Le soleil déclinait sur la belle San Francisco depuis un bon moment lorsque Gemma Moro se décida enfin à allumer les lumières de son bureau, la douce lueur qui émanait de l'écran de mon ordinateur ne suffisant plus. Une ligne de plus à lire dans cette semi obscurité et elle risquait de s'exploser définitivement les rétines. Alors que la lumière inondait la pièce, la jeune femme s'autorisa une pause, le temps de retirer ses lunettes et se frotter les yeux. Après une bonne heure de travail, le mal de tête commençait à s'immiscer sournoisement dans sa tête. Heureusement, la plupart des dossiers sur lesquels elle bossait étaient à jour...Après cette journée bien remplie et plutôt stressante, c'était au moins une pensée réconfortante.

Soudain, quelques coups frappés sur sa porte résonnèrent côté couloir, et la seconde d'après, la porte s’entrouvrait, laissant apparaitre un visage familier.

- Gemma?

C'était Danielle, la secrétaire du département de pédiatrie. Aussitôt Gemma se fendit d'un sourire un peu fatigué. Danielle passait parfois la voir pour papoter un peu, ou pour lui enjoindre de faire une pause et de ne pas se tuer au travail.

- Je vais faire une pause, juste ce dossier, et je sors faire une pause, promis promis, la devança-t-elle d'une voix faussement rassurante et obéissante.
- Pas maintenant, tu es appelée au service des urgences, miss.
- Pardon ?
- Il y a un policier qui vient d’y être admis, il refuse de se faire soigner et demande à te voir.
- Un policier?
- Oui, un certain...Aaron Storm, d'ailleurs c'est pas le policier qui...

Mais Gemma n’écoutait plus. Elle avait sentit son cœur rater un battement. Ses doigts se crispèrent et elle sentit un poids dans son estomac, plus que désagréable.

- Aaron...il est là? Il...Il va bien?
- Je ne sais pas trop...Juste qu'il veut te voir....
- J'y vais.

Sans attendre, Gemma se leva et sortit de son bureau, sous l’œil préoccupé de Danielle. Elle ne s'en aperçut pas, concentrée qu’elle était sur son compagnon, pour lequel elle ne pouvait s’empêcher d’imaginer le pire…En un rien de temps, elle rentra dans l’ascenseur, écrasa le bouton et rejoignit les urgences. Puis après s’être renseignée rapidement, elle se dirigea dans la direction indiquée, fébrile.

Elle l'aperçut très vite, assis à moitié sur un lit, et une compresse sur le visage qui ne parvenait pas à cacher une trainée de sang.

- Aaron !

Se précipitant sur lui, sans lui donner le temps de faire quoi que ce soit, elle posa ses mains sur son visage, et l'obligea à retirer les doigts qui maintenaient la compresse.

- Laisse-moi voir !

Un simple coup d’œil lui apprit que la plaie était un peu profonde, suffisamment pour avoir besoin de quelques points de suture, mais cela n’avait pas l’air trop grave. Évidemment, ça ne voulait pas dire qu’il ne pouvait pas y avoir quelque chose de pire. Aussitôt, elle l'embrassa et s'écarta rapidement.

- Tu…Qu’est-ce qu’il s’est passé ? Ils t'ont examiné?

Elle l'aimait, elle en était sûre. Elle avait eu le temps, à force de le voir et de le fréquenter quand il lui amenait Zoé, de lui parler et de tomber amoureuse de lui. Mais s'éprendre de cet homme ne signifiait pas encore qu'elle avait accepté son métier, et les risques qu'il comportait. Elle, elle vivait une vie plutôt calme. Tout au plus, un môme pouvait la mordre ou lui refiler une rougeole, ou bien encore un rhume. Embêtant, mais rien d'insurmontable. Elle ne pouvait pas en dire autant du métier d'Aaron. Etre armé, faire face à des malfrats...A n'importe quel instant, il pouvait se faire tabasser, ou pire, se prendre une balle...Preuve en était son arcade sourcilière explosée. Certes, non létale, mais tout de même.. Et si les mots d'Aaron ne la rassurèrent qu'à moitié, le fait de savoir qu'il s'était pris des coups aux côtes n'arrangea rien.

- Arrête de te prendre pour le héros de service, le gronda-t-elle.Tu...Je n'ai pas envie qu'il t'arrive quelque chose, ajouta-t-elle d'une petite voix.

La vue du gilet pare-balles la rassura. Un peu, pas complètement, puisque le torse d'Aaron était couvert de cicatrices qui ne faisaient rien d'autre que lui rappeler le danger qu'il courrait. Rapidement, elle laissa courir ses mains sur sa peau pour s'assurer qu'il n'y avait rien de plus grave que quelques contusions et se mit à rire quand il parla d'une infirmière.

- Moi, jalouse d'une...? Je me suis arrangée avec le personnel pour que tu ne tombes que sur des infirmiers, tu penses bien...Elle haussa les épaules théâtralement mais ne put s'empêcher de sourire. Et ton ami est entre les mains des docteurs, il ne craint rien. Si tu veux, je vais demander qu'on me donne de ses nouvelles mais toi, tu ne bouges pas.

Et il n'y avait pas à discuter. Sur le côté, un infirmier avait préparé le matériel aseptisé. Gemma ne recousait pas souvent les gens mais elle savait y faire, alors sans hésiter, elle saisit du produit désinfectant.

- Ca risque de piquer un peu...

Et doucement, elle pressa un coton imbibé sur la blessure.

- Sur le dos hein...? Il semblerait que ce soit moi qui commande ce soir...

"Tu serais devenue folle alors si tu m'avais connu avant que j'entre dans le civil." Elle ne répondit pas. Comment faisaient les autres, ces femmes et ces hommes dont les compagnons respectifs partaient au front tous les jours? Cela lui tordait l'estomac rien que d'y penser...Elle finirait par s'y habituer, sans doute. Préférant ne pas s'attarder plus longtemps sur la question, et décidant de faire confiance à son compagnon et à ses capacités, elle se concentra sur sa vilaine coupure pendant qu'il l'attirait vers lui. Le contact des jambes contre ses hanches était agréable, bien qu'un tantinet distrayant, aussi se contenta-t-elle de sourire.

- Tu ne m'aides pas, tu sais?

Évidemment qu'elle allait s'occuper de lui ce soir, c'était plus qu'une évidence...Mais Gemma était une professionnelle avant tout, et elle retrouva rapidement sa concentration. Sentir Aaron contre elle, sain et sauf, toucher sa peau chaude, tout cela la rassurait. A présent, la plaie était propre, désinfectée, et Aaron n'avait pas bronché, malgré le fait que le produit n'était pas des plus agréables. Attrapant l'aiguille de suture, elle rapprocha les bords de la blessure jusqu'à les rassembler, puis commença à recoudre avec des gestes doux et précis. Sentant que son compagnon se tendait sous la douleur, elle ralentit légèrement ses gestes.

- C'est presque fini..., souffla-t-elle. Aaron s'en sortait bien, très bien même. Elle eut une bouffée d'admiration de le voir si résistant. Tu t'en sors très bien.

Quelques minutes plus tard, tout était fini. La plaie était enflée mais bien recousue et fermée, preuve de sa poigne sûre et de ses compétences. Rapidement, elle s'occupa de nettoyer le sang, puis posa un pansement par dessus la blessure. Puis après avoir déposé son matériel, elle revint vers lui.

- Voilà qui est fait Mr Storm....Posa ses mains sur ses cuisses, elle revint à la position qu'elle occupait avant puis s'avança pour l'embrasser. Vous avez été très courageux.

Sa main remonta le long de sa cuisse et vint caresser son torse,et elle lui réserva son plus beau sourire.

- Alors, tu me racontes ce qui s'est passé?

Une partie d'elle n'avait pas envie de savoir, mais une autre n'avait pas envie de vivre dans la peur et dans l'inconnu. Aaron et elle étaient un couple à présent, et elle faisait partie intégrante de sa vie comme lui de la sienne. Évidemment, dans un couple, chacun devait garder son jardin secret, mais de l'avis de Gemma, la vie professionnelle, même dangereuse, n'en faisait pas partie.

Le ton tranquille, la sécurité et la suffisance qu'Aaron dégageait la rassuraient quand même. Plus les minutes passaient, plus elle se sentait plus confiante et elle oubliait la panique qui l’avait envahie un peu plus tôt. Bien sûr, ce n'était pas avec quelques paroles apaisantes que son homme parviendrait à faire taire ses peurs pour de bon, mais c'était mieux que rien. Depuis qu’elle avait appris à le connaitre, et surtout depuis qu’elle partageait sa vie, c’était la première fois qu’elle était confrontée à la réalité de son travail. Avant, ce n’était que des histoires qu’il lui racontait et qu’elle écoutait, suspendue à ses lèvres. A chaque fois, c'était comme si elle était dans un de ces films d'action, où le gentil flic course le méchant malfrat...Elle l'idéalisait sans doute un peu trop, mais c'était les illusions du début. Aaron était son héros, le gars en uniforme -elle l'adorait avec son uniforme d'ailleurs- qui la faisait vibrer,qui la changeait de sa vie sûre mais plutôt monotone, et surtout de tous les hommes qu'elle avait pu fréquenter jusqu'à présent. Gemma n'avait jamais été un aimant à relations mais elle poussait se targuer d’en avoir eu quelques unes tout de même. Des hommes bien sous tout rapports mais, sans aucun doute, aucun comme Aaron.

Son enthousiasme en vue de sa rapide récupération et de ses projets de « redécoration » de l’appartement la fit glousser, un peu stupidement, et sa langue passa lascivement sur ses lèvres. Mais elle ne fit rien de plus et au contraire, se dégagea du contact du policier, un sourire malicieux sur les lèvres.

- Je reviens tout de suite.

Puis elle sortit de la pièce, fermant la porte derrière elle. Dans le couloir, elle se dirigea rapidement vers l’une des infirmières pour que celle-ci lui donne les bandages adéquats et au passage, demanda des nouvelles du coéquipier d'Aaron. Une fois le tout en sa possession, elle rejoignit rapidement son homme.

- Ton coéquipier va bien, mais ils le gardent en observation cette nuit. Des côtes foulées et peut-être un traumatisme léger à la tête. Il vont lui faire quelques examens. Et toi... Lui prenant la main, elle l’aida à se mettre debout. Il faut enlever ta chemise. Viens par ici.

Doucement, elle fit glisser le vêtement de ses épaules, puis le long de ses bras. Enfin, elle posa le bandage sur le torse nu et fixa le tout bien solidement.

- Rien de plus?

Elle se retint de lui imposer toute une batterie d'examens et posa la main sur son épaule, caressa son bras, et alors qu'elle entremêlait ses doigts aux siens, une pensée lui traversa soudain l’esprit.

- Et Zoé ? A cette heure-ci, elle devait être avec sa baby-sitter, les horaires d'Aaron ne lui permettant certainement pas d’être vingt-quatre heures sur vingt-quatre à ses côtés. A moins que cela ne soit le tour de son ex femme de l’avoir chez elle… ? Tu veux que j’aille la chercher ? Ou on y va tous les deux et on rentre à la maison… ? Je n’ai pas encore fini mon service mais je peux demander à rentrer, sans problèmes.