le sien. Elle pensait surement que toutes les personnes autour d’elle voient son air de femme forte, de quelqu’un qui ne se laisse pas atteindre. Mais je n’étais pas une de ces personnes. Elle me dit que je pouvais toujours me renseigner, qu’aucun élève ici ne connaissait son passé. Je continuais à ne rien dire, alors qu’elle me regardait droit dans les yeux. Elle avait l’air de plus en plus énervée, et pourtant quelque chose en moi ne voulait pas lâcher prise. Je m’obstinais à mon tour à lui tenir tête. « C’est triste que tu fasses ça. Que tu laisses tout le monde voir cette facette de jeune femme souriante et sans problèmes. Mais il y a des personnes qui voient à travers ces masques. » Je me sentis comme Voltaire tout d’un coup, à sortir des trucs bien trop philosophiques. « C’est comme tu voudras. Si tu préfères garder tout ceci pour toi c’est ton problème après tout. » Je regardai derrière mon dos, comme pour m’assurer que personne n’enregistrait ces mots bien drôles qui sortaient de ma bouche.  « Si tu ne veux pas d’aide je peux pas te forcer. » Je ne lui dis pas au revoir, espérant qu’un regard suffirait et me mit en route vers le bâtiment des Lamba où était ma chambre. Une partie de moi-même voulait qu’elle me rattrape, qu’elle s’excuse, qu’elle s’ouvre enfin à quelqu’un. Pas moi nécessairement, après tout je ne connaissais même pas son prénom. Mais à une amie peut-être, un très bon ami, qui sait.