Depuis combien de temps Erwan et moi communiquions-nous ? Je ne saurais vous le dire, mais, en tous les cas, nous avions l'impression de nous connaître depuis des années et des années, nous nous étions livré des secrets très précieux, gardant toutefois notre petit jardin personnel. Mon jeune correspondant était au courant de mes problèmes d'anorexie et étant étudiant en médecine, il ne se montrait pas avare de conseils. De même, je n'avais pas hésité à lui dire pour ma mère... De son côté, il m'avait confié la douloureuse perte de sa mère et de l'autre côté le décès de sa petite amie survenu 2 ans auparavant. Ainsi, j'avais vraiment l'impression d'avoir un meilleur ami virtuel et pendant longtemps, nous nous étions contentés de cette situation puis l'Atlantique nous séparait. Jamais je ne m'étais posé la question à savoir si en vrai, mes sentiments d'amitié si forts seraient les mêmes si je connaissais Erwan en personne. J'avais été amenée à me questionner là-dessus assez brutalement, lorsque j'avais appris mon départ d'Oxford pour Berkeley dans le cadre d'un échange entre université. Je n'avais bien sûr pas manquer de prévenir mon ami de ma venue mais j'avais préféré attendre plusieurs jours après mon arrivée avant de le rencontrer. Tout d'abord parce que j'étais profondément dépaysée par le voyage mais aussi parce que je ne voulais pas apparaître devant Erwan si fragilisée et si à fleur de peau que je l'étais depuis la découverte de l'identité de mon père et surtout l'existence de ma soeur.
Me sentant en meilleure forme depuis la veille, j'avais contacté Erwan dans la matinée afin de lui fixer un rendez-vous. Ainsi, nous avions convenu de nous retrouver à 19h au Starbucks Coffee. Soucieuse de ne pas lui déplaire j'étais arrivée en avance et j'avais pris soin de me faire placer dans un coin de la salle pour être au calme avec mon ami. J'étais alors particulièrement anxieuse, j'avais peur de l'homme que j'allais découvrir, je craignais de ne pas retrouver en lui le jeune homme adorable que je connaissais et surtout, j'avais peur de ne plus avoir son amitié, de perdre une relation forte qui me tenait très à coeur.

C'est le 17 février que j'ai reçu la dernière lettre d'Erwan, elle m'a, comme les autres, beaucoup touchée. Certes, il ne fallait pas grand chose pour m'atteindre à ce moment-là mais mon jeune ami savait toujours trouver les mots pour bien me parler, me prendre avec des pincettes. Cette fois-ci, je n'allais pas lui répondre, pour la simple et bonne raison que je décollais le lendemain pour l'Amérique et que je comptais le rencontrer au plus vite. Pendant tout le vol, j'avais lu et relu cette lettre avec l'impression toujours plus forte, à chaque instant passé, que je me rapprochais d'un instant clé de ma vie, une drôle de sensation que je ne savais interpréter mais qui n'était qu'agréable !

Le temps avait passé, pas assez vite à mon goût, certes, et j'étais maintenant là à attendre impatiemment mon ami. Je guettais chaque entrée dans le but de le reconnaître. J'avais peur de le louper, après tout, je n'avais eu que quelques photos de lui et peut-être que, comme on le disait pour moi, j'étais différente en photo qu'en réalité, d'ailleurs, j'espérais qu'il pense la même chose que les autres de ma personne puisqu'il paraît que je suis plus belle en face que sur le papier glacé. Bref, je me questionnais vraiment sur la personne qu'allait me dévoiler Erwan. Je le connaissais par ses lettres mais j'avais appris au cours de mes études que les écrits n'étaient pas toujours le reflet de l'âme. En tous les cas, je ne m'imaginais pas qu'il pouvait être un véritable ch*eur avec les femmes et encore moins qu'il était d'une nature sensible.

Plongée dans mes pensées, alors qu'un serveur venait de venir me demander si je voulais passer commande, ce à quoi j'avais répondu par la négative, je vis entrer un jeune homme dans l'établissement. C'est exactement le même que sur les photos mais il était encore plus charmant et même de loin, il dégageait quelque chose d'incroyable. Je le vis alors s'approcher de moi, un petit pot de fleurs tout mignon dans les mains. Ravie, je me levais sans pouvoir me contrôler et un grand sourire se dessina sur mon visage, reflet sincère de mon ressenti. Malgré tout, à sa première phrase et à sa tenue, et le fait que je n'étais pas encore une psychologue experte, je sentis tout de suite qu'il n'était pas à son aise. Je sentais qu'il n'avait pas confiance en lui mais en même temps qu'il était heureux. Enfin, sa mine me fit penser qu'il avait passé une journée assez difficile.
« Non, ne t'inquiète pas, je ne suis arrivée que depuis quelques minutes ! J'ai préféré arriver en avance, adroite comme je suis, c'est étonnant que je ne me sois pas perdue ! »
Je me rassis alors bien que je mourrais d'envie de le serrer dans mes bras, j'avais tant besoin d'un contact physique avec un ami depuis ma rechute et puisque Erwan en savait beaucoup sur moi, je me sentais en parfaite confiance avec lui...

Avant de rencontrer Erwan, je ne savais vraiment pas comment j'allais réagir puisque j'avais l'impression de le connaître et en même temps, pour une timide comme moi, il était plus facile de communiquer par courrier que de vive voix. Et pourtant, je n'avais rien fait pour me soulager et le moment venu, je n'avais pu me retenir de me montrer très chaleureuse envers cet adorable garçon. Il faut dire qu'il était un ami très cher auquel je tenais beaucoup et j'étais en manque d'affection, du coup, j'aurais bien passé des heures blottie dans ses bras où j'aurais été sûre de me sentir en sécurité et vraiment à mon aise. Aussi, mon léger malaise était-il comblé aisément par mon enthousiasme.
Vraiment, quand je l'avais vu entrer, j'avais eu l'impression que quelque chose se concrétisait et que c'était là le début d'une nouvelle et magnifique histoire entre nous deux. Peut-être que j'étais trop optimiste mais c'était simplement mon ressenti naturel et je ne pouvais pas aller contre. J'étais si heureuse de pouvoir enfin le rencontrer, il était le seul ami sincère que j'avais alors en dehors de Londres et malgré que nous ne nous soyons jamais vus précédemment, j'avais l'impression de le connaître depuis des années, et, surtout, je ne voulais pas le quitter, surtout si il se montrait comme il l'était dans ses lettres, purement et simplement adorable...
Je dois bien reconnaître qu'en le voyant entrer mon coeur a tambouriner dans ma poitrine, je savais qu'il était mignon puisque j'avais reçu quelques photos de lui mais vraiment, en réalité, il était encore mieux... Il était tout simplement parfait, très bien bâti, et son visage était d'une magnificience incroyable. J'avais tout de suite remarquer son regard, doux, posé et apaisant mais toute sa personne dégageait cet état, il avait un grand charisme qui ne me laissa pas de marbre, pourtant, dans mon genre, j'étais assez difficile pour reconnaître de la beauté physique un garçon, j'avais mes canons auxquels je ne voulais pas déroger.
Lorsque je vis qu'Erwan n'était pas arrivé les mains vides mais avec un pot de fleurs, j'avais été confortée dans mon idée que c'était vraiment un garçon bien. D'ailleurs, son attitude embarrassée m'amusait, je la trouvais séduisante, elle allait parfaitement bien avec son visage déjà mignon à la base. Dépourvue de la moindre gêne, je pris le pot de fleurs et lui fit une bise pour le remercier, ne manquant pas de poser ma main dans son dos pour lui signifier combien j'appréciais ce geste et qu'il pouvait se rassurer.
-Elles sont magnifiques, Erwan vraiment ! Ca me fait très plaisir ! C'est adorable de ta part et sache que tu les as très bien choisies !
Gagnant ma place une bonne fois pour toute, je passais ma commande au serveur assez rapidement pour pouvoir être tranquille avec Erwan, aussi je ne pris qu'un soda, le décalage horaire me faisait encore de l'effet si bien que je n'étais pas tout à fait dans mon assiette.
-Si tu savais comme je suis contente de pouvoir enfin te voir ! Je me demandais si je n'allais pas être déçue vu combien j'appréciais le garçon qui m'écrivait mais en toute sincérité, je me sens déjà très à l'aise avec toi, ce qui est rare venant de moi vu que je suis très réservée avec les personnes que je ne connais pas ou que je rencontre la première fois. J'espère que je ne vais pas te décevoir et même te faire un bon effet comme tu le fais pour moi !

J'ignorais que j'étais l'objet d'étranges sentiments de la part d'Erwan. Si je l'avais su, j'avoue que j'en aurais été flattée bien que mon souci n'était pas de lui plaire outre mesure, je voulais simplement lui paraître sympa comme c'était le cas par mes lettres. Je ne sais pas où tout cela nous mènerait à l'avenir, j'étais loin de pouvoir faire des suppositions et ce n'était pas du tout dans mes projets d'imaginer autre chose qu'une belle amitié vécue désormais en présence physique l'un de l'autre.
Erwan avait le souci de bien me connaître, je l'avais tout de suite vu quand il s'était inquiété de me voir commandé un soda, c'est vrai que d'habitude je prenais un café dont je raffolais mais depuis quelques temps, j'étais incapable d'en avaler une goutte, d'ailleurs, il y avait de nombreuses choses que j'aimais d'habitude qui ne pouvaient plus passées, c'était le résultat de mon anorexie.
-Non, non, je ne veux pas prendre de café à cette heure-ci, je ne vais pas pouvoir dormir après et pourtant j'en ai bien besoin avec le décalage horaire.
Et voilà, un petit prétexte tout à fait justifiable ! En effet le voyage m'avait beaucoup fatiguée, je n'avais pas encore trouvé le temps de me poser et puis il faut dire que je n'étais pas habituée à bouger puisque je n'étais jamais sortie de mon pays et rares avaient été mes escapades en dehors de Londres, d'ailleurs.
-Oh, avec plaisir, c'est gentil ! Je t'avoue que ce n'est pas de refus vu que je ne me retrouve pas du tout dans cette grande ville mais en effet on va attendre quelques jours que je prenne vraiment mes marques !
Vint alors le retour du serveur qui nous apporta respectivement un thé glacé et le soda. Assoiffée, je ne pris pas le temps d'attendre Erwan et but quelques gorgées pour me déshaltérer. Pour le moment, bien que j'avais l'habitude de me confier à mon cher correspondant, je n'avais pas envie de lui dire que j'avais tendance à me fragiliser du point de vue de mon anorexie, ce serait une mauvaise entrée en la matière, ce qui était préférable, c'était de lui apparaître sous un bon jour...
Aussi contrairement à ce qu'il pouvait croire, le comportement d'Erwan m'amusait, je le trouvais vraiment très touchant et je n'avais jamais eu un tel accueil où que ce soit. Du coup, je comptais bien lui en faire la remarque.
-Ne t'inquiète pas, je trouve très mignon que tu sois gêné mais ne t'inquiète pas, reste cool et naturel.
J'attrapais alors doucement sa main dans la mienne avec un grand sourire, j'avais très envie de le mettre à l'aise même si le voir dans cette situation ne me déplaisait pas, je savais que ce n'était pas particulièrement agréable pour lui qui était soucieux de l'effet qu'il voulait avoir sur moi en cette première rencontre en face à face !