« - Dis, tu vas venir la voir l'exposition ? Elle est super, je suis sûre qu'elle va te plaire ! Il y a de très belles toiles !
- Dont cinq des tiennes c'est ça ?
- Oh allez ! Pour une fois que j'en expose plusieurs dans une telle galerie, tu pourrais passer voir tout de même ! Tu vas bien trouver un peu de temps pour faire plaisir à ta mère... »

A ça y est, voilà qu'elle m'attaquait sur le plan sentimental. Un détail qui ne manqua pas de m'amuser alors que je me servais une tasse de café. Cela faisait bien dix minutes que j'étais au téléphone avec elle en ce beau samedi matin. Je ne travaillais pas aujourd'hui. Ni cours, ni boulot. Que demander de mieux ? Un week-end entier tout à moi, bien loin du tumultueux week-end que j'avais passé avec Abbygail. Abby...Je me serai bien passé de penser à elle après ce petit séjour à la campagne vécu en sa compagnie mais je n'avais pas eu cette chance du fait que son projet était le seul que j'avais en ce moment au cabinet. Malgré moi, je n'avais pu m'empêcher de penser à elle tous les jours ces derniers temps et j'avais grand besoin d'un peu d'évasion pour cette nouvelle fin de semaine donc. Sauf que mes projets étaient un peu chamboulés par l'appel d'Elena. A la base, j'avais prévu des courses ce matin, un ciné cet après-midi et une sortie en boîte cette nuit. Mais voilà, il y avait cette exposition pour laquelle Elena me harcelait si tôt en ce samedi matin. Elle m'avait carrément réveillé avec son coup de fil si matinal !

Enfin si matinal...Il était près de dix heures quand même mais je ne me plaignis pas auprès de ma mère, pas alors que discuter avec elle m'amusait plus que ça ne ne me dérangeait. Et puis je ne pouvais décemment lui reprocher de me harceler au sujet de cette exposition. Après tout, c'était effectivement sa première 'grande' exposition dans une galerie prestigieuse alors son euphorie était plus que légitime. J'étais content pour elle qu'elle arrive à percer et, surtout, à vendre ses peintures car je savais qu'elle avait sacrifié toutes ses économies pour me payer mes études à Berkeley. Même si je l'aidais avec mon salaire quand ça allait mal, réussir à vendre d'avantage ses toiles serait un grand soulagement pour elle. Aussi, quand bien même aller à cette exposition n'était pas dans mes projets de base, je me ferai un grand plaisir de remplacer le ciné par la galerie d'art. Elena en fut ravie évidemment mais elle me fit promettre d'y passer avant de raccrocher. Je lâchais un soupir alors que je remettais le téléphone sur son socle puis suivis un petit rire amusé. Alala...Quant elle se mettait en tête de me convaincre, je ne pouvais vraiment pas refuser. Elle était ma mère après tout.

Sourire aux lèvres, je terminais ma tasse de café puis filais me doucher avant de m'habiller d'un jean noir et d'un T-shirt rouge sur lequel se trouvait une bande noire devant qui partait depuis l'épaule gauche. Une tenue simple qui m'allait bien et que je complétais par une paire de tennis blanche et rouge avant d'aller faire des courses dont j'avais bien besoin. Mon frigo était désespérément vide et il fallait que je le remplisse sous peine de me ruiner en livraisons à domicile diverses. Heureusement, le supermarché était proche de chez moi et mes courses furent ainsi rapidement faites. Après quoi, je déjeunais et fis un peu de rangement avant de me décider à aller à l'exposition. J'ignorais combien de temps elle durerait et comme je ne voulais manquer à ma parole, j'avais intérêt à y aller aujourd'hui. Ma besace à l'épaule, je quittais mon appartement et pris le bus, qui était moins cher que le taxi pour la même destination et pour le même temps de trajet. Néanmoins, il était vrai que le bus était moins confortable et je fus donc bien content d'en descendre pour finir le reste du chemin à pied. La galerie fut rapidement atteinte et j'allais pour payer l'entrée quand une voix m'interpella.

« M. Buchanan ? »

Je me retournais pour voir de qui il s'agissait et fus surprit de tomber sur le propriétaire de la galerie, qui était une connaissance.

« - M. Pasco, bonjour ! Je ne m'attendais pas à vous croiser dès mon arrivée !
- Et moi je ne vous attendais pas dès le premier jour, quand bien même votre mère est une des artistes que nous exposons...
- Et bien j'ignorais quand je pourrai passer dans la semaine alors j'ai décidé de venir aujourd'hui. Comme ça je suis certain que je ne la manquerai pas.
- Vous m'en voyez ravi et je suis sûr qu'Elena sera heureuse de vous voir.
- Ah parce qu'elle là ?!
- Vous l'ignoriez ?
- En effet, elle ne m'a rien dit. Enfin c'est pas grave et puis je ne l'ai pas prévenu que je viendrai aujourd'hui moi non plus.
- Suivez-moi dans ce cas, je vais vous conduire à elle.
- Et l'entrée ?
- Oh non, c'est gratuit pour vous voyons !
- Dans ce cas... »

Je me fis une joie de le suivre. Comme quoi c'était vraiment pratique d'avoir des relations. Je me retrouvais très vite près de ma mère, qui fut des plus ravie de ma présence. Bien évidemment, elle n'était pas seule mais cela ne l'empêcha de prendre quelques minutes pour faire le tour de l'exposition avec moi. Ceci fait, je pris le temps de discuter avec elle et les autres artistes présents avant que mon regard ne soit attiré par la silhouette d'une jeune femme qui était totalement fascinée par le tableau qu'elle regardait. Un des tableaux d'Elena. Mais outre ce détail, c'était surtout le fait que la demoiselle me semblait familière qui m'intrigua. C'est alors qu'elle pivota légèrement sa tête vers l'arrière. Je la reconnu aussitôt. Ainsi donc, après Abbygail, il fallait que je tombe sur Tasha. Étais-je maudit ? Je l'ignorai mais cela ne m'empêcha pas de m'approcher d'elle.

« Noah ? »

Je ne répondis pas à Elena et elle-même n'insista pas quand elle vit que la jolie brune avait aiguisé mon intérêt. Brunette derrière laquelle je m'arrêtais pour dire :

« Tu ne cesses de fixer ce tableau. Il te fascine tant que cela ? »

Tout comme j'avais été étonné de rencontrer Tasha dans cette galerie d'art, je m'attendais à ce que la surprise soit réciproque. Mais rien. Pas la moindre petite réaction d'étonnement quand je pris la parole. Autant dire que j'en fus des plus intrigué. Ne m'avait-elle pas reconnu ? C'était possible mais, tout comme Abbygail, je doutais fort qu'elle ait oublié ma voix, surtout qu'on avait été on ne peut plus proches sur les derniers mois il y a quatre ans. Peut-être alors m'avait-elle déjà aperçue dans la galerie et avait-elle choisit de m'éviter ? Possible et, auquel cas, non surprenant. Après tout, vu comment s'était finie notre relation, il ne serait guère étonnant qu'elle puisse m'en vouloir. C'est que je ne l'avais jamais re-contacté après avoir plié bagage en moins de temps qu'il n'en faut pour le dire. Non pas que je ne voulais pas la rappeler mais le faire aurait pu mettre son père sur ma piste et je n'avais pas souhaité prendre ce risque, pour moi comme pour elle. Car je n'étais pas sans ignorer qu'elle avait dû avoir des soucis avec son paternel, dur comme il l'était avec ses filles. J'en avais bien eu la preuve avec Abby quand il l'avait mise à la porte alors qu'elle était enceinte de trois mois.

Aussi la froideur de Tasha, à l'inverse de sa non-surprise, ne m'étonnait-elle pas. La question que je me posais fut donc : devais-je tourner les talons et faire comme si de rien n'était, comme si je ne lui avais jamais adressé la parole ? Le choix serait idéal et des plus judicieux pour moi mais je me voyais mal partir sans lui présenter au moins des excuses pour ce qui s'était passé il y a quatre ans, quand bien même je n'étais pas du genre à apprécier remuer le passé. C'est alors que la demoiselle reprit la parole en disant que je n'avais pas changé. Une phrase face à laquelle je ne pu réprimer un petit rire nerveux. Pas changé ? C'était plutôt l'inverse. Jamais ma relation avec Abbygail ne serait devenue ce qu'elle est si je n'avais pas changé. Un sujet que je n'aborderai pas avec Tasha. Les deux sœurs étaient loin d'être proches après tout et ce qui regardait l'une ne regardait pas forcément l'autre. Silencieux, je fixais la jolie brune qui ne semblait désirer qu'une chose : que je lui foute la paix. Sauf que c'était loin d'être mon intention dans l'immédiat.

« Ta sœur aussi pensait que je n'avais pas changé. Elle a vite comprit que ce n'était pas le cas. »

Inutile de lui cacher que j'avais déjà revu Abbygail. Je n'en avais pas l'intention, surtout qu'elle finirait forcément par l'apprendre, de la bouche de sa sœur ou encore de Nana, leur grand-mère maternelle. Peut-être même était-elle déjà au courant ? Possible. Je le saurai très vite dans ce cas. Et si elle ne l'était pas et me demandais où j'avais vu sa sœur, je me contenterai du minimum syndical. J'étais persuadé qu'elle n'apprécierait pas en entendre d'avantage qui plus est. Fixant à mon tour le tableau, j'observais le mélange harmonieux des couleurs et des formes avant de poser à nouveau mes yeux sur Tasha :

« Ça fait longtemps depuis...cette nuit-là. Je regrette beaucoup ce qui s'est passé et, surtout, de t'avoir laissé sans nouvelles. J'aurai bien aimé te dire adieu mais je n'en ai jamais eu l'occasion avec ton père à mes trousses... »

Une excuse qui me paru bien piètre mais je n'en avais pas de meilleure à lui fournir. De plus, je doutais qu'elle veuille en entendre d'avantage. Après tout, elle avait toutes les raisons du monde de m'en vouloir pour ce qui s'était passé à l'époque, quand bien même c'était elle qui, pour oublier son chagrin d'amour, s'était tournée vers moi pour la consoler. Une chose que j'avais mal faite mais nous étions jeunes à l'époque. Surtout moi. Vingt ans mais j'étais loin d'être l'adulte mature que j'étais aujourd'hui, à mon grand regret quand j'y repensais. Lâchant un infime soupir, je fini par dire :

« Dis-le si tu veux que je m'en aille... »

Tiens, elle ne fut pas aussi surprise que je l'aurai cru. J'avais pensé que Tasha serait étonnée de m'entendre dire que j'avais rencontré sa sœur mais c'est tout juste si elle fut intriguée. J'en déduisis aussitôt qu'Abbygail avait déjà dû lui dire. La question que je me posais maintenant fut de savoir ce que la jolie blonde avait bien pu lui raconter. Avait-elle parlé de notre week-end à la campagne ou bien s'était-elle contentée de la simple rencontre dans le cadre professionnel ? La connaissant, je me doutais qu'il devait s'agir de la seconde hypothèse, qui était celle que je préférais pour être honnête. L'embarras serait bien moins grand pour moi si Tasha ne savait pas ce qui s'était passé avec Abby durant tout ce week-end à la campagne. Si elle ne me haïssait pas, elle risquait fort de le faire. Mais qu'en savais-je après tout ? Tout comme j'avais cru que la blonde me détestait alors qu'elle m'aimait, il était fort possible que je ne connaisse pas Tasha aussi bien que je le croyais. Et puis en quatre ans, elle avait très certainement dû pas mal changer elle aussi. Une chose que lui avait apparemment dite Abby à mon sujet. La seule aussi car la brune me demanda de lui en dire d'avantage quand à ce qu'on avait fait. Prenant un air des plus ordinaires, je répondis tranquillement :

« Pas grand chose. En fait, c'est dans le cadre de mon travail qu'on s'est revu. Je suis architecte, au cabinet de M.Burrow pour lequel je bosse. Ta sœur a fait appel à ce cabinet pour construire une demeure pour Charles, votre majordome, et c'est à moi qu'on a confié le projet. Ça a été une surprise mais on a été très...'adultes' en oubliant nos rancunes du passé pour se concentrer sur le présent et l'avenir. Bon après, il est vrai qu'on a discuté que de la future maison... »

Une demi-vérité que voilà mais je préférais cela que de tout déballer. Certes, on avait discuté de la maison de Charles mais on n'avait pas fait que ça. Bref ! N'ayant pas très envie de m'étendre d'avantage sur le sujet délicat qu'Abbygail représentait pour moi, je préférai profiter du silence de Tasha pour m'excuser quant à ce qu'il s'était passé il y a quatre ans. Aucunes nouvelles de ma part, ça n'avait pas dû être facile à digérer, même avec son caractère plus coulant que celui de sa jumelle. Et quand bien même elle me répondit que ce n'était pas bien grave, je devinais qu'elle ne devait pas réellement le penser. Ça ou bien je la dérangeais alors qu'elle ne voulait pas être dérangée. D'où ma question quant à si elle souhaitait que je reste ou non. Je ne voulais pas l'importuner. Après tout, si elle était venue ici, ce devait être pour profiter de l'exposition et ma présence la dérangeait très probablement. Une probabilité fausse car, apparemment, elle était plus ici pour se distraire de soucis dus à Abbygail. Je ne pu m'empêcher d'en ressentir de la curiosité. Tasha semblait fâchée après sa sœur et ça m'intriguait mais je ne dis rien et me contentais de sourire quand elle fini par dire que cela lui faisait plaisir de me voir malgré tout.

« Moi aussi ça me fait plaisir de te revoir même si je ne m'attendais pas à te rencontrer ici. »

Je ne lui dis pas mais j'appréciais d'autant plus de la retrouver dans cette galerie d'art, qui était un lieu de rencontre bien plus appréciable que ne l'avait été mon bureau. Quoique mon bureau avait présenté l'avantage non négligeable d'offrir une grande intimité. Possibilité que n'offrait pas tellement la galerie, qui ne semblait pas vouloir désemplir en plus. D'où ma nouvelle question :

« Puis-je t'offrir un verre ? Il y a un petit café-bar à l'extérieur de la galerie qui sert d'excellentes boissons, idéales pour se détendre... »

Non pas que je trouvais qu'elle ait vraiment besoin de se détendre mais, la connaissant, un bon verre ou une bonne tasse lui ferait le plus grand bien vu l'humeur qu'elle semblait avoir...