« Coucou, ma belle ! » Ce garçon au sourire débile n'était pas le premier à appeler Sasha par ce mot stupide. Déjà depuis quelques jours certaines personnes le soupçonnaient d'être à voile et à vapeur, comme qui dirait. Ce coureur de jupons en avait pris un coup, sa virilité étant nettement remise en cause et le pauvre avait décidé de faire ses recherches. Chaque rumeur possède une origine, et Sasha avait de larges soupçons en ce qui concernait une certaine violoniste célèbre. Pourtant, sa petite quête de la vérité l'avait écarté totalement de cette piste...Ce fut ainsi que toutes les pistes le menèrent à une jeune femme : Nina Baker. Une étudiante en première année de stylisme qui avait essayé de lui prouver sa supériorité. Les deux jeunes gens s'étaient lancés dans un jeu totalement effrayant, du genre un « cap pas cap », mais bien moins enfantin. Chacun tentait d'avoir le plus de conquêtes possibles, prouvant ainsi à l'autre qu'il était davantage désirable et bien plus charmeur. Malheureusement, la jeune femme venait de lui faire un coup bas des plus déloyales, faisant courir cette rumeur terrifiante à son sujet. Sasha, homosexuel ? Non, mais on rêve, c'est le monde à l'envers ! Le jeune homme était prêt à lui faire avaler sa langue à cette petite « prostituée de bas étage », comme il avait décidé de la nommer depuis qu'il était au courant de la vérité. Certes, il n'était pas le mieux placé pour la qualifier ainsi, mai de cela, il s'en fichait éperdument. Ce fut donc avec une habileté hors pair qu'il arpenta les couloirs du campus, se rendant dans le secrétariat des étudiants en stylisme. Là, il trouva l'emploi du temps des premières années, et affirmant que Nina était sa petite amie et qu'il voulait lui faire une surprise, parvînt à se faire donner le numéro de groupe dans lequel se trouvait la demoiselle. Ce fut donc à la sortie d'un amphithéâtre qu'il l'attendit, un mardi soir, alors qu'elle allait bientôt sortir de son dernier cours de la journée.
L'attente lui parût longue, puisqu'il vînt plusieurs minutes à l'avance, et enfin, elle apparût, parmi les autres étudiants et étudiantes. Elle arborait cet air si sûr d'elle, ayant maquillé son beau visage avec beaucoup d’esthétisme et de soin. Certainement venait-elle de trouver une nouvelle proie ou allait-elle partir à la chasse dans la soirée. Le jeune homme se posta face à elle dès qu'elle fut à sa hauteur, un sourire malicieux apparaissant aux coins de ses lèvres closes. Ces dernières ne s'ouvrirent que quelques secondes plus tard, après qu'il ait observé la jeune femme de la tête au pied, lorsqu'il prit la parole. Dommage qu'elle ait un caractère si fort et qu'elle lui ait résisté, c'était un beau morceau de viande.

« Salut. Comment on se retrouve ? »fit-il avant de n'ajouter : « Je crois qu'on a pas mal de choses à se dire...Non, en fait, nuance, j'ai beaucoup de choses à dire, toi, tu vas m'écouter.  »

Après ces quelques mots, il la plaqua délicatement contre le mur se trouvant à proximité de la porte donnant sur l'amphithéâtre. Il posa une main contre son cou, la serrant légèrement, lui lançant un regard noir empli de mépris : « Alors, comme ça, je suis gay ? »

☂La semaine commençait fort. En section stylisme, nous avions des délais très courts pour les devoirs à rendre. Délais qui nous semblaient impossible à respecter. Est-ce que Coco Channel s’acharnait autant pour le modélisme ? Je crois que c’est la matière dont je déteste le plus. Passer quatre heures en modélisme, c’est l’équivalent d’une semaine enfermé dans une cave humide. C’était notre dernier cours de la journée, et j’aurais bien cru qu’elle ne finirait jamais. Sac sur l’épaule, je sortais d’un pas décidé de l’amphithéâtre. Mais quelqu’un m’arrêta à ma trajectoire. Je reconnus Sasha, et là je ne pus m’empêcher de rire aux éclats.

Je connaissais la raison de sa venue. Tout d’abord sachez que Sasha est un garçon arrogant. Toutes les nanas du bahut ne peuvent pas le résister, et bla, et bla, et bla. Rien que d’entendre son nom, cela avait le don de m’agacer. Au début on a commencé par jouer à un jeu débile, style t’es cap/pas cap. Même avec ça, je m’ennuyais et je n’arrivais pas à enlever ce sourire prétentieux de son visage. Du coup, j’ai décidé de lancé une petite rumeur à son sujet. Petite rumeur qui remettait en cause sa sexualité. Ouais c’était facile. Ouais c’était un coup bas. Pourtant c’était tellement BON/JOUISSANT/EXITANT de prétendre que Sasha Gvozdev est gay.

Je suis désolée d’être une garce, ok. Ma langue avait fourché. « Ah oui qu’est-ce-qu’il y a ? Je t’ai manqué ? » Soufflais-je ironique, en le repoussant un peu. Oui bon ça va j’ai l’habitude qu’on se jette sur moi mais les paparazzis trop collants, j’aime moyen (a). En tout cas j’étais ravie. Ravie de voir à quel point les rumeurs peuvent aller très vite sur le campus. Apparemment mon plan avait parfaitement fonctionné mais bon j’aurais peut-être dû être plus discrète. Comme quoi quand on dit à quelqu’un de ne pas répété un secret, le secret sera plus vite révélé.

Certes la vérité, c’est que Sasha n’est pas gay. Mais c’était drôle à lancer, comme rumeur. Parce que, qui pourrait croire qu’un beau étalon viril, jouerait de l’autre côté de la barrière ? Personne ne l’aurait cru. Et c’est sans doute la raison pour laquelle la rumeur a été rependue aussi vite. Fallait que je trouve quelque chose de gros, j’avais pas mal d’idées puérils en tête mais celle-ci était de loin la meilleure.

« Quoi ? Je pensais te faire plaisir. » Dis-je les sourcils froncés, après avoir croisé mes bras. « Mais tu sais dans cette société qui évolue de jour en jour, qui sommes nous pour te juger, hein ? On vit de tolérance à Berkeley et je suis sûre que tu n’auras aucun de mal à t’intégrer parmi la communauté gay. » Rajoutais-je dans un grand sourire. J’étais super triomphante, j’avais réussi mon coup.

« Est-ce que tu as entendu l’histoire de la soirée chez Rachel ? Celle-là c’est ma préférée. Tu te rappelle de cette soirée où tu m’as avoué ton homosexualité ? Que tu refoulais, bien évidemment, sinon je n’aurais pas été très crédible… et tu te rappelles ? Tu pleurais comme une fille. » Continuais-je de raconter. « Alors tu t’es fais pleins de mecs ? »

Quelle arrogance absolue ! Voilà qui était quasiment insoutenable ! Nina avait bien compris, comme la plupart des gens, que Sasha était quelqu'un d'explosif et qu'il réagissait souvent sur des coups de tête, sans réfléchir, bien qu'il soit capable d'être un parfait manipulateur lorsqu'il le désirait. Et elle s'en servait à sa guise. En ce moment, elle remportait la partie, son plan machiavélique et absolument honteux ayant malheureusement fonctionné. La jeune femme aurait pu lancer n'importe quelle rumeur, mais elle avait choisi la pire qui soit, celle l'atteignant le plus dans sa virilité. Visiblement, elle avait dû réfléchir des semaines avant de ne trouver cette idiotie à faire circuler. Jamais il n'aurait cru qu'on le bafoue ainsi, et la seule responsable se trouvait devant lui, les yeux pétillants, fière comme une reine. Il continuait à la maintenir contre le mur, d'une main, écoutant avec colère ses niaiseries. Finalement, la gifle était partie quasiment toute seule. Le mouvement avait été rapide, bien dirigé et puissant.
« Ça, c'est parce que t'es une mauvaise joueuse. » s'exclama-t-il en s'écartant.

Il n'avait pas pour habitude d'être violent, même avec les femmes, bien qu'il soit rudement brusque, mais il ne tenait plus. Elle l'insultait de la pire manière qui soit, même Ulrika ne l'avait jamais fait passer pour un homosexuel ! Elle venait de creuser dans une partie du jardin où c'était interdit. Et bientôt, elle finirait dans le piège à taupes, du moins, si elle persistait à faire sa garce mal léchée.
« Écoute, petite peste, tu vas vite faire en sorte de faire taire cette rumeur...A moins que tu ne veuilles vraiment que je saute de l'autre côté de la barrière ? Auquel cas, ce serait dommage, je te piquerais tous tes mecs au pied du lit. Il faut dire qu'effectivement, tu ne te tapes que des gays. »

Sasha lança un regard noir à son attention, avant de ne la lâcher soudainement. Un agent d'entretien venait d'entrer dans le couloir et avait observé la scène sur la défensive. Notre jeune russe n'avait pas l'intention de se taper encore davantage la honte à se défendre alors qu'elle crierait qu'il était en train de l'agresser. Il se contenta donc d'envoyer un sourire à la demoiselle, un sourire faux, totalement hypocrite, et fier. Après tout, pourquoi s'en faisait-il ? La rumeur allait sans doute s'éteindre d'ici une semaine au plus, et les jeunes femmes du campus n'y penseraient plus... Aucune ne lui résistait, et cela ne viendrait pas de sitôt. Jamais sur ce campus quelqu'un pourrait croire plus de quelques jours que Sasha Gvozdev était un homosexuel. Les étudiants de Berkeley aiment les messes basses et les rumeurs, mais ils ont, pour la plupart, la mémoire courte.

« Tu es pitoyable, tu as besoin de tricher pour peut-être gagner. Ce n'est pas ce que j'appelle une femme dominatrice, moi...Tu me déçois, j'attendais quelque chose de bien plus croustillant de ta part... » fit-il en lui envoyant un clin d'oeil, passant l'une de ses mains dans son dos, dans une légère caresse.
Contrairement à elle, pour laquelle il était l'homme le plus arrogant de cette Terre, Sasha ne la détestait pas. A vrai dire, il pensait même qu'elle pourrait être un très bon coup si elle se laissait faire un peu. Et plus les défis sont élevés, plus c'est amusant. Elle disait avoir réussi à avoir près de la moitié des hommes du campus, mais elle ne l'avait jamais eu lui, tout comme lui ne l'avait jamais eu, elle...
Alors, les dés étaient jetés ?

☂La gifle, je ne l’avais vraiment pas vu venir. Si bien que je ne souriais plus maintenant, mais je gardais une main collée à ma joue. « Connard ! » lançais-je, sans cligner des yeux. Comment il osait me frapper ? Le pire c’est qu’il avait osé faire ça en public. Le regard noir, je l’aurais tué sur place. Nous étions tout les deux dans une profonde colère, prêts à se jeter dessus. Je restais immobile et essayait tant bien que mal à me contrôler.

Tout ça pour une petite rumeur stupide… ? Mais voyons, bienvenue à Berkeley où règnent bruits de couloir et hypocrisie. Je m’étais peut-être comporté comme une mauvaise joueuse, mais au moins je n’avais pas dis mon dernier mot. Je ne répondis donc pas à cette attaque, qui était manifestement vraie. Je n’avais pas été loyale sur ce coup-là néanmoins je n’ai jamais dis que j’allais l’être ! Et un bon nombre de filles ne le sont pas. Je fais partie de l’une d’entre elles, lorsque je dois régler mes comptes je le montre avec des coups bas. « Il n’y a jamais eu de règles dans ce jeu, on en a pas établi. » dis-je, froidement. Je me redressais fièrement, évitant les regards des étudiants.

Maintenant il avait besoin de moi pour retrouver sa réputation. Comment peut-il croire encore que j’allais lui faire ce plaisir après ce qu’il a fait ? Ahurie, la bouche bée, je n’arrivais même pas à croire ce que je venais d’entendre. « Alors là tu rigoles, tu peux toujours courir ! » finalement j’haussais la tête, et évitait son regard. « T’es vraiment trop con. Tu t’attends à quoi ? Avec la réputation que t’as maintenant. Gay ou pas, un mec qui frappe une nana ça reste un looser. »

Mon sourire me gagna à nouveau. J’attrapais la main qu’il avait posée derrière mon dos pour la repousser. « Et moi je ne couche pas avec les loosers. » lançais-je, déterminée. Je détestais l’idée d’être une proie facile. Tout comme l’idée d’être une fille parmi tant d’autres. « T’as encore beaucoup de choses à apprendre. T’arrives pas à admettre que je sois plus forte que toi. Je n’ai pas triché, c’est comme ça dans la vie t’auras pas toutes les nanas que tu veux. Et je serais toujours là pour te pourrir la vie. T’auras beau me gifler tant que tu voudras, je te jure que tu le paieras d’une manière ou d’une autre. »

Et encore il n’avait rien vu. Dans le genre, ‘‘pourrir la vie’’ aux autres je suis super douée. Je crois qu’il en a suffisamment vu, non ?