Nous étions samedi, jour bénit où les salles de cours étaient désertes, le parking était fermé et où les grilles n'étaient ouvertes que pour les élèves résidants à même l'université. Il devait être à peu près neuf heures lorsque Charlotte entama son deuxième samedi matin d'étudiante. Pourtant, cette nuit qui pour chaque personnes étaient comme une révérence, Chuck l'avait vécu comme un calvaire. Il lui avait été impossible de fermer l'oeil, se réveillant en sursaut à chaque fois que ses paupières osaient se fermer. Elle finit par faire valser ses draps par terre vers six heures, et traversa son studio pratiquement vide pour rejoindre sa cuisine. Elle prit un bol de céréales, un jus de fruit, et alla s'asseoir dans son canapé bancal en allumant sa télé, posée sur une pile de vieux magasines. Elle aurait pu faire mieux, elle aurait pu aménagé ce salon, cette chambre, pourtant elle n'y avait pas le coeur. Pas le courage de se poser, de reprendre une habitude et un quotidien normal. C'était une étape à franchir, mais elle ne venait pas. Elle changea de chaine jusqu'à atterrir sur disney chanel, elle regarda deux épisodes de Kim Possible avant de retourner dans sa salle de bain et de prendre une douche. Elle s'habilla, se calfeutra dans un manteau d'hiver, laissa une écharpe en laine lui cacher le cou et sortit dix minutes plus tard, saluant au passage son voisin de palier. Après s'être battu avec sa serrure, elle prit son courrier, le rangea dans son sac et s'engouffra dans la ruelle où la fraicheur de la matinée rendait l'atmosphère presque irréelle. Après avoir descendu la cinquième avenue, elle s'arrêta au starbuck coffee du coin, et commanda un double latte cappucino supplément vanille. « Quel nom ? » « Pourquoi ? » « C’est le concept mademoiselle. On note le nom sur le gobelet, on vous appelle et vous passez prendre votre boisson. » Se retournant avec un gobelet calligraphié d’un Sarah, elle alla s’asseoir à une table de la terrasse qui donnait sur la rue entière. De là elle regarda une femme d’affaire ordonner à l’autre bout du fil de déplacer son rendez-vous de quinze heures, un ivrogne ôter sa casquette pour faire une révérence à une gamine de treize ans qui elle trainait une paire de patins dans son dos. Elle vit une mère tendre la main vers son fils de sept ans qui ne regardait pas avant de traverser la route, un commerçant ouvrir son tabac presse, et une bande de jeunes pré-pubères huer un ami après une soirée sûrement bien alcoolisée. Au fond elle les enviaient un peu ces gens inintéressants qui avaient une vie pourtant bien remplie. Ca devait être sympa de ne pas se prendre la tête. Et alors qu’elle allait encore noter pour elle même la démarche ridicule d’un passant, elle se cacha derrière son gobelet, laissant bien apparaitre le nom inscrit dessus comme pour le faire dévier de sa direction. Elle faisait cela depuis son arrivée à SF. Tous les gens qui la reconnaissait, qui lui faisait des beaux sourires, elle les envoyait balader. Elle n’était pas encore prête, une fois de plus. Pourtant il n’était pas personne, il n’avait pas été personne.