La brune releva doucement ses yeux bleus. Elle glissa une mèche de ses cheveux bruns derrière ses oreilles de sorte à dégager son visage pour avoir une vision plus précise. Elle le vit encore. Even avait déjà croisé le jeune homme quelques fois. Il s'asseyait en face d'elle et la scrutait du regard. Elle n'aimait pas vraiment ce regard sur elle. Elle avait l'impression qu'il était en train d'énumérer à quel point son physique était affreux. Elle tourna délicatement une page de son livre se servant d'un bout de crayon pour numéroter les pages importantes. Rassurez-vous, ce roman était sa possession, la jeune femme ne se serait jamais permis de gribouiller sur l'un des ouvrages que possédait la magnifique bibliothèque. Elle préférait étudier ici. L'ambiance était bien plus calme que dans les dortoirs. Elle n'aimait pas vraiment l'endroit où elle était située. Elle avait beau adorer avoir intégré les alphas, elle en était très fière d'ailleurs, elle pensait qu'ils seraient légèrement plus studieux. En tout cas son voisin de chambrée ne l'était pas, il aimait faire partager ses affreux goûts musicaux au monde et la gênait énormément. Even avait besoin de se concentrer, elle devait retenir une centaine de nouvelles maladies rares, venant exclusivement du Congo.

Elle tapait nerveusement avec le bout de son crayon sur la table, le brun était toujours en train de la dévisager. Il semblait avoir de l'assurance pourtant s'il souhaitait vraiment lui recenser ce qui lui déplaisait chez elle pourquoi la faisait-il attendre sous le bruit incroyablement stressant de l'horloge qui était accrochée dans le fond de la bibliothèque ? Etait-ce son nez qui lui déplaisait ? Ou bien ses lèvres ? Ses yeux étaient-ils trop étrange à son goût ? Ce pouvait-être quelque chose que la jeune femme avait pu faire. Lui avait-elle volé sa précieuse place ? Elle avait pourtant l'habitude de se l'approprier chaque soir à la même heure, si celle-ci était la possession du jeune homme il l'aurait remarqué bien plus tôt et il lui en aurait touché deux. Cela aurait été un comportement censé et logique. Mais peut-être ne l'était-il pas ? S'il fallait il préférait attendre, tapis dans l'ombre à la dévisager, jusqu'à ce que son regard pesant la fasse craquer, lui fasse perdre le contrôle.

Il semblait vicieux. Mais à vrai dire, elle n'en savait rien. Elle ne l'avait fixé qu'un très court laps de temps. Elle avait peur qu'un malaise s'installe même si à vrai dire il semblait avoir pris possession de la salle depuis bien longtemps. Le silence était lourd, Even ne parlerait pas, elle essayait tant bien que mal de se concentrer. Elle stoppa le bruit infernal que faisait le choc entre le crayon gris et la table en bois et utilisa le fin instrument pour dessiner une croix à côté d'un mot. Elle avait appris une maladie de plus et était plutôt fier de ça. Vous ne vous rendez sûrement pas compte à quel point c'était un exploit vu l'homme qui se tenait à côté d'elle, scrutant ses moindres faits et gestes. Elle se demandait quelques fois combien de temps s'était écoulé. Pour elle cela faisait des heures et des heures qu'il la dévisageait, mais elle savait que ce n'était pas forcément réel. Elle était certaine qu'au final cela ne faisait qu'une petite minute et que le jeune homme allait bientôt réagir. En tout cas elle l'espérait, elle n'arrivait plus à supporter cette ambiance qui commençait à la faire frissonner d'angoisse. Even avait tendance à avoir des réactions exagérées, elle n'avait pas de quoi s'en faire. Ce n'était rien. Pourtant, la jeune femme se sentait tellement mal, elle avait l'impression d'être jugé en permanence et elle détestait ça.

Il n'y avait rien de pire pour elle que les jugements lors des premières rencontres. Elle ressentait toujours le besoin d'être aimé de tous et de nombreuses personnes avaient tendance à l'étiqueter. Ils gardaient généralement en tête leurs premières impressions. Elle ne pouvait pas vraiment les critiquer sur ce sujet, elle faisait la même chose. C'était humain après tout. Mais ce n'est pas pour autant qu'elle ait apprécié ce genre de choses. C'était une étape extrêmement stressante pour elle. C'est à partir de là que le protagoniste allait décider si elle était apte ou non à intégrer son cercle d'ami, si elle valait la peine de prendre de son temps pour apprendre à la connaître.

Lorsqu'elle était encore prise dans ses pensées elle entendit un bruit qui la fit presque sursauter. C'est celui d'une chaise, raclant contre le parquet de la salle immense. Cet évènement avait produit un énorme écho qui réveilla même un élève qui s'était assoupis, quelques tables en avant. Even ne pût retenir un énorme soupir de soulagement, elle avait l'impression que ce moment désagréable était vraiment en train de se finir. Et pourtant, quelques secondes plus tard elle pouvait sentir à nouveau ce regard lourd sur elle. Elle tourna faiblement sa tête vers la gauche de sorte à comprendre ce qu'il s'était passé. L'homme avait simplement changé de place, il était désormais à côté d'elle, encore plus proche. S'il se penchait légèrement Even savait qu'elle pourrait sentir le souffle chaud du jeune homme caressait avec douceur ses oreilles. Ce qui l'intrigua c'était le sourire charmant que lui lançait l'inconnu. Il avait une lueur dans ses yeux qui la faisaient se sentir plus en sécurité et plus rassuré. Elle détestait ce comportement paradoxal dont elle avait fait preuve. Maintenant l'homme qu'elle trouvait étrangement inquiétant tout à l'heure s'avérait déjà une aura qui la mettait en conscience. Elle avait encore jugé quelqu'un trop vite et avait envie de se faire des reproches à haute voix. Elle se résigna comprenant qu'elle passerait pour une folle et que ça n'allait pas aider le garçon à l'apprécier.

Pourtant, elle était quasiment certaine que ce sourire ravageur qu'il lui adressait était un énorme signe pour exprimer le fait qu'il l'ait jugé digne d'une conversation. Pourtant, il ne parlait pas encore. Il attendait peut-être d'elle qu'elle engage une discussion. Even était légèrement timide et on ne pouvait pas dire qu'elle appréciait faire les salutations à un inconnu. S'il souhaitait lui parlait, elle préférerait que ce soit lui qui fasse le premier pas.

Elle baissa les yeux, encore, tenta de l'ignorer, encore. Elle s'était dit que puisque le jeune homme ne semblait visiblement pas vouloir parler elle allait faire comme s'il n'existait pas et espérait que le temps s'écoulerait plus rapidement. Cette notion est tellement relative, lorsqu'on s'ennuie nous avons l'impression que nous sommes ici depuis une éternité mais lorsqu'on s'amuse une heure défile en une simple seconde. Even avait toujours été fasciné par le fait que le cerveau arrive à changer la perception de cette unité pourtant statique. Elle commençait à se perdre dans ses pensées, à se poser des questions. Qui a inventé le temps ? Est-ce notre cerveau ou est-ce que cette notion existe vraiment ? Tout était si compliqué à comprendre, il y avait tellement de mystères dans la vie humaine.

L'alpha leva les yeux le temps de fixer l'horloge, la bibliothèque allait probablement bientôt fermer et elle serait sûrement épargnée de l'enfer que lui infligeait sa timidité. Mais tandis qu'elle faisait quelques calculs pour comprendre quand elle serait libérée de ce regard oppressant que le jeune homme lui lançait, celui-ci se mit à parler. La jeune femme fut tellement surprise qu'elle sursautât et eut même peur d'attraper un vilain hoquet au passage. Elle détestait ça, déjà qu'il était difficile pour elle de parler si en plus ce qu'elle disait était des incontrôlables onomatopées, elle se serait liquéfié de honte sur place.

Elle était si gênée qu'elle rougirait si elle le pouvait. Mais, Even n'avait jamais réussi à rougir, il faut dire qu'avec les situations scandaleuses que lui faisait vivre sa mère quotidiennement, on pouvait dire que l'étudiante était immunisée. Le brun fit une remarque sur son silence. Elle avait tellement envie de lui répondre, mais elle ne le pouvait pas, cela aurait été déplacé et elle n'avait pas envie de paraître rude aux premiers abords, même si c'était avec une personne sans manières.

Elle commençait à entrouvrir les lèvres pour se préparer à murmurer un simple et distingué "non, ce n'est pas ce qu'exprime mon silence.." mais, elle se retint, elle n'avait même pas assez d'assurance pour parler. Il faut dire qu'Even avait toujours eu du mal à répondre négativement à quelqu'un. Déjà qu'elle avait du mal à leur parler en retour, tout simplement, si en plus elle disait non, elle aurait été pétrifié de peur à l'idée qu'ils puissent la trouver désagréable et impolie. C'était dans sa nature de vouloir être appréciée de tous. Même si elle se doutait que ce genre de choses était impossible, ça ne l'empêchait pas d'essayer et de réfléchir à ses actions pour qu'elles ne soient pas éliminatoires.

Ensuite, le jeune homme, dont elle avait presque réussi à oublier la présence, recommença à parler faisant maintenant allusion à quelque chose qu'Even n'avait pas vraiment compris. De quoi pouvait-il bien parler ? Il disait qu'il l'avait vu, mais faire quoi ? La jolie demoiselle avait-elle quelque chose sur le visage ? Avait-elle fait ou dit quelque chose de déplacé ? Elle commença à se sentir mal. On ne pouvait pas dire qu'elle fut blessée par les paroles de l'autre, elle n'avait tout simplement compris et commençait à s'imaginer les pires scénarios. Peut-être l'avait-il vu lorsqu'elle avait traversé le passage piéton alors que le feu rayonnait d'une couleur clairement rouge ?

Ne pouvant plus retenir sa curiosité, surtout qu'elle commençait à étouffer dans ses diverses hypothèses ridicules, elle finit par lui demander, tout simplement. Du moins, elle essaya. Tout d'abord, elle tourna la tête vers lui, de façon à lui lancer un regard interrogateur et quelque peu agressif. Bien entendu elle n'eut pas assez de courage pour faire cela et tout émotions s'effaça de son visage quand elle vit le visage du bel homme. Ce n'est pas qu'elle fut intimidée par sa beauté, elle le fut par son charisme et sa façon de se tenir. Il était sûr de lui et de ce qu'il faisait, la belle pouvait clairement le voir. Elle aurait aimé être comme lui, se ficher de ce que disent les autres, se placer à côté d'une jeune fille sans avoir à demander son autorisation.

Puis, il commence à lui sourire. Elle ne pourrait vous décrire ce qu'elle ressentit à ce moment, elle était tellement troublée qu'elle avait peur d'avoir rigolé niaisement comme une de ces idiotes d'adolescentes devant leur coup de cœur. Heureusement pour elle, elle réussit à se retenir. Elle n'avait pas envie d'imaginer dans quelle situation honteuse elle se serait placée si elle n'avait pas réussi.
Rassurez-vous, Even réussit à se montrer courageuse et finit par glisser ses ressentis à son voisin de table.

- De quoi est-ce que vous voulez parler ?

Elle ne l'avait pas tutoyé, elle n'était pas comme ça. Elle craignait toujours qu'une personne adorant la politesse vienne l'agresser, lui faisant une leçon sur le fait que parler à la deuxième personne du singulier était totalement immoral et inacceptable. Elle arrêtait de vouvoyer quelqu'un uniquement lorsqu'il lui faisait part de son accord. Pour tout avouer, Even n'agissait jamais sans le consentement des concernés. Elle n'avait pas assez de cran pour leur tenir tête si ceux-ci commençaient à se vexer. Même si ce qu'elle devait dire ou faire était extrêmement important pour elle, elle souhaitait tellement respecter les autres que son ressentis passait après leurs désirs. Elle se sacrifiait en permanence, c'était ça depuis sa plus tendre enfance, de toute façon. Lorsque son père lui disait de déguerpir quand il était occupé, elle le faisait même si elle avait l'intention de lui demander de s'occuper du genou qu'elle venait de s'égratigner. Il faut dire qu'être élevé dans une famille égoïste inculpe automatiquement le sens du sacrifice.

Des fois, la jeune femme aurait souhaité avoir un frère ou une sœur jumelle, elle aurait tellement voulu que quelqu'un traverse les mêmes épreuves qu'elle et qu'il puisse la comprendre et la consoler, lui dire que tout va bien et que tout ira toujours bien tant qu'il fût là pour elle. Vous pourrez la trouver ridicule de s'imaginer ces stupides et impossibles scénarios, mais ça n'empêchera jamais Even de penser à ce genre de choses.

Il y a deux types de personnes sur terre ; les rêveurs et les réalistes. Even March Campbell appartient à la deuxième catégorie.