Cory se lassait vite. Cela ne faisait que quelques minutes qu’elle était assise ici, dans l’herbe, que déjà l’envie de bouger et se dépenser lui donnait des fourmis dans les jambes. Amaury avait tourné la tête, elle fit de même pour voir ce qu’il regardait. Les gens qui passaient. Elle pouvaient passer des heures, assise à un arrêt de bus, seulement à observer la façon dont les personnes étaient habillées, la marque de leur sac à main, la couleur de leur vernis à ongles. A s’imaginer la vie qu’ils devaient avoir, le métier qu’ils devaient faire, inventant des agents de la CIA aussi bien que des amantes d’hommes politiques célèbres.
Sauf que là, elle était trop énervée pour prendre le temps de se poser dans un état semi léthargique, avec pour seule activité le battement de ses cils. Elle laissa donc le garçon à sa contemplation, pour ranger ses petites affaires qui gisaient toujours dans l’herbe au milieu des pâquerettes. Pour avoir les mains libres, elle plaça sa cigarette dans sa bouche, et, s’agenouillant dans l’herbe, elle ramassa à deux mains ses bricoles, les mettant à l’intérieur de son sac au fur et à mesure. Quant elle eut terminé, elle tira sur la fermeture éclair pour fermer sa sacoche, et s’allongea en la prenant pour oreiller. Sa jupe avait glissé un peu trop bas sur ses hanches à son goût, elle releva donc les fesses, sans se relever, en s’appuyant uniquement sur ses pieds et son dos, pour remonter le bout de tissu noir microscopique qui l’habillait.

[color:9665="Red"]Et bien, à vrai dire je n'ai pas cours tout de suite. Mais pour le cours que j'ai juste après, je suis au bon endroit. Et toi, tu es censée être en cours de quoi ?

Le soleil lui faisait froncer les sourcils, Cory tira une nouvelle fois sur sa clope, et s’appliqua à former des ronds de fumées de plus en plus grands. Pour pouvoir voir Amaury, elle devait protéger ses yeux des rayons solaires agressifs. Elle posa donc son bras sur son front, créant ainsi une zone d’ombre, avant de répondre enfin à son interlocuteur.

Dessin.

S’il était ici, le brun à l’allure gothique qui lui faisait face devait donc être... un scientifique. Tout son opposé. Pas de place pour la rêverie, tout doit être prouvé et logique, carré. Dans l’enseignement qu’elle avait choisi, Cory, au contraire, ne devait se laisser guider que par ses émotions, ses envies, sa liberté. Elle avait du mal à comprendre le fait que l’on pouvait désirer s’enfermer dans une blouse blanche à manipuler des tubes à essais à longueur de journée. Ce n’était pas du tout son truc.
Elle ne regardait pas beaucoup le Delta ; quand elle était en compagnie de quelqu’un qu’elle ne connaissait pas vraiment, Cory préférait jouer les indifférentes. Cela lui permettait, au cas où un ami du garçon arriverait, de ne pas se sentir ridicule. Elle se relaxait petit à petit, aidée par la nicotine et par la tiédeur que prenait sa peau à être ainsi exposée. Elle n’encourageait pas la discussion, et en était totalement consciente, mais c’était dans son caractère. Après tout, elle n’avait rien demandé, c’était lui qui l’avait abordée en premier !

Sa cigarette terminée, Cory la lança du bout de ses doigts tâchés de nicotine pour qu'elle atterrisse à ses pieds. Ainsi, sans quasiment bouger, elle put écraser le mégot du bout de sa botte de cuir noir. Une sonnerie stridente, marquant le début des cours et donc la fin de tout espoir pour elle d'être encore acceptée, retentit soudain, couvrant tous les bruits alentours de bavardage et claquements de portes. Ce bruit, Cory l'avait presque oublié pendant les vacances... Et déjà, cela lui rappelait des mauvais souvenirs et sonnait la fin de la liberté. Peut importe. Elle n'avait pas trouvé sa salle de cours, mais elle avait trouvé beaucoup mieux ; un coin d'herbe bien verte et épaisse, en plein soleil en plus! Que demander de plus? Elle était tellement à son aise, qu'elle laissa échapper un soupir de bien être.

Sa flemme légendaire reprenait le dessus. Elle avait les capacités, elle était même plutôt intelligente, avec un avantage ; elle avait un esprit vif, et réagissait particulièrement vite quand elle s'intéressait à quelque chose. Le problème, c'était qu'il fallait la pousser, encore et toujours. Car dès qu'elle se sentait un peu délaissée, ou fatiguée, elle baissait les bras et abandonnait le tout. Pas de demie mesure ; elle arrêtait tout bonnement de travailler. Là, le simple fait de ne pas trouver sa salle lui avait fait perdre toute confiance en elle et toute motivation. Elle reconnut la voix du garçon qui s'adressait à elle, elle tourna alors la tête, sans enlever son bras de son front, et grimaçant légèrement pour pouvoir distinguer son visage à travers les rayons du soleil.
Mmmmh. Tu n'es effectivement pas au bon endroit. Même si je ne sais pas du tout où sont les salles d'art.
Il avait l'air un peu étrange... étrangement calme, en tout cas. Comme quelqu'un qui a quelque chose à cacher. Cory s'était mise à remuer ses jambes en rythme, en les faisant se retrouver d'un cognement de ses genoux à chaque allé et venu. Lui restait parfaitement immobile, il n'avait pas bougé depuis qu'elle l'avait vu ici un peu auparavant. Histoire de le faire réagir, elle prit un air extrêmement désinvolte, jouant à fond son rôle de rebelle. Dans le genre je fais ce que je veux, je me fiche de l'autorité, elle savait y faire.

Tant pis. Je passerais ma journée ici.

Elle n'en avait pas réellement l'intention ; déjà, parce que David risquait de venir dans le coin pour ses cours, et que Cory avait envie de tout sauf de se faire enguirlander par son frère de cœur. Et aussi parce qu'elle ne tenait pas en place, même si, elle devait l'avouer, elle avait dû se lever tôt pour être à l'heure à Berkeley et que par conséquent elle se sentait un peu fatiguée. Sans le soleil sur sa peau, il y a longtemps qu'elle aurait trouvé quelque chose à faire, comme faire la roue au milieu de la pelouse, ou s'amuser à titiller son compagnon. D'ailleurs, cela commençait à la démanger, elle avait dans sa nature un petit côté taquin qui avait du mal à rester endormi trop longtemps. Elle adressa donc à Amaury un grand sourire en plissant exagérément les yeux. Ce n'était pas grand chose, mais elle voulait évaluer à quel point le jeune homme serait réceptif avant d'aller plus loin.