Je viens d’arriver à l’université de Berkeley. Présent sur le sol californien depuis seulement trois jours, je ne suis ici que pour une courte durée avant de repartir pour Londres et de revenir le 15 février en compagnie de mes étudiants anglais. En attendant, j’ai plusieurs petites choses à régler, aussi bien concernant mon travail de professeur avec l’échange Berkeley/Oxford, que celui d’agent d’information au sein du MI6. Ayant passé la soirée dernière en mission, je décide ce soir de me permettre d’en passer une beaucoup plus tranquille. Pour cela, je quitte mon studio universitaire que l’on m’a attribué pour mon court séjour ici, afin de me diriger en ville.

Au moment où je sors de l’université, il est dix-huit heures à peine. Les cours se terminent peu à peu, les étudiants sortent et rentrent chez eux. Le parking semble se vider alors que le soleil commence à descendre dans le but de se coucher. Pour ma part, je ressors de l’internat et passe récupérer un papier au secrétariat dans le bâtiment principal. C’est au moment où je sors que je percute une personne de plein fouet. Mon réflexe premier est de la rattraper.

- Hey attention !

Le ton de ma voix n’évoque aucune agressivité, ni aucun reproche, mais plutôt de la surprise. Finalement je dépose mes yeux sur la personne en question et me rends compte qu’il s’agit de Blaithin. Mes sourcils se haussent alors qu’un bref sourire se dessine sur mes lèvres.

- Tu n’étais pas obligée de me foncer dedans pour attirer mon attention, c’est déjà le cas.

Là, je me moque gentiment d’elle. Si je ne suis pas plus surpris que ça de l’avoir en face de moi en ce moment, c’est que j’ai eu l’occasion de la croiser dans le plus grand des hasards au détour d’un couloir, ce matin. Là, ce fut la surprise aussi bien pour elle que pour moi. Nous ne nous étions pas attendus à nous retrouver ici, à l’université de Berkeley alors que nous nous étions rencontrés au Moyen Orient, des années auparavant lorsque je travaillais encore dans la British Army. Là-bas, il faut avouer que nous n’avions pas eu une grande complicité ou une quelconque amitié. Même si nous ne pouvions nier le talent de l’autre concernant notre travail, nous avions deux caractères bien trop différents. Je passais le plus clair de mon temps à l’exaspérer en me montrant aussi peu obéissant, trop solitaire et je-m’en-foutiste. Mais elle restait une très belle femme, attirante. Et c’est la raison pour laquelle je m’étais toujours amusé à la séduire sans réussir quoi que ce soit de concret avec elle. Mais disons que c’était le jeu qui m’amusait bien plus que la chandelle, bien que je ne cracherais pas dessus non plus.

Blaithin a toujours su faire ressortir la rivalité entre les anglais et les irlandais. Imaginez donc la crise quand elle a appris qu’elle devait partager une mission avec des membres des services britanniques… Si je ne niais absolument pas l’histoire de nos deux pays, et la façon dont ils se sont livrés bataille pendant des siècles, je préférais penser qu’à l’heure d’aujourd’hui, il était peut-être temps d’enterrer la hache de guerre. Nous devions prendre exemple sur les français et les allemands qui étaient devenus de très bons amis malgré un passé chaotique. Pourquoi diable nous, nous devions continuer à nous quereller ? Cependant, j’avais l’impression que c’était les irlandais qui ne souhaitaient rien entendre. Quoi que si je prends Joe pour exemple, lui non plus ne concevait pas trop de faire ami-ami avec une personne de l’île d’Emeraude. Un grand n’importe quoi qui me plaisait. Irlandaise ou pas, Blaithin gardait un incroyable petit cul, et c’est ce qui m’intéressait.

- Certes, mais à six pieds sous terre, tu ne serais plus vraiment intéressante.

Je lui adressais un sourire, tout ce qu’il y a de plus arrogant. Cependant elle reprit bien vite la parole en m’expliquant qu’il n’y avait pas de place dans son cœur, ce qui signifiait clairement qu’elle avait un petit ami, un fiancé ou même un mari. Cela restait très intéressant. Qui était donc l’homme qui a eu la folie de chercher à dompter O’Griffin ? J’avais l’impression que personne n’avait vraiment réussie.

- Tu crois vraiment que j’ai envie d’avoir une place dans ton cœur ?

Un de mes sourcils s’arqua. Deux possibilités s’offraient à elle. Soit elle comprenait dans ma question un simple « Je ne compte pas tomber amoureux de toi » ou bien un « La place que je veux, ce n’est pas dans ton cœur, mais un peu plus bas. ». Quoi qu’il en soit, je finissais par lui adresser un sourire sincère, perdant mon arrogance.

- Plus sérieusement, je crois qu’on est parti du mauvais pied tous les deux. Alors oublie que je t’ai dragué par le passé et que je ne suis qu’un « anglais » à tes yeux.

Je croisais son regard avec un certain sérieux, lui faisant comprendre que je voulais que nous partions sur de meilleures bases. Après tout, si nos chemins se recroisaient ici, c’était probablement pour que l’on communique. Je voulais qu’elle comprenne que j’étais capable de stopper ces dragues incessantes, mais à une condition : j’aimerais qu’elle me laisse l’opportunité d’apprendre à la connaître. En tout bien, tout honneur, bien évidemment.

- Imagine qu’après plusieurs années, on se retrouve par hasard ici, dans une université californienne alors que nous venons tous les deux du Nord de l’Europe, dans des pays voisins. J’ai envie de croire que c’est le destin. Mais au lieu de rendre l’instant particulièrement désagréable, reprenons à zéro et faisons connaissance. Promis, je me tiendrais à carreau.

Je lui adresse un sourire sincère avant de faire un pas vers elle et de lui tendre la main pour la lui serrer. A voir si elle comptait jouer le jeu ou bien rester sur ses positions. Auquel cas je me verrais dans l’obligation de partir d’ici. Je n’allais pas me battre de façon incessante si le simple fait que je sois anglais la répugne à ce point.

- William Clives. Enchanté.

La façon dont Blaithin s’approcha de moi pour murmurer quelques paroles au creux de mon oreille m’amusa grandement. Dans le fond, bien qu’elle joue la jeune femme exaspérée par mes avances, elle reste très fière. Fière d’être au centre d’un désir. Elle pouvait tout à fait le nier, mais pour se rendre crédible, elle n’aurait qu’à se tenir loin de moi, ne pas me répondre, et encore moins à se montrer aussi tactile. Ma cravate ne lui avait rien demandé après tout. Quoi qu’il en soit, elle semblait apprécier le fait d’être inaccessible et de voir à quel point elle pouvait m’intéresser. Dans le fond, on est tous pareils. Savoir qu’une personne nous trouve à son goût flatte l’égo. Et Blaithin ne semblait pas échapper à la règle.

Je n’avais pourtant pas pris la peine de lui répondre. La raison ? Je souhaitais repartir sur de bonnes bases, faire en sorte que nous puissions discuter sans nous jeter à la gorge de l’autre afin de s’étrangler mutuellement. A côté de cela, j’avais bien évidemment remarqué l’alliance à son doigt. Et elle devait le savoir : je suis un fin observateur. Les détails, je les remarque toujours très vite, ce qui faisait de moi un agent de talent. Détailler les gens, leur comportement, leur style vestimentaire, leur façon de parler ou bien les accessoires qu’ils portent, restait un véritable don chez moi qui me permettait de pouvoir en apprendre beaucoup en seulement quelques minutes. Donc, bien évidemment, le fait qu’elle soit fiancée avait été l’une des premières choses qui m’avait sauté aux yeux.

- Enchanté Major O’Griffin.

Je lui serrais la main en lui adressant un fin sourire en coin à peine perceptible. Finalement je tournais la tête pour balayer l’endroit du regard. Il faisait beau, temps auquel je n’étais plus habitué, sauf, bien évidemment, lorsque je partais en mission. Nous étions bien loin de l’Angleterre pluvieuse au brouillard épais. Blaithin, elle, devait s’y être habituée en treize ans de vie ici, en Californie. Car dans le fond, l’Irlande restait un pays au temps tout aussi désespérant. Mais dans le fond, ça nous valait des paysages d’une très grande beauté.

- Qu’est-ce que le MI6 fait à la faculté ? Tu n’as pas autre chose comme sauvé le monde tel James Bond ?

Je tournais la tête à droite puis à gauche afin de m’assurer qu’aucune oreille indiscrète ne nous écoutait. Après tout, les étudiants ne cessaient d’aller en venir à côté de nous, si bien que je fis signe à Blaithin de me suivre, avant de me diriger vers un endroit plus calme ou nous pourrions discuter sans que ma couverture ne soit totalement fichue. Je pris le pas jusqu’au parc de l’université. Un immense espace vert. Et si des nombreux étudiants profitaient du soleil pour réviser sur la pelouse, je trouvais un banc à l’écart des oreilles et des regards indiscrets. Je m’asseyais sur le dossier du banc, laissant mes pieds se déposer là où je devrais normalement m’asseoir.

- Si mes souvenirs sont bons, ton métier consiste aussi à combattre ceux qui font une entorse à la paix. Dans le fond, nous ne sommes pas si différents toi et moi.

Je l’imaginais déjà afficher une grimace et se défendre en m’expliquant que nous n’avions aucun point commun.

- Ce que tu sembles ignorer, c’est que le MI6 est présent à l’université depuis un moment déjà.

En effet, personne ne semblait s’imaginer que Joe Shark, le professeur de littérature, faisait également partie du MI6 en tant qu’agent, tout comme moi. Sa venue à l’université n’avait rien d’un hasard. On l’y avait envoyé comme on m’y avait envoyé il y a seulement quelques jours. Depuis la fusillade de l’université, en février 2012, les États-Unis avaient mis en place un système de sécurité plus important. Dans la mesure où les grandes universités mondiales comme Berkeley devenaient de nouvelles cibles du terrorisme, mon travail, ainsi que celui de Joe, était d’empêcher qu’un nouvel incident se produise. Le MI6 restait d’ailleurs gagnant dans la mesure où le terrorisme est fortement présent aux États-Unis, ce qui nous permettait d’être directement sur le terrain pour de nombreuses missions.

- Je peux d’ailleurs te retourner la question. Que fais-tu ici ? Tu ne devrais pas être au Moyen-Orient ou bien en Afrique pour calmer les tensions ?

- Un assistant ? Pourquoi aurais-je un assistant ? On n’est jamais mieux servi que par soi-même, pas vrai ?

J’ai toujours été d’une nature solitaire. Cela se faisait d’ailleurs ressentir dans mon travail. J’imaginais sans aucun doute que si l’on acceptait de me faire travailler seul, c’est parce que j’y arrivais mieux ainsi. Faire équipe me déstabilisait, je n’étais pas à l’aise. Il fallait que j’aie le contrôle de la situation, que je sois maître de mes actes. Avec quelqu’un, ça paraissait impossible, à moins de trouver un partenaire qui nous correspond. C’est un peu ce que j’avais trouvé avec Joe Shark. Nous étions sur la même longueur d’onde, comme le fait que nous nous complétions. De cette façon, notre binôme marchait terriblement mieux, nous laissant devenir les meilleurs agents actuels du MI6. Quoi qu’il en soit, l’homme était mon unique collègue. Donc pourquoi aurais-je besoin d’un assistant en plus ? Je me débrouillais très bien seul.

- Vous ne vous êtes pas signalez à la base militaire tous les deux. Il faut le faire, et même si le NCIS est dans le coin, il faudra quand même que vous le fassiez. Je ne compte pas le faire à votre place.

J’esquissais un large sourire amusé en l’entendant. Non, nous ne nous étions pas signalé à la base militaire. A quoi bon ? Lorsque l’on débarque aux Etats-Unis, avec la paperasse que l’on doit remplir, le territoire est conscient de ceux qui sont présents ici. Et dans la mesure où nous n’étions pas ici en mission secrète, inutile d’avoir une couverture et ainsi donner une fausse identité. Je doutais donc fortement que la base militaire ne soit pas au courant de ma présence. A moins qu’il y a une mauvaise communication.

- Qu’est-ce que tu ne comprends pas dans les mots « services secrets britanniques » ? Non, plus sérieusement, ils savent que nous sommes ici. Ne t’inquiète pas pour ça. Tout se sait, surtout que l’on n’a pas usé de fausses identités à l’aéroport.

Je n’étais donc pas dupe. Quoi qu’on en dise, il y avait une réelle communication entre les pays, concernant ce genre de choses. Le MI6 est en contact direct avec le FBI, la CIA et l’armée.

- Je suppose que tu comptes faire vos trucs proprement ? Je ne voudrais pas vous voir débarquer chez moi ou à la base en panique.
- En panique ? Pourquoi serions-nous en panique ? Après, débarquer chez toi pour une autre raison, pourquoi pas.

J’esquissais un sourire avant de me lever du banc. Mon portable venait de sonner. Je l’attrapais et le portais à mon oreille après avoir décroché.

- Clives, j’écoute ?

Rachel McKinney, la directrice du MI6. Je conversais avec elle quelques instants. Mais déjà, j’avais quelque chose à régler. Ainsi, lorsque j’appuyais sur la touche rouge du téléphone, je reportais mon attention sur Blaithin.

- Quoi qu’il en soit, ce fut un réel plaisir de te voir. Maintenant je dois filer. A la prochaine.

THE END