Depuis qu'elle était à Berkeley, Sydney avait eu le temps d'éplucher toutes les confréries avec un soin tout particulier… pourquoi ? Pour avoir une idée de celle qu'elle aimerait éventuellement rejoindre lorsqu'elle aura les moyens de se payer une inscription. Son choix se porterait certainement sur les Beta, l'équivalent féminin de la confrérie d'Adam. Elle se sentait à l'aise avec chacun d'entre eux, même si pour l'instant ils n'étaient pas forcément légion étant donné qu'elle n'était "que" réceptionniste. De toutes manières, cela se jouerait certainement entre eux et les Sigma… eh oui, derrière la façade de nunuche blonde se cache une petite âme d'artiste qui n'attend que les bonnes personnes pour éclore. Il n'y avait qu'à prendre Adam comme exemple : il n'avait pas eu beaucoup à faire pour vampiriser l'égyptienne avec sa passion pour la peinture. Un lien indescriptible s'était formé entre eux, un lien dont elle ne se donnait pas tellement la peine de saisir la portée tant elle se sentait bien en sa compagnie.
En le regardant tirer sur sa cigarette et prendre une pose devant sa toile, le sourire de la jeune femme s'étira un peu. Du peu qu'ils avaient pour l'instant pu échanger l'un avec l'autre, elle s'était vite aperçu à quel point leur relation comptait pour lui : pour une fois dans sa vie, il arrivait à intéresser une femme autrement que sur le plan physique ou même sexuel. Bien sûr, cela ne les empêchait pas de prendre un peu de bon temps lorsque l'occasion se présentait, mais ce n'était pas l'essence réelle de leur complicité. Pour une fois, il avait trouvé une femme qui s'intéresse à lui pour ce qu'il était : un homme et un artiste. Pas un morceau de viande ou un distributeur d'orgasmes. Oui, c'est crû, mais c'est le terme. Dans un sens, elle partageait aussi cette impression : pour une fois, elle acceptait de dévoiler autre chose que la façade du corps de la blonde plantureuse par excellence. Sa pudeur n'était pas physique, elle était psychologique. "Tu sais que je ne peux rien lui refuser, à cet artiste-là… quand tu le croiseras, tu le salueras pour moi !" ajouta-t-elle en le charriant un peu.

Lorsqu'il se décida à lui faire part des dernières nouveautés, la jeune femme sautilla sur son tabouret en trépignant de joie, tapotant dans ses mains avec un air ravi sur le visage. "Exposé, c'est vrai ?! C'est génial ! Et qu'est-ce que tu comptes montrer ?" A la voir aussi surexcitée, on aurait pu se demander si ce n'était pas plutôt elle qui allait exposer une œuvre… Elle était comme ça, elle fonctionnait par coup de cœur et par franchise : elle appréciait énormément Adam et voir celui-ci progresser sur le long chemin qu'il devait faire pour réaliser ses rêves la mettait dans une joie pas possible. Personne ne pourrait un jour la taxer d'hypocrite… elle était beaucoup trop naturelle et entière pour prétendre jouer un rôle.
Avec un manque total de discrétion, la jeune femme fit racler son tabouret sur le sol en s'avançant par à-coups pour se retrouver assise à côté du jeune homme et l'observer peindre. Ce spectacle, elle aurait pu passer des heures devant sans jamais s'en lasser… un peu comme une gamine en extase dès que son père fait un truc pourtant tout à fait banal et quotidien. Elle guettait chacun de ses mouvements, n'ayant même pas conscience qu'une telle attitude pouvait être on ne peut plus agaçante, autant que lorsqu'on lit par-dessus votre épaule. "Pas grand-chose de neuf… j'essaie désespérément de trouver un moyen de faire baisser mes frais d'inscription pour suivre un cursus. Ma dernière idée : sauter sur le professeur Salaun pour obtenir une petite réduc' sur l'oreiller." Ah oui, la trépidante vie sexuelle d'une blondinette, il y aurait de quoi en faire un livre. Ces méthodes moralement suspectes mettraient plus d'une femme mal à l'aise, mais en parler à Adam n'avait pas l'air de la déranger plus que ça. "Conclusion : je suis bonne pour trouver une autre victime. Il a l'air de préférer les bonnes bûcheronnes franches que les déesses blondes incarnées. C'est un paysage ou un portrait que tu comptes faire ? Ou une "scène de genre"…? T'as vu, j'ai retenu un terme technique !" harangua-t-elle en levant son index avec un petit air fier sur le visage, passant d'un sujet de conversation à l'autre en un battement de cils.

Sydney regarda un instant Adam avec un air purement innocent, jouant avec sa sucette comme une petite fille ingénue qui s'étonne qu'on lui reproche quelque chose. Oui, elle draguait à peu près tous les hommes qui pourraient lui apporter quelque chose dans la mesure où cela pourrait lui éviter de dépenser le peu d'argent qu'elle avait sur son compte. Logan lui avait fait remarquer à quel point son attitude mettait à mal son amour-propre et sa dignité… après l'avoir envoyé balader à ce sujet en feintant d'ignorer totalement ses remarques, elle y songeait pourtant de plus en plus. Et là, Adam s'était carrément arrêté de peindre pour marquer son étonnement vis-à-vis du comportement de la réceptionniste. "Allons, un beau garçon riche comme toi, je suis sûre qu'on t'a déjà fait des avances pour ton portefeuille… non ?" Les aristocrates… elle en fréquentait lorsqu'elle accompagnait James dans des soirées chics. Un autre exemple de ses activités extra-professionnelles sur fond de manque total de morale. Elle voyait que les femmes gravitant autour de vieillards richissimes avaient le symbole du dollar qui brillait dans leurs yeux tandis que les playboys s'affichaient avec de splendides créatures sans doute dociles tant qu'elles faisaient croire à leur proie qu'il était un homme, un vrai, et qu'il pouvait allonger le fric en contrepartie. Avec délicatesse et mutinerie, elle déposa ses bras sur les épaules de l'artiste et approcha sa bouche de son oreille, son souffle délicat et sucré se mourant sur sa nuque avec une sensualité toute particulière. "Si j'abuse de toi, trésor, c'est gratuitement et physiquement… je ne pourrais jamais faire un tel coup tordu à un ami. Gardes tes sous." Des principes, elle en avait peu. Mais celui de ne jamais briser une amitié pour obtenir quelque chose, elle s'y tenait. Pour une fois, elle fréquentait un garçon riche, de bonne situation et visiblement prêt à rendre sa vie financière plus simple… et pourtant, elle n'en avait pas après son compte en banque. Aucun doute, elle tenait vraiment à lui. Un petit baiser sur la joue plus tard, elle déposa sa tête sur l'une de ses mains et le regarda peindre.
Satisfaite du compliment sans doute un peu ironique qu'il lui fit, elle afficha un très grand sourire avant de croiser les jambes pour essayer de visualiser ce qu'il voudrait faire. C'est d'ailleurs à ce moment qu'une question fusa dans son esprit et sortit de sa bouche presque instantanément. "Donc toi, tu vas sur le toit d'une université pour peindre un champ de blé avec une jeune femme en mouvement…? J'ai un peu de mal à suivre. Si tu veux peindre la mer, tu vas en montagne, c'est ça l'idée ?" Il faut s'accrocher pour arriver à suivre avec la miss Khelos, on vous l'accorde. Encore trop terre-à-terre puisqu'elle n'était même pas encore tout à fait débutante dans un domaine où elle considérait déjà Adam comme un maître, elle avait du mal à imaginer qu'un peintre puisse dessiner quelque chose qu'il n'avait pas sous le nez. Dessiner sans modèle, en quelque sorte. A moins qu'il faille avoir une imagination hors du commun… ou tout simplement assez développé pour bluffer l'égyptienne.

En regardant ensuite ses propres formes, elle haussa les sourcils. "Tu m'exposerais à la vue de tous, comme ça…? Intéressant, je vais faire le tour de Berkeley, ça va faire un coup de pub glamour pour l'administration, ça…" ajouta-t-elle en donnant du mouvement à ses cheveux blonds, un air prétentieux et satisfait sur le visage. De la gêne ou de l'hésitation à être ainsi dévoilée aux yeux de tous ? Jamais. D'une, la pudeur ne l'étouffait pas, et de deux, elle avait été représentée par la main d'un homme dont les qualités artistiques la passionnaient… raison de plus pour le laisser faire ce qu'il voulait de ce tableau, elle avait entièrement confiance en lui. "C'est tellement bien que je t'aurais même laissé en faire une deuxième, au cas où ça t'intéresserait…" lança-t-elle en faisant innocemment courir son index le long de la chevelure du peintre avec un regard espiègle. Il devait être habitué à son petit côté prédateur, elle était certaine que ça lui plaisait, en prime… "Attention, gardes tes yeux sur le tableau, sinon je vais te déconcentrer…" Et joueuse, en prime. Comme si de rien n'était, elle garda les yeux vissés sur la toile qui prenait forme peu à peu.

Silencieuse, Sydney avait complètement tourné la tête vers Adam lorsqu'il s'était presque indigné qu'elle ne soit pas venue le voir à cause de ses problèmes d'argent : une moue assez émue et touchée s'empara de ses traits fins. C'est fou à quel point il pouvait être gentil avec elle sans forcément attendre quelque chose en retour… les personnes comme ça, elle les comptait sur les doigts d'une seule main, dans son entourage. La belle cherchait souvent des relations superficielles, sans profondeur qui puisse l'amener à la moindre confidence… elle était convaincue que pour Adam, fréquenter une femme pour ce qu'elle est et pas seulement pour son corps, cela devait être tout aussi rare ou au moins difficile. Elle savait ce que son ex petite amie lui avait fait comme coup dans le dos et le manque de confiance qu'il avait pu perdre dans la gent féminine à ce moment… mais une telle déclaration lui faisait vraiment plaisir. Sydney savait se contenter de ce genre de choses pour être heureuse, aussi obnubilée par l'argent soit-elle. "C'est pas toi, le problème… c'est moi. Quand on commence à me donner ou me prêter de l'argent, c'est comme du chocolat : je n'arrive pas à dire stop. Donc soit c'est ton compte en banque qui s'épuise soit c'est moi qui m'écroule sous les dettes. Et dans les deux cas, on peut dire adieu à notre si belle complicité… crois-moi, je te manquerai trop, oublions ça." ajouta-t-elle en donnant un peu de mouvement à ses cheveux avec un air fier et parfaitement sérieux. Haute estime de soi : très important, règle n°1 pour une parfaite Sydney. Lorsqu'il déposa son bras autour de sa taille après lui avoir adressé un petit baiser, elle soupira d'aise et mit sa tête sur son épaule en faisant tourner sa sucette dans sa bouche. "Pour une fois que j'ai l'occasion de bien m'entendre avec un garçon riche sans avoir d'arrière-pensée, je n'ai pas envie de gâcher ça. Mais à partir d'aujourd'hui, saches que tu seras tenu de m'offrir toutes les consommations si on sort en boîte, dans un bar ou à un café !" Un rire franc et amusé s'échappa de ses lèvres : bah quoi ? Elle ne lui soutirerait pas vraiment d'argent directement… elle l'incitait juste à faire preuve de galanterie morale et financière, nuance.

Pour en revenir aux méthodes utilisées par l'artiste pour exécuter ses tableaux, elle hocha vaguement la tête. Effectivement, elle n'avait aucun modèle pour créer ses vêtements hormis son imagination. "Vu comme ça, c'est plus logique…" C'est là toute la différence entre Adam et Sydney : Adam arrivait à expliquer des choses pareilles très simplement alors que l'égyptienne se serait contentée de mettre ça sur le compte du fameux aspect "mystique" de l'artiste. Mais quand même, elle était assez impressionnée qu'on puisse visualiser un champ de blé du haut du toit de Berkeley… elle, ses tenues, elle les imaginait et dessinait souvent dans sa penderie – très original et pas ultra-confortable – ou bien en se regardant dans le miroir. Captivée à nouveau par les mouvements et les nuances que le jeune homme apportait à sa toile, elle roula des yeux avant d'hausser les épaules tout simplement. "Je t'en prie… ma compagnie fait TOUJOURS le plus grand bien ! Et autant dire que je m'ennuie beaucoup moins ici que…" Une sonnerie l'interrompit : son oreillette et le boulot se rappelait à elle. Dans un soupir dépité, elle appuya dessus et répondit. "Université de Berkeley, Sydney à votre service." Elle adressa un sourire sarcastique au peintre avant de s'intéresser un tant soit peu à ce que la fille à l'autre bout du fil lui demandait. "Pardon ? L'étage et la classe de nano-sciences ?" Sydney ne put s'empêcher de pouffer de rire : si on lui demandait, elle ne saurait même pas expliquer de quoi il s'agit… puis elle et la science, ça fait au moins 5. "Je vous bascule sur la ligne du département des sciences, veuillez patienter." Et paf, transfert. Elle soupira et s'installa à nouveau contre son confident en secouant la tête. "Comme si je n'avais que ça à faire, franchement… je sais même pas comment ça s'écrit, cette matière, en plus."
Une fois tranquille à nouveau avec le jeune homme elle prit un pinceau et commença à le regarder avec intérêt tout en renouant le dialogue. "Avoue que tu t'es bien rincé l'œil, c'est pour ça que tu en ferais bien un deuxième… et là aussi tu laisserais tomber la toile à la fin pour me sauter dessus, mmm…?" Un rire purement taquin et espiègle s'échappa de sa bouche alors qu'elle jouait avec les petites boucles de ses cheveux. Elle adorait le déconcentrer juste suffisamment pour qu'il ne s'enferme pas dans la peinture pas encore trop pour qu'il puisse toujours rendre un travail de qualité. Le respect pour les artistes, s'il vous plait. "Si t'en fais un deuxième, soit je l'expose chez moi, soit je le colle à la réception, bien en vue… ça fera déguerpir les plus timides et attirera les plus coquins…" C'était quand même plus sexy qu'un simple panneau "Veuillez signer ici." ou quelque chose d'aussi barbant. Sautant du coq à l'âne, elle attaqua un autre sujet de conversation, peut-être plus sensible mais puisqu'ils n'avaient pas de secrets l'un pour l'autre, la miss Khelos ne se faisait pas trop de soucis. "Et est-ce que notre Picasso adoré a trouvé une fille qui lui a tapé dans l'œil, ces derniers temps…? Attention, pas pour une simple nuit, mais une vraie ?"

Ce qui plaisait le plus à Sydney chez Adam, c'était sa franchise, sa façon d'être avec elle. Il était gentil, tout simplement. Fonctionnant souvent au coup de cœur avec les gens, elle avait tout de suite eu un excellent feeling avec le jeune homme, et ça n'avait rien à voir avec les étreintes passionnées qu'ils avaient eu l'un avec l'autre. En le regardant peindre en silence, elle trouvait qu'il dégageait un charme tout particulier qui le rendait vraiment attachant. Etait-ce lié à la rupture brutale qui l'avait rendu aussi libéré avec les femmes ? Qui sait. Ce n'était pas pour autant qu'elle le prenait en pitié : l'affection qu'il avait pour elle lui tenait vraiment beaucoup à cœur et le savoir capable de l'aider en cas de besoin suffisait largement à la rendre rassurée. Savoir qu'on peut compter sur quelqu'un, c'est parfois plus gratifiant que de s'appuyer effectivement sur cette personne.
Son air figé dans sa fierté se vit encore plus lumineux lorsqu'il l'accusa presque d'être responsable des pulsions qu'il pourrait éprouver à la voir nue une nouvelle fois. Elle joua avec sa sucette avec une innocence assez ironique. "C'est le sex-appeal, trésor… tu vois, je pense qu'être sexy, ça ne se contrôle pas, c'est avant tout une nature. Et moi, je suis née avec, pour le plus grand plaisir des hommes… et des femmes, même si ce n'est pas tellement ma tasse de thé." ajouta-t-elle en lui mettant un très léger coup d'épaule complice. Sydney avait une telle adoration d'elle-même qu'elle ne s'excusait pas de faire tourner les têtes, bien au contraire. La jeune femme commençait à voir de plus en plus clairement le tableau prendre forme et elle s'étonnait encore du réalisme qui se dégageait des œuvres d'Adam. En même temps, il n'en était pas à sa première année, il était loin d'être débutant. Faisant tourner tranquillement son pied dans son talon aiguille, elle s'amusa de sa remarque sur la valeur d'un nu de Sydney Satis Khelos. "Tu plaisantes, je suis sûr que ce serait déjà hors de prix si on le mettait aux enchères… mais je te préviens que si un jour il est acheté, c'est 70% pour moi et 30% pour toi !" Dure en affaire ? Un peu, juste un tout petit peu. La jeune femme passa une main dans ses cheveux puis se serra encore un peu plus contre son confident pour éviter d'attraper froid malgré le courant d'air… et celui-ci en profita pour rallumer une cigarette. Elle leva un peu la tête en fronçant les sourcils. "Tu fumes trop." Puis elle remit sa tête sur son épaule en terminant sa sucette, comme si de rien n'était. Une petite remarque comme ça, même si ce n'était absolument pas méchant… puis ça lui allait bien ce côté artiste/fumeur. Adam ne devrait sans doute pas trop s'étonner : dès qu'une chose lui passait par la tête, elle lui disait.
Soudainement curieuse, elle se redressa un peu en émettant un petit son, les yeux plissés. "Evidemment, ça ne sert à rien de vouloir te caser maintenant, autant continuer à s'amuser… mais il y a donc une prétendaaaaante ! C'est qui ? Je la connais ? Blonde ou brune ? Petite ou grande ? Comment elle s'appelle ? Tu l'as rencontrée quand ?" Une véritable avalanche de questions engloutit le pauvre Delta, déclenchée par l'immense besoin de savoir de l'égyptienne.