« Oui, bien sûr »

Aymeric leva la tête et prit d’un mouvement nonchalant le paquet que lui tendait Nina et se prit une cigarette qu’il alluma directement avec son briquet à zippo, se félicitant au passage de ne pas se brûler en même temps. Il en aurait été capable tant que le choc de revoir Nina était grand. Il s’était attendu à ne plus jamais la revoir, l’avait même rayé de sa vie. Une déception de plus, un malheur au féminin qui s’ajoutait. Lorsqu’il lui revenait à l’esprit, il essayait de se dire que cette histoire faisait pâle figure à côté de Johanna. C’était son moyen – certes morbide – de relativiser ce qui pouvait aller mal autour de lui. Mais de manière générale, cela ne l’aidait pas, chose plutôt logique. S’il ne se disait pas que c’était deux histoires parfaitement différentes avec leurs impacts propres, il souffrait une fois de plus de l’absence de Johanna. Au fond, il n’avait jamais réussi à s’en soulager et s’en était à prendre le monde entier en horreur, à se demander ce qu’il fabriquait encore là, ressentant son envie de vivre comme une mauvaise addiction parfois. Non, quand il s’y mettait, il n’était pas agréable à vivre car il finissait par rendre les autres mal à l’aise. Mais cela ne lui avait pas traversé l’esprit que Nina était comme ces autres, mais visiblement, si. Il sentait sa présence derrière lui et hésitait entre se demander ce qu’elle faisait encore là et le fait de ne pas savoir quoi penser. Finalement, après une bouffée, il l’entendit s’asseoir à côté de lui et il lui tendit son paquet en retour, bien qu’il lui aurait piqué quelques cigarettes. Mais il n’avait pas envie de lui demandant, faisant probablement un peu le gamin. Probablement qu’il n’avait plus envie d’avoir à faire avec elle. Il était aussi possible qu’il n’en ait rien à faire. Il avait envie d’en avoir rien à foutre et continuer son chemin en traînant les pieds comme il le faisait si bien.

« Hum … comment vas-tu ? »

Il releva ses yeux précédents posés sur le bitume sur Nina. Comment il allait ? Comment l’éternel petit-ami ayant perdu sa copine et accessoirement contribué à son décès ? Comme celui qui vit des choses qu’elle ne pourra pas vivre, elle ? comme l’éternel con qui cumulait les malheurs aux féminins ? Il ne savait pas quoi répondre. De toute manière, il avait toujours trouvé cette question stupide. Elle n’était qu’une formule de politesse qu’il était venu à haïr après le départ de Johanna, se demandant presque comment on pouvait la poser et de manière égocentrique, la poser à lui. Et venant de la part de Nina … il ne savait pas quoi en penser. Il aurait aimé lui demander si cela l’intéressait vraiment ou lui dire qu’il allait parfaitement bien et qu’il avait juste besoin d’air, sous-entendant ainsi qu’elle pouvait retourner à la fête ou dieu sait où comme elle l’avait déjà fait. Mais il l’avait connue et d’après ses souvenirs, elle ne posait pas cette question en cherchant un moyen de fuite. Ou peut-être avait-elle changé. Lui n’avait pas changé. Il était toujours aussi laconique, refermé, comme la première fois qu’elle l’avait vu.

« Ca va et toi ? finit-il par répondre en posant son regard azure dénué d’expression sur sa cigarette, soudainement absorbé par son côté rougi, depuis le temps, laissa-t-il échapper néanmoins sans le regretter réellement. »

Il lui en voulait, c’en était certain. La rancune, il la connaissait bien puisqu’il l’alimentait éternellement contre lui et peut-être que le fait d’avoir commis un crime le rendait moins tolérant envers les autres, ce qui était ironique. Il se comportait comme une fille à ses yeux à ne pas avoir réussi à complètement passer sur cette blessure, mais c’était lui et il n’avait pas la force de se montrer souriant et de jouer à l’étudiant heureux parce qu’il a réussi à culbuter une fille bourrée dans les toilettes. Il y avait déjà pensé, mais il n’y arrivait pas, préférant afficher son air refermé et froid. Mais il s’était un peu déridé à Berkeley, mais probablement que l’étiquette « petit chiot abandonné » lui collait toujours. Allez savoir, il s’en fichait au fond.

« Je m’attendais pas à te voir ici. »

Sur le coup, il ne put s’empêcher d’hausser un sourcil et de glisser un regard presque moqueur à Nina. Il ne savait plus si Berkeley existait déjà dans son monde lorsqu’ils s’étaient rencontrés car il n’avait pas la notion du temps, ni des dates. Il était vrai que si elle l’ignorait, elle pouvait penser que le sort avait une dent contre elle en lui faisant tomber pile sur le Français qu’elle avait blessé en France, en Amérique. A Berkeley, pile dans son université et de le croiser alors que l’endroit était rempli d’étudiants. Il était difficile parfois de croiser ses amis, mais il semblait que ce n’était pas le cas pour ses ennemis. Reportant sa cigarette à ses lèvres, le regard divaguant vers le ciel noir, Aymeric avala une bouffée et regarda la fumée qu’il laissa lui échapper avant de regarder à nouveau Nina :

« C’est vrai qu’il fallait un sacré pourcent de chances ou de malheurs pour tomber sur moi aux Etats-Unis dans ton université et parmi tous les étudiants présents, dit-il en haussant les épaules, Mais c’est la même pour moi. Je ne pensais pas qu’on serait amené à se revoir. »

Il ne savait pas s’il pouvait s’estimer chanceux ou malchanceux de la recroiser. D’un côté, c’était le moment pour résoudre le mystère de sa disparition et avec de la chance, récupérer une amie qui avait su alléger sa peine. De l’autre, c’était lui rappeler une déception et peut-être que ce qu’il entendrait ne lui plairait pas. Après tout, il était mieux de rester dans l’ignorance parfois. Mais une chose qui était sûr, c’est qu’il allait se comporter en bon Aymeric de Lavignères, c’est-à-dire : ne pas rendre la tâche facile.